Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

L’Institut Sainte-Françoise Romaine

Pierre Pattyn, s.j.

N°2000-1 Janvier 2000

| P. 53-59 |

« Nous nous ignorons trop. » « Ne serait-il pas bon de publier plus souvent des textes courts qui nous présenteraient mutuellement ? » Ce sont là des remarques reçues quelques fois dans notre récente enquête (Cf. dans ce même numéro l’analyse de vos réponses dans le texte : « Qu’en pensez-vous ? ») Pour ouvrir cet espace où nous aimerions accueillir d’autres textes de présentation, d’expériences actuelles, de projets nouveaux, voici la présentation d’un Institut Séculier dédié à la vie spirituelle et au soutien des veuves. Le rappel des circonstances historiques de sa naissance et l’exposé de l’orientation qui le guide nous sont présentés et nous aident à mieux comprendre, dans ce cas particulier, la place des Instituts Séculiers dans la communion de l’Église.

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Généralement quand on parle d’un Institut Séculier on pense à un groupe de célibataires consacrées. Il existe cependant des Veuves consacrées. C’est le cas des membres de l’Institut Ste Françoise Romaine.

Pourquoi le choix de Ste Françoise Romaine comme patronne de ce mouvement de chrétienté ? Qui est-elle ? La réponse à cette question nous permettra de comprendre.

Sainte Françoise Romaine

Françoise- Francesca di Bussa de Leoni - est née à Rome en 1384, au moment du grand schisme d’Occident. La petite « Cecollela », comme l’appelaient affectueusement les siens, grandit dans une Cité décadente. À douze ans déjà, on la marie à Lorenzo de Ponziani, jeune seigneur romain. La vie de Françoise s’écoule dorénavant au palais familial.

Elle met au monde trois enfants. En 1401, à la mort de sa belle-mère, lui incombe la lourde charge de gérance d’un grand domaine. Elle n’a que 17 ans. Dame au cœur généreux, elle ne se contente pas d’éduquer ses enfants et d’accomplir ses multiples tâches. Rome fourmille de pauvres gens. Françoise se dépense pour eux sans compter. Elle puise son courage dans la prière. Elle prie chez elle. Elle prie dans les grands sanctuaires qu’elle visite. L’église Sainte-Marie-la-Neuve, au Forum, l’attire de manière spéciale. Elle jouxte une communauté de Bénédictins olivétains qui lutte de toutes ses forces contre le déclin du monachisme. La dame de Ponziani y choisit son confesseur : Dom Antello.

Les épreuves ne manquent pas à Françoise. Victime des factions, Lorenzo doit partir en exil. La peste emporte deux de ses enfants.

Depuis 1411 une anarchie effroyable ruine la ville. Comme bien d’autres, on pille le palais Ponziani. La population vit dans une misère noire. Françoise, la priante, la magnanime, se fait toute à tous.

En 1417, le Concile de Constance met fin au grand schisme. Rome respire enfin ! Pendant près de vingt ans la vie va s’écouler plus simple et plus douce auprès de Lorenzo, son mari qu’elle chérit de tout son cœur. Cependant elle cherche à se donner à Dieu d’une façon plus profonde. Que faire ?

Avec quelques dames de son entourage, elle opte pour une « oblation » dans l’Ordre des Bénédictins. Qu’est-ce qu’une oblate ? C’est une chrétienne, qui, ne pouvant quitter le monde, choisit de vivre dans l’esprit de la règle d’un monastère, ici de St Benoît, et de partager la prière des moines. La communauté de Ste-Marie-la Neuve les reçoit bientôt. Cet acte est une première manière de se consacrer au Seigneur, mais chacune continue à vivre parmi les siens.

L’esprit du temps ne permet pas à Françoise d’envisager d’appartenir, plus tard, à une quelconque communauté religieuse. Dès lors, elle et ses compagnes élaborent les conditions d’une vie en commun. Après la mort de Lorenzo en 1435, et l’établissement de son enfant, elle rejoint les veuves qui se sont déjà établies dans la Maison. Elle deviendra leur supérieure.

Françoise, qu’on appelle désormais la Madre, entre dans la joie de Dieu dès 1440, à l’âge de 56 ans, riche de ses prières et de ses bonnes œuvres. La fondatrice des Oblates Bénédictines sera canonisée rapidement sous le nom de Ste Françoise Romaine.

Si un Institut séculier de Veuves consacrées porte aujourd’hui son nom, c’est parce que cette grande dame romaine de la fin du Moyen Âge, a cherché à concilier les obligations d’une personne en plein monde, épouse, mère, chargée de lourdes responsabilités, et plus tard, veuve, avec l’attrait d’une vie spirituelle vouée à Dieu. Par ses démarches et ses efforts elle a joué vraiment un rôle de précurseur.

XXe siècle. Les origines de l’Institut Ste Françoise Romaine

Pendant la guerre 1914-1918 beaucoup de jeunes Françaises perdirent leur mari au combat. Désemparées, elles portaient seules la responsabilité de l’éducation de leurs enfants. Certaines d’entre elles, déléguées par leurs compagnes d’infortune, se rendirent à Rome et confièrent au pape Benoît XV leur volonté d’élever leurs enfants dans l’amour de Dieu et de l’Église. Elles lui demandèrent aussi de bien vouloir les aider à offrir leurs souffrances au Seigneur. Le Saint Père les assura de son soutien paternel.

En France, et bientôt en Belgique, ces dames organisèrent une « Œuvre Sainte Françoise ». À partir des années 1920, d’autres veuves se joignirent à elles, animées du même esprit de foi. Quelques-unes, aidées par des prêtres conseillers et surtout par la bienveillante attention de l’archevêque de Lyon, fondèrent, en 1934 « l’Institut Sainte Françoise Romaine ». C’était le temps où l’on s’acheminait vers la reconnaissance officielle d’une vie consacrée pour des séculières.

En réalité, ce n’est que trente-cinq ans plus tard, en 1969, que « Sainte Françoise » acquit son statut d’institut séculier de droit diocésain.

Il avait fallu, au préalable, que paraissent les documents de base sur la consécration à Dieu de laïcs et de laïques : la Constitution apostolique Provida Mater de Pie XII, suivie de sa lettre Primi feliciter (1947-1948), ainsi que les Actes du Concile, Perfectae caritatis et Ad gentes. Depuis lors, à maintes reprises, les papes Paul VI et Jean-Paul II ont éclairé les fidèles sur le sens de la vie consacrée séculière.

Nature et fin de l’Institut Sainte Françoise Romaine

 Sa fin générale est de travailler à la gloire de Dieu par la recherche de la perfection chrétienne vécue au milieu du monde.

Sa fin spéciale est de permettre à des veuves chrétiennes de se consacrer à Dieu par la voie des Conseils évangéliques, tout en restant dans le monde, là où la Providence les a placées.

 La recherche de la perfection chrétienne vécue au milieu du monde présentant des difficultés particulières, il est nécessaire que les membres de « Sainte Françoise Romaine » acquièrent une formation spirituelle suffisante pour élaborer, au fur et à mesure des besoins, les solutions opportunes.

L’Institut demande à la candidate qu’après avoir passé un temps de formation, elle prononce six fois des vœux annuels. Ce n’est qu’après cette période qu’elle est admise à la consécration définitive.

 La vie spirituelle est nourrie par la participation quotidienne à l’Eucharistie, si la chose est possible ; par la récitation de l’Office du matin et de celui du soir ; par un temps de lecture spirituelle. Elles aimeront du fond du cœur la Sainte Vierge Marie qui fut veuve comme elles. Elles lui demanderont le courage d’accueillir la solitude du cœur et de se donner, sans regarder en arrière. Toutes ensemble ou par région, les dames de l’Institut feront une retraite annuelle de quatre jours pleins, participeront à une session de formation de quatre jours et approfondiront leur donation dans des récollections priantes. Une revue et des correspondances personnelles les lieront l’une à l’autre.

Manière dont ces veuves sont appelées à vivre leurs vœux

La chasteté – Elles renoncent à contracter un nouveau mariage. Elles veulent aimer leurs frères et leurs sœurs humains et, en premier lieu, leurs enfants et petits-enfants, en Dieu Notre Seigneur, c’est-à-dire en renonçant au retour sur soi. Dans une grande liberté intérieure, elles renoncent aux expressions d’une vanité inutile. Elles s’efforcent d’exceller dans la vertu de prudence par la garde des sens et le contrôle de l’imagination. Elles acceptent la solitude du cœur.

La pauvreté évangélique – Elles demeurent dans le monde et éprouvent les besoins des autres femmes. Il faut qu’elles se logent, qu’elles s’équipent, et se nourrissent, qu’elles se déplacent et se soignent, etc. La plupart ont des enfants qui comptent sur elles. Elles gardent donc, pour ceux-ci, la propriété de leurs biens et le droit de les faire fructifier.

Mais elles s’engagent à adopter une attitude de liberté intérieure face à l’usage des biens matériels et à partager largement ce qu’elles peuvent donner sans nuire à leurs obligations familiales. En d’autres mots, elles décident de vivre simplement. Si elles pensent avoir à effectuer une dépense coûteuse pour elles-mêmes, elles la soumettent à l’appréciation fraternelle de la Responsable. Elles savent que la pauvreté ne s’exerce pas seulement dans les matières financières, mais que l’on peut aussi se montrer pauvre de ses talents, de ses charismes, de son savoir-faire, de son temps... En tout, elles se considèrent comme des gestionnaires et non pas comme des propriétaires.

L’obéissance – Obéir à qui, à quoi et comment ? Que disent leurs statuts ?

Les veuves consacrées exercent le vœu d’obéissance par leur adhésion à la volonté de Dieu et par leur fidélité à l’esprit de l’Institut. Elles acceptent la mission des Responsables mandatées par le Seigneur à travers l’Église. Il est bon de dire que le domaine de ces dernières ne concerne que la vie personnelle de chaque membre ; elles ne s’immiscent donc pas dans les relations des veuves avec leurs enfants. Les membres de l’Institut se font un honneur d’être très fidèles à l’Église et au Saint-Père. Afin de pratiquer l’obéissance de manière généreuse et sereine, chacune élabore son règlement de vie qu’elle soumet à l’approbation de la Responsable locale.

 Comment s’exerce l’autorité dans cet Institut ? Tout d’abord, le Pape est le chef et le père de « Sainte Françoise ». Ses membres doivent avoir à son égard la déférence de celle qu’elles ont prise pour patronne. Selon les normes du Droit Canon, l’Évêque est le responsable de l’Institut dans son diocèse.

À l’intérieur, l’autorité est exercée ordinairement par une Responsable assistée de son Conseil, et, de manière extraordinaire, par l’Assemblée Générale. Des Responsables locales animent les membres habitant sur une portion de territoire. L’Assemblée Générale, composée des personnes exerçant une charge importante et de quelques autres, se réunit au moins tous les six ans pour élire la Responsable générale et son Conseil. Elle peut aussi se réunir pour d’autres motifs. Le mandat de la Responsable générale est de six ans, renouvelable deux fois. Les Conseillères l’aident dans le gouvernement de l’Institut. Un prêtre, choisi par les instances de « Sainte Françoise Romaine » exerce un rôle d’assistance spirituelle. Il n’a pas droit de vote. D’autres prêtres peuvent l’aider dans sa mission.

 Vie de charité. Les membres s’efforceront de se conformer pleinement au commandement nouveau du Seigneur Jésus : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Il faut que l’Institut soit une véritable famille où chacune sent qu’elle peut compter sur toutes les autres pour lui apporter en permanence le soutien d’une amitié véritable, le secours dans les épreuves et la maladie. Dans les œuvres où elles se dévouent les consacrées montreront une prédilection pour les pauvres, sachant bien qu’elles servent en eux Jésus-Christ.

 Le devoir de discrétion. Une veuve doit-elle révéler qu’elle appartient à un Institut séculier ou doit-elle le taire ? L’appartenance à l’Institut n’est pas secrète. Elle est expliquée franchement aux enfants et aux proches qui en comprennent le sens. Toutefois, celles qui jugeront que, pour le bien de la paix, il vaut mieux ne pas dévoiler aux leurs leur état de vie, le tairont en toute sérénité.

Voici donc l’essentiel à savoir sur l’Institut des Veuves de Ste-Françoise-Romaine. Il est important de mettre en évidence à la fois leur caractère de consacrées et celui de séculières. C’est en tant que séculières, de femmes dans le monde, qu’elles se donnent au Seigneur.

Puisse Dieu Notre Père les aider à vivre généreusement le don qu’elles lui font de leur personne, dans une vie de tous les jours, pareille, extérieurement, à celle de tant d’autres veuves qui sont mères et souvent grands-mères.

Pierre Pattyn, jésuite, longtemps professeur dans l’enseignement secondaire est présentement rédacteur d’Échos, revue adressées aux familles et amis des membres de la Compagnie de Jésus de la province de Belgique méridionale. Son ministère actuel est au service des paroisses, des écoles et de fraternités. Il est accompagnateur spirituel de « Sainte Françoise Romaine ».

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