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L’identité ecclésiale des Instituts religieux nés d’une Église locale

Henry Baudry

N°2000-2 Mars 2000

| P. 101-113 |

Voici une étude, très circonstanciée et située elle-même dans le concret des réalités ecclésiales bien connues de l’auteur, qui trouvera des lectrices (et des lecteurs, moins nombreux sans doute) attentives à reconnaître la spécificité de leurs congrégations nées des besoins « localisés » d’un lieu et d’une époque. Combien de ces Instituts ne naissent-ils pas encore de nos jours là où la vie consacrée trouve dans la ferveur d’une communauté ecclésiale jeune et, souvent, éprouvée, le milieu nourricier propre à toutes les offrandes au service de l’Église, particulière et universelle, et de son œuvre « pour la multitude » dans le monde entier !

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L’exhortation apostolique post-synodale sur la vie consacrée et sa mission dans l’Église (Rome, 1996) affirme au n° 47 : « Ainsi se manifeste le caractère d’universalité et de communion propre aux Instituts de vie consacrée et aux Sociétés de vie apostolique. Par leur nature supra-diocésaine fondée sur leur rapport spécial avec le ministère pétrinien, ils sont aussi au service de la collaboration entre les différentes Églises particulières... »

Cette affirmation correspond fort bien à la réalité des Instituts internationaux, pour la plupart de droit pontifical (250 masculins, 1423 féminins), mais elle paraît bien devoir être relativisée si l’on veut prendre en compte la situation en Église de nombreuses congrégations à travers le monde. Bien des Instituts de droit diocésain (1550 féminins au total et 242 masculins (cf. Instrumentum laboris, Rome, 1994, n° 5) auront du mal à se reconnaître une nature supra-diocésaine.

Dans un article récent (V.C. 1997/3, 161-174), le Père Benoît Malvaux, commentant les paragraphes 41 à 58 de l’exhortation, n’hésite pas à affirmer : « Il n’est pas si évident que tous les Instituts de vie consacrée aient nécessairement une vocation à l’universalité. » Il ajoute : « Il serait bon que le débat doctrinal souhaité par le Pape à la suite de Vita Consecrata (cf. V.C. 13, 167) traite de cette question. » En cherchant à préciser l’identité ecclésiale des Instituts religieux nés d’une Église locale, nous espérons contribuer à cette réflexion.

Les Instituts religieux se situent en Église selon deux modes différents.

L’exhortation Vita Consecrata nous rappelle au n° 3 une chose essentielle : « La vie consacrée est placée au cœur même de l’Église comme un élément décisif pour sa mission, puisqu’elle “fait comprendre la nature même de la vocation chrétienne” » (Ad Gentes n° 18). La vie religieuse a comme particularité d’être vécue communautairement en Institut. Ces Instituts ont donc à se situer en Église.

Nous croyons pouvoir avancer que les Instituts religieux se situent en Église selon deux modes différents.

« Selon le premier mode, les Instituts se situent à partir du pôle Église universelle et répartissent leurs communautés dans les Églises particulières...

« Selon le second mode, les Instituts se situent en Église à partir de leurs Églises particulières de fondation, avec lesquelles ils font corps s’ouvrant comme elles et avec elles aux autres Églises et à l’Église universelle... » (cf. notre article dans Vie Consacrée du 15 septembre 1994, p. 313).

Cette hypothèse s’appuie sur l’affirmation de Paul VI dans Evangelii nuntiandi (n° 62) : « Chaque Église particulière qui se couperait volontairement de l’Église universelle perdrait sa référence au dessein de Dieu ; elle s’appauvrirait dans sa dimension ecclésiale. Mais par ailleurs, l’Église toto orbe diffusa deviendrait une abstraction si elle ne prenait pas corps et vie précisément à travers les Églises particulières. Seule une attention permanente aux deux pôles de l’Église nous permettra de percevoir la richesse de ce rapport entre Église universelle et Églises particulières. »

Dans leur rapport à l’Église, les Instituts nés d’une Église locale se doivent de respecter cette attention permanente aux deux pôles de l’Église. Ils le font selon leur logique propre qui consiste à partir du pôle Église particulière - d’où la notion d’Église de fondation - pour s’ouvrir à l’universel par le moyen des échanges entre Églises. Seule l’ecclésiologie de Vatican II nous permet de bien comprendre ce qui nous apparaît aujourd’hui comme un élément essentiel du charisme de ces Instituts.

Cette logique se distingue de la logique supra-diocésaine qu’adoptent les Instituts à vocation universelle, lesquels respectent aussi l’attention permanente aux deux pôles : en partant de l’universel, ils respectent le pôle Églises particulières en s’engageant dans les mutuae relationes avec les évêques des diocèses où ils sont implantés.

On peut sans peine en conclure qu’une réflexion sur les mutuae relationes devrait tenir compte des deux types d’instituts.

Pour éclairer encore notre proposition, il est sans doute utile de préciser le sens qu’il convient de donner aux adjectifs « catholique » et « universel », lorsqu’on les emploie à propos de l’Église. Le Concile affirme (cf. Christus Dominus n° 11) : « En chaque Église particulière est vraiment présente et agissante l’Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique. » Si une Église particulière peut être dite catholique, on peut considérer qu’un Institut né d’une Église locale participe de la catholicité de son Église de fondation, bien qu’il ne tende qu’imparfaitement à l’universel.

L’hypothèse ainsi formulée, il s’agit d’expliciter la forme d’ecclésialité caractéristique des Instituts nés d’une Église locale.

Fondation et expansion des Instituts nés d’une Église locale : modalité caractéristique

L’appellation proposée « Instituts nés d’une Église locale » n’évoque sans doute qu’imparfaitement l’identité ecclésiale de ces Instituts ; le vocabulaire se cherche pour décrire une réalité peu étudiée. Pour préciser leur identité, observons comment s’opèrent leur fondation et leur expansion.

Nés d’une Église locale : l’Église de fondation

Nous parlons d’instituts nés d’une Église locale, non pas seulement « nés dans », ce qui est, à des degrés divers, le fait de tous les Instituts, mais « nés de », c’est-à-dire nés d’une « portion du Peuple de Dieu », selon l’expression de Vatican II, qui définit ainsi l’Église particulière : « Un diocèse est une portion du Peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu’avec l’aide de son presbyterium, il en soit le pasteur : ainsi le diocèse, lié à son pasteur et par lui rassemblé dans le Saint-Esprit grâce à l’Évangile et à l’Eucharistie, constitue une Église particulière en laquelle est vraiment présente et agissante l’Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique » (C.D. 11).

Cette Église particulière, nous dit Paul VI, est constituée « de telle ou telle portion d’humanité concrète, parlant telle langue, tributaire d’un héritage culturel, d’une vision du monde, d’un passé historique, d’un substrat humain déterminé » (Evangelii nuntiandi n° 62).

C’est donc au sein de telle ou telle portion du Peuple de Dieu, vivant le Salut en un lieu donné, qu’un Institut a pris corps par la naissance et la croissance d’un groupe rassemblant des jeunes de ce peuple concret à l’initiative d’une fondatrice qui avait le sens de l’Église ou d’un pasteur envoyé par son évêque en ce lieu. L’histoire peut être relue comme une manifestation de l’Esprit faisant surgir de ce peuple un corps de jeunes issus de lui pour être « placés au cœur de cette Église comme un élément décisif pour sa mission » (cf. Vita Consecrata n° 3).

Au plan de l’organisation ecclésiale, cette Église, que nous appellerons Église de fondation, peut apparaître avec différents cas de figure. Elle peut correspondre à un diocèse unique ou bien à plusieurs diocèses découpant une même région humaine. Ce peut être l’Église où est née la première communauté, mais ce peut être encore l’Église de la croissance et du développement de l’Institut. D’autre part, lorsqu’il y a une fusion, on peut compter plusieurs Églises de fondation. Ce rapide inventaire des cas de figure n’est pas exhaustif.

Toujours est-il que le charisme de ces Instituts ne peut être vraiment appréhendé si l’on fait abstraction de l’Église où il a produit ses fruits. Ce qui leur est commun, c’est un même mouvement : celui d’un corps issu d’un peuple en marche vers le salut, accompagnant la croissance de cette Église par le témoignage de sa vie fraternelle en communauté et les services apostoliques qu’il met en œuvre au long des générations.

Il en résulte une expérience d’Église originale qui fait la richesse de cette forme de vie religieuse. Invités à se définir, ces Instituts se disaient caractérisés par la simplicité ; plus récemment, ils utilisent volontiers le vocabulaire de la proximité. C’est sans doute avec ces mots-là que cherche à se dire l’expérience ecclésiale originale qui est la leur.

Ce mot de proximité exprime bien, en effet, leur projet ecclésial, à condition que ce mot soit précisé, car il est utilisé par beaucoup d’instituts, y compris par ceux qui ne sont pas nés d’une Église locale, en lien avec le thème de l’inculturation.

Ici, il faut parler de proximité native : les sœurs (il s’agit en effet, le plus souvent, de congrégations féminines) étant en grand nombre originaires du pays, il ne s’agit pas seulement pour elles d’une volonté d’appartenance, d’une proximité acquise ; en effet, elles sont spontanément accordées à ce qui se passe sur les lieux.

D’autre part, ce propos de proximité se traduit dans l’Église de fondation en une politique délibérée qui consiste à multiplier de petites unités communautaires sur le terrain, au plus près de la vie des gens. Proches les unes des autres, elles constituent un réseau plus ou moins serré, qui pouvait, il y a quelques années, dépasser la centaine de communautés pour un même diocèse.

Cette proximité conduit à une véritable solidarité de destin avec l’Église de fondation, au point que l’histoire de cette Église et celle de l’Institut s’éclairent l’une par l’autre, en raison du long compagnonnage vécu pendant des décennies. L’Institut peut prétendre « annoncer Jésus Christ avec l’accent du pays ».

Tout ceci suppose une spiritualité ecclésiale forte, habituellement enrichie par une ligne spirituelle particulière héritée des fondateurs.

En somme, ce que l’on peut appeler l’expérience fondatrice a été vécu et est vécu fondamentalement comme participation, par symbiose, au mystère de l’Église en croissance en un lieu, au départ l’Église de fondation, puis en d’autres lieux sur le même mode.

Expansion et catholicité

Faisant corps au sein de l’Église de fondation, les Instituts nés d’une Église locale se doivent, s’ils se développent, de manifester la catholicité de celle-ci, en portant avec elle et en son nom le souci des autres Églises.

C’est ainsi que l’on peut caractériser la forme particulière d’expansion de ce type d’institut, forme différente de celle que pratiquent les Instituts de type universel. Ici, l’expansion se fait sous la forme d’échanges entre Églises à partir de l’Église de fondation, et se rapproche de ce que Pie XII demandait aux diocèses eux-mêmes dans son Encyclique Fidei donum (avril 1957).

Ce n’est pas le lieu d’évoquer les circonstances historiques dans lesquelles cette expansion s’est opérée, mais seulement de faire apparaître le sens d’un mouvement commun à beaucoup d’instituts.

Cet « aller vers » d’autres Églises s’est réalisé selon plusieurs modalités.

Dans un premier cas, les congrégations envoient une, deux, trois communautés dans un autre diocèse de France ou d’ailleurs, où la vie religieuse est peu présente, en général pour répondre à une demande précise. La perspective d’y implanter l’Institut n’est pas première, même si elle n’est pas exclue. Il n’est pas non plus envisagé de créer un réseau de communautés analogue à celui de l’Église de fondation. Il s’agit d’abord d’une aide apportée au diocèse d’accueil pour le faire bénéficier du souci missionnaire de l’Église de départ.

Ce mode d’implantation peut apparaître semblable à la façon de procéder des Instituts de type universel ; en réalité, il en diffère par la manière dont les sœurs vont se situer en Église, marquées qu’elles sont par l’expérience fondatrice de leur Institut, mûrie dans leur diocèse d’origine.

Dans le second cas, l’expérience fondatrice a été reprise, par exemple en Afrique, en faisant surgir, à nouveau, une communauté de sœurs « du lieu même », une communauté de sœurs issues du peuple au sein duquel elles vont préparer les voies de l’Évangile par leur témoignage. Ici, on peut parler d’une Église de fondation seconde, qui pourra elle-même venir en aide à d’autres Églises.

Un troisième cas peut être envisagé, lorsqu’il y a fusion entre Instituts nés d’une Église locale. La congrégation qui résulte de la fusion assume une responsabilité particulière par rapport aux Églises de fondation des Instituts qui l’ont rejointe.

Au résultat, on peut constater que les Instituts nés d’une Église locale ont connu une expansion d’ampleur diverse. Certains ont peu de communautés hors du diocèse de fondation, d’autres, par contre, se sont implantés en plusieurs pays et parlent volontiers d’internationalité. Est-il inconvenant de déceler dans cette manière de parler l’indice de la prégnance du seul modèle reconnu pour les Instituts religieux, le modèle international ? Ne serait-il pas plus pertinent de qualifier ces Instituts de pluri-nationaux ? De fait, plusieurs d’entre eux, beaucoup probablement, se sont implantés progressivement en plusieurs pays à partir de leur Église de fondation, selon le modèle décrit précédemment. Il est vrai que certains hésitent entre les deux modèles, encore ont-ils à s’assurer qu’ils disposent des moyens nécessaires pour tenir un projet véritablement international.

Cette description de la fondation et de l’expansion des Instituts nés d’une Église locale nous aura peut-être permis d’en mieux percevoir les modalités caractéristiques.

La dynamique ecclésiale des Instituts nés d’une Église locale

Ces Instituts ont été et sont encore parfois accusés de se laisser enfermer dans un horizon étroit, de trop concentrer leurs forces dans une région limitée déjà riche de moyens, de n’avoir pas suffisamment de sens missionnaire, d’être trop timides pour investir en d’autres pays...

Il convient sans doute d’entendre ces questions qui rappellent la nécessité d’une ouverture vers d’autres Églises, au nom même de la catholicité ; cependant cette ouverture doit être conduite selon la logique propre à ces Instituts et non pas en copiant la pratique des Instituts internationaux.

La solution réside dans un équilibre, le meilleur possible à un moment donné, entre les communautés en mission dans l’Église de fondation et celles qui œuvrent en d’autres diocèses : problème plus facile à résoudre en période de croissance qu’en période de récession.

Cet équilibre doit permettre aux communautés de l’Église de fondation et aux communautés d’autres Églises d’entrer dans un jeu de relations où les unes et les autres s’apportent et se provoquent mutuellement. Ces échanges mettent en œuvre une dynamique ecclésiale originale, vitale pour l’animation de l’Institut tout entier.

Dans ce système de relations, l’ensemble des communautés implantées dans l’Église de fondation va être amené à jouer un rôle particulier, ce qui se comprend puisqu’il s’agit d’un Institut né d’une Église locale. Dans le même temps, les communautés des Églises d’accueil contribuent à la vie de la congrégation par leur mission vécue en d’autres lieux.

Ainsi par le biais des échanges entre communautés, c’est un échange entre Églises qui se réalise : nous trouvons là une caractéristique essentielle de la dynamique ecclésiale évoquée plus haut.

Quelques explications supplémentaires nous permettront d’aller un peu plus avant dans la compréhension de cette dynamique.

L’Église de fondation, comme référence

L’expression « Église de fondation » désigne ici l’ensemble des communautés de l’Institut qui font corps avec elle, en même temps que le diocèse lui-même.

Il a déjà été dit que ce type de charisme comporte un rapport fondamental avec une Église locale, pas n’importe laquelle, mais celle bien concrète, de la fondation.

Si l’on veut bien connaître l’Institut, c’est dans l’Église de fondation qu’il faut le voir à l’œuvre, parce que c’est là qu’il a développé le plus largement ses virtualités et ses moyens, parce que c’est en ce lieu qu’a mûri l’expérience fondatrice et, finalement, parce que c’est là que l’Esprit l’a suscité, l’appelant à partager la destinée de cette Église.

C’est là que la congrégation a trouvé sa place en Église. C’est, en effet, pour le renouveau de cette Église locale que, soutenue par son expérience spirituelle, elle a mis en œuvre son service apostolique en développant les activités que lui inspirait son charisme. C’est là d’abord que l’on peut constater comment elle a participé à la mission de l’Église et par quels moyens. C’est là aussi que l’on pourra voir comment elle a réagi aux moments difficiles, par exemple au début du XXe siècle en France, et, plus récemment, comment elle a vécu les suites du Concile. C’est encore de là que sont parties les Sœurs pour aller servir en d’autres Églises.

Tout ceci justifie amplement que l’histoire et l’expérience de l’Institut dans l’Église de fondation servent de référence pour la totalité de la congrégation.

Encore faut-il bien comprendre en quoi consiste cette référence. Il ne s’agit pas de reproduire ailleurs systématiquement les pratiques de l’Église de fondation. Il s’agit essentiellement de laisser s’exprimer dans l’Église d’accueil le réflexe profond acquis et entretenu dans l’Église de fondation, concernant la manière de se situer en Église et de vivre au quotidien la proximité et la solidarité de destin avec un peuple. Ce réflexe profond pourra conduire à des initiatives différentes d’un diocèse à l’autre.

Il apparaît donc que, pour ce type d’instituts, le charisme est étroitement lié à la vie d’une Église locale. Sans vouloir jouer les prophètes, on peut en déduire que l’avenir de l’Institut dépend de sa capacité à se renouveler pour le service du peuple de Dieu dans son Église d’origine. C’est là d’abord que la congrégation est appelée à manifester l’actualité de ce charisme, en s’avérant capable de produire des fruits nouveaux dans une Église locale, elle-même en pleine recherche. Cette situation ecclésiale n’est pas sans rappeler celle qu’ont connue les fondateurs. Sans ce renouvellement, comment l’Institut pourra-t-il continuer de participer à la catholicité de son Église de fondation, par le moyen de communautés implantées en d’autres pays ? Ceci dit, il faut toujours se souvenir que l’Esprit Saint n’est pas lié par nos logiques humaines.

L’expérience fondatrice vécue en d’autres Églises

L’implantation en d’autres diocèses constitue sans doute une richesse pour les diocèses d’accueil, mais c’est aussi un enrichissement évident pour l’Institut lui-même.

Vivre l’expérience fondatrice dans un contexte ecclésial différent de celui du diocèse d’origine peut avoir bien des conséquences bénéfiques. Le fait de la vivre ailleurs permet de prendre de la distance avec ce qui se passe dans l’Église de fondation et de découvrir d’autres visages d’Église. En même temps, cette situation crée des conditions favorables pour mieux comprendre le charisme de son Institut qu’il faut vivre dans un autre contexte.

Ceci est valable pour les communautés présentes en d’autres diocèses du même pays, habituellement beaucoup plus isolées, que dans le diocèse d’origine.

Il en va de même pour les communautés présentes dans les autres pays. Ici, en raison de la différence de culture, il est possible que l’inculturation du charisme et de l’expérience fondatrice amène à en développer des virtualités que l’Église de fondation n’a pas mise en valeur.

La dynamique créée par les échanges entre Églises

Pour la vie de l’Institut, l’échange entre les différentes situations ecclésiales a toujours été important. Mais aujourd’hui, il est particulièrement nécessaire.

Dans la crise que connaît la vie religieuse apostolique, la confrontation entre différentes manières de vivre le charisme en Église peut aider l’Église de fondation à actualiser l’expérience fondatrice et à en manifester la vitalité dans une société laïque où la vie religieuse cherche sa place ; elle peut aider les autres parties de la congrégation à s’adapter constamment à une vie d’Église en évolution permanente.

Ces échanges prennent de fait plusieurs formes : une des plus importantes consiste en ceci que bien des sœurs ont eu à œuvrer dans plusieurs Églises ; une autre forme, ce sont les différents moyens d’animation que se donne l’Institut et qui doivent être conçus de manière à valoriser les échanges entre Églises. Le gouvernement de l’Institut doit lui-même être organisé de manière à permettre ces échanges.

Si l’Église se fait par la communion entre Églises, travailler à la communion entre elles, c’est servir l’Église. Les Instituts nés d’une Église locale ont des moyens particuliers pour travailler à cette communion. Les Instituts de type universel ne peuvent pas s’identifier aux Églises locales de la même façon, puisqu’ils sont de nature supra-diocésaine. Par contre, les Instituts dont nous parlons sont invités à le faire par leur expérience fondatrice, si bien que lorsque leurs membres échangent de diocèse à diocèse, ce sont, en quelque sorte, les Églises locales respectives qui dialoguent entre elles.

Au terme de cette réflexion sur la dynamique ecclésiale propre à cette forme de vie religieuse, revenons au texte déjà cité de Vita Consecrata (n° 47). Les Instituts nés d’une Église locale sont bien aussi « au service de la collaboration entre les différentes Églises particulières », mais s’ils le sont vraiment, ce n’est pas, croyons-nous, du fait de leur nature supra-diocésaine, mais en raison de leur pratique des échanges entre Églises.

Conclusion

En nous référant à l’enseignement de Vatican II sur l’Église, seul susceptible d’éclairer pleinement l’intuition qui est à l’origine des nombreux Instituts nés d’une Église locale, nous avons essayé de préciser leur identité ecclésiale. Nous avons essayé de caractériser leur originalité par rapport au modèle reconnu pour la vie religieuse apostolique, l’Institut de type universel.

Il faut sans doute avancer dans la recherche en répondant à la question : « Comment cette manière de se situer en Église qualifie-t-elle les autres éléments du charisme ? »

Dans la mesure où le Concile nous permet de mieux apprécier la richesse de cette intuition vécue depuis des générations sans qu’il ait été possible de l’expliciter clairement, il revient aux Instituts concernés de comprendre et de valoriser l’héritage reçu des générations précédentes. La crise actuelle nous provoque à manifester que cette manière de vivre en Église la vie religieuse est bien adaptée à notre temps.

À ceux qui en douteraient, rappelons cette affirmation de Paul VI dans Evangelii nuntiandi : « Une légitime attention aux Églises particulières ne peut qu’enrichir l’Église. Elle est indispensable et urgente. Elle répond aux aspirations les plus profondes des peuples et des communautés humaines, à trouver toujours davantage leur propre visage » (n° 63). Il ajoute aussitôt : « Mais cet enrichissement exige que les Églises particulières gardent leur ouverture profonde à l’Église universelle » (n° 64).

Beaucoup d’instituts concernés s’interrogent sur leur avenir dans la société occidentale. Ne serait-il pas souhaitable que, sous diverses formes, les Instituts qui pratiquent ce type de vie religieuse se rejoignent pour manifester son originalité et la faire reconnaître ?

Le Père Henri Baudry, des Missionnaires de la Plaine, Institut religieux né au diocèse de Luçon (Vendée) en 1928 à l’initiative d’un prêtre diocésain, Institut présent également aux diocèses de la Rochelle et de Bourges. Longtemps supérieur interdiocésain (1984-1996) de son Institut, le Père Baudry est actuellement aumônier à l’Union des Religieuses en Professions de Santé (RESPA) et il termine une étude concernant les nombreuses maisons (plus de 100) de sœurs aînées dans l’Ouest. Délégué épiscopal (Luçon) à la Vie consacrée il est particulièrement attentif aux conditions actuelles de la Vie religieuse apostolique féminine et s’attache particulièrement à mettre en évidence l’importance, pour le renouveau des églises locales, des Instituts de ces mêmes églises.

(Note de la rédaction. On doit pourtant considérer la possibilité de fondations d’emblée « universelles ». Le cas de la Compagnie de Jésus me semble de ce type. Le vœu d’obéissance au Pape pour les missions en est la marque évidente et constitutive de sa spécificité.)

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