Théologie de la vie religieuse et spiritualité lasallienne
Olivier Perru, f.s.c.
N°1997-4 • Juillet 1997
| P. 219-234 |
Incontestablement, l’École Française a trouvé en saint Jean-Baptiste de la Salle une voix singulière et celle-ci, largement entendue en son siècle, a suscité une spiritualité de la vie religieuse très inspirante. L’article que nous publions en présente une des facettes, où brille avec plus d’éclat la figure du Christ et, en conséquence, en indique la fécondité apostolique pour celui qui en cherche l’« Imitation ». Certes, la spiritualité de Jean-Baptiste de la Salle est trinitaire et plus de place aurait permis à l’auteur de développer toute son architecture (ce qu’il a fait dans un texte plus déployé). En cette première année préparatoire au Jubilé de l’an 2000, notre regard se tournera vers le Christ.
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Introduction
Le fait qu’il existe diverses spiritualités dans l’Église est à rattacher à la diversité même des béatitudes. Dans l’Évangile (Mt 5), le Christ montre que la vie chrétienne procède d’une autre réalité qu’une vie purement humaine, mais il annonce aussi plusieurs manières de vivre dès cette terre, dans l’esprit des béatitudes. Les Pères de l’Église (notamment saint Augustin, dans le Commentaire du Sermon sur la Montagne) ont vu un lien entre les béatitudes et les différents dons de l’Esprit : en effet, seul l’Esprit Saint peut nous faire vivre du bonheur de Dieu par la diversité de ses dons. Les diverses spiritualités [1] et les différentes vocations dans l’Église impliquent dans l’exercice de la vie chrétienne la présence et la motion de l’Esprit Saint, l’un ou l’autre de ses dons étant plus privilégié.
Par ailleurs, on peut dire que la diversité même des missions et des manières de vivre la vie chrétienne est inscrite dans la nature même de la charité théologale. Cette qualité surnaturelle, donnée par Dieu, procédant de sa vie est foncièrement une et elle nous unifie ; Mais elle n’est pas uniformisante. Elle épouse les dimensions de la personne humaine afin de les faire vivre progressivement de la nouveauté de la vie divine. Plus profondément, c’est la charité qui donne une forme à la foi et à l’espérance, donc à toute la vie chrétienne. Ainsi la vie trinitaire peut, par la vie théologale, s’emparer de la dimension religieuse de l’homme, de toutes ses capacités d’intelligence (en recherche de vérité ou au service de réalisations diverses, d’un engagement responsable), de volonté du bien, et même de sa sensibilité. La richesse de la charité implique une re-création de la personne humaine, en la déterminant de manière spécifique, par l’amour de Dieu et du prochain. Dans la vie religieuse, cette spécificité semble relative à la croissance dans la charité, à un engagement personnel et totalisant, propre à chaque institut religieux [2]. Chaque vie religieuse est donc à resituer dans un mode particulier de diffusion de la charité en nous et dans l’Église.
La charité divine respecte infiniment la complexité de la personne humaine, qui ne peut pas accueillir d’emblée le mystère de Dieu dans toutes ses potentialités. La croissance dans la vie de la grâce, donc dans la charité, doit privilégier une finalité particulière pour éviter de rester dans une indétermination ou une dispersion, et permettre une réponse et une coopération vraies de l’homme à l’appel de Dieu. Cette orientation spécifique rendra possibles les actes de la vie chrétienne, en surnaturalisant en particulier telle dimension de la vie humaine. L’intuition des saints fondateurs ayant inventé des formes de spiritualité et de consécration, serait alors de permettre à chaque personne humaine, de progresser dans la proximité de Dieu par une manière de vivre précise. Telle sera notre interrogation au sujet de la spiritualité de Jean-Baptiste de La Salle [3] : S’agit-il d’une découverte nécessaire aux chrétiens, à l’Église, aux frères, pour consacrer une dimension particulière de la vie personnelle et sociale, progresser et faire avancer dans la vie divine, et ainsi être près des jeunes d’aujourd’hui, témoins du mystère trinitaire ? Si c’est le cas, on voit qu’une spiritualité, en tant que telle, peut difficilement être réduite à l’état religieux, mais qu’elle peut concerner tout chrétien, dans une certaine dimension ou un certain engagement de sa vie. Ici, c’est toute vie finalisée par l’éducation de la jeunesse et son évangélisation, qui peut s’inspirer de la spiritualité lasallienne.
La réalité théologale du mystère de la charité est une incarnation en nous du commandement nouveau. C’est ce qu’a si bien compris Jean-Baptiste de La Salle. C’est pourquoi nous voudrions donner un premier éclairage sur sa spiritualité, par l’esprit de foi et de zèle. Une vision théologale du mystère de la charité permet-elle de mieux préciser ce qu’est l’esprit de foi et de zèle, au sens de Jean-Baptiste de La Salle ? Permet-elle de saisir le lien entre la charité à l’égard des jeunes et l’amitié du frère avec le Christ ? À partir de cette théologie d’incarnation, et de cette progression dans un engagement plus personnel qu’une pratique purement vertueuse, se pose inévitablement la question de la relation avec le Christ. Jean-Baptiste de La Salle préconise-t-il l’imitation de Jésus Christ, au sens de reproduction d’un modèle ? Nous demande-t-il, à la suite d’Olier, de suivre Jésus Christ vivant en nous ? Dans la ligne du mystère de l’incarnation et de la spiritualité de l’École française, faut-il alors regarder le religieux lasallien, comme celui qui vit de la prière du Christ et de l’oblation de sa volonté à l’égard du Père, à travers son activité propre et sa relation aux autres, spécialement dans sa relation aux jeunes ?
La vie théologale dans l’itinéraire et l’Œuvre de Saint Jean-Baptiste de La Salle
La vie théologale et « l’esprit de foi »
Au delà donc de l’attitude religieuse, c’est la profondeur de la vie théologale et de son mode d’expression que nous nous proposons de sonder dans l’itinéraire et l’œuvre de Jean-Baptiste de La Salle. Nous avons retenu deux expressions qui paraissent refléter l’intensité de la vie théologale qu’il désirait pour ses frères : esprit de foi (R., 1711), zèle [4]. Nous chercherons à approfondir pour elle-même la réalité théologale que recouvrent ces deux expressions qui semblent caractériser la vie chrétienne des frères. Mais, c’est d’abord dans des exemples précis de la vie de Jean-Baptiste de La Salle lui-même que peut se découvrir la nécessité de ce lien entre la foi et le zèle. On pourrait sans doute analyser d’autres étapes que celles qui sont proposées.
D’après Blain, Jean-Baptiste de La Salle attribue à la providence le démarrage de son œuvre : « ç’a été par la rencontre de Monsieur Nyel et par la proposition que me fit Madame de Croyère, que j’ai commencé à prendre le soin des écoles de garçons. Je n’y pensais nullement...Ce n’est pas qu’on ne m’en eût proposé le dessein. Plusieurs des amis de Monsieur Roland avaient tâché de me l’inspirer, mais il n’avait pu entrer dans mon esprit et je n’avais jamais eu la pensée de l’exécuter. Si même j’avais su que le soin de pure charité que je prenais des maîtres d’école eût dû jamais me faire un devoir de demeurer avec eux, je l’aurais abandonné. Car, comme naturellement je mettais au-dessous de mon valet ceux que j’étais obligé, surtout dans les commencements, d’employer aux écoles, la seule pensée qu’il aurait fallu vivre avec eux m’eût été insupportable ». On trouve dans cette lettre, d’abord l’absence de projet propre ; on y devine le trace d’une foi profonde, qui ne transfigure pas immédiatement la nature, mais se traduit par une obéissance à la volonté divine signifiée dans le moment présent (le soin qu’il prend des écoles du fait de la demande de Nyel), sans se préoccuper de la suite à donner. On retrouve plus explicitement cette obéissance de la foi, dans la réponse pratique faite à l’ordre du P. Barré : « Logez-les chez vous » [5].
À Parménie, en 1714, d’après Maillefer, la rencontre de Jean-Baptiste de La Salle et de Sœur Louise [6] met en pleine lumière - dans la sobriété du style du Mauriste - cette obéissance de la foi : « Il lui témoigna le désir qu’il avait de passer le reste de ses jours dans la solitude, pour laquelle il avait toujours ressenti de grands attraits. La sœur lui répondit que ce n’était pas la volonté de Dieu qu’il quittât le soin de son Institut, qu’il l’avait destiné au travail et qu’il voulait qu’il y persévérât jusqu’à la fin de cette vie, comme il avait commencé. Il prit donc cette réponse comme une décision qui lui était adressée de la part de Dieu... » Blain est plus abondant, d’un style plus métaphorique, mais il aboutit à la même conclusion : « Le vénérable La Salle regarda l’ordre de Dieu dans cette réponse et admira les arrangements de sa providence qui l’avait amené jusqu’à une des extrémités du royaume pour écouter cette interprète des divines volontés ». Dans la suite de cet épisode, on doit aussi replacer la lettre des « principaux frères » à La Salle pour exiger son retour et la reprise du gouvernement effectif de l’Institut. Maillefer note deux réactions successives de La Salle à cette démarche. Premièrement « elle lui fit naître diverses pensées qui agitèrent son esprit pendant quelques temps, et qui le tinrent comme en suspens. Deuxièmement, après y avoir bien réfléchi, il leur dit (à ses amis de Grenoble) qu’ayant fait vœu d’obéissance, il était dans la résolution de se soumettre...Il persista dans sa résolution, disant qu’après avoir enseigné si longtemps l’obéissance, il était juste qu’il la pratiquât, puisque Dieu lui en faisait naître l’occasion favorable ».
Examinons la manière dont Jean-Baptiste de La Salle semble avoir vécu de la foi, et l’avoir enseignée à ses disciples. En effet, du côté de la vie, on trouve dans les événements cités, après la reconnaissance du passage de Dieu dans la réalité événementielle, l’adhésion de foi à Dieu (à la personne du Christ) considéré comme réalité ultime ; on y trouve aussi sa conséquence effective : l’obéissance à un ordre signifié et reconnu. Du côté de l’enseignement doctrinal de Jean-Baptiste de La Salle, on trouve dans les « Devoirs du Chrétien » (II,2) un exposé sur ce qu’il appelle « les actes de foi pratiques » : « ces sortes d’actes de foi produits de temps en temps, sont d’une très grande utilité et servent beaucoup à nous conserver la foi, l’amour de Dieu, et l’affection pour les vertus, et à les augmenter en nous, et c’est pour ce sujet que nous devons en faire très souvent ». Il s’agit bien là du regard de foi sur les réalités pratiques, éthiques, intégrées dans la vie chrétienne. Même si dans l’exposé du catéchisme, ce regard ne porte pas immédiatement sur le discernement de la volonté de Dieu dans le temps et la diversité des occupations (ce qui paraît plus dans le Recueil, puisqu’il s’adresse alors à ses frères), il regarde cependant les principaux moyens qui s’enracinent dans la foi, et dont le chrétien dispose pour rejoindre cette volonté. De même, dans « L’Explication de la Méthode d’Oraison », Jean-Baptiste de La Salle insiste beaucoup sur l’acte de foi comme adhésion à la personne du Christ, aux diverses modalités de sa présence, à son enseignement, aux mystères qu’il réalise pour notre salut. L’oraison, ainsi construite sur la foi à une personne divine, peu à peu suivie et découverte, dispose éminemment à une regard de foi dans « l’agir » et le « faire » quotidiens.
On voit dès lors que la relation personnelle à Dieu, à travers la complémentarité de la foi et de l’espérance, peut donner vie à l’ensemble des réalisations et de tout l’agir de l’homme. Il faut cependant pour cela que la foi elle même soit formée par la charité. Donc, même si Jean-Baptiste de La Salle est éminemment pratique dans le chemin qu’il trace à ses frères, on saisit déjà le côté extraordinairement synthétique de l’expression esprit de foi, et son fondement théologique. Ainsi, la vie chrétienne respecte parfaitement le conditionnement de la vie humaine et le donné anthropologique, tout en impliquant un nouveau mode d’agir. Ces précisions sur la vie et l’enseignement de Jean-Baptiste de La Salle doivent nous aider à mieux comprendre le lien entre la foi et le zèle. En effet, si « l’esprit de notre institut est d’abord un esprit de foi » (Recueil) 72, ce n’est pas pour vivre dans la seule relation personnelle à Dieu, ce qui serait le propre du moine. De la Salle nous en donne (R. 71) deux raisons étroitement liées, semble-t-il : « La foi doit servir de lumière et de guide à tous les chrétiens, et les diriger dans la voie du salut », et « il est d’une grande conséquence que les frères des écoles chrétiennes, qui ont pour fin de leur Institut d’élever les enfants qui leur sont confiés dans l’esprit du christianisme, et de faire en sorte de le leur procurer, soient si pénétrés et si abondamment remplis de l’esprit de foi, etc. » (R. 71-72). La foi est donc pour tout chrétien ordonnée au salut, et pour le frère, l’esprit de foi - qui n’est pas la foi contemplative, mais plutôt l’expression de la foi dans le conditionnement de la vie humaine - est directement ordonné à l’éducation chrétienne des enfants, donc aussi à leur salut. On voit donc que, dans la ligne du mystère de l’incarnation dans une logique incarnationnelle-communautaire [7], l’esprit de foi, s’exprimant à travers toutes les circonstances de la vie humaine, doit peu à peu conduire au salut. « Pour le frère, appelé par Dieu pour faire l’ouvrage de Dieu, la foi, entrée active dans le mystère de Dieu, entraîne aussi du même mouvement son engagement responsable de coopérateur pour le salut des hommes [8]. L’exercice de l’esprit de foi, à travers toutes ces dimensions humaines, ne peut se réduire à l’ascèse personnelle d’un religieux. Il est une dynamique qui, au sein de l’Église, peut se révéler contagieuse. Nous sommes donc en présence d’une spiritualité particulièrement liée à l’esprit de l’École française, puisqu’il ne s’agit pas d’abord de vivre une vie monastique en union au Christ crucifié, mais l’exigence propre est d’assumer l’ensemble des activités qui peuvent nous solliciter, dans la foi, donc de vivre du mystère de l’incarnation comme étant la première étape et la première nécessité en vue de la rédemption et du salut.
Aujourd’hui, c’est parce que la vie de foi du frère est porteuse d’une adhésion à Dieu (adhésion qui ne va pas sans renoncements) que cette vie est de fait ordonnée au salut de ceux qu’il approche. Même si ces activités ne sont pas, dans leur nature, immédiatement apostoliques, elles le sont par la manière de les vivre, ce qui légitime pleinement les divers engagements professionnels des frères, et leur confère une valeur d’annonce du salut. Certes, ce n’est pas sous cet angle que Jean-Baptiste de La Salle envisage d’abord le zèle du frère pour le salut des jeunes. Même si le zèle pour le salut des autres peut s’exercer en l’absence d’une catéchèse, lorsque celle-ci est irréalisable, Jean-Baptiste de La Salle montre bien, notamment dans les MTR, que la vocation normale du frère exige un zèle manifeste, visible, pour la sanctification et le salut des jeunes. Ce zèle se traduit par annonce de l’Évangile et l’éducation dans l’esprit de religion. « Vous ne devez pas douter que ce soit un grand don de Dieu que la grâce qu’il vous fait de vous charger d’instruire les enfants, de leur annoncer l’Évangile, et de les instruire dans l’esprit de religion, mais, en vous appelant à ce saint ministère, Dieu exige de vous que vous vous en acquittiez avec un zèle ardent pour leur salut, parce que c’est l’œuvre de Dieu et qu’il maudit celui qui fait son œuvre avec négligence [9] ».
Cependant, le zèle pour le salut des enfants n’est pas réductible à une activité. Il demande de s’étendre à toute une vie. L’esprit de zèle apparaît donc, dans les MTR 3, Cf. 10, comme animant d’une manière totale les actes du frère, et pas seulement son apostolat explicite (parole, catéchèse). Illustrant l’action apostolique du frère, La Salle écrit : « Votre zèle serait bien imparfait à l’égard des enfants dont vous avez la conduite, si vous ne l’exerciez qu’en les instruisant, mais il deviendra parfait si vous pratiquez vous-même ce que vous leur enseignez ; parce que l’exemple fait beaucoup plus d’impression sur l’esprit et sur le cœur, et non pas les paroles, principalement sur celui des enfants qui, n’ayant pas encore l’esprit assez capable de réflexion, se forment ordinairement sur l’exemple de leurs maîtres, se portant plus à faire ce qu’ils leur voient faire que ce qu’ils leur entendent dire, surtout lorsque leurs paroles ne sont pas conformes à leurs actions » (10 MTR 3). Citons aussi (R. 75) : « Les frères de la société s’efforceront par la prière, par les instructions et par leur vigilance et leur bonne conduite dans l’école de procurer le salut des enfants qui leur sont confiés... » Dans ces actes, l’esprit de zèle se rapproche de l’esprit de foi : il anime l’ensemble de la vie du frère en transformant peu à peu l’affectivité. Mais, à la différence de l’esprit de foi qui semble d’emblée porter sur un ensemble d’obligations propres à une vie religieuse, il est spécialement caractérisé comme constituant une capacité permanente à poser des actes en vue du salut des jeunes ; il constitue quasiment un « status », une nouvelle manière d’être dans la vie du frère. Quand La Salle explique la nature de l’esprit de foi (R. 72), il insiste sur la relation entre le frère, son regard sur les réalités, son agir moral, et Dieu. Par contre, lorsqu’il donne le second aspect de l’esprit de l’Institut, le zèle, c’est le fait « d’instruire les enfants et de les élever dans la crainte de Dieu » qui passe en premier. L’ensemble de la vie du frère dans l’institution scolaire est donc une catéchèse en acte, pour les jeunes. Cette manière d’envisager l’apostolat est très moderne, prophétique même, au XVIIe siècle ; elle implique d’abord de vivre une consécration dans un état demandant un service et engageant l’ensemble de la personne. Le zèle, que dans une première approche anthropologique, nous pouvons définir comme un élan affectif et spirituel au service d’une mission d’institut, n’est pas séparable en diverses réalisations. La Règle de 1987 le montre bien : « Ministres de Dieu et de l’Église, soucieux de toucher les cœurs, les frères accomplissent leur mission avec le zèle ardent que requiert l’œuvre du Seigneur. Poussés par ce zèle et dans l’attitude du Christ serviteur, ils mettent généreusement leur temps, leurs talents et leurs forces au service de ceux que Dieu leur confie. C’est pourquoi ils s’efforcent d’améliorer constamment leur compétence, la qualité de leurs relations, le témoignage de leur vie et la vigueur de leur foi. [10] »
La charité incarnée à l’égard des jeunes : le mode d’apostolat et de vie religieuse des frères des écoles chrétiennes
Dans la 9e méditation pour le temps de la retraite (9 MTR)10, on ne peut qu’admirer la manière dont La Salle reprend pas à pas des affirmations de saint Paul, dans les deux épîtres aux Corinthiens notamment. C’est bien l’amour de Dieu qui doit presser le frère dans sa mission (2 Co 5,14-15) et un amour, une charité vécue en Église et sous l’influence de l’Esprit. Cette neuvième méditation associe donc plusieurs réalités : la manifestation de l’Esprit qui suscite un tel ministère (et qui semble agir en ce ministère comme il agit en nous par ses donc), le lien entre « charité » et « zèle sincère et véritable », le caractère ecclésial et eschatologique de ce ministère.
L’aspect théologal de cette méditation apparaît bien dans la conclusion du premier point : « C’est Dieu qui vous a appelés et vous a destinés à cet emploi, et qui vous a envoyés travailler à sa vigne ; faites-le donc dans toute l’affection de votre cœur, et comme ne travaillant que pour lui ». Il est également évident au deuxième point : « vous devez en cette qualité avoir uniquement pour fin en les instruisant, l’amour et la gloire de Dieu ». La Salle semble sous-entendre dans cette méditation, l’unité entre le souffle de l’Esprit (le don de sagesse cité ici est traditionnellement associé à la charité d’où l’expression « sagesse chrétienne » au sens de « sagesse de l’amour ») et le zèle de charité. Toutefois, ce zèle est bien vu comme supposant fondamentalement dans le cœur du frère, l’enracinement d’une détermination surnaturelle qui devient progressivement tellement forte, qu’elle finalise l’ensemble des actes et des mouvements de l’intelligence et du cœur.
Ces quelques précisions nous permettent de comprendre ce qu’écrit F. Sauvage [11] : « Le zèle n’est pas pourtant une chose, une vertu chosifiée ; c’est un élan qui, dans ce contexte de la méditation, n’est autre que la manifestation du don de l’Esprit de Dieu ». Il n’est pas une vertu chosifiée, au sens critique que prendra ce mot au cours des XVIIIe et XIXe siècles. La manifestation de l’Esprit qu’il implique présuppose le rayonnement du Dieu-Trinité dans la vie d’une personne consacrée. Jean-Baptiste de La Salle donne des textes pour la retraite, donc pour le moment où se renouvelle l’intention de vivre dans l’attraction du mystère de Dieu. Il fait donc sentir (9 MTR, 2 et 3) particulièrement la présence de Dieu et de son amour dans les âmes, pour provoquer chez ses disciples un nouveau départ. L’âme du frère comme l’âme de l’enfant sont le siège de la vie de la grâce, le temple du Dieu vivant ; la présence et la croissance de cette vie divine est elle-même salut. C’est donc la reconnaissance de cette présence existentielle en son cœur comme en celui des enfants qui incite le frère à coopérer au rétablissement et à l’ex tension de la vie de Dieu. « L’amour de Dieu vous doit presser » ; « Voilà ce que Dieu et Jésus Christ ont fait pour rétablir les âmes dans la grâce qu’elles avaient perdue ; que ne devez-vous pas faire aussi pour elles dans votre ministère, si vous avez du zèle pour leur salut ».
Le Christ et l’État religieux
Le frère vivant les mystères du Christ
Dans l’enseignement de Jean-Baptiste de La Salle, les méditations pour le temps de Noël sont un exemple de ce mystère de la venue du Christ en nous, et de la manière dont il doit progressivement être la respiration propre de notre vie consacrée « Si vous voulez profiter de la venue de Jésus Christ en vous, il faut que vous le laissiez maître de votre cœur, et que vous vous rendiez docile à tout ce qu’il exigera de vous, lui disant souvent avec le prophète Samuel : « Parlez, Seigneur, car votre serviteur écoute », et avec David : « J’écouterai ce que le Seigneur dira en moi » (85 MDF 2). Dans cette théologie toute simple de l’incarnation que La Salle développe à ses frères à l’occasion de Noël, la consécration du frère est en vue de la demeure, de la résidence du Christ. La Salle souligne bien le double mouvement de nous au Christ, et du Christ à nous : nous devons nous disposer à le recevoir, et cela au niveau de notre cœur, c’est à dire de la source même de notre affectivité spirituelle ; mais, c’est le Christ qui, de sa propre initiative veut « descendre dans notre cœur, afin de nous faire participer à sa nature, et de nous faire devenir des hommes tout célestes ». La vie consacrée, qui est aussi la vie du Christ en nous, ne dépend donc pas immédiatement de nos efforts : ceux-ci sont une disposition nécessaire, mais c’est à la liberté divine de l’amour que revient l’initiative de venir en nous ; venir en nous, non pas pour être une source efficace de nos actes moraux, mais venir en nous afin de nous transformer peu à peu en lui. Cette dernière phrase du troisième point de la méditation 85 rappelle étrangement le mystère de l’eucharistie : c’est le Christ qui vient en nous pour nous « transsubstantier progressivement en sa vie et en son être propre. En nous nourrissant de lui, c’est lui qui nous assimile.
Pénétrant davantage dans le mystère de Noël, à la méditation du jour de la Nativité (MDF 86, 2), La Salle actualise pour ses frères les moyens que le Christ a choisis pour les faire vivre du mystère de l’incarnation. Voyant clairement que, dans la pauvreté de Noël, la croix est déjà présente, il voit dans les croix quotidiennes et constantes de l’emploi du frère, le moyen concret qui permet au Christ présent dans le frère, de revivre actuellement la pauvreté de la crèche de Bethléem. Cette pauvreté n’est pas vue comme un effort ascétique, mais comme un moyen providentiel ordonné par Dieu à ce que le frère, témoin désintéressé du Christ, participe dans la pauvreté de ses occupations aux mystères du Christ. « Nous sommes de pauvres frères, oubliés et peu considérés des gens du monde ; il n’y a que les pauvres qui viennent nous chercher ; ils n’ont rien à nous présenter que leurs cœurs, disposés à recevoir nos instructions. Aimons ce qu’il y a de plus humiliant dans notre profession, pour participer en quelque chose à l’abjection de Jésus Christ dans sa naissance » (86 MDF, 2).
Cette gratuité de la vie de Jésus Christ donnée à Noël, et donnée sans cesse au chrétien qu’est le frère, n’est donc pas une pure émanation qui ne demanderait pas un engagement de notre part. Au contraire, elle nous jette dans une manière de vivre analogue à celle de Jésus Christ et nous engage dans le labeur apostolique (86 MDF, 3). Au risque, si nous ne répondons pas, si nous ne vivons pas en harmonie avec cette vie de Jésus - qui demande de devenir le seul principe de toute notre vie - de rester stérile, voire de tuer en nous cette source radicale de vie. Au sujet des saints Innocents, La Salle écrit : « Nous pouvons avoir le même sort qu’eux en donnant notre vie pour empêcher que Jésus Christ ne meure en nous : les pécheurs, dit saint Paul, crucifient de nouveau Jésus Christ. Si on veut donc ne lui pas ôter la vie, il faut se faire violence pour ne pas tomber dans le péché... » (89 MDF 3).
Enfin, La Salle voit cette vie de Dieu et du Christ en nous comme directement apostolique. L’efficacité apostolique de la mission du frère se prend, sur le terrain, de son degré d’union aux personnes divines. Mais le caractère apostolique de la vie divine du frère est aussi placé du côté de la bonté de Dieu : le Bien qui aspire à se répandre a besoin de causes instrumentales. « Remerciez Dieu de ce qu’il a la bonté de se servir de vous pour procurer aux enfants de si grands avantages, et soyez fidèles et exacts... » (2 MTR 1). Il appartient aussi au frère « d’unir ses actions à celles de Jésus Christ » (3 MTR 1) pour se disposer à « représenter (au sens fort) Jésus Christ lui-même ». Cette présence du Christ en nous exige évidemment l’esprit de foi, inspirant et animant notre vie pour la gloire du Père.
Quelle que soit l’efficacité conséquente à l’irruption du surnaturel dans nos vies, la réalité centrale reste l’amitié avec le Christ, amitié à laquelle est particulièrement convié le religieux renonçant au mariage, à la richesse, aux responsabilités sociales. Renonçant aux biens, mêmes légitimes, qui aident la plupart des hommes à trouver un sens à leur vie, le frère se trouve de ce fait dans un état de fragilité où il ne peut que faire le saut de la foi pour finaliser sa vie par d’autres réalités. « Vous êtes dans un état où vous avez besoin d’être honorés de l’amitié de Jésus » rappelle le Fondateur (88 MDF, 1) ; « Il est l’unique à qui nous puissions sûrement donner notre cœur ». Cette amitié de réciprocité avec l’ami et le Dieu invisible, permise par l’incarnation et le don de la charité, est le « cadeau » que Jésus Christ veut donner au frère car « il se plaît avec les hommes purs ». Malgré l’aspect moralisateur toujours sous-jacent, Jean-Baptiste de La Salle, méditant sur la fête de saint Jean, a saisi l’aspect unique et déterminant de l’amitié avec le Christ.
Le religieux imitateur de Jésus Christ
Même si le dynamisme de la vie du Christ en nous est pour Jean-Baptiste de La Salle une source et un terme de la consécration du frère, cela n’exclut pas d’autres points de vue sur ses actes personnels et apostoliques. Et notamment, un autre regard que Jean-Baptiste de La Salle porte sur le caractère christologique de la vie consacrée, concerne la nécessité de l’imitation de la vie, des actes, des qualités du Christ de l’Évangile. Cette manière de procéder est inhérente aux spiritualités du XVIIe siècle. La 4e méditation pour le temps de la retraite, est un spécimen du genre qui nous propose un « glissement » du Christ-acteur de nos vies au Christ-modèle et cause exemplaire. Le premier point de cette méditation reprend le thème de l’instrumentalité du frère à l’égard de la « motion » que doit exercer Jésus Christ dans son emploi. Le frère est un « instrument », mais un instrument intelligent et capable d’accompagner vers la même fin celui qui le meut. C’est au deuxième point qu’intervient le thème de la coopération. Celui qui coopère est capable de s’orienter librement vers le terme proposé, d’y faire converger tous ses efforts, et en même temps d’harmoniser son agir avec celui avec qui il coopère, pour que le terme auquel ils tendent soit vraiment commun.
En ce sens, la coopération avec le Christ réclamera du frère qu’il soit davantage cause seconde de son apostolat, de ses instructions, qu’il en soit responsable tout en restant en harmonie avec la « conduite » du maître. C’est alors un vaste programme « d’imitation » de l’apostolat de Jésus Christ, que propose à ses disciples Jean-Baptiste de La Salle : « Vous devez, en lisant l’Évangile, étudier la manière et les moyens dont il s’est servi pour porter ses disciples à la pratique des vérités de l’Évangile ». Toutefois, il semble que l’on trouve dans cette méditation, un constant mouvement de balancier entre l’idée que tout ce qui est « vue », « intention », « conduite », etc., dans la vie et l’agir du Christ, doit être nôtre, et le thème de l’imitation, de la conformité au Christ-exemple et modèle du frère. On peut difficilement séparer ces regards, mais on doit être attentif au glissement vers le thème de l’exemplarité de la conduite.
Ce thème de l’exemple resurgit d’ailleurs en maints endroits, dans les MTR. À la 8e méditation, premier point, commentant le zèle des apôtres pour l’annonce de la parole, Jean-Baptiste de La Salle écrit : « Si les saints apôtres en ont usé de la sorte, c’est parce que Jésus Christ leur en avait donné l’exemple ; dont il est dit qu’il enseignait tous les jours dans le temple où tout le peuple l’écoutait avec attention... ». Ici, réapparaît le côté pointilleux d’une stricte exemplarité, qui n’est pas coupée de la vie : « Vous donc, qui avez succédé aux apôtres dans leur emploi de catéchiser et d’instruire les pauvres, si vous voulez rendre votre ministère autant qu’il le peut être utile à l’Église, vous devez tous les jours leur faire le catéchisme en leur apprenant les vérités fondamentales de notre religion, suivant en cela leur exemple, qui est celui de Jésus Christ même, lequel s’appliquait tous les jours à cette fonction » (8 MTR 1).
Le troisième point de la 10e méditation pour le temps de la retraite est spécialement centré sur l’exemple : exemple du Christ à ses disciples, exemple de Paul aux Philippiens, exemple du frère aux enfants. Toutefois, il est intéressant de remarquer que c’est ici le zèle, dont nous avons vu qu’il exprimait la charité, qui suscite la volonté de donner l’exemple et celle de le suivre. « Le zèle ardent de ce grand saint (saint Paul) pour le salut des âmes a été de leur faire observer ce qu’il pratiquait lui-même. C’est aussi la conduite qu’a tenu Notre Seigneur, de qui il est dit qu’il a commencé par faire et puis qu’il a enseigné, et qui dit, parlant de soi aux apôtres, après leur avoir lavé les pieds : « Je vous ai donné l’exemple afin que vous fassiez comme je vous ai fait ». Il est facile de conclure de ces exemples que votre zèle serait fort imparfait à l’égard des enfants dont vous avez la conduite, si vous ne l’exercez qu’en les instruisant, mais qu’il deviendra parfait si vous pratiquez vous même ce que vous leur enseignez ; parce que l’exemple fait beaucoup plus d’impression sur l’esprit et sur le cœur, que les paroles, principalement sur celui des enfants, qui, n’ayant pas encore l’esprit assez capable de réflexion, se forment ordinairement sur l’exemple de leurs maîtres... » (10 MTR 3).
Il faut bien voir, avant de commenter ce passage et de conclure, que nous sommes ici dans un tout autre climat intellectuel, moral et culturel que ce que nous connaissons aujourd’hui. Très facilement, nous sommes portés à mettre une opposition entre l’imitation d’un exemple, qui nous paraît rigoriste et desséchante, et une attitude vivante et aimante. La Salle nous montre au contraire, que si c’est le zèle, donc la charité et la vie même de la Trinité, qui nous anime, nous serons portés à pratiquer ce que Jésus Christ lui-même a fait. C’est le zèle qui réconcilie une attitude vivante, personnelle, spontanée, et l’imitation d’exemples, parce que ce zèle n’étant autre dans sa détermination profonde que la charité divine, il a suscité au long de l’histoire humaine ces exemples, et il est la source d’une attitude du cœur à laquelle Dieu-même nous convie.
On peut donc conclure que, chez La Salle, le regard théocentrique, le regard théologique et le regard moral se tiennent indissolublement. Vivre de la charité théologale, c’est aussi vivre du Christ, et c’est imiter, de l’intérieur vers l’extérieur, sa conduite. Pas plus que dans les textes de Bérulle et d’Olier, on ne peut chez La Salle distinguer nettement les expressions du zèle et de l’amour, le mystère de « Jésus vivant en nous », et un certain exemplarisme moral. L’accent peut être mis successivement sur l’un ou l’autre de ces aspects, mais le propre d’une spiritualité, qui analyse beaucoup moins qu’une théologie, n’est-il pas d’unir ces divers aspects dans un même mouvement vital spirituel ?
Conclusion
Parvenu au terme de cet ensemble de réflexions sur la spiritualité lasallienne et sur la vie religieuse du frère des écoles chrétiennes, il convient d’en resituer les points principaux. Dans cette étude, qui veut regarder la consécration religieuse du frère, il fallait montrer comment le courant spirituel lasallien peut constituer spécifiquement une forme de vie consacrée en communauté, et à partir de là, alimenter la vie spirituelle d’éducateurs chrétiens. Comment alors, la foi-zèle, réponse à l’appel de Dieu à travers les besoins de l’éducation des jeunes, constitue-t-elle le noyau de cette consécration religieuse ?
Nous avons essayé de répondre en affirmant l’unité de l’esprit de foi et de zèle. L’adhésion de foi du frère à Dieu entraîne le fait d’ordonner sa vie au salut des jeunes à travers le zèle. Cela fonde le processus d’unification progressive de la vie du religieux apostolique. La possibilité de cette unification permet de constituer une vie religieuse orientée vers une telle finalité. L’enracinement progressif de l’amour de Dieu et des jeunes permet une croissance et une transformation telles, au long de la vie, que le ministère lasallien culmine en consécration de vie. Le laïc peut en vivre dans la part d’activité et de ministère qu’il consacre aux jeunes, ainsi que dans sa vie spirituelle ; le frère, lui, doit en vivre continuellement. La détermination qu’exercent le besoin des jeunes et l’appel de Dieu suffisent pour susciter une communauté vivant de l’esprit de foi et de zèle, donc pour légitimer une consécration totalisante.
Si l’on peut parler de christologie lasallienne, nous avons vu qu’elle est celle de l’École française, éminemment pratique et vivante, conduisant à l’offrande au Père et à l’unification de toute la vie, à l’image du Christ, mais aussi par le Christ, vivant en nous. Au-delà même de cette unité vitale avec le Christ, l’idée maîtresse de Jean-Baptiste de La Salle est que la vie du frère est trinitaire. C’est dans et avec le Christ que le don de nous-mêmes au Père prend un caractère substantiel. C’est le Christ vivant en nous qui, d’une certaine manière, nous fait participer de sa relation trinitaire au Père. Et, c’est par la motion de l’Esprit Saint que le frère doit répondre à l’appel du ministère éducatif. Plus encore, c’est pour que cette réponse soit à la hauteur de ce que Dieu attend, que c’est le Saint-Esprit, vivifiant et dynamisant l’exercice des vertus théologales, qui doit mouvoir le frère dans l’exercice de sa vie et de son emploi. Par conséquent, c’est l’Esprit Saint qui meut l’offrande concrète que le frère fait de sa vie, et qui absorbe encore plus cette vie dans la Trinité. L’Esprit Saint prie dans le frère, et le conduit vers le Père, comme il priait en Jésus, et le conduisait vers le Père. Le frère, par sa consécration, et en choisissant lui-même d’exercer la foi, l’espérance et la charité dans son état de vie, va vers le Père, avec le Fils. S’il est mû par le mouvement de l’Esprit, il accepte que ce ne soit plus sa volonté qui détermine les modalités de sa vie, mais l’inspiration de l’Esprit Saint.
Le caractère trinitaire de cette vie est particulièrement bien décrit du côté de l’action apostolique, dans la13e méditation pour le temps de la retraite. Dieu y est présenté comme celui qui confie aux frères le salut des âmes des enfants (13 MTR 2), et qui se charge lui-même du salut des frères. C’est donc un Dieu paternel dont la bonté aspire à se répandre, et qui attire à lui ceux qui sont éloignés. Jésus Christ (13 MTR 3) intervient comme principe de croissance dans la vie divine, et principe de construction de l’Église. Il est celui par qui on participe aux « promesses de Dieu ». Cette imitation et cette participation à la vie du Christ permettent la « demeure » de l’Esprit Saint dans l’âme. Le frère fait entrer les enfants dans la structure de l’Église et dans la vie de l’Esprit (MTR 205,3) [12]. L’identification entre la consécration active du frère et la participation à la vie trinitaire semble assez claire chez La Salle, et justifie s’il en est besoin, l’option d’une vie religieuse.
12-14 Allée des Grouettes
F-95000 CERGY, France
Références bibliographiques
Blain, Vie du Vénérable De La Salle (1733), Procure générale des Frères, Paris, 1887.
Campos M., L’itinéraire évangélique de Saint Jean-Baptiste de La Salle et le recours a l’Écriture sainte dans les méditations pour le temps de la retraite, Cahiers Lasalliens 45 et 46, Rome, 1974.
Hermans A., Sauvage M., Jean-Baptiste de La Salle, Dictionnaire de Spiritualité, fascicules LIV-LV, 802-821, Beauchesne, Paris, 1973.
Lapierre C., Marche en ma présence, FEC région France, Paris, 1988.
Maillefer F.-E., La vie de Monsieur Jean-Baptiste de La Salle (1740), Maison généralice, Rome, 1980.
Saint Jean-Baptiste de La Salle, Méditations pour les dimanches et les fêtes, Frères des Ecoles Chrétiennes, Région France, 1982 (M.D.F.).
Saint Jean-Baptiste de la Salle, Méditations pour le temps de la retraite, Frères des Ecoles Chrétiennes, Région France, 1982 (M.T.R.).
Saint Jean-Baptiste de la Salle, Devoirs du chrétien (1703), Cahiers Lasalliens n° 20 et 21, Rome, 1964.
Saint Jean-Baptiste de la Salle, Recueil (1711), Cahiers Lasalliens n° 15, Rome, 1963. (R).
Saint Jean-Baptiste de la Salle Explication de la méthode d’oraison, texte présenté par Miguel Campos et Michel Sauvage, Cahiers Lasalliens n° 50, Rome, 1989. (E.M.O.).
Sauvage M., Catéchèse et laïcat, coll. « Horizons de la catéchèse », Ligel, Paris, 1962.
Sauvage M., Campos M., Jean-Baptiste de La Salle, Annoncer l’Évangile aux pauvres, Beauchesne, Paris, 1976.
[1] Cette perspective de la multiplicité et de la diversité des dons de l’Esprit a été soulignée par Perfectae caritatis (§1) comme une richesse de la vie de l’Église.
[2] Cf. Lumen gentium, 45, 1. Perfectae caritatis, 7 à 11.
[3] Concernant la vie de J.-B. de La Salle (1651-1719), cf. Marche en ma présence, de Ch. Lapierre, 3e éd., FEC, région France, Paris, 1988. Pour une information plus succincte, cf. Dictionnaire de Spiritualité, LIV-LV, 802-821, Beauchesne,Paris, 1973, où A. Hermans et M. Sauvage donnent une synthèse de sa biographie et de son œuvre. « Aîné de onze enfants, J.-B de La Salle naquit à Reims, le 30 avril 1651, d’une famille riche et considérée. Orienté très jeune vers le sacerdoce, J.-B. conformément à l’usage fut tonsuré à l’âge de 11 ans, et pourvu d’un canonicat le 9 juillet 1666 » (802). « Il est ordonné prêtre le 9 avril 1678. Elève des Sulpiciens, J.-B. avait pu être introduit par eux aux sources et aux activités d’un mouvement de renouveau catéchétique et scolaire, inspirant alors les promoteurs de la réforme catholique en France...Il contribue à la mise sur pied d’une école paroissiale pour les pauvres garçons de Reims. De 1679 à 1682, J.-B. est amené progressivement, et d’abord à son corps défendant, à s’occuper de plus en plus des maîtres. Le 24 juin 1682, il commence avec eux une vie de communauté durant près de 40 ans » (803).
[4] Recueil de Méditations pour le temps de la retraite (RMTR).
[5] Blain (Cahiers Lasalliens, n°7, 169) reproduit ainsi un texte du Mémoire sur les commencements : « Dieu qui conduit toutes choses avec sagesse et douceur, et qui n’a point coutume de forcer l’inclination des hommes, voulant m’engager à prendre entièrement le soin des écoles, le fit d’une manière imperceptible et en beaucoup de temps ; de sorte qu’un engagement me conduisit dans un autre, sans l’avoir prévu dès le commencement ».
[6] De La Salle, fatigué des luttes incessantes qui sont siennes à Paris, quitte la capitale le 18 février 1712 pour le Midi. C’est ainsi qu’il arrive à Parménie, colline dauphinoise à 25 km de Grenoble, où une villageoise, Louise Hours a établi un centre spirituel. De La Salle confia à Sœur Louise ses hésitations.
[7] M. Campos, Cahiers Lasalliens, 45.
[8] M. Sauvage, Annoncer l’Évangile aux pauvres, 87.
[9] Dans cette 9e méditation pour le temps de la retraite, La Salle, reprenant saint Paul, écrit : « Faites réflexion à ce que dit saint Paul, que c’est Dieu qui a établi l’Église des apôtres, des prophètes et des docteurs (1 Co 12,28), et vous serez persuadés que c’est lui aussi qui vous a établis dans votre emploi ; une des marques que vous en donne le même Saint est qu’il y a divers ministères, mais qu’il y a différentes opérations, et que le Saint-Esprit ne se manifeste en chacun de ses dons que pour l’utilité commune (1 Co 12,5-9), c’est à dire pour l’utilité de l’Église...Faites donc connaître, dans toute votre conduite à l’égard des enfants qui vous sont confiés, que vous vous regardez comme les ministres de Dieu, en l’exerçant avec une charité et un zèle sincère et véritable,... »
[10] Règle des frères des écoles chrétiennes, 21.
[11] M. Sauvage, Catéchisme et laïcat, 226.
[12] Ibid., 583-584.