Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Témoignage donné à l’occasion de la Journée de la Vie consacrée

le 2 février 1998

Maria Bertrand

N°1998-6 Novembre 1998

| P. 377-380 |

En quelques mots brefs, simples, un récit. Une histoire sainte. Les circonstances, les avancées de la grâce, les attentes, les combats aussi, dits dans une retenue pleine de pudeur mais autant avec une force qui laisse pressentir un feu : celui d’un amour scellé et rayonnant.

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« Il s’est penché sur son humble servante »

Continuer la vie de la Vierge Marie au milieu du monde d’aujourd’hui, telle est la vocation d’une religieuse annonciade apostolique.

Le 24 juin 82, alors que je priais le premier mystère joyeux dans la petite église de mon village, j’ai compris que le Seigneur désirait que je l’accueille, partout, tout à fait, tout le temps, sous quelque aspect qu’il puisse prendre, comme Marie l’a fait au moment de l’Annonciation et dans toute sa vie. J’avais vingt-deux ans et j’enseignais depuis un an les langues germaniques à des jeunes de quinze à dix-huit ans.

Élevée dans une famille chrétienne, j’avais renouvelé solennellement à l’âge de onze ans les promesses de mon baptême. La main sur l’Évangile, devant l’assemblée paroissiale, j’ai décidé : « Je renonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres et je m’attache à Jésus Christ pour toujours ». Le sort m’avait désignée pour lire, ce même jour, au nom des enfants de mon âge, la prière de « consécration à Marie ».

Pourtant je ne connaissais pas encore le Seigneur : c’est seulement à l’âge de vingt ans que j’ai fait l’expérience de Jésus vivant et de son amour pour moi. J’étais étudiante, sans attache sentimentale, et depuis quelques mois j’avais commencé à prier seule le soir quelques minutes.

Nous étions au mois de juin, la veille de la fête du Sacré-Cœur. Je ne participais d’habitude qu’à la messe dominicale, mais ce soir-là je décidai d’aller à l’Eucharistie le lendemain matin. Avant de m’endormir, je me mis à genoux et, prenant le Nouveau Testament, je fis au Seigneur cette prière : « Seigneur, si tu existes vraiment, tu sais de quoi j’ai besoin. Alors je t’en prie, donne le-moi. » J’ouvris le livre et je lus dans l’épître aux Éphésiens la prière de Paul (Ép 3,14-19). La Parole résonnait ainsi en moi : « Si vous saviez quelle est la Hauteur, la Largeur, la Longueur, la Profondeur... si vous saviez l’amour du Christ qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer...’’

Je fus alors envahie d’un amour que je n’avais jamais connu et je percevais la présence vivante de Jésus auprès de moi. Il me semblait que, de son cœur, coulaient sur moi et en moi les rayons de son amour.

Le lendemain matin je me rendis à l’Eucharistie et j’entendis, surprise et émerveillée, cette même Parole : ce que Dieu m’avait dit dans le secret, il me le répétait par la bouche de l’Église...

La vie, qui jusque là m’avait semblé terne, morne, comme couverte de brouillard, s’éclaira pour moi d’une joie secrète : j’étais aimée de Jésus et il me l’avait fait comprendre.

Le carême suivant, lors d’une célébration du sacrement de réconciliation, je reçus un prêtre pour me guider spirituellement. Je ne savais pas alors l’importance d’un conseiller spirituel. Dans l’angoisse, j’essayais de comprendre ce que le Seigneur attendait de moi, ce que j’allais faire de ma vie : me marier ? rester célibataire ? ou bien Dieu m’appelait-il à la vie consacrée ? J’exposai tout au prêtre qui me dit : « Sois bien dans la paix parce que le Seigneur travaille toujours dans la paix. » Au même instant la paix entra en moi. Le prêtre me dit encore : « Le Seigneur te montrera ce qu’il attend de toi. »

À cette époque, je jouais avec ma famille dans l’équipe de bowling du village. Ce jeu consiste à faire tomber des quilles en faisant rouler une boule sur une piste. Trois semaines après la rencontre avec le prêtre, un vendredi soir, je me trouvais donc au café du village où se déroulait un match amical. Partout où j’allais, je gardais en moi la question : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »

C’est dans ce petit café, vers minuit, au milieu du bruit et de la fumée, que je reçus la réponse. J’avais remarqué que le jeune capitaine de l’équipe adverse s’intéressait à moi. Je restais réservée à son égard. Mon tour arriva de noter au tableau les résultats de l’équipe adverse. Et tandis que je voyais tomber les quilles, un éclair me traversa : jamais je ne pourrai me donner tout à fait, radicalement, à quelqu’un d’autre qu’à celui qui est l’Infini, Dieu.

Rentrée à la maison, je dis donc au Seigneur avant de m’endormir : « Je te donne toute ma vie. » Cette nuit-là, je fis un rêve : tandis que je me promenais dans les bois, un ange vint se placer à ma droite et me dit : « Jésus me fait te dire qu’il t’aime et qu’il t’aimera pour toujours ».

Le lendemain, je fus troublée, pensant que je m’étais fait des idées : quelle folie de donner toute sa vie à Dieu en un instant, alors que Dieu ne le désire peut-être pas et que je me suis comme imposée à lui... et ce rêve, ce n’est que de l’imagination... La paix me fut rendue lors de la messe du dimanche : grâce à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, je reçus un signe qui me faisait comprendre que c’était vraiment le Seigneur qui m’appelait.

Je racontai tout au prêtre qui m’accompagnait. Il me confirma : « Oui, tu appartiens au Seigneur. » Ce fut une grande joie.

Plus tard, à Lourdes, Marie me fit comprendre qu’elle est ma Mère. Et Jésus me dit : « Prends-la chez toi. Elle t’expliquera, elle t’enseignera. » Alors, pour l’accueillir, je commençai à prier le chapelet.

Puis pendant un an, je cherchai où le Seigneur m’attendait dans la vie consacrée, ayant repéré les lignes de force de ma vocation : importance de la prière personnelle, appel à la vie communautaire, apostolique et mariale. Je visitai différentes congrégations religieuses, m’informant de leur spiritualité. Ainsi j’appris que les Annonciades d’Heverlee avaient une spiritualité évangélique et mariale.

Le 24 juin 1982 je me remis longuement en disponibilité devant le Seigneur qui m’appela à vivre du mystère de l’Annonciation. Peu de temps après, la supérieure générale des Annonciades me dit : « Notre règle, ce ne sont pas des mots, c’est une personne, c’est la Vierge Marie ». Je fis alors une retraite où je compris dans une lumière intérieure que ma vocation correspondait bien à celle des Annonciades.

Mon conseiller spirituel me confirma encore et je quittai ma famille le 8 décembre 1982 pour entrer chez les Annonciades où je fis profession perpétuelle en 1989. Un mot du Cardinal Danneels m’avait encouragée : « Vous avez choisi un chemin qui, s’il n’est pas le plus facile, répond à une vocation magnifique. » Je connus effectivement des moments difficiles ; mais je fus soutenue par des sœurs et surtout par le prêtre. Et par-dessus tout, Jésus m’a aimée, et pardonnée.

Aujourd’hui le Seigneur me répète : « Si tu es pauvre, je me ferai ta seule richesse ». Je voudrais être plus pauvre... Je suis une femme qui n’appartient pas à un homme (cf. Os 3,3), mais à l’Homme-Dieu. Et ma joie est de lui obéir de plus en plus : faire ce que Jésus dit, chercher continuellement ce qui plaît au Dieu qui m’aime. Ma joie est d’être ainsi la sœur de tous. Mais cela ne m’est possible qu’en accueillant Marie, en priant beaucoup, en adorant. Et je constate que Dieu est capable de « combler un cœur et d’épanouir une vie » (cf. Constitutions des sœurs Annonciades d’Heverlee, article 11, édition 1987).

Lui être consacrée, c’est le laisser m’aimer, lui faire confiance absolument éprouver que l’amour qui soutient ma vie est plus fort que tout ; c’est vivre la grâce de mon baptême : être l’enfant bien-aimée du Père en Jésus, par la grâce de l’Esprit Saint, parmi mes frères et sœurs.

58, rue Félix De Keuster
B-1150 BRUXELLES, Belgique

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