Nouveaux mouvements de laïcs : signes de l’Esprit ou sectes chrétiennes ?
Jean Vanier
N°1997-5 • Septembre 1997
| P. 280-300 |
Note de la rédaction (mai 2021) : la publication de cet article est évidemment antérieure aux révélations concernant la personne de Jean Vanier communiquées par l’Arche en février 2020. La rédaction renvoie le lecteur au communiqué officiel publié sur le site de l’Arche en France à la même époque.
On le sait, le phénomène des sectes n’est pas nouveau. Mais il est aujourd’hui très préoccupant étant donné sa recrudescence dans un monde sans repères et, par conséquent, sa nuisance accrue. C’est aussi le lieu de bien des confusions. Les clarifications données ici par le fondateur de l’Arche sont lumineuses et pleines de prudence. Elles pourraient servir à bien des commissions parlementaires chargées de protéger le citoyen et non d’augmenter la confusion.
Monsieur Jean Vanier, fondateur de l’Arche, a été invité à donner en juillet 96 une conférence en Angleterre, à l’instigation du journal The Tablet, sur les nouveaux mouvements de laïcs. Ce texte est le fruit d’une expérience, celle d’un témoin engagé lui-même dans l’aventure des Communauté de l’Arche. Les signes qu’il donne pour éclairer un discernement, ont été ceux qui l’ont guidé dans sa propre recherche. Nous remercions Documents Episcopat N° 3, mars 1997, de nous avoir permis de publier cette version légèrement écourtée.
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Beaucoup de gens dans nos sociétés se sentent gênés devant les nouvelles communautés chrétiennes. Leur enthousiasme, leurs célébrations et leurs manières de vivre radicales font naître une certaine anxiété dans le cœur de ceux qui se méfient de tout ce qui est neuf et sort de l’ordinaire. Soyons comme Gamaliel et ne jugeons ni ne condamnons trop rapidement.
« Ne vous occupez plus de ces hommes et laissez-les aller.
Car si leur entreprise et leur œuvre viennent des hommes, elles disparaîtront.
Mais si elles viennent vraiment de Dieu, vous ne pourrez pas les détruire.
Prenez garde de ne pas vous mettre à combattre Dieu » (Actes 5,38-39)
Il y a quelques années j’ai été invité à visiter les Jésus People dans des bas-quartiers de Chicago. Lorsque je suis arrivé dans le grand bâtiment - un ancien hôtel - où ils vivaient, je fus quelque peu surpris par les dessins plutôt étranges sur les murs, par les longues barbes et les longues robes, ainsi que par la « mère » qui semblait détenir l’autorité sur le groupe. Après le dîner on me demanda de m’adresser à toute la communauté, d’environ deux cent hommes et femmes, tous simplement et pauvrement vêtus, sans compter quelques punks avec leur cheveux colorés. En passant du temps avec eux, j’ai découvert qu’ils distribuaient chaque jour des repas gratuits à quelques trois cent personnes démunies. J’ai découvert aussi que beaucoup parmi eux avaient beaucoup souffert dans leur jeune âge, certains avaient connu le monde de la drogue ou de la prison. J’ai demandé à un des responsables quels genres de rapports ils avaient avec les principales Églises de la ville. Il m’a dit qu’ils n’étaient pas trop bons car personne ne semblait vouloir les accepter. Ce groupe étrange, que certains qualifieraient de secte, m’a paru assez beau. Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de communautés catholiques ou anglicanes capables d’accueillir des hommes et des femmes aussi brisés et de les aider à vivre une vie plus humaine et plus profondément chrétienne. J’étais surpris par leur ouverture. Ils utilisaient le livre de l’Arche Communauté, Lieu du Pardon et de la Fête comme point de référence. Ils n’étaient pas renfermés sur eux-mêmes.
À Saint-Domingue (en République Dominicaine), il y a une petite communauté de l’Arche dans laquelle certains jeunes, que nous appelons « assistants », sont venus vivre avec des personnes comme Luisito, un jeune mendiant qui a un lourd handicap mental et que nous avons accueilli. Certains de ces jeunes assistants sont généreux et idéalistes, mais peu structurés ; humainement et psychologiquement, ils sont incapables d’assumer de réelles responsabilités ; ils ne sont pas disciplinés et ils ont peur de l’autorité. Ils ont besoin d’une stimulation continuelle et d’expériences excitantes ; ils viennent dans la communauté pour un temps assez court et ensuite ils s’en vont. D’autres jeunes viennent, un peu plus structurés. Bien souvent, ce sont d’anciens membres d’un mouvement laïc bien spécifique dans l’Église, que certains qualifieraient de sectaire ou fermé, à cause de sa discipline interne, de sa formation énergique et de la manière dont il est isolé par rapport aux autres. Et pourtant, ces jeunes savent pourquoi ils sont venus à l’Arche ; ils sont disciplinés et peuvent assumer des responsabilités.
Nous vivons dans une société où il y a beaucoup de personnes marginalisées, certaines totalement déstructurées, qui viennent du monde de la drogue, d’anciens détenus ou des membres de gangs violents, et des personnes très fragiles psychologiquement ou issues de familles brisées. Ils figurent parmi les plus pauvres de notre monde. La Bonne Nouvelle de Jésus s’adresse à eux d’une façon tout à fait spéciale. Mais ils ont besoin de communautés solides, structurées et bien disciplinées pour découvrir et vivre cette Bonne Nouvelle.
À la lumière de mes expériences à Chicago (Jesus People) et à Saint-Domingue, j’ai appris à être prudent dans l’usage des mots « sectes » ou « communautés sectaires ».
L’importance de la famille et de la communauté
L’ouverture a quelque chose à voir avec l’amour, avec l’accueil et la compréhension d’autrui. L’ouverture est fondée sur la certitude que nous appartenons à une humanité commune. Chaque être humain, depuis la conception jusqu’à la mort, quelque soient ses difficultés ou handicaps, est une personne humaine, unique, importante, sacrée et aimée de Dieu. Malgré d’immenses différences d’éducation, de culture, de santé, de développement ou de religion, nous sommes tous fondamentalement semblables.
Nous avons tous un cœur vulnérable et un corps vulnérable. Nous avons tous soif d’aimer et d’être aimés et appréciés. Nous avons tous peur de souffrir, particulièrement des souffrances et des angoisses intérieures qui proviennent du rejet, des sentiments de culpabilité et de l’impression d’être mauvais et inutiles aux autres ; alors nous nous protégeons derrière des barrières. Nous aspirons tous à un épanouissement total et pourtant nous sommes tous plus ou moins déçus par les autres, par nous-mêmes, et par la vie. Mais comme nous faisons partie d’une même humanité, nos vies sont entrelacées. Nous avons besoin les uns des autres. Nous pouvons nous aider et nous aimer les uns les autres. Nous pouvons être solidaires les uns des autres. La clé de notre croissance sur le plan humain réside alors dans la relation et l’ouverture mutuelles et réciproques les uns par rapport aux autres. L’isolement, le retrait, et la dépendance sont des signes d’immaturité. La Sainte Trinité - trois personnes unies dans la lumière et l’amour - est le signe de l’appel à être parfaitement soi-même et à travers la relation, l’ouverture, et la réciprocité.
Bien que nous appartenions tous à une humanité commune, nous pouvons nous trouver profondément divisés par ces catégories mêmes qui nous confèrent notre identité : sexe, langue, culture, religion, santé, etc. Si vite nous avons peur les uns des autres, particulièrement de ceux qui sont étrangers et différents ou qui semblent nous mettre en danger d’une manière ou d’une autre. Nous vivons dans une société compétitive, dans un monde compétitif. Nous avons tous peur de devenir des perdants ! Il nous faut exceller, nous sentir estimés, être considérés comme les meilleurs, et il faut le prouver ! Nous sommes les premiers à nous défendre et à nous justifier ; souvent nous portons des jugements et nous condamnons ceux qui sont différents. Nous avons vite peur des autres. Ainsi, nous nous enfermons en nous-mêmes et au sein de notre groupe. Nous nous cachons derrière des murs de peur et de préjugés. A cause de notre insécurité nous avons besoin de sentir que notre groupe est le meilleur, le seul tenant de la vérité. L’enfermement est donc un signe d’immaturité et d’insécurité.
Une identité forte peut dès lors se constituer lorsque des gens s’enferment sur eux-mêmes et dans leurs propres idées et valeurs. Ils créent une forteresse à partir de laquelle ils jugent et condamnent les autres, leur imposant leurs croyances et leur vision des choses. Leurs certitudes les empêchent de chercher et d’approfondir leur foi et leur vision du monde. Le monde est divisé alors entre « les bons » et « les mauvais », les « sauvés » et les « damnés ». Les habitants de la forteresse détiennent toute la vérité tandis que les autres sont plus ou moins ignorants ou mauvais. Mais ceci ne constitue pas ce que l’on peut appeler une identité humaine véritable. Il y a quelque chose de faux en tout cela.
L’ouverture, d’un autre côté, n’implique ni un accueil total des idées, des valeurs ou non-valeurs des autres sans avoir les siennes propres, ni une indifférence à leur égard. Une véritable ouverture trouve sa source dans l’amour et dans un profond respect pour la vie et le secret d’autrui. Seul un chercheur de vérité et une personne assoiffée de faire connaître l’amour de Dieu est à même de voir la vérité et la lumière dans les autres, malgré toutes les différences qui pourraient les séparer. L’ouverture aux autres sans la conscience de sa propre identité et de ses valeurs, sans la conscience de ce que l’on désire profondément, entraîne une dissolution de sa propre personnalité et est également un signe d’immaturité. L’ouverture implique une identité réelle.
Étant donné que nous sommes tous membres d’une humanité brisée et insécurisée, nous avons tendance à nous refermer au sein de nos propres groupes, créant des frontières bien nettes et des lois derrière lesquelles nous pouvons nous considérer comme les meilleurs, les élus. Dans ses épîtres aux Ephésiens, Paul affirme que « Jésus est notre paix : De ce qui était divisé il a fait une unité. Dans sa chair il a détruit le mur de la séparation et de la haine » (Ep 2,14). Nous avons besoin de l’Esprit de Jésus pour être libérés de nos peurs et de nos insécurités, pour mettre à bas les murs de préjugés qui nous séparent, et pour ouvrir nos cœurs à un amour universel, à l’accueil de nos différences et la reconnaissance de notre humanité commune dans laquelle nous pouvons constituer un corps.
De l’enfermement à l’ouverture
Chacun d’entre nous a commencé sa vie dans le ventre de sa mère, dans une faiblesse et une fragilité inimaginables ; nous avions besoin d’être protégés et bien enfermés. Pendant les nombreux mois et années qui suivent la naissance, un petit enfant doit apprendre à se laver et à se nourrir. Il lui faut des parents aimants en qui il puisse avoir confiance et à qui il puisse obéir. Si différentes personnes lui disent de faire les choses de différentes manières, if sera perdu et désorienté. Si par contre il est enraciné dans sa famille, il découvrira sa langue, sa culture, ses valeurs, sa foi, et finalement ce qu’il est lui-même. Il a besoin d’éducation et de discipline de la part de ses parents et de ceux qui sont en lien avec ses parents. A l’heure de l’adolescence et de l’entrée dans l’âge adulte, il se peut qu’il traverse une crise de la foi et de la culture, et qu’il mette en doute la foi et les valeurs qui lui ont été données par ses parents. Cela se produira fréquemment lorsqu’il cherchera sa propre autonomie, loin des parents, confronté aussi aux différences qu’il trouve dans l’école, la société et à travers les médias. Progressivement il approfondira et s’appropriera sa propre foi et ses propres valeurs.
J’aimerais toutefois souligner que l’identité n’est pas acquise une fois pour toutes et qu’il ne faut pas attendre qu’elle soit acquise pour commencer à s’ouvrir aux autres. Loin d’être opposées l’une à l’autre, l’identité et l’ouverture sont complémentaires ; elles ont besoin l’une de l’autre. L’ouverture fait partie de l’identité ; elle est une pierre de touche fondamentale de la personne comprise dans la lumière de la foi en un Dieu trinitaire ; la personne ne se réalise pleinement qu’au sein de la relation. Cela suppose la forte conviction que chaque personne humaine est sacrée et mérite respect et amour. Cette ouverture est transmise à l’enfant par les parents, par la paroisse, et par l’école. Elle est contenue dans la grâce du baptême qui nous unit au cœur de la Trinité qui aime chaque personne humaine. En même temps, cette ouverture peut être galvaudée par les médias, par des attitudes élitistes, racistes ou sexistes qui se trouvent dans toutes les cultures, et par le fait même dans toutes nos églises qui demeurent sous bien des aspects très humaines. Des parents plein de préjugés, insécurisés et effrayés par les autres, communiqueront cette peur à leurs enfants, et ainsi le repli sur soi, tout comme l’ouverture, est transmis de génération en génération.
L’importance de la famille et de la communauté
Dans nos riches sociétés d’aujourd’hui il y a le danger d’oublier qu’entre la personne et la société il existe un intermédiaire : la famille ou la communauté. Si cet intermédiaire est ignoré, on risque de favoriser un individualisme agressif. Chaque personne doit alors réussir seule et grimper l’échelle de la promotion. Un tel individualisme nous apprend que pour gagner cette compétition de la vie, on a besoin de compétences et d’une solide formation. Bien sûr chaque être humain se doit d’essayer d’être compétent dans un domaine particulier et pour cela chacun a besoin d’une formation, néanmoins un individualisme radical incite les gens à devenir agressifs et imbus de leur propre importance en vue de se prouver et de gagner. S’ils n’y arrivent pas, ils peuvent alors sombrer dans la dépression, l’anarchie ou même la violence contre l’autorité et les institutions. Leur individualisme se manifeste alors dans leurs propres blessures et colères.
Le lieu intermédiaire qu’est la famille ou la communauté est une école du cœur et de la croissance dans l’amour où nous découvrons la beauté et le caractère sacré des autres et où nous apprenons à les accepter tels qu’ils sont. Cette école nous enseigne l’amour et le pardon et nous aide à passer de l’égoïsme à la compréhension, à découvrir que nous ne sommes pas des îlots solitaires taillés pour la compétition, le conflit et la guerre, mais que l’amour et l’ouverture sont possibles. Non seulement nous pouvons coopérer ensemble, mais nous pouvons aussi nous aimer les uns les autres.
Lorsque des enfants naissent au sein d’une école d’amour, leur cœur peut se dilater peu à peu dans cet esprit d’ouverture. Si, au contraire, ils naissent dans un lieu d’insécurité et de conflit, ils développent de solides mécanismes de défense pour se protéger. Ils tendent à ignorer les autres, et même à les haïr, sans doute parce qu’ils se haïssent eux-mêmes.
La grande majorité des gens ne sont nés ni dans une école d’amour parfaite ni dans un abominable lieu de conflit. Chacun de nous a besoin d’aide pour surmonter les préjugés et la peur de l’autre, pour évoluer vers une véritable ouverture et compréhension d’autrui, pour accepter la différence, accepter que chaque personne est importante, et vivre du pardon. Si Jésus appelle des gens à sa suite et à quitter leur famille, c’est parce qu’il sait que la famille, plutôt que de mener les gens vers la liberté, peut parfois les enfermer sur eux-mêmes, étouffant leur liberté et leur conscience individuelle.
Le rôle de la communauté chrétienne fondée sur l’appel de Jésus est précisément d’être une école de l’amour, où des gens s’efforcent de grandir dans la liberté de l’Esprit et non dans la liberté de la chair (cf. Gal 5), où chacun cherche à suivre Jésus sur le chemin de la compassion et de l’humilité et selon les béatitudes évangéliques, plutôt que dans le désir de contrôler et d’avoir du pouvoir (même spirituel) sur autrui. Le rôle d’une communauté chrétienne est d’aider les personnes à passer de l’insécurité et la fermeture à la confiance et à l’ouverture, et donc à la maturité humaine et chrétienne.
Il n’est pas surprenant que de nos jours, alors que notre monde est de plus en plus morcelé, alors que les familles et les groupes ethniques se brisent et que les gens se sentent insécurisés, fragiles et seuls, beaucoup voient dans la communauté un lieu d’appartenance chaleureuse et de croissance humaine et chrétienne, où ils peuvent apprendre à suivre et à aimer Jésus et vivre le message de la Bonne Nouvelle pour les pauvres et avec les pauvres. Ces communautés peuvent réellement être signe de l’Esprit dans notre monde d’aujourd’hui, particulièrement quand elles cherchent à combler le fossé grandissant entre riches et pauvres, entre ceux qu’on appelle les capables et les incapables. Il y a bien sûr le risque que certains entrent en communauté non pas pour croître dans l’amour universel, l’humilité et la confiance en Dieu, mais pour trouver un refuge, un endroit sécurisant où on ne vit plus les affres de la solitude. Ainsi certaines communautés, à l’instar de certaines familles, peuvent se refermer sur elles-mêmes, recherchant plus ou moins consciemment la sécurité et une puissance spirituelle.
Les sectes
Le besoin d’appartenance peut être également détourné en une fermeture radicale.
Des personnes seules et insécurisées, qui s’ennuient ou vivent dans des situations impossibles ou ne voient plus de sens à leur vie, peuvent être attirées et séduites par un groupe très fort, très fermé sur lui-même et qui apporte une forme de sécurité absolue. De tels groupes sont appelés des sectes. Il est important de voir la différence entre une secte et une communauté.
Au cours de ces dernières années, nous avons entendu parler de sectes violentes telles que les groupes au Texas, à Tokyo ou encore en Guyane, qui aboutirent à des suicides collectifs ; en France, nous avons eu la secte du Temple Solaire. D’autres sectes, particulièrement en Amérique Latine, peuvent porter les gens à un tel degré d’hystérie, agissant plutôt comme une drogue. Cette « drogue » délivre les gens d’un monde de misère, de conflit et de douleur, et les invite dans un monde de rêve coupé de la réalité. D’autres sectes paraissent particulièrement démoniaques, basées sur le culte de Satan.
Sectes et communautés
J’aimerais décrire ou définir une secte :
- Une secte est renfermée sur elle-même et souvent dominée par un guru tout-puissant considéré comme l’unique prophète, le sauveur, l’inspiré, dont seuls les enseignements et les écrits sont vrais et inspirés. La secte seule détient toute la vérité ; nulle autre autorité n’est tolérée. Les contacts avec d’autres formes de pensée ou de comportement sont interdits.
- La secte se présente elle-même comme sauveur du monde et des individus, avec un message « nouveau » et unique pour tous. Cela donne à ses membres un sens complet à leur existence et une forte motivation pour recruter et faire du prosélytisme. Pour entrer dans une secte, une longue période probatoire est rarement nécessaire. Les membres sont initiés progressivement aux secrets du bonheur et de la vérité.
- Pour ceux qui sont dans la secte, la société est divisée entre bons et mauvais, entre sauvés et damnés. De solides murs de peur sont édifiés, rendant difficile toute mise en cause de l’autorité du chef. Il y a également une coupure radicale avec la famille des membres, tous leurs anciens amis et toute personne de bon sens, comme il y a une coupure avec la société et les instances qui la composent.
- Les membres sont obligés de sacrifier leur conscience propre, leur liberté et leur capacité critique, au bénéfice du pouvoir, des certitudes fondamentalistes, de la sécurité et des objectifs du groupe. Leur intelligence est manipulée. Ils récitent des slogans et y obéissent plutôt que de chercher à découvrir et d’approfondir la vérité et leur foi et à comprendre la réalité.
- Des gens angoissés, fragiles et isolés sont attirés et séduits par ce genre de groupe. Le fait d’être ensemble, la sécurité et les objectifs clairs du groupe sont porteurs d’un sentiment fort et soulage l’angoisse et le sentiment de solitude, dus au peu d’estime de soi et à l’absence de sens ou de direction dans sa vie. Cela rend presque impossible de quitter le groupe, en prenant ainsi le risque de se retrouver à l’extérieur dans une angoisse et un sentiment de solitude encore plus grands, avec un sentiment terrible de vide, de damnation, de mort intérieure.
Une secte est donc une réalité dangereuse. Elle est manipulatrice. Elle utilise des formes de lavage des cerveaux. Elle enferme les membres sur eux-mêmes.
Certains éléments cités ci-dessus peuvent également s’appliquer à toute communauté chrétienne, particulièrement durant les premières années de sa fondation. Néanmoins, à mesure que la communauté croît, s’approfondit et est reconnue par une Église chrétienne, trois différences bien significatives entre une secte et une communauté apparaissent clairement.
a) La communauté est là pour chaque personne, pour faciliter sa croissance vers la liberté dans l’Esprit et un approfondissement de sa conscience personnelle. Chaque communauté encourage la formation spirituelle, théologique et humaine, en utilisant les ressources dont on dispose dans l’Église et dans la société, de manière à aider chaque membre à être bien enraciné dans la Parole de Dieu, dans la vie de l’Esprit et dans sa propre humanité.
La mission de la communauté dépasse peut-être chaque personne prise individuellement, mais l’intégrité et la vocation de chacun sont néanmoins reconnues comme étant plus importantes que la croissance quantitative et la survie institutionnelle de la communauté et du mouvement. Empêcher la formation personnelle et des rencontres avec des personnes sages hors de la communauté pour maintenir solide le groupe implique un sectarisme qui peut être dangereux pour la croissance des personnes.
Il y a aussi une longue période probatoire d’évaluation mutuelle avant que les membres ne soient invités librement à prendre la décision de s’engager à long terme dans le groupe, et ceux qui découvrent ultérieurement que leur place n’est plus au sein du groupe sont aidés à le quitter de manière paisible.
b) Une communauté chrétienne n’est pas refermée sur elle-même. Elle fait partie intégrante de l’Église plus vaste qui reconnaît et accepte les objectifs d’une communauté ainsi que la façon dont elle est gérée et qui peut faire office d’arbitres en cas de conflit. Une autorité extérieure garantit ainsi que les gens sont libres et peuvent grandir vers davantage de liberté. Les membres d’une communauté peuvent au départ être refermés sur eux mêmes, mais ils sont encouragés, dans leur chemin de croissance vers plus de maturité, à se mettre en contact avec d’autres chrétiens, d’autres mouvements, d’autres accompagnateurs spirituels au sein de l’Église.
c) Si lors des premiers pas d’une communauté l’autorité est exercée avec une certaine rigidité, avec le temps et avec la maturité croissante de ses membres, l’exercice de l’autorité devient de plus en plus discernement et dialogue. Elle est exercée afin d’aider chaque personne à croître dans la foi et dans la maturité humaine et à assumer plus de responsabilité dans sa propre vie et dans la vie et l’évolution de la communauté.
Communautés et mouvements renfermés sur eux-mêmes
Certaines nouvelles communautés ou mouvements peuvent paraître fermés sur eux-mêmes, spécialement lors de leurs débuts. Cela peut être une étape nécessaire, une période de désert pour la formation et la purification afin de permettre aux premiers membres de développer une identité et d’approfondir leur charisme et leur mission particulière. Heureusement, à mesure que le temps passe, de telles communautés s’ouvrent.
Certains groupements chrétiens néanmoins ne prétendent pas être des écoles d’amour. Des chrétiens peuvent par exemple s’associer et constituer des groupes de pression pour exercer une influence sur l’autorité. Les objectifs de tels groupes peuvent varier considérablement : certains luttent pour la paix ou contre la torture, contre les armements nucléaires etc. Se servant de moyens très humains ou politiques, ils jouent un rôle dans nos sociétés visant au changement ou œuvrent pour plus de justice.
Certains sont plus impliqués dans les églises, soit parce qu’ils trouvent leur Église trop tiède dans sa foi ou ses idéaux moraux (en termes catholiques, on peut exprimer cela comme n’étant pas suffisamment obéissants à Rome), ou parce qu’ils veulent changer l’enseignement de l’Église dans certains domaines de la morale, de la discipline ou même de la foi.
Certains groupes peuvent s’avérer très agressifs à l’égard de l’autorité de l’Église, qu’elle soit locale ou papale. Ils peuvent parfois paraître fermés sur eux-mêmes, convaincus qu’eux seuls détiennent toute la vérité. Ils tendent alors à dénoncer ceux qui leur paraissent trop tièdes ou trop rigides, à Rome d’un côté ou dans les médias de l’autre côté, afin d’exercer des pressions et restituer les choses à leur « juste place ». Ils tendent à refuser tout changement ou, au contraire, ils refusent le passé et la tradition et toute autorité qui n’est pas la leur, ne voulant faire que de la nouveauté selon des moyens démocratiques.
Ne sommes-nous pas tous, d’une certaine manière, fermés, coincés derrière notre orgueil et nos préjugés familiaux, culturels, religieux et nationaux, dans notre besoin de prouver que nous sommes meilleurs que les autres, que nous connaissons tout, y compris les pensées et les chemins de Dieu ? Jésus qui fut - et qui est - un excellent psychologue, dit :
Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ?... Ôte d’abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l’œil de ton frère (Mt 7,3-6).
Nous jugeons et condamnons si facilement ce qui est nouveau et qui dérange et qui parfois révèle nos propres insuffisances. Nous sommes aveugles devant la vérité de nos propres faiblesses et brisures. N’est-ce pas Jésus et le Saint-Esprit qui détruisent les murs de préjugés, nous invitent à l’amour universel et nous aident à accueillir nos pauvretés ?
N’utilisons donc pas le mot « secte » pour un groupe chrétien reconnu par l’Église. Cette appellation sous-entend quelque chose de manipulateur, mauvais ou destructeur de la personne, plutôt que simplement un groupe de chrétiens renfermés sur eux-mêmes ou encore où l’autorité est exercée de manière rigide. Des groupes tels que Jesus People à Chicago ne sont pas des sectes telles que je les ai définies. Bien qu’elles ne sont pas à l’heure actuelle reconnues par une église, elles ne sont pas un danger pour les individus mais aident certains hommes et femmes à trouver une plus grande humanité, la paix intérieure et la liberté. Certains catholiques parlent de certains groupes protestants comme s’ils étaient des sectes. Les communautés Mennonites, Quakers, Baptistes, Hutterites, Pentecôtistes, etc. sont, au vu de ma propre expérience, généralement ouvertes et aimantes, signes du visage compatissant de Jésus. Certains regroupements de ces églises protestantes peuvent être renfermés sur eux-mêmes et très critiques à l’égard de l’Église Catholique. Mais il y a aussi certains groupes catholiques fermés sur eux-mêmes, critiques à l’égard d’autres.
Nouveaux mouvements et communautés dans l’Église
De nouvelles communautés, familles spirituelles et mouvements, ont jailli tout au long de l’histoire de l’église. Certains ont grandi et sont encore parmi nous à l’heure actuelle ; d’autres ont disparus. Chacun a été une réponse à des besoins du temps. Tout d’abord, sont venus les ermites, ensuite les ordres monastiques, et plus tard les franciscains, les dominicains, les jésuites, ainsi que les nombreuses congrégations pour l’enseignement, la mission et le service. Certains furent fondés pour des besoins nouveaux, d’autres pour redécouvrir des valeurs de foi et de pauvreté qui avaient sombré dans l’oubli au sein d’une église devenue trop puissante, riche, tiède ou intolérante ; d’autres encore furent fondés afin de vivre d’une spiritualité nouvelle, d’un nouveau don de l’Esprit. Chacun avait une mission (évangéliser, enseigner, prier, etc.), afin d’être signe du Royaume pour notre monde, de guider les gens vers une union plus profonde avec Jésus, et de renouveler l’Église. Ces familles spirituelles ont aidé les gens à grandir vers plus de compassion, de liberté et d’ouverture, à vivre le plus possible les béatitudes évangéliques : en bref, être un avec Jésus, aimer comme Lui aime, voir la réalité, les gens, l’univers, à travers les yeux et le cœur de Dieu, et pas seulement à travers les lunettes de leur propres besoins, peurs et insécurité. Toutes ces familles spirituelles, chacune avec leur charisme propre, apparurent comme un renouvellement pour l’Église. Elles répandaient le message de la Bonne Nouvelle et donnaient vie et espérance à des multitudes, spécialement aux pauvres. Certaines s’exprimaient à travers des formes visibles bien structurées, dans la vie communautaire ou dans des mouvements assez influents.
D’autres étaient uniquement spirituels, inspirés par des personnes comme Thérèse de Lisieux, Charles de Foucauld, Oscar Romero, Dorothy Day, etc. D’autres trouvaient leur inspiration dans des apparitions du Sacré-Cœur et de la Mère de Dieu et se présentaient sous des aspects plus personnalisés, apportant une vie spirituelle plus profonde à des gens ordinaires. Notons que s’il y a beaucoup de nouvelles familles et de fondations spirituelles dans l’histoire de l’Église, il n’a pas un nombre infini de spiritualités. C’est pour cette raison que des familles spirituelles différentes peuvent vivre d’une même tradition spirituelle ancienne. N’est-ce pas important que de nouvelles communauté et nouveaux mouvements puisent dans ces spiritualités anciennes ?
La naissance et l’évolution des communautés dans l’Église
Dans l’Église les nouvelles familles commencent presque toujours par être petites, pauvres, radicales et enthousiastes ; elles sont fréquemment accompagnées de signes étonnants de la Providence et de la grâce et comptent de belles histoires de conversion. Sous la direction d’une figure prophétique, ses membres se sentent choisis par Dieu pour une mission spécifique, peut-être même pour réformer ou renouveler l’Église.
Elles sont ensuite reconnues, approuvées, même admirées ; beaucoup de jeunes viennent se joindre à elles. Elles acquièrent richesses et propriétés, un pouvoir spirituel et beaucoup d’influence. Cela peut être un moment difficile pour certaines communautés, ainsi que le montre l’histoire de l’Église. Peu à peu elles s’attachent au pouvoir et à l’influence, elles se croient l’élite, peut-être la « vraie » Église. Au cours des années toutefois, une certaine médiocrité peut s’installer. Il peut y avoir un désir de contrôler les gens, de créer des structures lourdes qui en réalité peuvent empêcher la vie de l’Esprit et toute nouvelle initiative. La loi et le pouvoir peuvent détruire la liberté du cœur et de l’esprit. La question, pour toutes les communautés, jeunes ou anciennes, est de savoir comment, au fil des années, elles peuvent rester vivantes et proches du message de l’évangile et de l’esprit des Béatitudes ? De quelle nourriture ont-elles besoin pour permettre à tous ses membres de rester aimants et prêts à porter la croix de la souffrance, à rester proches de ceux qui souffrent ? Comment aider les communautés à rester ouvertes à la différence et à aider leurs membres à grandir vers une plus grande liberté intérieure ? Comment encourager et non étouffer les initiatives ?
Il y a toujours le danger que des responsables de communautés et de mouvements, se croyant guidés par le Saint Esprit, empêchent une saine évolution, comme si les fondateurs avaient été inspirés une fois pour toutes et étaient infaillibles dans tous les petits détails de la fondation et pour toutes les générations à venir ! Les structures installées pendant les années de fondation, éventuellement en réaction à des réalités culturelles et ecclésiales bien spécifiques du moment, peuvent devenir obsolètes au fil du temps. Ce qui convenait à l’Europe du XVIe siècle peut ne pas convenir à l’Asie du XXe siècle !
De toute évidence, chaque nouvelle fondation révèle un nouvel appel de Dieu, une nouvelles façon d’incarner et d’annoncer la bonne nouvelle de Jésus. Mais il existe en chacun un mélange de lumière et de ténèbres ; aucun mouvement n’est totalement pur, totalement saint et inspiré dans tous les aspects de la vie humaine et spirituelle. L’idéal et la vision peuvent être saints et inspirés, mais les réalités concrètes et l’organisation sont sujettes aux circonstances et aux gens tels qu’ils sont avec leur culture, leur éducation, leur peurs et leurs blocages intérieurs, leurs fragilités. Si cela est vrai pour le fondateur, ce l’est plus encore pour les premiers disciples. Souvent ils tendent à être moins ouverts que le fondateur et à interpréter de façon rigide sa spiritualité, sa vision et sa façon de vivre.
À la mort du fondateur, les membres peuvent se diviser entre ceux qui veulent suivre toutes ses paroles et enseignements comme s’ils étaient l’évangile même, et ceux qui prieront pour essayer de comprendre ce que le fondateur aurait fait et dit dans les circonstances nouvelles. Il y a toujours des éléments d’orgueil, de peur, d’insécurité et d’erreur dans chaque nouveau mouvement. Il y a toujours une tension entre, d’un côté l’effort pour le maintien de l’unité et la pureté du groupe, sa spiritualité à travers une autorité stricte, et de l’autre côté le besoin de laisser davantage de créativité, de diversité et d’ouverture, afin d’aider le mouvement dans son ensemble à évoluer selon l’Esprit Saint et la pensée de l’Église. Chaque mouvement passe à travers des crises, des phases de purification, et même des divisions afin d’être plus conformes aux désirs de Jésus.
Pour ce qui est des communautés catholiques, la reconnaissance et l’approbation par l’Église signifient que leur constitution sauvegarde la liberté de leurs membres, et que leurs objectifs et leur mode de gouvernement sont en accord avec le message de l’évangile, que la communauté manifeste des signes tangibles de l’Esprit. L’approbation de l’Église ne signifie pas que tout soit parfait. Nous devons garder en mémoire que chaque nouvelle communauté porte en elle une réaction humaine au présent ou au passé tout proche qui est en quelque sorte une manière de faire contrepoids. Souvent alors on exagère, et une série sans fin de corrections est nécessaires afin de retrouver l’équilibre, autrement ça casse. Un mouvement issu d’un besoin de corriger une « erreur » bien précise répandue dans l’Église, disparaîtra lorsque cette erreur aura été corrigée.
À mesure que passent les années et que la communauté est implantée dans des cultures diverses, il est impératif qu’une distinction bien nette soit faite entre d’une part la spiritualité et la vision fondamentales du fondateur, qui sont universelles et touchent toutes les générations, car elles sont enracinées dans le message de l’évangile, et d’autre part les structures, les règles, la façon d’exercer l’autorité et de former et d’accompagner les nouveaux membres. Ces dernières sont appelées à évoluer selon les circonstances. L’histoire de l’Église ainsi que les erreurs et l’évolution de nombreux ordres religieux sont là pour nous montrer que de nouveaux mouvements ou de nouvelles communautés sont appelées à être refondés et à évoluer toujours de manière saine.
Il peut être utile de mentionner les signes qui révèlent qu’une communauté ou un mouvement évolue selon la mouvance de l’Esprit. Un arbre est jugé par ses fruits. Bons fruits, bons arbres. Les fruits sont un signe de l’Esprit.
1) Le premier signe apparaît dans le fait que la communauté ou le mouvement, alors qu’il croît en maturité et approfondit son propre charisme et sa mission, découvre la beauté et les dons des autres dans l’église locale. Eux aussi ont des dons nécessaires pour le Corps du Christ ; il est important de travailler ensemble à la construction de ce Corps. Personne n’est meilleur qu’un autre. Le nouveau mouvement ou la communauté découvre alors l’importance d’être en communion avec l’évêque local (ou l’autorité religieuse de l’église) et d’adapter ses attitudes et son langage aux besoins des gens de la région ; il a un souci d’inculturation lorsque le mouvement naît dans une autre culture.
Chaque mouvement est appelé à reconnaître la primauté de l’ensemble du Corps du Christ vis-à-vis de son propre mouvement. La communauté ou le mouvement est peut-être plus grand que la personne individuelle, mais chaque personne est plus importante que des chiffres ou des objectifs. Un mouvement peut disparaître, comme il est arrivé à de nombreuses reprises dans l’histoire de l’Église, et cela est relativement de peu d’importance. Ce qui importe, c’est que la Bonne Nouvelle continue à être annoncée aux pauvres, de génération en génération, selon les voies du Seigneur, à travers peut-être de nouvelles familles spirituelles, et que Jésus soit connu, aimé et suivi. Jésus est avec son peuple, son Corps, jusqu’à la fin des temps. Il n’est pas nécessairement avec un groupe en particulier jusqu’à la fin des temps ! L’insertion au sein de l’église locale peut prendre du temps à cause d’une certaine fermeture et de la peur de la nouveauté. Certains mouvements nouveaux, en raison de leur enthousiasme, de leur pauvreté et de leur foi radicale, semblent déranger d’autres personnes ou groupes ; ils révèlent une crainte du changement. Cela se produisit dans l’église catholique après le concile Vatican II.
Les gens sont souvent bien ancrés dans leurs habitudes et leurs idées, ils n’aiment pas le changement. C’est pourquoi les interventions du Pape et de l’Église universelle peuvent être importantes vis-à-vis de mouvements nouveaux qui, à leur origine, furent acceptés dans un diocèse particulier et ont été ensuite transplantés ailleurs. Le Pape peut avoir une vision plus large que l’église locale, mais après la reconnaissance nécessaire par l’Église, il est important que ces nouvelles communautés soient bien insérées dans l’église locale, reconnaissent l’autorité de l’évêque, et coopèrent avec d’autres mouvements.
2) Une communauté qui évolue sous la mouvance de l’Esprit prend conscience peu à peu de ses propres limites et faiblesses : elle réalise qu’elle a fait des erreurs dans certaines fondations et vis-à-vis de certains membres de la communauté et qu’il y a eu certains abus d’autorité. Elle cherche alors une aide extérieure pour évaluer certains aspects de la vie communautaire, et pour résoudre les conflits latents ; la communauté aura besoin de cette aide pour prendre conscience de son côté ténébreux, pour voir comment l’autorité s’exerce et si les structures font vivre ou au contraire étouffent les gens. Elle doit avoir le courage de se remettre en question, avoir l’honnêteté de reconnaître ses propres défauts et avoir l’énergie de changer. Elle aura probablement à se débarrasser de certains aspects, nécessaires à ses débuts, mais qui sont devenus caducs, ou même mortifères.
Le point le plus complexe et le plus délicat est de savoir qui peut nommer cette aide extérieure et quelle sera son autorité ? Il y a un double danger : soit la communauté refuse toute aide extérieure et se ferme sur elle-même, soit l’aide extérieure prend trop d’autorité et empêche le mouvement de se développer selon son charisme.
Cette aide extérieure n’est pas là pour juger ou condamner, mais pour accompagner. Elle est là surtout pour conseiller le fondateur et les responsables communautaires. Elle n’est pas là simplement pour écouter ceux qui sont mécontents, ni pour changer l’autorité. Elle est là pour soutenir les responsables, les aider à évoluer. Il vaudrait mieux qu’il y ait plusieurs personnes venant de l’extérieur et non pas une seule, choisies par les responsables de la communauté, en harmonie avec l’autorité religieuse. Ces personnes seront choisies à cause de leur expérience de la vie communautaire, de leur sagesse, de leur sens de l’Église, et de leur vision anthropologique.
3) Lorsqu’un mouvement grandit, il est appelé non seulement à approfondir son charisme et sa propre identité, mais à croître dans l’ouverture, tout comme l’Église elle-même croît en ouverture. Jean-Paul II, inspiré par l’esprit de Vatican II, est préoccupé par l’ouverture, mais également par ce qui touche à l’identité et aux frontières de la foi. Le nouveau catéchisme de l’Église catholique en décrit l’identité et les frontières.
Comme signes d’ouverture il y a eu la rencontre d’Assise en 1986 où le Pape et les chefs religieux du monde entier se sont rencontrés en signe de paix et de respect mutuel, la visite du Pape à la synagogue de Rome, ses séjours au Maroc et en Tunisie, la façon dont il œuvre pour l’unité des Églises chrétiennes et pour la coopération interreligieuse. Il n’est pas toujours aisé pour des mouvements, spécialement ceux fondés dans le but de maintenir la rectitude de la foi, de rester fidèles à une église qui évolue ; ni pour les personnes appelées au risque et à l’ouverture de demeurer claires quant à leur identité catholique. Si un mouvement cherche continuellement à harmoniser ces deux aspects, cela est le signe de sa croissance dans l’Esprit Saint.
4) Un des signes qu’une communauté nouvelle est en train d’évoluer selon les voies de l’Esprit, est la façon dont les hommes et les femmes coopèrent ensemble. Toute forme de rejet de l’homme ou de la femme, tout mépris de l’autre sexe, est un signe sectaire. Cette coopération n’est-elle pas particulièrement importante à notre époque où il y a tant d’hommes et de femmes immatures sur le plan affectif et sexuel ?
5) Si un nouveau mouvement annonce la Bonne Nouvelle aux pauvres et leur permet d’évangéliser le mouvement lui-même, cela aussi est un signe de l’Esprit. Manger à la même table que le pauvre (cf. Luc 14), lui être uni par des liens d’amitié, est toujours exigeant et dérangeant. La présence du pauvre et du faible garde un mouvement dans l’humilité et l’empêche de se refermer sur soi. Le pauvre l’oblige à évoluer et à s’approfondir. Lorsque Jésus envoie ses disciples annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, il leur dit d’aller pauvrement - pas d’argent, pas de vêtement de rechange, rien - et de faire des choses humainement impossibles. Est-il possible d’annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres et aux opprimés si on parle à partir d’une situation de puissance, de confort et de sécurité ?
6) La façon dont l’autorité est exercée devra nécessairement évoluer à mesure que croît et se développe le mouvement, que ses membres grandissent en maturité. Chacun est appelé à devenir plus responsable de sa vie et de sa croissance dans les voies de l’Esprit. Une autorité qui continue à être exercée de manière rigide, sans dialogue ni discernement, sans donner la possibilité aux membres de rencontrer d’autres personnes extérieures à la communauté, est mauvais signe.
7) Un autre signe important est la qualité d’amour pour les membres les plus faibles du groupe, pour ceux qui traversent un moment de difficulté particulière au plan physique, psychologique ou spirituel, et qui peuvent être torturés par le doute - ce sont les pauvres du mouvement ou de la communauté. Ceux qui se sentent appelés à quitter le groupe ont besoin de beaucoup de compréhension et d’aide afin de partir en paix, libre de tout sentiment de culpabilité. Tous les groupes tendent à conserver leurs membres. Souvent ils ne les laissent pas s’en aller facilement ; au-delà de certaines limites, cette attitude peut devenir destructrice et effectivement sectaire. C’est comme si quitter le groupe était synonyme de quitter l’Église ou de quitter Dieu. On ne peut être selon les voies de l’Esprit Saint si un frère ou une sœur qui quitte le groupe devient soudain un étranger ou même pire, un infidèle ou un ennemi. Lorsque des membres sont appelés à quitter le groupe, ils doivent trouver un soutien, et si possible, rester en contact avec lui. Une communauté chrétienne est appelée à être signe de la miséricorde de Dieu.
8) Bien que nous ne devons pas utiliser le mot « secte » à propos d’un groupe chrétien reconnu par l’Église, un mouvement refermé sur lui-même, qui n’a que ses propres prêtres ou psychologues au sein de sa propre communauté, peut devenir sectaire si ces prêtres et psychologues sont liés par une loyauté totale à ce mouvement et s’il n’y a pas d’autre autorité extérieure disponible. Tout y est décidé par les responsables dont la parole tend à être interprétée comme étant celle de Dieu. Il y a un risque réel pour un tel groupe, devenu trop puissant, d’être incapable de voir son côté ténébreux, d’accepter toute forme de critique et d’évoluer positivement. Dans de telles situations, certains membres sont écrasés ; et on peut justifier ces déviations en y voyant l’Esprit Saint d’un côté et le Malin ou les gens « difficiles » de l’autre. Dans de tels mouvements, le bon sens peut devenir une denrée rare, les évaluations psychologiques et humaines sont rejetées et seules sont conservées les paroles du fondateur. La dimension soi-disant « spirituelle » écrase alors l’humain plutôt que de l’élever. Un mouvement qui évolue sous la mouvance de l’Esprit doit permettre à ses membres un contact aisé avec des hommes ou des femmes ayant une sagesse théologique, spirituelle et psychologique et des connaissances humaines, qui ne font pas partie du mouvement, mais qui apprécient sa vision et ses objectifs et peuvent avoir un peu de recul par rapport à lui en étant attentifs aux besoins réels des individus au sein du groupe. Une spiritualité coupée de l’humain et d’une bonne anthropologie ne trouve aucun fondement dans la Bonne Nouvelle de Jésus.
Il faut donc une bonne dose de discernement, ce qui demande du temps, afin d’évaluer si oui ou non un mouvement se développe vers plus d’ouverture et de collaboration, vers une plus grande humilité, et vers l’annonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres. Certains mouvements ont besoin d’être un peu secoués s’ils se cantonnent dans des attitudes trop sectaires ou s’ils sont trop renfermés sur eux-mêmes. Le danger est toujours que des mouvements glissent vers le succès, le pouvoir, la richesse et la sécurité, plutôt que vers la fidélité à l’Esprit et à une vie de foi et de confiance dans l’esprit du Sermon sur la Montagne. Les chiffres en tant que tels ne sont pas toujours le signe qu’un mouvement est de Dieu : des sectes sécurisantes ont aussi beaucoup d’adeptes !
Les groupes de pression chrétiens qui rejettent l’autorité n’acceptent habituellement ni évaluation ni discernement. Le dialogue avec eux doit néanmoins être maintenu, pas seulement parce que les membres sont des êtres humains et des chrétiens à part entière, mais parce que leurs critiques de l’Église contiennent fréquemment des vérités importantes qui ont été négligées et que les responsables de l’Église ne veulent peut-être pas entendre. Les personnes appartenant à ces groupes ont besoin de sentir qu’elles sont aimées et écoutées avec intelligence et compréhension plutôt que condamnées trop vite, par peur, et pour défendre des positions traditionnelles et habituelles. Ces attitudes défensives ne font qu’aggraver les choses ; elles durcissent les positions et augmentent le fossé qui sépare les personnes et les positions plutôt que de les rendre plus proches les unes des autres. Il est dommage de condamner des personnes et puis quelques années plus tard de les admirer pour leur prophétisme !
Nous devons nous rappeler que tous les mouvements ont à découvrir aussi qu’ils ne sont pas seulement appelés à vivre le succès de la vie publique de Jésus, lorsque beaucoup le suivirent, mais aussi à vivre sa faiblesse, sa petitesse, sa vulnérabilité et même parfois le rejet et la mort. Ces souffrances peuvent être source de purification et d’une vie nouvelle pour toute l’Église.
Je suis particulièrement ému lorsque je visite certains monastères ou couvents qui semblent en voie de disparition et où la moyenne d’âge est élevée. Dans leur insécurité et apparente stérilité, les frères et sœurs plus âgés, offrant leur vie pour l’Église et pour le monde sont des sources cachées de fécondité. Il y a là une véritable sainteté. La mort en 1996 des sept moines trappistes en Algérie suivie de celle de Monseigneur Claverie d’Oran est source de fécondité pour toute l’Église. Ces hommes ne désiraient qu’une chose : révéler le visage du Dieu-Amour qui aime chaque personne. Le don de leur vie fut et est un signe d’amour pour toute l’Église et pour le monde entier.
L’un des plus grands signes qu’un mouvement évolue sous la mouvance de l’Esprit est l’humilité, l’amour pour toute l’Église, pour tous les chrétiens et pour toute l’humanité.
Bien sûr, l’Église n’est pas toujours telle que nous l’aimerions. Elle est avant tout mystère, mais elle est incarnée dans une humanité brisée. Paul VI écrivait dans Ecclesiam Suam :
Nous devons aimer et servir l’Église telle qu’elle est, cherchant avec sagesse à comprendre son histoire et à découvrir avec humilité la Volonté du Seigneur qui la guide et qui l’assiste, même lorsque Dieu permet aux faiblesses humaines de faire éclipse à la splendeur de son vrai visage.
Le renouveau de l’Église jaillit principalement de communautés en communion avec leurs évêques et leurs autorités ecclésiastiques, des communautés qui sont des signes positifs de l’amour et de la résurrection de Jésus, plutôt que des signes de critiques agressives. Ce renouveau ne provient pas toujours de mouvements puissants et imposants mais bien de petites semences qui croissent jusqu’à ce qu’elles fructifient. Il se réalise quand on se laisse transformer par l’amour de Jésus dans et à travers l’Esprit Saint. L’Esprit nous conduit à la sagesse, à la pauvreté et au pauvre, et au don de nos vies. Cela implique une bonne théologie et une bonne sagesse humaine. Cela, bien sûr, ne supprime pas la nécessité de critiques ou de désaccords constructifs et respectueux par rapport à l’autorité.
Nous tous, comme tout mouvement ou toute communauté, jeunes ou vieux, nous avons besoin d’un accompagnement plein de sagesse, pas seulement à l’intérieur de la communauté, mais aussi à l’extérieur, afin d’évoluer paisiblement selon les voies de l’Esprit et les besoins des temps, et de demeurer ouverts au cri du pauvre. Nous avons tous besoin de discerner comment grandir, pas seulement horizontalement avec de nouvelles fondations et avec plus de membres, mais en profondeur, en sagesse humaine et divine, dans la prière, en maturité et en ouverture et amour, à l’image du cœur de Dieu ouvert et aimant. Nous avons tous besoin de croire, de travailler avec les autres, en communion avec eux, de manière à ce qu’ensemble nous puissions être un signe du Corps du Christ et du visage aimant et miséricordieux de Jésus.
L’Arche
F-60350 TROSLY-BREUIL, France