Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique d’Écriture Sainte

Didier Luciani

N°1998-5 Septembre 1998

| P. 338-349 |

Peu de livres cette année pour la chronique d’Écriture Sainte, une petite quinzaine seulement : six concernent le Nouveau Testament et son milieu ; trois, l’Ancien Testament ; un l’Ancien et le Nouveau Testament ; un, les difficultés soulevées par la traduction de la Bible. Trois autres ouvrages sont de simples rééditions ; pour avoir déjà été recensés dans Vie Consacrée, ils ne feront ici que l’objet d’une brève notice.

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I

À une époque où l’intérêt pour le Jésus de l’histoire ne cesse de rebondir, l’idée de proposer un panorama du Nouveau Testament à partir des indices historiques et géographiques qu’il contient ne peut être qu’accueillie favorablement. Avec son manuel [1], J.M. Guillaume, prêtre de la Société des Missions Africaines et professeur à l’Institut Catholique de l’Afrique de l’Ouest, met à la disposition d’un large public un tel panorama. Le projet est simple et parfaitement défini par le titre et le sous titre de l’ouvrage : en étant attentif particulièrement à tous les noms de personnes qui émaillent le texte, Fauteur entend reconstituer une chronologie possible, à défaut d’être très précise, des événements et des écrits qui constituent la trame du Nouveau Testament. Commençant par la vie de Jésus (chapitre premier, 11-33), puis décrivant les premiers pas de « la Bonne nouvelle » (chapitre deux, 35-68) et retraçant enfin, l’itinéraire de Paul et de tous ses collaborateurs (chapitres trois et quatre, 69-175), il dresse le cadre historique nécessaire et préalable à toute étude du contexte social, politique, économique et religieux des débuts du christianisme. Bien sûr, l’auteur n’ignore pas les débats et la part d’hypothèse que recèle chaque prise de position ; sur tous les problèmes, le lecteur est guidé, de manière didactique vers la solution majoritairement défendue ou qui apparaît aujourd’hui comme la plus assurée. Il n’est donc pas question ici de révolutionner les études néotestamentaires, mais plus modestement, de présenter un bilan des connaissances actuelles. Cela a sans doute déjà été tenté ailleurs, mais je vois trois mérites à l’essai de J.M. Guillaume : mettre à jour ce bilan, en fonction des recherches les plus récentes (la bibliographie et les notes abondantes intègrent des travaux jusqu’à l’année 1996) ; regrouper, synthétiser et présenter dans un langage simple des informations habituellement dispersées dans des revues scientifiques peu accessibles, ou noyées au milieu de considérations non historiennes ; enfin, proposer un panorama qui englobe la totalité du Nouveau Testament et non pas seulement, par exemple, la figure de Jésus ou celle de Paul. Pour ce travail, que l’auteur soit remercié.

L’étude du milieu du Nouveau Testament ne se limite certes pas à des questions de chronologie et de géographie. Une recherche sur les courants politico-religieux qui traversent et animent la société au tournant de l’ère chrétienne s’avère indispensable pour une meilleure compréhension du Nouveau Testament lui-même. Le cinquantenaire de la découverte des manuscrits de la Mer Morte (1947) a offert à de nombreux auteurs l’occasion de dresser un bilan des recherches sur une des composantes du judaïsme de l’époque, à savoir les esséniens et la communauté de Qumrân. Même la presse à grand tirage s’est parfois emparée du sujet pour alimenter des polémiques douteuses. Parmi d’autres (en français, citons le n° 107 du Monde de la Bible, le volume collectif sous la direction d’E.M. Laperrousaz Qumrân et les Manuscrits de la Mer Morte. Un cinquantenaire au Cerf et l’ouvrage de H. Shanks, L’aventure des manuscrits de la Mer Morte au Seuil), A. Paul, spécialiste bien connu de la période intertestamentaire, fait à son tour le point [2]. Reprenant les éléments principaux du dossier, il traite tour à tour de la découverte des manuscrits et de leur publication (chapitre I, 19-59), du contenu de la bibliothèque de Qumrân, riche en livres bibliques ou en écrits sectaires (chapitre II, 61-106), de l’établissement de Qumrân et de ses habitants (chapitre III, 107-157), plus largement, des conditions d’émergence des différentes composantes du judaïsme – parmi lesquelles les esséniens – après l’exil et sous la domination hellénistique (chapitre IV, 159-234), enfin, de l’éclairage mutuel que procure la confrontation entre l’essénisme et le christianisme naissant (chapitre V, 235-289). L’ensemble se lit comme une formidable aventure avec son lot d’anecdotes (« Il n’y manque que l’amour pour qu’elle soit romanesque », 59). Le propos est volontairement didactique, tout orienté vers la « communication » (18) ; on n’hésite pas, par exemple, à expliquer ce qu’est une « concordance » (32). De brèves synthèses clôturent chaque chapitre et les notes plus techniques sont renvoyées en fin de volume pour ne pas entraver la progression de la lecture. Il faut lire ces « annexes » pour entrevoir que, si de formidables avancées ont été effectuées en qumrânologie depuis cinquante ans, des chantiers immenses et de nouvelles énigmes surgissent sans arrêt de l’examen des matériaux. Le livre d’A. Paul a au moins le mérite de ménager une pause et de permettre de mesurer, avec une certaine sérénité, le chemin parcouru.

Les universités de Suisse romande, soutenues par l’éditeur genevois Labor et Fides, nous ont habitués depuis quelques années à de vastes « états de la recherche » sur une question exégétique donnée. Qu’on se souvienne du Pentateuque en question (A. de Pury, éd.) en 1989 ou de Israël construit son histoire. L’historiographie deutéronomiste à la lumière des recherches récentes (A. de Pury, Th. Rômer et J.D. Macchi éds.) en 1996 qui sont tous deux devenus des « classiques ». Cette fois-ci, sous la direction de D. Marguerat, E. Norelli et J.M. Poffet, elles nous livrent une somme sans équivalent sur la question du Jésus historique [3]. Vingt-trois des meilleurs spécialistes internationaux y évaluent critiquement les résultats de la recherche actuelle, approfondissent certaines thèses parmi les plus discutées et proposent une réflexion pluridisciplinaire sur la pertinence théologique de cette question. L’ouvrage se compose ainsi de sept sections. Une première (23-122 : V. Fusco, E. Cuvellier, B. Neipp, J.P. Jossua) déploie amplement l’état de la recherche, puisqu’on y traite même de la réception de la figure de Jésus dans la littérature et l’art pictural du XIXe siècle. La deuxième section (123-222 : G. Theissen, Ch. Perrot, G. Rochais, E.P. Sanders) est consacrée à une série d’analyses croisées visant à décrire le tissu social, culturel, économique, politique et religieux du judaïsme palestinien au temps de Jésus. La troisième partie (223-370 : J.S. Kloppenborg, Ch. Grappe, D. Marguerat, J. Schlosser, J.P. Lémonon) s’interroge sur le cœur de la théologie de Jésus : fut-il un sage ? un prophète ? s’est-il prétendu Messie ? pourquoi est-il mort ? Le quatrième chapitre (371-436 : J.D. Kaestli, E. Norelli) traite un dossier devenu brûlant : le recours à la tradition extra-canonique chrétienne (Évangile de Thomas et papyrus Egerton 2) dans la reconstitution du Jésus de l’histoire. La cinquième section (437-474 : E Siegert, J. Zumstein) se situe au niveau de la réception intracanonique : comment la référence à Jésus a-t-elle été intégrée dans le monde théologique de l’apôtre Paul et dans celui de l’évangéliste Jean ? La sixième section (475-500 : C. Thomas, M. Graetz) présente quelques lectures juives de Jésus dans l’antiquité tardive, au Moyen Âge et au XIXe siècle. Enfin, la dernière section (501-558 : B. Sesboüé, P. Bühler, M. Bouttier, C. Clivaz) est le lieu d’un dialogue interdisciplinaire entre sciences bibliques et théologie systématique. Une reprise à trois voix par les coordinateurs du programme conclut l’ouvrage et ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche. On aura perçu, à la lecture de cette simple énumération, tout l’intérêt et la richesse d’une telle entreprise.

Le dernier commentaire un peu substantiel de l’évangile de Marc en français, celui de J. Radermakers (Editions de l’IET, Bruxelles), remontait à 1974. Et voici que coup sur coup, deux exégètes viennent combler ce vide de manière magistrale. P. Lamarche (Études Bibliques 33, Gabalda, 1996) et S. Légasse [4], dont nous présentons l’ouvrage ici, deviennent la référence pour les années à venir. Laissons notre auteur définir lui-même son projet : « Dans ce commentaire nous suivons pas à pas l’évangéliste dans une œuvre supposée offerte à des lecteurs ou auditeurs d’une époque ou d’un milieu donnés. Son texte nous permet d’entrevoir de façon suffisante à quel public il est destiné et dans quelles circonstances il a été rédigé... La méthode employée peut se définir comme « historico-critique », encore qu’il faille préciser que notre travail a privilégié un aspect de cette méthode, à savoir celui qui préside à la recherche dite synchronique... visant à expliquer le texte en lui-même, grâce aux relations mutuelles de ses divers éléments et en le considérant sous son aspect de message communiqué par l’auteur à ses contemporains. C’est dire que notre commentaire poursuit un but limité. L’étude de la composition du texte, des sources utilisées par l’évangéliste, de l’itinéraire et des étapes parcourues par les traditions recueillies et amalgamées, cela n’occupe dans notre ouvrage que la place indispensable à la compréhension du texte tel que l’a produit son auteur et qu’il se présente à nous » (Avant-propos). Référence à l’histoire et à la culture des destinataires, mise en relief de la cohérence du texte dans sa forme définitive, analyse de détail du vocabulaire marcien, tels sont donc les points forts de ce commentaire. Le texte est divisé en petites péricopes (rarement plus de dix versets) appartenant à des ensembles plus vastes : le prologue (7,1-15) ; un aperçu de l’activité de Jésus (7,16-45) ; Jésus triomphe de ses adversaires (2,1-3,6) ; Jésus enseigne et guérit (3,7-8,26) ; Jésus, les disciples et la passion (8,27-10,52) ; Jésus à Jérusalem avant la passion (11-13) ; la passion de Jésus et l’annonce de sa résurrection (14,1-16,8) ; addition longue (16,9-20). L’érudition est énorme, parfois aussi un peu fastidieuse. On ne pourra de toute façon plus éviter de recourir désormais à ce monument, si ce n’est pour un commentaire suivi, au moins pour l’étude de tel ou tel passage.

La collection des cahiers « Connaître la Bible », que nous avions présentée dans notre dernier bulletin (VC, 1997, p. 330), poursuit son chemin avec la parution de trois nouveaux numéros, dont deux concernent le Nouveau Testament. L’un de M. Froidure, dominicain, est une simple lecture actualisante du Notre Père [5] (en Matthieu), faite, demande après demande, sous le double éclairage de la Bible et de la proximité aux plus pauvres que l’auteur revendique. Un moyen de redécouvrir la prière du Seigneur.

L’autre cahier (n° double), dont la présentation va conclure la première partie de notre chronique, revient encore une fois sur la question du Jésus de l’histoire [6]. Il reprend, en fait, le texte de quatre conférences données à la faculté de théologie de Louvain-la-Neuve (Belgique), par d’éminents spécialistes, durant l’année 1996-1997. C. Focant (Louvain ; Aux sources de l’histoire de Jésus, 9-40), après avoir brièvement évoqué dans quel contexte se situe le regain d’intérêt pour l’histoire de Jésus, plante le décor en indiquant les sources disponibles et en rappelant quelques-uns des principes méthodologiques qui doivent commander leur exploitation. J. Schlosser (Strasbourg ; « Qu’est-ce que Jésus a vraiment dit ? », 41-63) présente tout d’abord un aperçu d’ensemble sur les paroles de Jésus, envisage les conditions et la liberté de leur transmission avant de proposer une série de critères qui permettent de reconnaître les ipsissima verba Jesu. Plutôt que de s’attacher à une photographie, notre auteur propose, en conclusion, de dresser un portrait (ipsissima intentio Jesu) qui, s’il est moins exact, révèle mieux la vérité profonde de la personne. D. Marguerat (Lausanne, Le projet de Jésus : une énigme non résolue, 65-88) montre les difficultés que rencontre l’historien pour reconstruire ce qu’il appelle « le projet de Jésus » (les sources, la brièveté de la vie du Galiléen, ses silences). Sommes-nous pour autant condamnés au mutisme ? Non, si nous consentons à partir de ce que Jésus a fait, de son agir et non pas de ses titres. Trois événements semblent être suffisamment significatifs pour fonder une enquête : l’attentat de Jésus contre le Temple, le baptême par Jean, le motif d’accusation notifié sur la croix. Confronté comme les autres courants du judaïsme à la question identitaire, Jésus répond par une stratégie d’intégration plutôt que d’exclusion et c’est cela, qui d’après Marguerat, lui vaut le rejet du judaïsme. Enfin, avec J.M. Sevrin (Louvain, La résurrection de Jésus est-elle un fait historique ?, 89-106), nous atteignons la frontière entre foi et histoire. « À la limite de l’espace et du temps humains, la résurrection, telle que la disent les écrits du Nouveau Testament, est à la fois dans et hors de l’histoire, objet d’enquête de l’historien et hors de sa portée. Nulle part elle n’est décrite, mais seulement évoquée à travers les récits du tombeau vide et des apparitions... Mais elle se laisse observer, indirectement et comme une réalité inconnue aux mouvements qu’elle a déclenchés. La première prédication chrétienne demeure un fait inexplicable sans un événement fondateur qui devance les témoins, les dépasse et commande toute l’écriture du Nouveau Testament. L’historien ne peut nier qu’il s’est passé quelque chose ; mais il ne peut préciser davantage qu’en faisant confiance à l’annonce évangélique, c’est-à-dire en croyant. Le dossier historique permet la foi, mais il ne saurait y contraindre » (5). On se plaint parfois que les résultats de la recherche exégétique restent confidentiels. Voilà une œuvre sérieuse de vulgarisation qui cherche à échapper à ce reproche (sur le même sujet, on pourra aussi consulter Le Monde de la Bible, n° 109, mars-avril 1998).

II

Encore dans la collection « Connaître la Bible », le productif A. Wénin, professeur à la faculté de théologie de Louvain-la-Neuve, nous offre une lecture renouvelée et stimulante du récit trop connu de David et Goliath [7]. Plutôt que d’y lire la victoire du petit sur le grand, l’auteur nous invite, au terme d’une enquête minutieuse sur le texte conduite avec les outils de l’analyse narrative, à y déchiffrer la victoire du pasteur sur le guerrier, « victoire qui offre au Seigneur de se révéler comme un Dieu qui libère son peuple de l’agresseur injuste par la main du pâtre défendant son troupeau » (59). Mais plus largement, cette histoire est située dans son contexte d’opposition naissante entre Saül et David, c’est-à-dire entre deux types de royautés, deux logiques même, dont l’une va à l’échec alors que l’autre est présentée comme un modèle. Violence ou force, peur ou courage, jalousie ou alliance..., on le voit, le récit est riche d’une anthropologie et d’une théologie signifiantes qui le rendent toujours actuel. En recommandant cette lecture, je signale également qu’A. Wénin en a proposé un prolongement au dernier congrès de l’ACFEB, dont les Actes ne devraient pas tarder à sortir aux éditions du Cerf (Collection Lectio Divina).

Rares sont les commentaires et même les travaux en français sur les livres des Maccabées. Et pourtant, ceux-ci font partie du canon des Écritures ! Ph. Abadie, professeur à la faculté de théologie de Lyon qui s’est spécialisé dans l’étude de l’historiographie juive tardive des époques perse et grecque remplit en partie ce vide exégétique en publiant une substantielle introduction à ces livres [8], retranscription d’un cours donné à Lyon en 1995. Dans un premier chapitre (Contexte historique, 5-66), l’auteur tente d’élucider et de présenter le plus simplement possible les causes profondes et complexes de la crise qui, entre 167 et 164 av. J.C., ont conduit à la suppression de la religion juive en Judée et au soulèvement maccabéen. Le deuxième chapitre (Étude des livres des Maccabées, 67-89) contient une présentation, trop rapide, des deux livres des Maccabées qui s’attache surtout à la différence de leur genre littéraire et de leur milieu producteur. Le troisième chapitre enfin (Quelques clés d’interprétation de 1 Maccabées, 91-125), analyse deux des thématiques essentielles de 1 M, à savoir une référence constante à l’écriture biblique, notamment au livres des Juges, et une théologie de la Loi. Un appendice fournit la liste des grands thèmes théologiques de 2 M. Le tout constitue une bonne invitation à la lecture.

Pourquoi s’intéresse-t-on encore à la figure d’Abraham ? Telle est la question à laquelle tente de répondre l’ouvrage collectif, fruit d’un cours public organisé par la faculté de théologie de Lausanne en 1996-1997 et publié sous la direction de Th. Römer [9]. La première réponse qui vient à l’esprit est que le personnage fascine : aussi bien les théologiens que les exégètes, les historiens, les philosophes, les psychanalystes, les artistes... ; autant les juifs que les chrétiens, les musulmans, les agnostiques et même les athées... ; les générations d’aujourd’hui comme celles d’hier. L’originalité de cet ouvrage réside d’abord dans le fait qu’il rend compte de cette multitude de lectures possibles de la figure de l’ancêtre. Est-il permis d’aller par-delà cette pluralité ? La réponse ne se trouve directement dans aucun des dix essais proposés. Elle émerge plutôt du fait qu’on ait pu rassembler autour de ce patriarche des spécialistes de divers horizons intellectuels (Th Römer, J.D. Kaestli, D. Banon ; D. Marguerat, J.C. Basset, D. Müller, Th. de Saussure, B. Reymond, P. Gisel, A. Ségal) et qu’on ait réussi à les faire dialoguer. Puisse Abraham continuer à jouer ce rôle de rassembleur et de conciliateur.

Les éditions Lessius nouvellement créées (regroupement de trois entités éditoriales jésuites belges : Culture et Vérité, Éditions de l’IET, Vie Consacrée) inaugurent leur collection « Le Livre et le Rouleau » avec un Job de J. Rademakers [10], professeur bien connu de Bruxelles. Il ne faut pas s’attendre à trouver là ce qu’on appelle habituellement un commentaire, mais plutôt une lecture pastorale, soucieuse d’actualisation, qui fait son miel du nectar des exégètes, des poètes, des philosophes et des théologiens. Avec tous ces apports et celui de l’expérience de l’auteur, le texte est lu attentivement et pour lui-même comme itinéraire de sagesse (lecture continue, 45-264 et traduction littérale, 285-351) et c’est là ce qui fait sa richesse. Les options méthodologiques, par contre, me semblent confuses et mal définies (introduction, 13-44 et conclusion, 265-284). Ainsi, J. Radermakers vante à plusieurs reprises la méthode historico-critique de J. Vermeylen, tout en prônant une approche narrative à la suite de R.M. Polzin ou de W. Vogels et en se réclamant d’une herméneutique patristique et rabbinique des quatre sens de l’Écriture. C’est ce qu’on pourrait appeler une « exégèse de la réconciliation ». Le problème est d’une part, que le lecteur aura peut-être du mal à s’y retrouver et d’autre part, qu’on ne voit pas bien comment ces options s’articulent entre elles et influencent la lecture si ce n’est de manière extrinsèque. En d’autres termes, on pourrait dire que, comme pour le livre de Job lui-même, le lien entre le cadre (introduction et conclusion) et le corps du discours (lecture continue) relève d’une cohérence qui n’apparaît pas immédiatement évidente. On trouvera néanmoins dans cet ouvrage de quoi nourrir sa méditation et réfléchir aux grandes énigmes de l’existence.

III

En une petite centaine de pages, Ch. Grappe et A. Marx, spécialistes respectivement du Nouveau et de l’Ancien Testament et tous deux professeurs à la Faculté de théologie de Strasbourg, font œuvre salutaire en nous livrant leur étude sur le sacrifice [11]. Le concept de sacrifice, bien qu’occupant une place centrale dans l’économie du récit biblique, suscite en effet encore souvent un malaise chez nombre de lecteurs : comment intégrer une pratique religieuse archaïque dans une religion d’amour et de liberté, sans opposer définitivement ni trahir la révélation de l’un et l’autre Testament ? Par l’étude des principaux textes et sans technicité rebutante, nos deux auteurs élaborent une théologie biblique qui valorise les deux pôles de communion et de réparation de tout sacrifice et qui montre comment ceux-ci sont assumés et réinterprétés tout au long de l’histoire jusque dans la catégorie de sacrement. Le service rendu est loin d’être négligeable.

IV

Qui n’a pas été, un jour ou l’autre, confronté aux divergences de traduction d’un même verset biblique et à la difficulté qu’elles soulevaient pour des lecteurs dépourvus de la connaissance du grec ou de l’hébreu ? Le livre de J.M. Babut décrivant les mille et une difficultés de l’acte de traduire [12] s’adresse avant tout à ces « simples » lecteurs, mais il pourra aussi intéresser les biblistes en leur rappelant quelques pièges à éviter et même les traducteurs en les obligeant à davantage expliciter leurs options méthodologiques. Après une introduction qui recense les principales versions françaises depuis la fin de la dernière guerre mondiale, l’auteur nous invite à une démarche en quatre étapes. La première cherche à répondre à la question : que se passe-t-il quand on traduit ? (chapitre I, 23-64 : problème des équivalences lexicales, sémantiques, des expressions idiomatiques...). La deuxième examine les différents genres de traduction en usage aujourd’hui (chapitre II, 65-97 : traduction concordante ou traduction dynamique dite « par équivalences », problème du mot à mot, des synonymes, de l’ordre des mots, de l’intertextualité...). La troisième étape considère les limites de toute traduction (chapitre III, 99-121 : traduction partielle, partiale, à partir d’un texte donné...). Enfin, un dernier chapitre montre au lecteur les moyens dont il dispose pour surmonter quelques-unes des difficultés imputables au type de traduction adopté par la plupart des bibles en usage (chapitre IV, 123-151 : examiner un mot dans son contexte, pratiquer une lecture comparée, recourir à la concordance...). Chaque étape de ce parcours est décrite dans un langage dénué de technicité excessive et est illustrée par de nombreux exemples. Comme le dit M. Carrez, en exergue du Nouveau Testament interlinéaire grec-français (citation reprise par notre auteur, p. 26, note 1) : « Une langue est un filet jeté sur la réalité des choses. Une autre langue est un autre filet. Il est rare que les mailles coïncident ». Cet apophtegme résume à lui seul les enjeux et les limites de toute traduction. Malgré la difficulté, on ne peut abdiquer sa responsabilité : comme le montre si bien J.M. Babut, il y va ultimement de notre qualité d’écoute de la Parole de Dieu.

V

Je termine cette chronique en signalant deux rééditions. La première est celle, bienvenue, d’un livre de C. Westermann [13] sur le rapport entre les deux testaments, paru précédemment dans la collection « Lire la Bible » (n° 33), au Cerf et épuisé depuis plusieurs années. Je renvoie à la recension que M. Gilbert a fait de cet ouvrage dans notre revue (VC, 1973, 51).

La deuxième me paraît plus étonnante. Il s’agit de la publication de deux volumes d’extraits [14] du fameux VTB (Vocabulaire de théologie biblique) de X. Léon-Dufour qui en est à sa huitième édition (pour 160 000 exemplaires rien qu’en langue française). L’avant-propos, en présentant les deux ouvrages, manifeste me semble-t-il, de lui-même, l’ineptie d’un tel projet éditorial : « Trente-cinq mots, puis vingt-cinq noms propres, ont été sélectionnés par l’abbé Baud, d’après les souhaits des catéchistes consultés. Ainsi, à la suite du gros VTB verraient le jour deux petits ouvrages fort maniables qui, déjà, introduiraient à une lecture savoureuse des Écritures... Si l’on ajoute à ces deux fascicules le projet d’un troisième qui concernerait l’homme et ses fonctions variées, ces livrets parviendraient-ils à supplanter le texte original ? Je ne le pense pas. Le lecteur n’y trouverait pas un VTB en miniature, car la catéchèse ne peut se ramener à des concepts théologiques qui n’ont guère à voir avec la vie ordinaire. Or, précisément, le VTB s’efforce de manifester à travers l’écorce des mots, la sève palpitante et chaude qui anime la Parole de Dieu. En ce sens les deux petits livrets que nous proposons sont seulement un avant-goût du VTB qui par sa totalité demeure l’ouvrage auquel se référera toujours le lecteur des Extraits ». Comprenne qui pourra ! De toute façon, à 200 FF les deux volumes d’extraits (plus le troisième annoncé) autant acheter tout de suite l’intégral. Ou bien encore, suggérer à l’éditeur de publier une version plus économique et plus maniable (genre Bouquins ou Pochotèque) de cet intégral.

11 rue du Séminaire
B-5000 NAMUR, Belgique

[1Guillaume J.-M., Jésus Christ en son temps. Dates, lieux, personnes dans le Nouveau Testament. Coll. Vivre la Parole, Paris/Montréal, Médiaspaul, 1997, 21 x 14, 206 p., 95 FF.

[2Paul A. Les manuscrits de la Mer Morte. La voix des Esséniens retrouvée, Paris, Bayard Editions/Centurion, 1997, 22 x 15, 334 p., 138 FF.

[3Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme. Coll. Le Monde de la Bible 38, Genève, Labor et Fides, 1998, 22 x 15, 612p., 52FS.

[4Légasse S., L’évangile de Marc, Tomes I et II. Coll. Lectio Divina Commentaires 5. Paris, Cerf, 1997, 22 x 14, 1047 p., 500 FF.

[5Froidure M., Prier avec les mots du Notre Père. Coll. Connaître la Bible 2, Bruxelles, Lumen Vitae, 1997, 21 x 15, 64 p., 220 FB.

[6Le Jésus de l’histoire. C. Focant éd., Coll. Connaître la Bible 4/5, Bruxelles, Lumen Vitae, 1997, 21 x 15, 111p.

[7Wénin A. David, Goliath et Saül. Le récit de 1 Samuel 16-18. Coll. Connaître la Bible 3, Bruxelles, Lumen Vitae, 1997, 21 x 15, 64 p., 220 FB

[8Abadie Ph., Lecture des livres des Maccabées. Étude historique et littéraire sur la crise maccabéenne. Lyon, Profac (25, rue du Plat, F-69288 Lyon Cedex 02), 1996, 21 x 14, 138 p., 75 FF.

[9Abraham, nouvelle jeunesse d’un ancêtre. Th. Römer éd. Coll. Essais bibliques 28, Genève, Labor et Fides, 1997, 21 x 15, 149 p., 98 FF.

[10J. Rademakers, Dieu, Job et la Sagesse. Coll. Le Livre et le Rouleau 1, Bruxelles, Lessius, 1998, 21 x 15, 355 p., 149 FF/895 FB.

[11Ch. Grappe et A. Marx, Le Sacrifice, Vocation et subversion du sacrifice dans les deux Testaments. Coll. Essais Bibliques 29, Genève, Labor et Fides, 1998, 21 x 15, 91p. 27 FS.

[12J.M. Babut, Lire la Bible en traduction. Coll. Lire la Bible 113, Paris, Cerf, 1997, 18 x 11, 167p., 90 FF.

[13Westermann. C., L’Ancien Testament et Jésus Christ. Coll. Foi Vivante 394, Paris, Cerf, 1997, 18 x 11, 90 p.

[1435 mots pour entrer dans la Bible. Extraits du Vocabulaire de théologie biblique. X. Léon-Dufour éd., Paris, Cerf, 1997, 20 x 13, 366 p., 140 FF. 25 noms propres pour entrer dans la Bible. Extraits du Vocabulaire de théologie biblique. X. Léon-Dufour éd., Paris, Cerf, 1997, 20 x 13, 128 p., 60 FF.

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