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Le second synode pour l’Europe et la Vie consacrée

« On nous croit morts, mais nous sommes vivants » (2 Co 6,9)

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°2000-4 Juillet 2000

| P. 220-235 |

Rédigé à l’intention de la revue Informationes, organe de la S.C.R.I.S. qui nous donne la possibilité de la reproduire sans tarder, voici, faisant suite au texte de B. Malvaux (Vie Consacrée, 4-5, 1999, 298-309) et à sa propre note : « Sur l’avenir » (2. Sur l’Instrumentum laboris du Synode des évêques consacré à l’Europe, Vie Consacrée, 6, 1999, 404-410) une analyse détaillée de tous les documents concernant cette question dudit Synode. Elle y fut à peine posée ! Et l’auteur de conclure : « Demeure l’interrogation fondamentale à propos de cette retenue constante des évêques à parler d’une forme de vie sans laquelle l’Église, au dire de Vita consecrata et déjà pour Lumen gentium, ne peut être elle-même. » Cette interrogation est pour nous un défi de taille.

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La deuxième assemblée spéciale pour l’Europe du Synode des évêques qui s’est tenue à Rome, du 1er au 23 octobre derniers, avait pour thème « Jésus Christ, vivant dans son Église, source d’espérance pour l’Europe ». En 1991, les évêques d’Europe avaient consacré leur première assemblée spéciale, après la chute du mur de Berlin, à l’extraordinaire aventure qui s’ouvrait en Europe : « Pour que nous soyons témoins du Christ qui nous a libérés ». Dans l’intervalle ont eu lieu les grands synodes continentaux suscités par Tertio Millenio Adveniente : pour l’Afrique (1994), pour l’Amérique (1997), pour l’Asie (1998), pour l’Océanie (idem) ; sauf dans le dernier cas [1], les exhortations postsynodales ont été promulguées par le Pape, sous un incipit identique : Ecclesia in... (Africa, America, Asia). On s’attendra donc à ce que l’exhortation postsynodale qui récapitulera le récent Synode - le premier n’ayant pas fait l’objet d’un texte pontifical ultérieur - s’intitule, elle aussi, Ecclesia in Europa. C’est dans cet horizon ecclésiologique d’importance majeure qu’il faut situer notre sujet, car la vie consacrée, qui a déjà fait l’objet d’un Synode (1994) et d’une exhortation apostolique (1996) devait être entendue par le deuxième Synode pour l’Europe du point de vue de sa responsabilité missionnaire. Pour mieux comprendre ce qu’il en a été, il convient de parcourir, pas à pas, les différentes phases d’un événement synodal qui a réuni 179 membres (dont 79 de nomination pontificale), 10 délégués fraternels et 39 auditeurs (dont 19 femmes), auxquels on ajoutera le Frère Roger Schutz, auditeur spécial.

Les Lineamenta

Le Père B. Malvaux a écrit, sous le titre « Que peut attendre la vie consacrée du prochain synode pour l’Europe ? », une étude des récents Lineamenta confrontés aux travaux des autres synodes continentaux [2]. En bref, l’auteur s’y montrait préoccupé du peu de cas fait de la vie religieuse et consacrée dans la plupart des documents synodaux continentaux, mais en particulier, dans les Lineamenta européens. Si donc le Synode devait lui aussi négliger notre forme de vie ecclésiale, on pourrait en conclure que, pour les évêques de la région où vivent la plupart des consacrés du monde, le temps des ordres religieux, pour reprendre un titre célèbre [3], s’était achevé.

L’Instrumentum laboris

La publication de l’Instrumentum laboris a pu atténuer cette impression, parce que la vie consacrée s’y trouvait, cette fois, heureuse surprise, largement représentée. Cependant, le nombre des occurrences [4] ne doit pas nous cacher la faiblesse des propos tenus. Certes, la vie consacrée s’y trouvait plutôt prise en bonne part, mais il faut un peu nuancer le propos. Ainsi, on notait, d’une part, que les religieux de l’ouest envoyés à l’est ont eu du mal à comprendre les situations locales (IL 7), mais aussi que les religieux de l’est ont pu retourner vivre dans leurs communautés (9) ; on notait que, dans certains pays croissent les vocations (idem), mais qu’ailleurs leur nombre « s’écroule » (14) ; l’importance du rapport entre les évêques et les religieux y était soulignée (15), ainsi que l’existence de « centres de vie consacrée » ouverts au pluralisme interreligieux (20) et l’on relevait les initiatives de solidarité réalisées par les « personnes consacrées » (17), mais on rappelait aussi le vieillissement du personnel engagé dans l’évangélisation, notamment des personnes appartenant aux instituts de vie consacrée, vieillissement qui « offre une image plutôt fatiguée et peu dynamique de l’Église et constitue un obstacle aux vocations » (56), etc.

Cependant, en substance, le tableau n’était pas trop sombre, puisque l’on admettait qu’il fallait compter, parmi les chrétiens, mêmes minoritaires, qui portent le poids de la vie ecclésiale, « de nombreuses communautés de vie consacrée » [5] (34) - seule mention de notre sujet dans la partie centrale du document. Plus loin, on saluait la religiosité de conviction qui anime des minorités plus ou moins importantes, parmi lesquelles le document cite « les communautés de vie consacrée et les groupements de laïcs qui y sont liés » (43). De plus, les communautés monastiques et religieuses étaient entendues comme des lieux d’éducation à la spiritualité (du désert, 44), et les communautés de vie consacrée se trouvaient connotées positivement dans le domaine de la collaboration entre les prêtres et les laïcs (49). Elles constituaient aussi un lieu propice au progrès œcuménique (60), en particulier dans la vie monastique (idem). Les consacrés relevaient (eux aussi) de la réponse de l’Église au devoir d’annoncer le Christ (66), et leur vie liturgique vérifiait le mystère qu’elles vivent (68). Ils devaient donc être (eux aussi) encouragés « à retrouver et à manifester la joie d’une existence entièrement consacrée au Seigneur », etc. (81). Bref, la présence et l’action de la vie consacrée relevaient par ce témoignage de communion de l’échange des dons des Églises et des Communautés ecclésiales d’Europe (86).

La dernière observation que je ferai, et qui est peut-être plus préoccupante, c’est que la vie consacrée et/ou religieuse faisait souvent partie d’une série. Ce n’est pas l’ecclésiologie de communion [6] que je mets ainsi en cause, mais l’habitude qui peut se prendre d’envisager la vie consacrée comme une sorte de variante des forces sur lesquelles on peut (encore) compter dans les Églises d’Europe aujourd’hui. Je laisse de côté l’expression critiquée de longue date par le Père R. Carpentier [7], au sujet des « vocations sacerdotales et religieuses » (14). Mais des séquences nouvelles font leur apparition, comme « communautés ecclésiales, centres de vie consacrée, groupes et mouvements » (20), ou bien « communautés de vie consacrée, secteurs des différents agents de la pastorale et membres de diverses associations et mouvements ecclésiaux » (34) ; on mettait aussi en évidence « les communautés de vie consacrée et les groupements laïcs qui y sont liés, les membres des groupes et de mouvements ecclésiaux, et même des personnes individuellement et des familles de différentes paroisses » (43) ; plus précisément encore, on louait les expériences liturgiques répandues dans « les communautés religieuses renouvelées, dans les nouvelles fondations de vie consacrée et dans les nouveaux mouvements ecclésiaux » (68). Comment désigner plus clairement les lieux où semble se jouer l’avenir ? C’est pourtant là une manière de parler qui « utilise » la vie consacrée en termes de capacité pastorale, une orientation qu’il vaudrait la peine de peser.

Le Rapport avant discussion (Relatio ante disceptationem)

La Relatio ante, lue aux participants par le Cardinal A.M. Rouco Valera (rapporteur spécial) dès le commencement des travaux, suit la structure de l’ Instrumentum laboris : défis et difficultés pour l’Europe et pour l’Église aux portes du troisième millénaire (I), présence du Christ dans son Église (II), lignes directrices pour l’annonce, la célébration et le service de l’Évangile de l’espérance en Europe aujourd’hui (III). Passant outre aux vues d’ensemble du document, qui a été diffusé largement dans la presse, je m’attacherai encore une fois à sa présentation de la vie consacrée.

(I) La première mention qui en est faite évoque une crise des vocations qui n’a pas été surmontée, en raison d’une « sécularisation interne », entendue comme « obscurcissement ou abandon de la vérité de foi dans nos propres vies et nos engagements pastoraux » [8]. De manière assez sévère, le rapport met en cause les religieux et religieuses qui apparaissent plus « fidèles au monde » que témoins et serviteurs de la « seule chose nécessaire », à travers une existence (pauvre, chaste et obéissante) dont la finalité est de signifier visiblement la vie éternelle.

(II) Dans la partie christologique, plus étoffée ici que dans l’Instrumentum, les communautés religieuses sont louées pour leur célébration de la Liturgie des heures et leur service de la prière solitaire. Les religieux sont aussi mentionnés à propos de l’aide qu’ils apportent, aussi bien que les laïcs, face au manque de ministres ordonnés, pour la célébration de la Parole, le ministère de la communion et d’autres célébrations. Mais quand le document passe au service de la charité, ce sont les nouveaux mouvements et communautés ecclésiales qui sont salués pour leur vigueur évangélisatrice, malgré les tensions qui subsistent avec la hiérarchie et la nécessité d’une formation chrétienne solide et approfondie.

(III) Le troisième mouvement (après l’annonce et la célébration, il s’agit de servir « l’évangile de l’espérance ») revient, tout en finale, sur la pastorale des vocations, sacerdotales et religieuses toujours confondues. « Sans vocations en nombre suffisant pour le ministère ordonné et la vie consacrée, toute évangélisation renouvelée et vigoureuse est impossible. Réciproquement, une évangélisation résolue, intégrale et profondément apostolique est le meilleur « programme » de la pastorale des vocations ». Tout quitter pour suivre le Christ se vérifie d’ailleurs quotidiennement « dans les nouveaux mouvements ecclésiaux et dans tous les lieux où se trouvent les conditions favorables à la rencontre vivante avec le Sauveur ». Dont acte : les consacrés sont appelés au service liturgique et même à l’évangélisation, ainsi que les nouveaux mouvements leur en montrent aujourd’hui la voie.

Enfin, le document s’achève sur l’évocation des figures spirituelles d’Ignace de Loyola, de Thérèse d’Avila, de Thérèse de Lisieux et d’Édith Stein (nouvelle copatronne de l’Europe). Que l’on sache, il s’agit tout de même de religieux...

Il n’est pas étonnant que les consacrés présents au Synode, surtout les représentants des supérieurs majeurs et autres auditeurs, aient réagi par leurs interventions et leur travail de propositions à cette obnubilation de leur situation ecclésiale propre et à cette réduction implicite de leur apport à un modèle nouveau auquel ils ne peuvent s’identifier.

Les interventions in aula au sujet de la vie consacrée

Peu d’évêques ont cru bon d’intervenir au sujet de la vie consacrée, durant la première phase du Synode, sous le prétexte avéré qu’un Synode général avait déjà été consacré au sujet. Mais les auditeurs et auditrices, et les pères généraux membres du Synode ne s’en sont pas privés. Dans l’ensemble, et comme on pouvait s’y attendre, un vibrant hommage a été rendu in aula aux consacrés qui ont offert leur vie ou souffert la prison, la relégation, le silence imposé durant des années, derrière l’ancien rideau de fer. D’autres interventions ont pris en compte la présence active des consacrés dans les Églises locales. Mais sans l’apport complémentaire des religieux eux-mêmes, leur existence serait passée beaucoup plus inaperçue, en un temps où précisément, l’émergence de nouveaux modèles ecclésiaux focalise l’attention de bien des pasteurs.

Le Cardinal E. Martinez Somalo a, le premier, mis en évidence le nombre (550 000 religieux), la spiritualité, la vigueur prophétique d’une vie consacrée fidèle à son charisme originel, où la référence à Dieu est constitutive de la vocation (le 2/10). Le Père A. Bocos Merino, supérieur général des Missionnaires Fils du Cœur de Marie, a défini peu après (le 4/10) la vie religieuse comme un signe d’espérance pour l’Europe : mémoire de Jésus et de son Évangile, créatrice de culture, signe de la présence de Dieu, elle trouve dans l’émergence des jeunes chrétientés sa récompense et dans son propre vieillissement un don de Dieu dont la grâce surabonde dans la fragilité, appelée qu’elle demeure à l’esprit prophétique. Le lendemain, le Père G.-A. Gardin, Ministre général des Capucins, a fait remarquer que la vie religieuse devait être prise en compte, lorsqu’on parle de nouvelle évangélisation, en particulier par ce qu’elle apporte du point de vue communautaire (et non d’abord en tant que « réservoir de prêtres »). Puis le Cardinal G. Danneels a déclaré, dans l’une des interventions les mieux reçues par le Synode, que « la prédication la plus efficace de la résurrection des corps est la virginité consacrée », reprenant ainsi sa propre contribution au Synode de 1994, et il a terminé sur l’évocation du retour de l’Époux. Dans la foulée, le Père C. Parzyszek, supérieur provincial des Pallotins de Pologne, a insisté sur l’apport de la vie religieuse apostolique [9] à l’édification d’une culture de communion, entre autres par les pèlerinages et les médias. Le 5 au soir, lors de la première séance offerte aux auditeurs, des interventions vigoureuses ont été faites en faveur d’une conversion à la vérité des situations [10] (Sr N. Hausman, Belgique), d’une reconnaissance réelle du renouveau déjà à l’œuvre (Sr J. Olech, Pologne), de l’esprit communautaire vécu dans la gratuité (J.M. Lecea Sainz, Confer, Espagne) d’un respect des diversités (R. A. Smith, Vice-présidente de la Conférence Mondiale des instituts séculiers) de la vie consacrée [11]. Le 8, le Cardinal J. Tomko a mis en garde contre un trop grand recours de l’Europe à l’aide de vocations sacerdotales et religieuses issues des pays de mission, alors que la mission ad gentes est à poursuivre. Immédiatement après, le Cardinal A. Silvestrini en a appelé à l’engagement de la vie religieuse, et spécialement du monachisme, dans le dialogue transversal entre les diverses communautés ecclésiales [12].

La seconde séance proposée aux auditeurs a vu intervenir, le même 8 octobre, Sr J. Frei (Allemagne), qui a indiqué comment les monastères célèbrent, vivent et transmettent l’espérance ; Sr K. Zoric (Croatie), qui a appelé les communautés à la solidarité et à la joie de ceux qui se tiennent aux nouvelles frontières ; Sr I. M. I. Bota (Roumanie), qui montrait comme est urgente la formation, au sortir d’un si long silence ; le Frère Luc de Taizé a manifesté la prière méditative et la rencontre fraternelle comme des lieux où les jeunes peuvent reconnaître la lumière du Christ ; Sr R. Burley (Présidente de l’U.I.S.G.) attestait la fidélité de Dieu dans l’amour virginal des femmes consacrées à Dieu, et Fr. J. Scholte (Président de l’U.C.E.S.M.), s’est montré convaincu qu’une nouvelle mission se présente en Europe à ceux dont la vie consiste, comme le message d’espérance du Christ, à « rompre et partager ». C’était là sans doute le dernier mot à entendre, avant que ne commence la deuxième phase du Synode [13].

Le rapport « post disceptationem »

Dès le lundi matin (11/10), le Cardinal Rouco-Valera présentait son rapport « après discussions », toujours divisé en trois parties : les convergences, l’examen de conscience à faire, les suggestions pour une nouvelle évangélisation. En ce qui regarde la vie consacrée, « l’altum silentium » y est moins assourdissant, mais regardons les choses de plus près.

Après avoir indiqué les convergences fondamentales des interventions (Introduction), le rapport prônait un « examen de conscience » [14] pour l’Europe et pour l’Église ; dans ce dernier cas était épinglée la faiblesse de l’annonce évangélisatrice qui apparaît clairement « dans la carence des vocations au ministère sacerdotal, à la vie consacrée et aux devoirs des laïcs dans le monde ». Positivement, les appels de l’Esprit se reconnaissent notamment (5°) à la fidélité silencieuse de tout le Peuple de Dieu, i.e. de ces « prêtres, consacrés hommes et femmes, laïcs qui ont été et sont fidèles à leur vocation spécifique (pauci non sunt) ; bien sûr, on nommera, dans la même série, les nouveaux mouvements (9°). En troisième lieu, le rapport fait des suggestions pour la nouvelle évangélisation en trois domaines : prédication ou ministère de la Parole, liturgie ou ministère de la sanctification, diaconie ou ministère de la charité. La vie consacrée est entendue, dans la partie liturgique, comme une manière de rendre visible, « soit dans les tâches ordinaires de ce monde, soit dans les diverses missions apostoliques et caritatives, soit dans la vie d’oraison et de contemplation [15], la dimension eschatologique de l’Église ». Il faut pourtant s’étonner de ne pas la trouver évoquée substantiellement dans le domaine de la charité.

D’ailleurs, à part quelques notations éparses, la vie consacrée n’apparaît, dans les titres et sous-titres, que deux fois. Surtout, elle est complètement absente du « Questionnaire » final, qui allait donner l’impulsion à la semaine de discussion menée dans les groupes linguistiques. Cette nouvelle réticence ne pouvait manquer d’être remarquée, et de poser question.

Les rapports des « Circuli minores »

Neuf groupes linguistiques se sont réunis, du 11 au 13 octobre, pour composer des « Relationes » d’ensemble qui devaient devenir la base des Propositions. Le 13 au soir, plus de trois heures ont été consacrées, in aula, à entendre ces relations d’une vingtaine de minutes, lues par les rapporteurs que les groupes s’étaient donnés : dans l’ordre de la séance se sont succédés à la tribune Mgr B. L. Papa (italicus A), le Cardinal G. Danneels (gallicus B), don A. Giordano (italicus C), NN.SS. B. Ghirard (gallicus A), A. Massafra (italicus B), J. M. Uriarte-Goioricelaya (hispanicus-lusitanus), le Père H. W. Stecklting (germanicus), NN. SS. N. Treanor (anglicus A) et D. B. Murray (anglicus B). Ces relationes restant sub secreto, nous noterons seulement la réapparition, très timide, de notre thème, dans les cercles italicus C (par ailleurs porté sur les nouveaux mouvements et les communautés de vie ecclésiale), italicus B (qui a insisté sur les devoirs des congrégations internationales) et hispanicus (qui a salué la vie active et contemplative des religieuses) ; le groupe allemand a mentionné deux fois les ordres religieux ; un des groupes anglophones a fait remarquer que la vie religieuse manquait dans les 17 questions. Et c’est tout.

Les Propositions

Dans le temps consacré ensuite par les mêmes Cercles mineurs à la première rédaction des Propositions, s’est faite jour chez beaucoup, et pas seulement chez une vingtaine de religieux non évêques, la nécessité d’inscrire un texte sur la vie consacrée à l’ Elenchus en voie de confection. Le Saint Père pourrait ainsi juger lui-même de la nécessité d’exhorter les membres de la vie consacrée vivant en Europe à l’espérance et à l’évangélisation. Dès la première présentation des 40 Propositions in aula, le 18/10 [16] le document comportait, dans la deuxième de ses trois parties (sur la prédication de l’évangile de l’espérance, sur sa célébration, sur sa « diaconie ») une proposition de presque une page sur la vie consacrée. Encore une fois, la vie consacrée semble relever pour la gent commune, de l’existence liturgique de l’Église, ce qui convient mieux à certaines de ses formes qu’à d’autres, plus nombreuses et plus en crise aujourd’hui.

La Proposition 19 a été amendée [17], in fine, par quelques ajouts bien utiles, en particulier dans son troisième paragraphe, où le Synode désigne les consacrés comme des témoins du monde invisible, des interlocuteurs spirituels, des amis de ceux qui cherchent Dieu, etc. Surtout, la question des nouvelles pauvretés est enfin inscrite dans l’horizon quotidien de tous les consacrés. Mais c’est le maintien de la phrase où les évêques disent leur confiance à la vie consacrée qui sera sans doute le plus remarqué, et le plus utile, dans l’avenir.

Par ailleurs, une des premières Propositions, sur l’eschatologie, décrivait de manière très pertinente la vie consacrée comme un paradigme de cette veille dans l’attente du Seigneur, vision qui fut heureusement maintenue dans la version finale. On ne soutient pas ainsi que seule la vie consacrée soit eschatologique, mais que, parmi les autres vocations chrétiennes, elle l’est d’une manière particulière, prototypique, aux dires notamment du Concile Vatican II [18].

La situation de cette Proposition 19 est elle-même intéressante : dans les deux versions du texte, les pères synodaux ont placé la vie consacrée à la suite des « vocations dans l’Église » (P 17), et de « la vie des prêtres » [19] (P 18). D’autres Propositions faisaient mention, comme au passage, de la vie religieuse ou consacrée, dans le cas si évident de la mission Ad gentes (P 12), des vocations dans l’Église (P 17), des écoles catholiques (P 25), de la place des femmes dans l’Église et la société (P 30), des migrants (P 34). Ainsi, la vie consacrée demeure entendue parmi les autres vocations ecclésiales, comme l’un des points d’attention proposés aux évêques qui ont à mettre nouvellement en œuvre l’effort d’évangélisation.

Mais certaines Propositions, une fois encore, omettaient complètement la mention des consacrés, dans les domaines où on aurait cru devoir les trouver : l’œcuménisme (P 9), les communications sociales (P 13), le dialogue avec la culture (P 23), la pastorale des malades (P 35) - sauf ce dernier cas, il s’agit là pourtant des « nouveaux aréopages » que l’exhortation Vita consecrata considère comme prioritaires aujourd’hui. Le silence des Propositions est d’ailleurs fort général en ce qui concerne d’autres thèmes porteurs pour notre sujet, comme les nouvelles pauvretés (qui sont parfois évoquées, quand on parle des migrants, du chômage, des réfugiés), le prophétisme (fort absent dans les mots et dans la chose), etc.

On conviendra aussi qu’avec plus de 300 propositions issues des groupes linguistiques (réduites à 40) et plus de 500 amendements (dont 200 environ furent acceptés), la méthode synodale touchait ses limites - de même que les membres engagés dans le travail supplémentaire de l’unification des propositions, le comptage des votes, etc.

Largement acceptés par les Pères, les Propositions sont maintenant confiées à la sagacité du Souverain Pontife.

Le Message

Avant même d’en arriver à ces Propositions finales, et de manière concomitante, le Message pour les Européens, préparé depuis le commencement des travaux par une Commission très choisie, avait été exposé une première fois (le 18/10) et déjà fort bien accueilli, en raison semble-t-il de sa tonalité chaleureuse. Il ne manquait pas, à diverses reprises, d’en appeler à la vie consacrée, en particulier dans un passage qui prêtait cependant à discussion [20].

Meilleur sur ce point aussi dans sa deuxième version [21], le Message final du Synode fut encore amendé in extremis, en particulier quant à l’expression fréquente, mais fautive « communautés de vie consacrée » ; malheureusement, il a gardé la qualification « traditionnelle » qu’on lui prête de plus en plus souvent, et qui signifie presque toujours, dans le contexte, une réalité habituelle, fort utile sans doute, mais aussi, hélas, sans grand relief.

Conclusion

Notre étude ne rend évidemment pas compte de la totalité des travaux d’un Synode que certains auraient voulu plus inspiré, voire plus courageux. Mais la richesse d’une telle rencontre pourrait être mise en évidence, le cas n’est pas rare dans les dix dernières années, par l’exhortation apostolique postsynodale. Je ne voudrais pas terminer sans évoquer, même de notre seul point de vue, d’autres composantes de l’événement, au premier rang desquelles il faut souligner la présence constante des figures quasi légendaires de Roger Schutz (invité spécial), Chiara Lubich et Kiko Argüelo (auditeurs). Mutatis mutandis, ils ont joué le rôle que Mère Teresa, ou Mère Marie-Antoinette tenaient au Synode de 1994, celui de témoins priants, attentifs, et très écoutés des Pères [22].

J’ai laissé de côté la Proposition des Pères au sujet de la place des femmes dans la société et dans l’Église. La phrase déjà célèbre « nous proposons que soient favorisés tous les modes possibles d’accession de la femme aux charges publiques dans l’Église » que beaucoup estiment capitale, ne me paraît pas plus explicite que le célèbre refrain du Synode de 1991, qu’on retrouve dans Vita consecrata : « Les femmes devraient participer davantage dans l’Église aux processus de décision, surtout en ce qui les concerne ». Nous n’en savons pas plus, et le texte récent sur les ministères à confier aux laïcs [23] ne semble pas permettre à l’imagination de s’exercer davantage.

On ne peut oublier non plus que le Synode, peu préparé dans les communautés locales, a été soutenu par l’intercession de bien des simples, ceux-là mêmes qui portent en toutes circonstances le souci de toutes les Églises, au premier rang desquels se trouvent assurément tant de religieux. Il faudrait encore mentionner les interventions du Pape, dans les homélies du début et de la fin des travaux, et le fait majeur qu’il ait déclaré trois saintes femmes co-patronnes de l’Europe - dans tous les cas, des personnes qui ont trouvé leur accomplissement dans un état de vie qui semble perdre son éclat.

Demeure l’interrogation fondamentale à propos de cette retenue constante des évêques à parler d’une forme de vie sans laquelle l’Église, aux dires de Vita consecrata et déjà pour Lumen gentium, ne peut être elle-même. Devant les membres de la vie consacrée, et leurs responsables nationaux ou européens, deux voies s’ouvrent : poursuivre, malgré l’aphasie des évêques, leur suite du Seigneur qui les appelle encore à l’aimer, en Europe, à présent, jusqu’au jour où les pasteurs se souviendront d’eux (mais le temps favorable ne sera-t-il pas passé ?) ; et réfléchir ensemble aux causes et conséquences de la situation que nous avons décrite, afin de mettre en œuvre des pratiques nouvelles, ingénieuses, inspirées, qui constitueront le meilleur des langages sur leur vie dans les Églises européennes aujourd’hui. [24]

Sœur du Saint-Cœur de Marie, de la Hulpe (Belgique), professeur de théologie à la Faculté jésuite de Bruxelles. Supérieure générale. A participé comme expert au Synode de 1994 sur la vie consacrée et a été choisie comme auditrice au prochain sur l’Europe.

[1Je suppose que nous sommes en décembre et que l’exhortation a été promulguée en Asie.

[3Cf. J-B. Metz, « L’heure des religieux », in VC 51 (1979), 14-22 ; cf. Zeit der Orden ?, Herder, Freiburg/Basel/Wien, 1977 (2e édition).

[4J’en compte 18, dont 7 pour l’adjectif religieux et 11 pour l’expression « vie consacrée ».

[5L’expression est malheureuse, et même fautive, au regard des consacrés qui ne connaissent pas la vie en commun, mais elle se répand.

[6Ainsi, la trilogie prêtres-religieux-laïcs est bien représentée (9,56, 66...). Voir, dans une sémantique connexe, les occurrences des numéros 44 et 60.

[7Cf. « Vocation sacerdotale ou religieuse », in Revue des Communautés religieuses 24 (1948), 35 s.

[8On peut discuter sur cette acception de la « sécularisation interne », que les sociologues de la religion entendent plutôt comme la séparation (intangible) de la vie publique et de la vie privée dans les existences individuelles.

[9C’est pratiquement la seule intervention qui emploie cette catégorie regroupant la majorité des religieux, et qui évoque brièvement les sociétés de vie apostolique. L’ordre des vierges consacrées et les ermites consacrés n’ont jamais été cités, en public.

[10J’ai évoqué la sexualité, la mort, l’argent, et la vie en commun comme des lieux d’épreuve, voire de désespérance pour les consacrés d’Europe, et demandé que les évêques nous appellent, de manière renouvelée, à la mission.

[11Le 7, le P. H. Barlage avait insisté sur l’évangélisation de la culture.

[12Le Père W. Steckling, supérieur général des Oblats, a prôné l’engagement en Europe de missionnaires venus des autres continents.

[13Sauf erreur, les délégués fraternels n’ont pas été intéressés par le sujet.

[14Un terme cher à l’Instrumentum laboris, où il revient presque aussi fréquemment que son alter ego, le « discernement ».

[15On notera cet effort typologique, qui ne semble cependant concerner que la vie religieuse.

[16Plus de trois cents propositions avaient été collectées dans les 9 groupes.

[17On cite le chiffre de 500 amendements demandés, pour les 40 Propositions ; 200 environ ont pu être pris en compte.

[18Le Concile, on le sait, réfère le sacrement de mariage, le célibat sacerdotal et la vie religieuse au même mystère de l’union du Christ avec l’Église, en leur attachant la célèbre citation d’Éphésiens 5,21 ; mais les manières de s’y rapporter sont différentes en chaque cas : le mariage « participe à et signifie » (LG 11) ce que le célibat sacerdotal « évoque » (PO 16), mais que la vie religieuse « représente » (LG 44).

[19D’abord entendue du seul point de vue du célibat sacerdotal.

[20On semblait y opposer, dans les signes d’espérance pour lesquels rendre grâce à Dieu, « la présence et la diffusion de nouveaux mouvements et communautés qui suscitent une vie chrétienne plus marquée par le radicalisme évangélique et l’élan missionnaire » et, dans la foulée, « le fait que se renouvellent et se déclarent des disponibilités et ouvertures suscitées par l’Esprit dans les structures traditionnelles de l’Église : dans les communautés de vie consacrée, dans les paroisses, dans les groupes de prière et d’apostolat », etc. Une telle présentation posait, derechef, la question de la validité de l’expression « communauté de vie consacrée », mais aussi celle de savoir ce que signifie l’adjectif « traditionnel » si généreusement prêté à la vie consacrée...

[21Toujours située dans les signes d’espérance à la suite des nouveaux mouvements et communautés, la vie consacrée continuait d’y être entendue parmi « des réalités plus traditionnelles de l’Église », sous l’appellation (française) « communautés de vie consacrée » (les trois autres langues donnaient, plus justement, nella vita consecrata, consacreted life et geweihen Leben).

[22Présent épisodiquement au Synode de 1994, R. Schutz n’avait pu y tenir le même rôle qu’à présent.

[23Instruction sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres, 15 août 1997, signée par les responsables de huit dicastères, in DC 1997, 1009-1020.

[24Comme déjà indiqué dans le sommaire, ce texte nous a été communiqué alors qu’il venait d’être publié dans Informationes - SCRIS, 1999, 25, n° 2, p. 160-172. Nous remercions la direction de la revue pour sa courtoisie.

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