« Arroser les sillons... »
La parole du Pasteur
Godfried Danneels
N°1999-4-5 • Juillet 1999
| P. 221-231 |
Avec la précision théologique, la justesse spirituelle et le goût des images qui caractérisent sa parole de pasteur, Mgr Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles, nous offre ici, au fil de sa méditation soucieuse du « manteau bariolé de Joseph », quelques réflexions que l’on gardera volontiers en mémoire. On appréciera particulièrement le développement des raisons qui fondent l’estime du pasteur pour la vie consacrée, l’appréciation de son importance vitale au plan diocésain (son rôle de « radar »...), de sa jeunesse dans le renouvellement de ses formes qui, par ailleurs, peuvent montrer leur relative caducité... Bref, une parole qui nous rejoint et nous stimule.
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Avant dire...
Mes réflexions ne se glisseront pas dans des questions d’ordre juridique, car, en présence de canonistes universellement connus, un évêque fait mieux de ne pas se lancer sur cette patinoire.
Ce seront donc les réflexions d’un pasteur sur la vie consacrée dans un diocèse ou dans une Église locale.
Le pasteur d’un diocèse - ainsi que son clergé - est soumis à certaines tentations qui exigeront de chacun une conversion continuelle.
La première est de considérer la vie consacrée dans son diocèse - essentielle en théorie, personne n’en doute au niveau théologique et ecclésial - de la considérer dans la pratique comme fournisseur de troupes auxiliaires pour l’apostolat. Cette tentation augmente avec les années vu qu’il y a de moins en moins d’agents pastoraux. De là à considérer la vie consacrée d’un point de vue purement pragmatique, il n’y a qu’un pas. Oui, nous souffrons d’une déformation professionnelle, comme toute personne qui exerce une profession, spirituelle ou non. Or je suis convaincu que la vie consacrée dans un diocèse, est, par elle-même, essentielle, qu’elle est l’un des constituants nécessaires de ce que l’on pourrait appeler « le manteau bariolé de Joseph » dans l’Église locale, la variété des différents dons dans l’Église.
Dans la vie consacrée, prééminence de l’être sur l’agir
Comme déjà dit, nous sommes tentés de considérer l’agir dans la vie consacrée, et d’oublier l’être ou de le présupposer. Or, l’être consacré au Christ est de loin le plus important. La vie religieuse est l’exemple le plus clair, le plus net, le plus pur - chimiquement pur - de la sequela Christi. Pourquoi ? Parce que la vie consacrée fait entrer dans une relation au Christ Source de vie, pour être à côté de Lui, se consacrer à Lui, s’abandonner à Lui ; ensuite et seulement pour se mettre au service de l’Église. Pour les ordres contemplatifs, c’est très clair, mais c’est tout aussi vrai pour les ordres actifs. Ce qui est important, c’est l’être, et l’être avec lui ; on n’est pas défini par la fonction qu’on remplit, fonction qui peut même être inexistante ou sans utilité directement pastorale.
Je le dis à tous - même aux prêtres et aux séminaristes - les vocations à la vie consacrée sont les vocations les plus pures, pas nécessairement les plus saintes ni les plus généreuses. Pourquoi devient-on prêtre ? Parce qu’on se donne au Christ, c’est évident. Après un certain temps, cela peut s’obscurcir par le souci de ce que l’on a à faire, par la fonction bien déterminée qu’on exerce dans l’Église. On est d’ailleurs tenté de considérer le prêtre surtout pour ce qu’il fait : par sa prédication, son travail pastoral, ses célébrations sacramentelles. En clair, la vocation, telle qu’elle est décrite dans l’Évangile, la vocation en tant que telle, peut être plus ou moins cachée par nos activités. C’est ainsi que, pour la plupart des fidèles, il est d’ailleurs moins difficile d’admettre le caractère indispensable du sacerdoce ministériel dans l’Église que celui de la vie consacrée. Redisons-le : répondre à une vocation, c’est se donner au Christ, et non d’abord s’adonner à un travail, si saint soit-il. C’est pourquoi j’ose dire que la vie religieuse est - chimiquement - plus pure.
Importance de la vie religieuse
Aujourd’hui, on considère la valeur et même l’être de l’homme ou de la femme, non pas en premier lieu en raison de ce qu’il est, mais en termes de rentabilité et d’efficacité. Quand on choisit un métier qui n’est pas rentable, qui n’a pas d’efficacité contrôlable, qu’on ne peut pas mettre en chiffres, dont on ne peut pas faire la balance, on n’existe pour ainsi dire pas aux yeux du grand public.
Or la vocation de consacré(e) n’est précisément pas fonctionnelle, mais bien, j’irai jusqu’à dire ontologique avant tout. D’où son importance dans notre société. Et cela, pour plusieurs raisons.
Première raison. La vie consacrée est la visualisation de l’absolu de Dieu. Le jour où l’on n’aurait plus dans la vie de l’Église des êtres consacrés au Christ - sans penser immédiatement à ce qu’ils effectuent comme travail d’Église - le jour où l’on n’aurait plus ces vocations-là, disparaîtrait dans l’Église - et dans le monde - un témoignage important du caractère absolu de Dieu. Supprimer la vie religieuse, même si l’on conserve autant que possible tous les autres ministères et fonctions dans l’Église, tous les autres dons et charismes, c’est perdre du même coup une visualisation claire de ce que Dieu dépasse tout le reste, qu’il vaut la peine d’être aimé pour lui-même et uniquement pour lui-même.
Deuxième raison. L’être humain est bâti sur trois pulsions fondamentales : le désir des richesses (posséder), la sexualité (se prolonger dans le temps), et l’autonomie (être soi-même). On trouve ces pulsions fondamentales dès les premières pages de la Bible : « Dieu vit que c’était bon ». D’ailleurs les Juifs n’ont jamais eu de difficultés avec l’argent, avec la sexualité, ni avec l’autonomie. Pour eux, ces choses étaient bonnes. Mais, à la racine de cet arbre qu’est l’être humain se trouve un ver rongeur que les Grecs appelaient déjà « l’exagération », la poussée à l’extrême, exacerbée, des pulsions de l’avoir, du pouvoir et de la sexualité.
Il faut donc quelque part une thérapie pour cette pathologie. Elle se trouve dans les trois Conseils évangéliques qui ne sont pas seulement évangéliques, mais aussi et tout simplement humains. Cette thérapeutique servirait à contrôler l’excès ou « l’extrémisation » de nos pulsions, « l’extrémisation » de nos racines humaines déformées et blessées par ce qu’on appelle le péché originel. Je crois que le jour où disparaîtraient du monde tous ceux qui, librement et dans la joie, peuvent renoncer à cause du Christ à ces biens-là, en tout ou en partie, il n’y aurait pratiquement plus de preuve visible pour affirmer que Dieu est le seul Dieu. La vie consacrée n’est donc pas seulement nécessaire à l’Église, c’est une thérapie pour le monde entier.
Troisième raison. La vie consacrée et les conseils évangéliques ont un fondement christologique et évangélique, certes, mais avant tout ils ont un fondement humain et vétéro-testamentaire, même si dans l’Ancien Testament il en était si peu question. Avant de sauver l’Église, l’enjeu est de sauver la civilisation. Le jour où cela n’existerait plus - et cela est déjà en marche - où cela disparaîtrait du forum ou de la scène publique, où disparaîtrait ce que j’appellerai d’un point de vue purement humain le sens de la mesure, on entrerait dans une civilisation de la démesure, de la violence, du pouvoir, de la domination. On peut donc dire que c’est là un médicament pour l’homme, pour l’humanité, et pas uniquement une sorte de contrepoison dans l’Église elle-même.
Quatrième raison. La vie consacrée est importante pour des motifs christologiques et ecclésiologiques. Nous ne sommes pas pauvres, chastes et obéissants uniquement en vertu d’un certain idéal humaniste. Non. Nous le sommes évidemment aussi et surtout parce que nous imitons le Christ. La portée civilisatrice des trois conseils évangéliques, nous l’avons dit, est démontrable. Mais si l’on est pauvre, chaste et obéissant à cause du Christ et pour l’imiter, on dépasse le raisonnable, on dépasse le stade de la simple utilité, de l’aspect de civilisation et d’humanisation de l’homme, on dépasse le pur humanisme. Là, on entre dans une sphère qui est de l’ordre du mystère et de la’ foi. On le fait parce qu’on le fait. Cela veut dire qu’on entre là dans le monde de l’amour. Or, de raison à l’amour il n’y en a pas. Le pourquoi de la rose, c’est la rose. Je crois que le pourquoi des conseils évangéliques, comme imitation du Christ, comme sequela Christi, c’est l’amour qui, lui, n’a pas de raison. Comme il n’a pas de mesure.
Certes, on peut rester à un niveau humain de civilisation et de promotion de l’homme, et être un peu pauvre, pratiquer dans une certaine mesure la chasteté ainsi que la soumission et le sens de l’humilité, poser des limites à son autonomie et à son épanouissement personnel, mais sans vouloir aller plus loin. Ce faisant, on reste dans le raisonnable. Mais, si l’on est pauvre, chaste et obéissant pour imiter le Christ, on peut aller jusqu’à la « folie ». Et cela, c’est saint François d’Assise, c’est la pauvreté gratuite.
Quand des jeunes me demandent : « Pourquoi ne vous mariez-vous pas ? », ou quand ils demandent à un religieux, une religieuse : « Pourquoi restez-vous vierge, sans vous marier ? », la seule réponse valable, c’est : « Je ne le sais pas ! C’est parce que j’aime, c’est tout ! - Mais pourquoi aimez-vous ? - Parce que j’aime. » « Mais expliquez-moi pourquoi vous êtes devenu prêtre ? - Je réponds : « Je ne le sais pas. » « Ah ! vous ne savez pas. Vous n’étiez donc pas libre ? » Je dis simplement : « Quand vous aimez une fille et que je vous demande pourquoi vous l’aimez, vous répondez : « Parce que je l’aime. » Alors, vous n’êtes pas libre non plus ? L’amour, dit saint Augustin, c’est à la fois la plus grande liberté et le plus grand esclavage.
Voilà pour l’aspect prophétique plutôt que civilisateur et humanisant des trois conseils évangéliques.
Je crois à la vie consacrée dans l’Église et dans un diocèse
Je le crois, si la vie consacrée disparaissait, on perdrait énormément dans l’Église et dans un diocèse, déjà au point de vue de la civilisation humaine, de l’humanisation de l’homme, mais surtout au point de vue de l’amour du Christ, du caractère mystérieux, inexplicable de cet amour. Or je crains que notre époque ne coure ce danger. On apprécie encore les religieuses actives pour ce qu’elles font dans les homes pour vieillards. On les apprécie parce qu’elles soignent les malades. Mais cela n’est pas apprécier la vie religieuse, la vie consacrée en tant que telle. Quant aux contemplatives, oui, elles créent des îlots de silence où, de temps à autre, il fait bon se réfugier loin du brouhaha de nos villes. On apprécie un séjour au fond d’une abbaye ou dans une maison de retraite. D’accord, mais c’est encore l’utilitaire qui l’emporte ! Or l’apport fondamental de la vie consacrée dans une Église locale, c’est de garder vivante la visibilité et le caractère prophétique de l’Évangile. C’est de première importance.
Et cette importance est de l’ordre mental plus que de l’ordre pragmatico-pratique ; c’est une garantie de santé spirituelle et mentale plus que d’efficacité fonctionnelle et pastorale. Cela relève davantage de l’ordre de la vision que de l’ordre du faire. Or, comme le dit la Bible, lorsque la vision disparaît, le peuple tombe dans la torpeur. L’Église se réduirait à une sorte d’ unesco à but spirituel et philanthropique, et tout son aspect mystère et profondeur en souffrirait énormément. À l’heure actuelle, on en est un peu là. D’ailleurs, on en parle très peu dans les réunions de curés quand on y évoque les religieuses ou les pères. C’est du présupposé...donc oublié.
Évidemment, à côté de cela, il y a tout un apport dans l’Église active, et l’apport de la vie contemplative est énorme. Je constate que chaque fois que l’on retrouve l’évangile de Marthe et Marie, tous les trois ans, on essaie de prendre la défense de Marthe, et, je n’y suis pas opposé. Mais en fait, il est écrit que Marie a choisi la meilleure part, et tous les exégètes ne peuvent rien contre le texte tel qu’il est. Le texte est un fait et un fait est plus fort que le Lord maire de Londres, comme disent les Anglais. Le monde contemplatif me semble donc essentiel. Tout de suite après le Concile, il eut plutôt mauvaise presse. Il est apprécié davantage aujourd’hui, mais, comme nous l’avons constaté, ce n’est encore, hélas, que comme oasis de paix.
Important aussi pour la vie de l’Église locale, le charisme des fondateurs d’ordres religieux. Mais il y a charisme et charisme. Certains ordres ne disparaîtront jamais parce que leurs fondateurs ont touché quelque part le système nerveux central de l’homme religieux. Citons-en quelques-uns où la chose est certaine. Benoît a découvert la paix et surtout la compréhension du pauvre type qui veut commencer un chemin de conversion tout en sachant qu’il ne sera jamais terminé. C’est le réalisme des bénédictins. Puis il y a saint Ignace et saint Dominique, saint Bernard et saint Bruno. D’autres charismes concernent les membres, les mains, les pieds plutôt que directement le système central. Ces ordres-ci sont plus adaptés à une époque déterminée et peuvent n’être que temporaires. Il n’y a pas mal de congrégations religieuses qui, au cours de l’histoire, ont disparu avec leurs fondateurs.
Il existe aussi des cas de métamorphose. Quand j’étais au collège belge à Rome, j’habitais à côté des Trinitaires (fondés pour l’abolition de l’esclavage et le rachat des captifs). J’ai toujours pensé qu’un jour ou l’autre, ils allaient manquer de travail. Ils se sont recyclés et se consacrent aux victimes de la drogue.
Il y a encore des charismes plus périphériques. Par exemple, celui des curés du XVIIIe ou du XIXe siècle qui ont ressenti la nécessité de donner un enseignement pratique aux fillettes des campagnes jusqu’alors laissées pour compte. Ils demandèrent l’aide de demoiselles, souvent leurs sœurs ou leurs nièces, pour tenir une école paroissiale. Ils créèrent ainsi des centaines de congrégations diocésaines. Certaines ont disparu, d’autres se maintiennent en s’adaptant. Ces congrégations constituent un apport important.
Un autre apport : la fonction de radar, fonction que l’Église diocésaine ne peut jouer que difficilement.
L’omnipraticien doit faire face à tout ; il ne se spécialise pas dans un quelconque organe, il n’aide pas au progrès de la médecine, ne fait pas de découverte. Il applique tout simplement mais avec un grand art parfois ce que les autres ont découvert. Je crois que les ordres religieux, armés de leurs charismes, grâce à leur activité beaucoup plus ciblée, ont un rôle de découverte des signes du temps.
Dans l’Église locale, les religieux ont le devoir de prospecter, de prendre du temps et des risques, d’être, comme on dit, prophétiques. Seulement n’est jamais prophète celui qui croit l’être. Exercer et pratiquer le prophétisme comme métier est la négation même du prophétisme. Le prophète est de l’ordre de l’artiste ou de l’inventeur. Celui qui affirme qu’il va inventer quelque chose en général n’invente rien. Il se contente de produire. De même pour les prophètes : il n’y a pas d’ordination de prophète ; il y a un appel de prophète.
Cela dit, la dimension de prospection et de prophétisme est importante dans la vie de l’Église, là où l’évêque, les prêtres, devraient pouvoir quitter de temps en temps leur point de vue trop pragmatique, et faire crédit à certaines nouveautés. Le prophète travaille à ses propres risques, ou bien il n’est pas véritablement prophète. Un prophète qui prend toutes ses assurances avant de s’engager n’est pas prophète. Les prophètes ne meurent pas dans leur lit.
Nouvelles formes de vie consacrée
Il ne s’agit pas nécessairement des nouvelles communautés charismatiques et autres. Je ne sais pas, d’ailleurs, si elles sont tout à fait nouvelles dans l’Église. Finalement elles sont dues à des charismes fondateurs comme il y en a toujours existé. Nous vivons un peu ce qu’ont vécu les XIIe et XIIIe siècles quand des centaines et des centaines de petits groupes, de nouvelles communautés voyaient le jour, et dont des centaines et des centaines sont mortes quelques années plus tard.
Quelques-unes de ces formes nouvelles, comme les franciscains, ont tenu le coup et ont découvert vraiment quelque chose de neuf. C’est là un phénomène propre à l’Église : dans un foisonnement né d’une époque et de sa ferveur, une sélection naturelle s’opère. Conclusion pratique et pastorale pour l’évêque qui doit superviser toute cette floraison : arroser tout ce qui se présente. Si cela pousse, cela pousse. Si cela meurt, cela meurt. Mais il faut arroser pour autant que cela se trouve quelque peu dans la ligne du Christ ou de l’Église. C’est l’argument que j’emploie au conseil épiscopal quand mes collaborateurs semblent craindre pour l’avenir d’une fleur nouvelle. Certes, il faut aider les personnes à voir clair ; n’est pas fondateur qui veut. Mais arrosons quand même.
Évidemment, les esprits cartésiens trouvent le procédé ennuyeux, mais c’est absolument nécessaire. Donnons un peu de crédit au départ ; la sélection se fera d’elle-même, car l’Église est semblable au corps humain qui élimine les choses inutiles. Le corps de l’Église se restaure lui-même. Je parle ici surtout des associations et des mouvements.
Les vierges consacrées constituent une nouvelle forme de vie consacrée. Elles sont peu nombreuses et je ne crois pas que cette forme de vie soit appelée à un grand développement, bien que ce soit un bel idéal. Leur existence dans l’Église pose quelques problèmes. Mais quoi qu’il en soit, elles existent et leur idéal, la préface de leur consécration et l’allocution de leur rituel sont d’une grande beauté. Je ne sais pas si elles vont contribuer à la revalorisation du visage de la femme dans le monde et, disons-le, dans l’Église.
Chez certaines jeunes femmes - il faudrait encore discerner si c’est chimiquement pur - semble se dessiner un idéal de vie qui ressemble très fort à celui des béguines du Moyen Âge : vivre ensemble mais pas en communauté, et pourtant dans un même enclos, proches mais relativement indépendantes, sauvegardant ainsi une certaine autonomie. On peut les comprendre car ces jeunes filles ont connu l’indépendance, le travail hors du cercle familial, de préférence dans le secteur caritatif ou hospitalier. Elles souhaitent ne se réunir qu’à des moments précis et pas trop nombreux, pour prier ensemble dans ce que l’on appelait autrefois l’ église du béguinage. Cet idéal se répand et pas mal de jeunes semblent s’y reconnaître. Ce qui les attire dans ce genre de vie religieuse, ce serait, outre l’autonomie respectée, la crainte de la vie communautaire ; le désir aussi de conserver dans le monde une activité rémunérée ; enfin, l’impuissance à vivre seule leurs aspirations spirituelles.
Mais ce dessein est presque irréalisable du seul fait matériel, déjà. Les béguines du Moyen Âge étaient, en général, fortunées, vivant de leur patrimoine. Certaines de ces femmes furent de grandes dames. Les Hildegarde et autres, par exemple, étaient loin d’être de braves petites sœurs de 1930 - mais ceci ne serait pas, je crois, pour déplaire.
Ce qui les éloigne de la vie religieuse traditionnelle, c’est aussi l’image négative qu’en donnent les médias. Les Pères ne subissent pas le même sort, ils sont plutôt, quant à eux, label de qualité.
Depuis quelques années, on peut constater des familles ou des couples qui ont grande faim spirituelle et entrent, par exemple, dans un groupe de foyers, de Marriage Encounter, dans des équipes Notre-Dame ou des équipes bibliques. Ces groupes et ces familles ont des aspirations de vie spirituelle intense, mais se sentent incapables d’en assurer par eux-mêmes des assises suffisamment fortes. Ils cherchent alors comme une forme d’oblature, de tiers-ordre, associés aux grandes spiritualités classiques : le carmel, les salésiens, les jésuites, etc. qui leur seraient un ferme soutien. C’est une sorte de désaveu de la spiritualité laïque : nous restons mariés et dans le monde, mais nous voudrions être proches d’un centre de spiritualité. Un exemple, à Vilvorde où une famille entière, parents et enfants, est venue habiter la maison du recteur du carmel. Comme bien d’autres, ces gens recherchent les grandes sources de spiritualité qui existent depuis des siècles. Ils vivent à l’ombre d’une communauté toute proche, d’une façon plus forte que ne le font les oblats ou les membres d’un tiers-ordre.
Quant à nous, notre rôle étant d’arroser les sillons du Seigneur, arrosons-les.
Le Cardinal Godfried Danneels a été ordonné prêtre en 1957 et nommé Evêque d’Anvers en 1977. C’est Jean-Paul II qui l’a nommé à l’archevêché de Malines-Bruxelles en 1979 et créé cardinal en 1983. Les services auxquels il a été affecté - directeur spirituel au Grand Séminaire de Bruges, professeurs de liturgie et de théologie sacramentaire, formation continue des prêtres, secrétariat de rédaction de la revue Collationes (revue interdiocésaine flamande de théologie et de pastorale), ses diverses responsabilités à tous les niveaux de la vie de l’Église locale et universelle (entre autres au secrétariat permanent du Synode et comme membre de diverses Congrégations et Conseils romains) - font de Mgr Danneels un collaborateur de notre revue que nous sollicitons souvent et qui nous comble. Issu d’une famille de six enfants, il a sans doute reçu de cet enracinement familial les premières inspirations de sa devise épiscopale : « Apparuit humanitas Dei nostri » (Ti 3, 4). Cette profonde « divine humanité » transparaît dans les quelque 34 lettres pastorales publiées dans la série “Paroles de vie” et dans les nombreux livres que nous connaissons de lui. On soulignera encore son sens de la beauté (non seulement liturgique) rayonnant dans une sorte de génie homilétique où l’image neuve, comme issue de son intériorité priante, se fait toujours icône introduisant mystère. (Ce résumé très incomplet de la notice biographique officielle de Mgr Danneels est de la rédaction de la revue.)