Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique d’Écriture Sainte

Ancien Testament

Didier Luciani

N°2000-5 Septembre 2000

| P. 340-351 |

Notre revue n’étant pas spécialisée dans l’exégèse, on comprend que les maisons d’éditions épargnent des envois de Service de Presse coûteux... Il reste que l’effet d’ensemble de ces quelques comptes rendus regroupés ne manque pas d’intérêt et nous continuerons, dans la mesure du possible, à en faire une chronique annuelle. Nous publions dans ce n° 5 ceux consacrés à l’Ancien Testament.

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De 1971 à 1978, le père Maurice Gilbert, spécialiste reconnu de la littérature sapientielle, a tenu la Chronique d’Écriture Sainte de cette revue. A l’heure où, ayant atteint l’âge canonique de 65 ans, il achève sa carrière académique officielle, carrière qui l’a conduit de Louvain à Namur en passant par Jérusalem et Rome, deux volumes d’hommage lui sont offerts par ses collègues et amis de différents horizons [1]. Il n’est bien sûr pas question de présenter, même brièvement, les 65 articles (pour 1200 pages environ) de ces deux Festschriften, mais il aurait été fâcheux de ne pas nous associer modestement à cette célébration en omettant de signaler ces publications. Disons seulement, pour mettre en appétit les lecteurs potentiels, que le volume de Leuven est exclusivement exégétique, la presque totalité des contributions portant sur le Siracide et le livre de la Sagesse, tandis que celui des Facultés namuroises mêle les approches bibliques, philosophiques, juridiques, éthiques... autour du même thème de la sagesse. À défaut d’embrasser « toute la sagesse du monde » comme pourrait le laisser entendre le titre mal compris de ce dernier ouvrage, reconnaissons que ces deux volumes nous en offrent un beau panorama et nous prouvent, de surcroît, qu’en dehors de toute prétention totalisante, le récipiendaire n’a certainement pas eu tort de consacrer quarante ans de son existence à en scruter les contours et à en approfondir le sens.

On est parfois en droit de se demander ce que « fabriquent » les éditeurs. En 1992, U. Luz publiait un livre collectif intitulé La Bible : une pomme de discorde (voir recension dans VC 65/4, 1993, 261-262) dans lequel le texte de Mc 6, 30-44 était soumis à différentes méthodes de lecture : exégèse historico-critique, approche fondamentaliste, « évangélique », lecture féministe, matérialiste ou selon la psychologie des profondeurs. Sept ans plus tard, J.C Brau et Th. Tilquin, prêtres du diocèse de Namur (Belgique) et animateurs au Centre de Formation Cardijn, produisent, aux éditions Lumen Vitae, un La Bible : un livre... des lectures... [2] dans lequel ils refont passer le même texte de Marc au crible des lectures historico-critique, fondamentaliste, matérialiste, selon la psychologie des profondeurs, féministe et sémiotique (tiens, une nouveauté !). Quel intérêt ? Certes, on trouvera quelques différences entre les deux ouvrages, le premier insistant, par exemple, sur les présupposés théoriques propres à chaque méthode, le second proposant davantage un outil pratique de lecture du texte en groupe (avec questions pour guider l’étude) ; ou encore, l’un questionnant la pluralité des lectures à partir de la problématique protestante de la scriptura sola, l’autre enracinant ces lectures de la Bible dans un contexte social populaire et ouvrier. La richesse des résultats et la variété des interprétations nous disent sans détour le caractère inépuisable de la Parole de Dieu lue en Église. Faut-il pour autant que le moindre travail de groupe biblique débouche sur une publication ?

Même s’il n’y a pas continuité directe entre le jubilé biblique et ceux auxquels l’Église convie régulièrement les chrétiens depuis le XIVe siècle, le retour aux sources scripturaires qui fondent cette institution ne peut que favoriser une meilleure intelligence et partant, une pratique plus consciente des célébrations de cette année 2000. Dans un ouvrage qui vient à point, T.P Osborne et J. Stricher explorent et présentent ces sources avec compétence et pédagogie [3]. Tous les textes bibliques ayant un rapport plus ou moins établi avec la pratique du jubilé ou avec l’un ou l’autre de ses aspects sont ainsi commentés. Les lois du code de l’Alliance (Ex) et du code deutéronomique sur la remise des dettes et l’affranchissement des esclaves, la manumission des esclaves sous le roi Sédécias (Jr 34), la loi de Lv 25, la remise des dettes en Ne 5 et 10 constituent la première partie du parcours. Jr 32 (rachat d’un champ par Jérémie), Rt 4 (rachat par Booz d’une pièce de terre appartenant à Noémie) et Is 37, 30 aurait également mérité d’y figurer. Dans une seconde partie, Is 61, Lc 4 (qui cite Is 61) et quelques autres péricopes de cet évangile sont à leur tour analysées. Les auteurs en tirent la conclusion qu’Is 61 - et en conséquence Lc 4 lui-même - malgré quelques points de contact avec Lv 25, ne fait pas référence à l’année du jubilé, mais parle d’une « année de faveur » accordée par le Seigneur à Israël, faveur qui, en Jésus Christ, s’élargit à toute l’humanité. Parmi d’autres, cette interpétation se défend. Le dossier est assez complet, les passages bibliques étudiés sont intégralement cités, aucune discussion technique ne vient distraire la lecture. En outre, sans prétendre tirer de la Bible un enseignement social « prêt à porter », le souci d’y puiser, pour le chrétien d’aujourd’hui, des principes de discernement et d’action se maintient tout au long du parcours. C’est sans doute là l’un des principaux intérêts de ce livre.

Après deux ans d’existence, la collection biblique « Le Livre et le Rouleau » de chez Lessius, trouve petit à petit sa place dans le paysage exégétique et se forge une ligne éditoriale propre. Les trois ouvrages recensés ici en apporteront la meilleure illustration.

Le premier est la traduction française d’un ouvrage de 1981 considéré depuis, par la critique unanime, comme un classique de la narratologie biblique. De fait, L’art du récit biblique de R. Alter [4], professeur d’hébreu et de littérature comparée à Berkeley (Californie), renouvelle complètement l’approche des textes bibliques en les abordant dans une perspective proprement littéraire et non plus selon ce qu’il est commun d’appeler « la méthode historico-critique », méthode qui a dominé et, sans conteste, fait progresser la recherche durant un siècle environ, mais qui a aussi manifesté ses limites. En fait, rien n’oblige à lire ce changement de paradigme dans les études bibliques comme une rupture absolue : on peut y voir le prolongement logique d’un processus engagé à l’intérieur même de cette exégèse historique l’ayant conduit à passer de la critique des sources à un intérêt accru pour la forme finale du texte (Redaktiongeschichte). Mais ce qui est véritablement neuf dans l’entreprise d’Alter - bien que certains précurseurs comme E. Auerbach aient déjà ouvert la voie en tentant, par exemple, une comparaison entre l’Odyssée d’Homère et la Genèse - c’est d’une part, qu’elle émane non d’un exégète, mais d’un spécialiste du roman et d’autre part, qu’elle se présente comme une introduction systématique à l’art de raconter de la Bible. Tout au long de son ouvrage, en effet, l’auteur cherche à découvrir et à illustrer, à l’aide de multiples exemples, les principes caractéristiques de l’art narratif des écrivains hébreux de l’Antiquité. Qu’il s’agisse du rapport entre histoire et fiction (ch. 2), de l’analyse des scènes types et des conventions littéraires (ch. 3), de l’alternance narration/dialogue (ch. 4), des techniques de répétitions (ch. 5) de la caractérisation des personnages (ch. 6) ou encore de la fonction des récits composites (ch. 7), tout est analysé avec finesse et originalité et surtout révèle une cohérence et une esthétique du récit biblique dans sa rédaction finale que l’exégèse moderne, victime de ses préjugés (loi de l’unité stylistique, de la non-contradiction, de la non digression, de la non-répétition...) et de sa condescendance, n’avait pas su mettre en valeur ou avait même trop souvent occulté. Ainsi, pour ne prendre qu’un cas parmi tant d’autres - en fait, le premier qu’il cite (p. 12s) -, Alter montre de manière convaincante comment Gn 38 (l’épisode de Tamar), considéré massivement par la critique biblique traditionnelle comme une interpolation maladroite au milieu du cycle de Joseph, ne doit rien au hasard, mais est au contraire habilement relié à son contexte, ce qui n’est pas sans conséquence sur la manière d’interpréter l’un et l’autre. Ce n’est donc pas seulement affaire d’esthétisme, mais de signification à la fois anthropologique et théologique. Ainsi, sans nier le caractère composite des récits bibliques, Alter caractérise le projet littéraire qu’ils illustrent : « En recourant aux ressources du récit, les auteurs de la Bible ont entrepris de rendre manifeste la réalisation du dessein de Dieu dans l’histoire. Deux phénomènes solidaires... compliquent la réalisation de ce dessein. Il s’agit d’une part de la tension existant entre le plan divin et le caractère désordonné des événements de l’histoire ou, pour traduire cette opposition en termes spécifiquement bibliques, de la tension entre la promesse divine et les échecs manifestes qu’elle rencontre dans son accomplissement. Il s’agit d’autre part de la tension qui naît de la rencontre de la volonté de Dieu, en sa conduite providentielle, et de la liberté de l’homme, en sa nature récalcitrante » (p. 50). Et c’est, en fin de compte, cela qui rend la Bible si passionnante : en recourant à la fiction narrative, elle est à même, mieux que tout discours totalisant, de nous faire percevoir la profondeur de la nature humaine, la complexité du réel, la patience de Dieu à proposer son dessein salvifique et par là, elle est encore capable de solliciter l’engagement du lecteur au point même où s’articulent dialectiquement en lui dessein et désordre, providence et liberté. « La tradition religieuse ultérieure - conclut Alter-nous a encouragés... à prendre la Bible au sérieux et non tellement à prendre plaisir à la lire. Mais il se pourrait, paradoxalement, que ce soit en retrouvant le plaisir des histoires bibliques en tant qu’histoires, que nous arriverons à mieux discerner ce qu’elles nous apprennent de Dieu, de l’homme et de ce lieu de tous les dangers et de tous les enjeux qu’est l’histoire » (p. 255). Du plaisir de lire, l’auteur nous donne déjà un bel avant-goût.

Pour s’assurer - si on doute encore - de la fécondité des intuitions d’Alter, il suffit d’accompagner A. Wénin, professeur à la faculté de théologie de Louvain-la-Neuve (Belgique), dans sa lecture de Gn 22 [5]. Voilà un texte bien (trop ?) connu, gênant, peut-être même révoltant. Est-ce Dieu qui est pervers ou Abraham qui est malade ? Est-ce un vieux récit pour « primitifs » à la conscience pas encore très éclairée ou une histoire qui nous concerne ? Seul un examen patient et attentif du texte peut préserver des pièges d’une interprétation simpliste et réductrice. Comme le sous-titre de l’ouvrage l’indique, cet examen est ici mené avec les outils de l’analyse narrative. Il se déroule en trois mouvements : 1) repérage de la structure du texte (sa charpente, son organisation formelle : p. 17-30) ; 2) présentation de la stratégie narrative (temps, lieux, intrigue, position du lecteur : p. 31-44) ; 3) lecture du récit (p. 4.7-88). Cette dernière partie qui constitue l’interprétation proprement dite se déploie à partir de l’ambivalence reconnue de la parole initiale de Dieu à Abraham : « Que demande exactement Elohîm ? Qu’Isaac soit offert en holocauste ou que son père l’emmène avec lui pour offrir un sacrifice sur la montagne ? Ainsi, le test semble porter d’abord sur la manière dont Abraham va comprendre l’ordre qu’il reçoit à propos d’Isaac. C’est bien la première chose, en effet, qui le révélera aux yeux de Dieu (et du lecteur). Ainsi, s’il entend l’invitation divine comme une demande visant simplement un holocauste ordinaire à offrir avec Isaac, Abraham montrera ipso facto où il en est vis-à-vis de son Dieu : dans une relation qui s’est comme “normalisée” depuis qu’Isaac est né suite à la longue crise ouverte par la promesse d’une descendance. En revanche, si Abraham entend la parole... dans son sens fort, s’il comprend que Dieu lui demande d’offrir le fils de la promesse, le test s’en trouvera relancé et approfondi... Abraham aura reconnu dans l’ordre reçu les accents du Dieu qui, jusqu’à présent, lui a tout demandé » (p. 51). On est convié pour ainsi dire à un redoublement de l’effort herméneutique puisque Abraham doit interpréter un ordre ambigu de Dieu et qu’à son tour, le lecteur doit interpréter l’attitude ambiguë d’Abraham face à cet ordre. La résolution de l’énigme et l’éclairage du macro-récit (le cycle d’Abraham) permettent de prolonger la réflexion sur l’anthropologie et la théologie sous-jacentes à la péricope : plutôt que de s’opposer, don et loi se conjuguent pour assurer la pérennité et la réciprocité d’une alliance entre Dieu qui, par amour, veut se donner à l’homme et l’homme qui, par la foi, peut se donner à Dieu et même donner à Dieu de se donner à lui. Il me semble qu’une articulation plus pédagogiquement explicite entre la structure et la lecture n’aurait nui en rien à la richesse de ces analyses.

Le dernier volume recensé des éditions Lessius, fruit d’une série de conférences données aux facultés universitaires de Namur, concerne encore la littérature et la Bible [6], mais cette fois sous un angle un peu différent et un peu plus large puisqu’il n’y est pas seulement question d’aborder la Bible comme littérature, mais encore de l’étudier comme matrice d’œuvres littéraires (la Bible en littérature). Sur le versant biblique, J.R Sonnet (traducteur de l’ouvrage de R. Alter et directeur de la collection « Le livre et le rouleau ») étudie, à partir de la Genèse, la question du narrateur dans la Bible et J.N. Aletti (professeur à l’Institut biblique de Rome) se demande si les évangiles peuvent être considérés comme des œuvres littéraires. Au versant littéraire, M. Gilbert relit Victor Hugo qui médite lui-même sur le livre de Ruth ; F. Mies (éditrice de ce collectif) propose une confrontation entre la cantate d’Elie Wiesel (Ani Maamin. Un chant perdu et retrouvé) et le livre de Job ; A. Wénin, enfin, examine la relation qui existe entre le roman de Thomas Mann (Joseph et ses frères) et l’histoire biblique du patriarche. Si le genre littéraire de cet ouvrage (conférences destinées au grand public et pluralité d’auteurs) diffère des deux précédents, il n’en reste pas moins que son propos viendra admirablement compléter et élargir les perspectives ouvertes par ceux-ci, à moins qu’à l’inverse, il ne facilite un premier accès à la problématique envisagée. En tout cas, il achèvera, si besoin est, de convaincre ses lecteurs que Bible et littérature ne peuvent s’ignorer.

Ce que des auteurs de ce siècle comme Thomas Mann ou Elie Wiesel ont fait en s’inspirant de la Bible pour féconder leur réécriture personnelle, la tradition juive n’a cessé de le pratiquer dans le midrash en remplissant les blancs et les marges du texte biblique pour en proposer, de générations en générations, des lectures nouvelles. Cette « lecture infinie » (voir D. Banon), cette permanente invention du sens constitue, à l’opposé de toute vision idéologique, l’essence même de la Révélation et n’a d’autre but que d’essayer de retrouver, non pas derrière le texte, mais dans sa lettre même, le souffle originel qui l’anime, les échos de la voix infinie qui parle à travers lui. En relisant quelques textes majeurs de la Bible (Gn 1-2 ; Gn 25-27 ; Ex 3 ; Ct 1 ; Ex 20 ; Ex 32 ; Dn  ; et enfin les 3 prières pour l’étranger de Gn 18 ; Ex 32 et Jon 4), S. Mosès [7] part à la recherche de cet « Eros divin », de cet esprit vivifiant qui, pour s’adresser aux hommes et les aider à régler leur vie sur cette terre, s’incarne dans le texte biblique en discours de la Loi. Avec notre auteur, spécialiste de Franz Rosenzweig, cette tradition de lecture, dans un perpétuel va-et-vient, se laisse réinterpéter par les catégories de la philosophie occidentale tout en la mettant elle-même, à son tour, en question. « De ces déplacements... naît ici une autre façon, à la fois nouvelle et très ancienne, de lire la Bible et donc une autre manière de déchiffrer le monde, une autre manière d’y projeter un sens » (p. 8). Un lecteur chrétien trouvera peut-être en plus une manière inhabituelle d’appréhender la Loi et sa pratique comme lieu de l’expérience amoureuse du divin (voir la lecture de Ct 1-2 p. 65-76).

Même s’il serait aisé de trouver des points de contact avec les ouvrages précédents, c’est pourtant à une autre rencontre entre la Bible et les sciences humaines - en l’occurrence la psychanalyse - et donc à une autre lecture que nous invite Marie Balmary [8]. Au jeu de cette confrontation entre Freud et la Bible, l’analyste parisienne n’en est pas à son coup d’essai et elle rencontre, à juste titre, un certain succès ayant réussi à partiellement renouveler, en trois ouvrages, notre lecture de la Bible et surtout de ces textes fondateurs que constituent les premiers chapitres de la Genèse. Pourquoi alors avoir ressenti un certain malaise à la lecture de son dernier livre ? Je me contenterai ici de trois remarques. Tout d’abord, depuis Le sacrifice interdit (1986), l’attrait de la nouveauté s’est un peu estompé. En ouvrant le livre, on sait déjà, plus ou moins, à quoi s’attendre : Dieu, qui ne peut être un tyran pervers, se conduit vis-à-vis de nous comme un bon thérapeute et ne nous éprouve que pour mieux nous permettre d’accèder, par delà les pièges de l’inconscient et nos divers refoulements, à la vie véritable ; sa loi n’a d’autre but que de nous faire advenir comme sujet, apte à entrer en relation avec autrui. À décliner, sur tous les modes, ces évidences, M. Balmary finit par beaucoup se répéter, même si ses analyses sont toujours menées avec finesse. Ma deuxième remarque découle de la première : avec de tels présupposés, l’auteur donne souvent la fâcheuse impression d’être la première à comprendre correctement le texte biblique, comme si seule l’entrée dans la « gnose balma-ryenne » nous mettait dans la bonne position pour lire et pour entendre. Enfin, et c’est encore une conséquence de ce qui précède, ces présupposés - aussi conscients et justes soient-ils (ils recoivent le soutien indirect mais irréfutable de l’expérience analytique) - ne sont jamais critiqués. Comme le dit elle-même l’auteur, « il nous faut non seulement lire le texte, mais le choisir. Choisir la logique dans laquelle nous allons le lire » (p. 273). On n’aborde certes jamais une oeuvre sans une certaine précompréhension, mais la question que pose le travail de M. Balmary est peutêtre de savoir quels critères sont nécessaires pour éviter que, dans une telle approche, le texte biblique ne devienne une immense salle de « projection ». Nonobstant ces observations et questions, et pour autant qu’on ait la patience de suivre l’auteur tout au long de sa minutieuse enquête, on glânera, à propos de passages souvent réputés difficiles, des intuitions capables de féconder la lecture.

Je termine cette chronique en signalant, plus brièvement, trois livres parvenus juste à temps pour pouvoir encore figurer dans cette chronique.

Le premier est un Vademecum pour le lecteur de la Bible coédité par le Cerf et Médiaspaul [9]. Ce collectif, traduction d’un original italien paru en 1996 sous la responsabilité de l’association « Biblia », ambitionne - entre discours scientifique et littérature confessionnelle - de fournir au non spécialiste « des informations sur les éléments linguistiques, historiques, géographiques, historico-religieux, mythiques, voire psychologiques contenus dans la Bible..., éléments qui n’ont rien d’évident pour le lecteur moderne » (p. 7-8). Outre le fait qu’on trouvera dans cet ouvrage à peu près tout ce qu’on est en droit d’attendre de ce genre d’introduction à la Bible, l’intérêt me semble surtout résider dans le fait qu’il reflète et vulgarise les grandes tendances actuelles de la recherche exégétique : prudence dans la datation des textes et rajeunissement de la rédaction finale de l’Ancien Testament ; attention portée à la tradition de lecture des Écritures (y compris la tradition juive) ; pluralité et complémentarité des méthodes d’interprétation... Pour les données plus stables, on peut choisir ce guide ou un autre : ce n’est vraiment pas les instruments qui manquent (voir les chroniques précédentes).

Le deuxième est un ouvrage de Dom Robert Le Gall, Abbé de l’abbaye bénédictine de Kergonan (France) [10]. En se fondant sur son expérience monastique de la psalmodie et sur sa lectio divina, l’auteur mène une réflexion tous azimuts et pétrie de culture humaniste sur le livre des Psaumes. Quelques règles pour « Psalmodier avec sagesse » (ch. 1) ; une lecture de Rm 8, comme clé trinitaire pour les psaumes (ch. 2) ; le commentaire de quelques psaumes (ch. 3) ; le repérage de certaines trames du tissu psalmique (ch. 4) et une étude du bestiaire du psautier (ch. 5) constituent autant de voies d’accès à ce parcours qui, sans prétention exégétique, désire seulement aider le lecteur à entrer en psalmodie.

Le dernier enfin, est un très beau livre de P. Beauchamp qui s’essaie à un genre nouveau en proposant une série de cinquante brefs portraits bibliques (d’Abraham à Daniel, en passant par Isaac, Jacob, Joseph etc.) [11] : manière de faire mémoire du récit biblique par le biais de ceux qui le font vivre ; occasion de percevoir, pardelà la multiplicité des visages, l’inscription de l’image de Dieu ; possibilité de s’identifier à l’un ou à l’autre des personnages, comme dans une méditation ignatienne ; appel à relire l’histoire sainte, son histoire comme habitée par la présence divine. Le texte est également beau par son impression et par les dessins qu’il inspire (gravures de P. Grassignoux à partir d’oeuvres d’art médiévales pour la plupart). En somme un vrai cadeau et, peut-être aussi pour certains la chance de pouvoir enfin aborder Beauchamp à dose homéopathique, aucun portrait ne dépassant les quatre pages.

Didier Luciani, chroniqueur pour l’Écriture Sainte depuis 1992, est né en 1954. Laïc, il est le père de cinq enfants. Après avoir étudié à Jérusalem, Bruxelles et Paris, enseigné les mathémathiques à Alger et travaillé comme assistant à l’Institut d’Études Théologiques à Bruxelles, il est maintenant chargé de cours d’Écriture Sainte à temps plein au grand séminaire de Namur (Belgique). On retiendra, entre autres, ses travaux sur Lévitique 19 (N.R.T. 114, 1992, 212-236) et sur Lévitique 25, à paraître dans R.T.L. Sans oublier une réflexion intéressante à propos du Laïc en formation au laïc formateur (N.R.T. 117, 1995, 565-579).

[1• N. Calduch-Benages & J. Vermeylen (ed.), Treasures of Wisdom. Studies in Ben Sira and the Book of Wisdom (Festschrift M. Gilbert). Coll. « Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensum » CXLIII, Leuven, Leuven University Press/Peeters, 1999, 24,5 x 16, 463 p., 3000 bef.• F. Mies (éd.), Toute la sagesse du monde. Hommage à Maurice Gilbert, s.j. Pour le 65e anniversaire de l’exégète et du recteur. Coll. « Connaître et croire » 4/« Le livre et le rouleau » 7, Namur/Bruxelles, Presses Universitaires de Namur/Lessius, 1999, 20,5 x 14,5, 767 p., 280 FRF/1680 BEF.

[2J.C. Brau & T. Tilquin, La Bible : un livre... des lectures... Coll. « Sens & Foi. 1, Bruxelles, Lumen Vitae, 1999, 21 x 15,112 p.

[3T.P. Osborne & J. Stricher, L’année jubilaire et la remise des dettes. Repères bibliques. Paris, Bayard/Centurion, 1999, 22 x 15,126 p., 98 frf.

[4R. Alter, L’art du récit biblique. Coll. « Le livre et le rouleau » 4, Bruxelles, Lessius, 1999, 20,5 x 14,5, 267p., 129 frf/850 bef.

[5A. Wénin, Isaac ou l’épreuve d’Abraham. Approche narrative de Genèse 22. Coll. « Le livre et le rouleau » 8, Bruxelles, Lessius, 1999, 20,5 x 14,5, 102 p., 89 FRF/545 bef.

[6F. Mies (éd.) Bible et littérature. L’homme et Dieu mis en intrigue. Coll. « Le livre et le rouleau » 6/« Connaître et croire » 5, Bruxelles/Namur, Lessius/Presses Universitaires de Namur, 1999, 20,5 x 14,5, 173 p., 119 frf/715 bef.

[7S. Mosès, L’Éros et la Loi. Lectures bibliques. Paris, Seuil, 1999, 20,5 x 14, 151 p., 120 frf.

[8M. Balmary, Abel ou la traversée de l’Eden, Paris, Grasset, 1999, 20,5 x 13, 367 p., 132 frf.

[9Association Biblia, Explorer la Bible. Vademecum pour le lecteur des Écritures. Paris/Montréal, Cerf/Médiaspaul, 1999, 21,5 x 14, 308p.

[10Dom R. Le Gall, La Saveur des Psaumes. Entrer en Psalmodie, Chambray-Lès-Tours, C.L.D, 2000, 21,5 x 15,5, 267 p., 149 frf.

[11P. Beauchamp, Cinquante portraits bibliques, Paris, Seuil, 2000, 22,5 x 14,5, 261 p. 138 frf.

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