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Exhortation apostolique Vita consecrata dans le contexte ecclésiologique actuel

Éléments positifs et critiques

Bruno Secondin, o.c.

N°1997-2 Mars 1997

| P. 74-90 |

Avec la compétence que nous lui connaissons, le P. Secondin offre ici une intéressante approche de l’Exhortation Vita consecrata. Bien au fait des premières rédactions (en italien) du document actuel, il peut mettre en perspective les apports évidents ainsi que les quelques éléments plus fragiles, tant au plan de la forme qu’au niveau proprement doctrinal. Invitation pressante est faite de continuer la réflexion sur les grands concepts théologiques utilisés et l’engagement concret face aux défis rencontrés.

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Un an déjà s’est écoulé depuis la publication de l’exhortation apostolique Vita consecrata : beaucoup l’ont certainement lue, sans être nécessairement capables d’en faire une lecture critique, c’est-à-dire attentive à distinguer les idées claires des propositions génériques ou improbables.

En effet, le texte de l’exhortation est très ample et complexe ; il utilise un langage descriptif, pastoral et parénétique, plutôt qu’essentiel et dogmatique. On n’y trouve pas une option pastorale ou ecclésiale claire et unifiante : de ce fait, ce texte peut faire l’objet de différentes clés de lecture, toutes également intéressantes et utiles.

Je partirai ici d’une approche générale, quasi extérieure, de l’exhortation, en faisant de brefs renvois à la rédaction du texte. Je relèverai ensuite une série d’éléments positifs qui, à mon avis, doivent être reconnus. Je poursuivrai en évoquant certains éléments qui me semblent peu clairs, ou peut-être même confus. Je conclurai par quelques suggestions pour une receptio fructueuse de cette exhortation, qui permettra de poursuivre dans la voie de la « fidélité créative ».

Observations générales d’un point de vue formel

La structure générale du texte répond apparemment à une division harmonieuse et symétrique. Les titres élégants (en latin) des trois chapitres renforcent également cette impression d’une construction volontairement harmonieuse. Quant aux titres des sections et des paragraphes, ils semblent avoir été pensés avec un soin particulier, davantage peut-être même que le contenu spécifique auquel ces titres renvoient (par exemple, les titres des nn. 36-37 annoncent quelque chose qui n’est pas présent dans le texte).

Cependant, si l’on examine plus attentivement le contenu du document, on remarque immédiatement que cette construction a quelque chose d’artificiel. En effet, certains points font sans raison l’objet de longs développements (avec des répétitions pesantes) - par exemple, la perspective trinitaire de la vie consacrée (VC 17-22) - tandis que d’autres thèmes sont mal situés dans le texte - ainsi la question de la vie spirituelle (VC 93-95) aurait eu avantage à être insérée dans la section sur le chemin vers la sainteté (VC 35-40). De même, le discours ample et intéressant sur la formation (VC 63-72) se trouve sous un titre erroné (chapitre II, section III : « Regard vers l’avenir ») et dans un contexte (celui de l’ecclésiologie) qui n’est pas le sien. Et on pourrait encore donner d’autres exemples.

La rédaction du texte a, semble-t-il, été réalisée par des collaborateurs « romains » du Secrétariat du Synode. Pour certaines questions plus compliquées (la théologie, la femme, les nouvelles formes de vie consacrée, la formation, l’éducation, l’inculturation, les moniales, etc), d’autres experts, y compris des femmes, auraient été consultés.

En outre, la Secrétairerie d’État elle-même aurait joué un rôle notable de restructuration, de « condensation » et d’harmonisation du texte, présenté comme une esquisse émanant du Secrétariat permanent du Synode. La Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique aurait aussi eu la possibilité d’intervenir sur le texte, alors qu’il était quasiment terminé. Par contre, les organes représentatifs des religieux ont été ignorés : ainsi, l’USG et l’UISG n’ont pas été consultés.

Quoi qu’il en soit, on perçoit à la lecture du texte qu’une bonne partie des suggestions qu’il contient se trouvaient déjà dans les discours prononcés par le Pape à l’occasion des audiences du mercredi. Ces discours avaient déjà commencé avant la célébration du Synode, et ils se sont poursuivis encore pendant quelques mois : certains ont fait remarquer qu’ils contenaient des idées théologiques chères au Père J. Galot et à d’autres experts romains (les PP. Beyer, Ghirlanda, Pigna, Spiazzi). Effectivement, Jean-Paul II, lors des audiences du mercredi, y compris durant le Synode lui-même, ne développa pas toujours des idées correspondant à ce dont parlaient les Pères synodaux : le thème de la « consécration nouvelle et spéciale » est typique à ce point de vue. Il s’agit d’une question débattue et controversée durant le Synode, au point de faire l’objet d’une proposition spécifique (n. 3d), qui demandait que la question soit étudiée plus profondément. Pourtant, au même moment, cette question avait déjà été résolue par le Pape dans son intervention du 26 octobre 1994 (alors que le Synode n’était pas encore terminé).

Il vaut encore la peine de relever que la rédaction du texte a été faite en italien, tout d’abord par un expert italien pour le Secrétariat permanent du Synode, puis par un coordonnateur italien de la Secrétairerie d’État. Ceci explique le raffinement du langage, de même qu’un certain « romantisme poétique », présent à différents endroits du texte, ou encore le caractère intraduisible de certains termes, qui sont en fait des néologismes (il n’a donc pas été facile de les traduire dans d’autres langues).

Une approche plus spécifique : la continuité matérielle avec le Synode

Une première approche directe est celle du rapport entre le texte de l’exhortation et tout le travail synodal, ce que le Pape a appelé « les fruits d’une stimulante confrontation » (VC 13a). Vita consecrata correspond-elle aux indications principales apparues lors de la préparation et du déroulement du Synode ?

On pourrait vérifier « matériellement » la fidélité de l’exhortation au Synode à partir des citations des documents principaux du travail synodal. On ne trouve dans Vita consecrata aucune citation des Lineamenta - texte particulièrement critiqué - mais aucune non plus de l’Instrumentum laboris, que beaucoup, au contraire, apprécient encore et retiennent comme une excellente synthèse des tendances les plus répandues. Il y a une seule citation, de peu de valeur, de la Relatio ante disceptationem (cf. VC 81a), aucune citation de la Relatio post disceptationem, tandis que le message du Synode est cité seulement deux fois (cf. les notes de VC 6 et 35).

Les propositions synodales, au contraire, ont l’honneur d’une présence abondante - on compte quatre-vingt-une références aux propositions, mais jamais sous forme de citation textuelle. On trouve également huit citations des discours du Pape dans le contexte synodal (en particulier les audiences du mercredi). Il semble cependant que l’esquisse du document contenait beaucoup plus de citations des discours du mercredi, avec de longues phrases insérées dans le texte. Enfin, aucune intervention des Pères synodaux n’est citée explicitement, mais on découvre çà et là des phrases et des idées qui ont été présentées au synode dans les interventions orales.

Nous pouvons donc dire que, matériellement, le texte de l’exhortation présente une certaine continuité avec le travail synodal. On peut ajouter à cela que reviennent fréquemment dans le document certaines terminologies que le Synode avait utilisées avec conviction, telles que défi, provocation, fidélité, créativité, prophétie, discernement, culture, communion, spiritualité, signe, etc. Il faut reconnaître que le vocabulaire de l’exhortation a des perspectives au fond assez traditionnelles, mais le texte emploie aussi fréquemment des expressions suggestives, symboliques et même prophétiques. Ces dernières caractéristiques avaient également été demandées par les Pères synodaux, pour éviter que la lourdeur du texte n’en empêche la lecture, et pour encourager les consacrés par un style positif et suggestif.

Un autre élément de continuité avec le Synode - mais aussi de rupture avec l’Instrumentum laboris - est la présentation des trois grands noyaux (identité, communion, mission) en allant de la théorie à la pratique, de l’unité à la diversité. Les Supérieurs Généraux avaient au contraire demandé de partir de la mission, pour éviter une présentation abstraite et générique de la vie consacrée. L’Instrumentum laboris avait accueilli cette proposition, de même que la Relatio post disceptationem. La Curie romaine (influencée par certains théologiens locaux) avait au contraire rejeté cette manière de procéder, la considérant comme dangereuse pour l’identité claire et distincte de la vie consacrée. L’exhortation suit grosso modo cette dernière opinion : l’introduction de Vita consecrata comporte une série de paragraphes (VC 6-12) dédiés à la variété historique des formes de la vie consacrée, non pas selon les charismes mais selon les grandes catégories. De temps en temps, il y a de brèves allusions à la phénoménologie historique et à la variété des charismes et des traditions : c’est un signe que le développement historique présenté à partir de grandes classifications abstraites ne suffit pas.

Pour bien comprendre la continuité ou la discontinuité de l’exhortation par rapport aux résultats du Synode, il faut toutefois noter que le Pape ne pouvait pas se limiter à faire référence de manière organique et systématique à ce qui avait mûri dans le contexte synodal. Il devait nécessairement développer un discours global, qui toucherait les points névralgiques du thème de la vie consacrée, complétant ce qui n’avait pas été traité et, en même temps, donnant aux thèmes que le Synode avait abordés une intégration organique avec le reste. Le texte de l’exhortation est un document du magistère pontifical, non la pure retranscription des opinions de la majorité. De ce fait, le Pape a opéré des options spécifiques, faisant peser son opinion de manière qualifiée et décisive.

Quelques caractéristiques plus manifestes

On ne peut parler de tout évidemment. Je me limiterai ici à quelques caractéristiques que je considère comme évidentes et plus marquées.

Une identité claire et décidée

Dans la proposition 3, les Pères synodaux avaient cherché à exposer de manière dense et synthétique les caractéristiques théologico-ecclésiales fondamentales de la vocation et de la mission de la vie consacrée dans l’Église et dans le monde. Après avoir fait allusion aux notes biblique, théologale, christocentrique, pneumatologique, ecclésiologique, anthropologique et eschatologique, les Pères avaient demandé au Pape que la publication de l’exhortation soit précédée d’une étude soignée des éléments principaux de cette identité et de la relation entre les différentes figures ecclésiales.

Nous ne savons pas si cette étude a été faite avec l’approfondissement et la participation demandés par le Synode, mais il est certain que, dans son exhortation, le Pape a voulu dire avec clarté et (détermination ce qu’il pensait de l’identité et de la situation ecclésiale de ce genre de vie.

Nous pouvons présenter l’identité de la vie consacrée de manière schématique :

  • la vie consacrée est un élément essentiel, constituant, irremplaçable de l’Église et de sa nature (VC 29b) ; il n’y a pas d’Église mûre sans vie consacrée (VC 48c) ;
  • son origine se trouve dans la volonté « fondatrice » du Christ lui-même : celui-ci a appelé certains à rendre présente dans l’Église sa propre vie, de manière exemplaire (VC 29c, 30a, 16a, 22a). Il convient de noter qu’il y a ici une superposition de l’appel d’hommes et de femmes dans les évangiles avec la forme historique de la vie consacrée, en tant que pratique des trois « conseils évangéliques » ;
  • le but de la vie consacrée est « l’identification et la ‘configuration’ au Christ de l’existence entière » (VC 16d, cf. 18c, 19b, 72b). Mais ce christocentrisme a un but encore plus élevé, la « confessio Trinitatis qui caractérise toute la vie chrétienne » (VC 16d) ;
  • la relation avec la Trinité domine une série de paragraphes (VC 17-22) : il s’agit d’une perspective en partie nouvelle, mais qui en arrive parfois à des expressions plus mystiques que logiques ou théologiques. Pour le Pape, la vie consacrée - dans son identité théologale - est une existence transfigurée ; elle est la trace du mystère trinitaire, le reflet des relations intratrinitaires.
  • la vie consacrée est constituée par une « consécration spéciale et nouvelle » (VC 30, 31 d), enracinée dans le baptême et la confirmation, mais qui va au-delà de ces exigences, pour une « configuration » plus radicale et visible au Christ chaste, pauvre et obéissant (VC 19b ; ailleurs, on ajoute orant et missionnaire : VC 77). La porte d’entrée de ce genre de vie est l’engagement à la chasteté parfaite (VC 32c). De là dérive l’excellence objective de cette vie (VC 18c, 32b), par rapport aux autres états de vie ;
  • il s’agit d’une existence transfigurée, configurée au Christ et à son mode de vivre ; cependant, ce n’est pas une raison pour isoler la consécration de la mission : ces deux pôles sont intrinsèquement unis. « La personne consacrée est ‘en mission’ en vertu de sa consécration même » (VC 72c) ;
  • dernière conséquence, importante, du développement de l’exhortation sur le sujet : il y a dans l’Église trois états « paradigmatiques » de vie ou vocations (VC 31c), ils ont été « voulus par le Seigneur Jésus pour son Église » (VC 4b).

Un christocentrisme évident et ouvert

À partir de ce qui a été dit sur l’identité, il apparaît déjà que la ligne christologique dans l’exhortation est particulièrement centrale, qu’elle est « l’unité fondamentale » des diverses formes de vie consacrée (VC 12c).

La présence du mystère et de la mission du Christ, dans le texte de l’exhortation, passe de la visibilité des « traits caractéristiques de Jésus, chaste, pauvre et obéissant » (Introduction, VC la) à « l’identification et à la ‘configuration’ au mystère du Christ » (chapitre I, VC 16d) ; de « l’expérience des Douze qui avaient tout partagé avec le Christ », lequel a toujours été le « modèle dont l’Église s’est inspirée » (chapitre II, VC 41a), au fait que la mission de la vie consacrée consiste à « rendre présent au monde le Christ lui-même... qui est à la fois consacré à la gloire du Père et envoyé au monde pour le salut de ses frères et de ses sœurs » (chapitre III, VC 72bc). En substance, il s’agit de « répandre dans la société actuelle le bon parfum du Christ » comme ses témoins authentiques par la vie et les œuvres (conclusion, VC 105c).

Nombreux sont les titres christologiques et les perspectives que nous rencontrons. Ils ne sont pas toujours réductibles à l’icône guide de la transfiguration (VC 15). Cependant, la possibilité est ainsi offerte de présenter une christologie ouverte sur de nombreuses perspectives, peut-être plus verticales dans la première partie et plus dynamiques et existentielles dans la troisième. En ce qui concerne les consacrés, il me semble qu’il y a trois points focaux :

  • avant tout, l’« adhésion qui est ‘configuration’ de toute l’existence au Christ » (VC 16b), et non pour certains aspects seulement : par là se révèle une « tension totalisante » qui, d’une certaine manière, annonce l’avenir ;
  • une existence totalement « transfigurée » en Christ (VC 35b) et « soutenue par sa grâce » (VC 40a) : il s’agit d’un parcours épiphanique (de manifestation) qui ne monopolise pas le Christ ni ne le schématise de manière réductrice, mais qui le révèle et renvoie toujours de nouveau à lui ;
  • enfin, le fait de « rendre témoignage au Christ par la vie, par les œuvres et par la parole » (VC 109b), dans un style particulier présentant la caractéristique du « signe » qui réclame l’attention, suscite des demandes et provoque l’étonnement.

En tout cas, apparaît avec évidence la tentative d’aller au-delà des perspectives ecclésiologiques et anthropologiques qui avaient dominé dans les dernières décennies - sans toutefois les oublier - pour affirmer, sous des formes et symbolismes variés, la présence vive et permanente, prophétique et libératrice du mystère du Christ. En Christ, on veut souligner la présence et le reflet du mystère de la Trinité tout entière.

Prophétie et martyre reconnus et accentués

À propos de ces deux aspects, une certaine méfiance s’était fait jour, de la part de la Curie romaine et de quelques évêques - cela apparut aussi avec évidence au cours du Synode. Le Pape a choisi au contraire de donner un relief propre à cette catégorie interprétative de la vie consacrée. Cette terminologie est présente une trentaine de fois dans l’exhortation, éparpillée un peu partout dans le texte. Il ne s’agit donc pas d’affirmations isolées et fortuites, mais d’un fil rouge qui traverse le texte tout entier. En vérifiant de près ces affirmations, on voit que la substance de ce « ministère prophétique est de rappeler et de servir le dessein de Dieu sur les hommes » à la lumière de l’Écriture, mais le texte ajoute également « tel que la lecture attentive des signes de l’action providentielle de Dieu dans l’histoire le fait apparaître » (VC 73a). Le projet que Dieu a sur nous est celui d’une « humanité sauvée et réconciliée » (VC 73a).

Seules une expérience profonde de Dieu nourrie par l’écoute de la Parole, une suite généreuse du Christ, une ouverture à la voix de l’Esprit, jointes à la lecture et au discernement des signes des temps, des appels de Dieu à travers les situations historiques, peuvent conduire à « travailler selon ses desseins en s’intéressant de manière dynamique et féconde aux questions de notre temps » (VC 73a). Le prophète n’est pas celui qui voit seulement les choses de Dieu, en se rendant étranger à l’histoire ; mais il voit Dieu actif et présent à l’intérieur de l’histoire comme juge et guide, il est séduit par lui, comme Jérémie (VC 19b), et il se met au service de sa vérité avec franchise et liberté (VC 85a). Le même radicalisme dans la suite du Christ est fondamental pour une prophétie authentique (VC 84a).

Aux deux amples paragraphes explicitement consacrés au thème du prophétisme et de son importance (VC 84-85), il faut encore ajouter les mentions de ce thème, parfois assez développées : c’est le cas des paragraphes qui présentent les grands défis lancés par la vie consacrée à 1’hédonisme, au matérialisme avide de possession, à la liberté exacerbée et aux divisions fanatiques (VC 87-92). On propose alors deux manières de déprivatiser les domaines vitaux des conseils évangéliques : if ne s’agit pas seulement de rappeler des valeurs évangéliques ou spirituelles, mais aussi de réagir à des « contre-valeurs » ou des défis qui proviennent de la culture contemporaine, et qui mettent en crise une conception des trois conseils évangéliques « auto-exaltante » et centrée sur la gestion intimiste. Ensuite, on demande que la manière même de vivre ces valeurs évangéliques se mesure, se structure et se confronte avec les défis et les sensibilités culturelles de nos contemporains, en vue d’une interpellation réellement efficace.

Quant au thème du martyre, un paragraphe spécial lui est consacré (VC 86), mais le sujet est abordé au moins une dizaine de fois dans l’exhortation, comme en passant, toujours avec admiration et respect. En effet, la vie consacrée, ces dernières années, a témoigné de sa capacité d’affronter les risques et les persécutions, non seulement pour le principe de la foi pure, mais aussi pour la charité et la promotion de la justice, comme cela ne s’était jamais produit dans le passé.

Options historiques flexibles, riches de « signe »

On a l’impression que le Pape n’a pas indiqué des options claires et pratiques pour la vie consacrée : en effet, il reste toujours très vague et générique dans la mise en évidence de secteurs et de contextes. Il me semble que cette manière de procéder est heureuse. En effet, quel sens y aurait-il à proposer des options concrètes et précises, quand la vie consacrée connaît des contextes si différents et des charismes si diversifiés ?

Le Pape n’est pas préoccupé de susciter une meilleure organisation, une efficacité pratique plus évidente de la vie consacrée : il se préoccupe plutôt de rapporter aussi à la dimension historique et apostolique de celle-ci la perspective qu’il avait soulignée pour son identité. La vie consacrée n’est pas faite d’observances régulières, d’exercices vertueux, de schémas moraux obligatoires ; elle est expérience de configuration et de transfiguration, et elle est donc davantage du côté de la mystique que de l’éthique et du droit. La mission de la vie consacrée doit être un courant sapientiel, une capacité de discerner, en écoutant et en interprétant, plutôt qu’une organisation d’activités charitables ou éducatives. Elle doit être plus du type de la sentinelle qui avertit et interpelle (cf. Jr 33,7) que de la main-d’œuvre généreuse et silencieuse. On comprend ainsi l’insistance sur le rôle du signe, de figures qui fascinent, sur la capacité d’interpeller, de faire intuitionner symboliquement.

Dans cette ligne, on peut apprécier positivement l’éloge des communautés fraternelles qui sont « un signe et une force d’attraction » (VC 46a) et les suggestions pour être « lieux d’espérance » et signe de « fraternité dans un monde divisé et injuste » (VC 51). On appréciera également la lecture positive et encourageante des nouvelles formes de participation des laïcs au charisme et à la mission d’un institut (VC 54-56) : dans ces derniers paragraphes est mise en évidence une disponibilité à penser de manière nouvelle le phénomène des associations et de la coresponsabilité par rapport au charisme de l’institut.

L’appel fréquent au discernement, au sens critique, à la provocation interpellante, au dialogue et à l’écoute, à l’audace des nouveaux projets, à l’élaboration de nouveaux modèles culturels, manifeste la volonté d’appeler les consacrés à être « des auditeurs avisés et des experts en communication » (VC 99b), des « interlocuteurs privilégiés » (VC 103a) des angoisses les plus profondes de notre humanité. De ce fait, on comprend l’appel à un « attachement renouvelé à l’engagement culturel » (VC 98c), pour acquérir à la fois une mentalité ouverte et flexible et « un sens critique aigu... devant les problèmes inédits de notre temps » (VC 98e).

La spiritualité, sagesse et plénitude de vie

Lors du Synode, un accent notable a été placé sur la qualité spirituelle de la vie des consacrés, avec le danger d’une spiritualisation excessive du témoignage qu’on attend d’eux. Dans l’exhortation, cet accent est également présent, mais dans des perspectives différentes, parfois un peu forcées, comme lorsqu’on parle des moyens ascétiques et du combat spirituel (VC 38), en les séparant quasiment du primat de la Parole et de la centralité de l’Eucharistie (qui apparaissent en fait ailleurs : cf. VC 93-95).

La première exigence de cette spiritualité est posée au fondement même de la vie consacrée : elle doit être une vie alimentée par la docilité à suivre et à rendre à l’Esprit, une vie qui sait « voir à travers » les formes historiques du Christ un reflet du mystère ineffable de la Trinité, une vie qui a le goût de la mystique et de l’expérience de Dieu, plutôt que du lien juridique ou du comportement éthique correct. L’icône de la transfiguration offre à ce propos une approche très suggestive.

Mais il y a une autre perspective, tout aussi importante : on la rencontre dans les nombreux passages où l’exhortation parle de la Parole qui rend capable d’écouter les appels de Dieu dans l’histoire (cf. VC 34c, 71b, 73a, 94c), des signes des temps et des attentes humaines qui requièrent des interlocuteurs avisés (cf. VC 103a, 81c, 99b), et de la proposition de « signes » qui fassent penser. On mentionne les tragédies et les souffrances qu’il importe d’approcher avec les sentiments mêmes du Christ, pour les alléger mais aussi pour apporter des solutions structurelles capables d’en empêcher la multiplication (VC 82b, 89b, 90c). De ce fait, nous pouvons dire qu’il s’agit d’une spiritualité qui ne favorise pas le désengagement et la fuite de l’histoire, mais au contraire rend plus attentif et plus conscient des imperfections secrètes ou évidentes de cette même histoire. Dans le contexte de la formation, on dit qu’elle est « une démarche vitale qui amène à se convertir au Verbe de Dieu jusque dans la profondeur de l’être et, en même temps, à apprendre l’art de chercher les signes de Dieu au milieu des réalités du monde » (VC 68c). C’est une confirmation du fil rouge qui traverse l’exhortation.

Tout cela est dit en vue d’élaborer de nouveaux chemins de fraternité et de liberté, avec une audace prophétique, avec l’humilité de « laver les pieds » à l’humanité (VC 75), dans le but de diffuser prophétiquement le message de libération reçu du Christ, « en encourageant des états d’esprit et des conduites conformes aux intentions du Seigneur » (VC 57b).

Thèmes très peu clairs ou peu développés

Je voudrais maintenant aussi traiter brièvement de quelques points dont il me semble qu’ils n’ont pas été traités avec l’importance et la clarté requises. Ici également, je ferai une sélection, avec le risque de négliger des thèmes que certains considéreront comme plus importants.

Le concept de consécration

Le concept de consécration est utilisé avec une abondance peut-être excessive, mais on ne trouve jamais clairement expliqué en quoi il consiste. L’exhortation affirme certes clairement qu’il s’agit d’une « consécration nouvelle et spéciale », distincte e la consécration baptismale, du sceau de la confirmation, de la consécration sacerdotale elle-même (VC 30,31). Il y a ici un balancement entre la perspective théologale - selon laquelle c’est Dieu qui consacre par une intervention spécifique - et la perspective anthropologique - selon laquelle c’est la personne qui se consacre par un geste de donation, moyennant le ministère de l’Église. Cette seconde perspective est la plus fréquemment rencontrée. Aux dires du P. Betti, elle est l’interprétation correcte (cf. Si sono consacrati a Te, dans L’Osservatore romano, 1-2 juillet 1996, p. 1, 4).

Il s’agit d’une question relativement débattue parmi les théologiens romains. L’exhortation y apporte une confusion supplémentaire, dans la mesure où elle peut s’interpréter de diverses manières. Au fond, est ici en jeu la possibilité d’une « transformation ontologique » de la personne au moyen de la « consécration » opérée par Dieu lui-même. Mais l’exhortation ne semble pas le dire explicitement. Elle paraît plutôt préoccupée de réaliser toutes les conditions, théologiques et ecclésiales, pour constituer la dignité et l’autonomie d’un « état ecclésial » spécifique, celui de la vie consacrée, distinct de l’état laïcal et du sacerdotal. Cette distinction même en « trois états de vie » n’est pas sans poser problème, parce qu’elle semble répondre plus à des exigences juridiques qu’à des réalités théologiques.

Oubli de la théologie du charisme

Il me semble que cet accent sur la consécration - en continuité assez évidente avec le Concile et le Code de droit canonique - a affaibli la théologie du charisme. En effet, l’exhortation parle de manière diffuse du charisme, mais toujours par petits fragments, sans lui donner cette centralité qu’il a eue dans la littérature récente sur le sujet, et qu’il avait dans l’Instrumentum laboris du Synode. Par exemple, le titre du paragraphe 36 - fidélité au charisme - ne doit pas tromper : les personnes de la Trinité s’y mélangent avec la fidélité aux traditions et aux constitutions. La définition même du « charisme » - reprise de Mutuæ relationes 11 - est située dans le contexte de la relation avec l’Église diocésaine (VC 48b) pour défendre la juste autonomie des instituts religieux.

Même quand l’exhortation décrit les diverses formes historiques qui peuvent être situées dans le cadre de la vie consacrée, elle parle en termes de catégories et non de charismes, avec le risque de simplifications excessives ou d’oublis déconcertants. On le voit par exemple dans la distinction artificielle entre la vie monastique et la vie contemplative (VC 6-8), ou encore dans l’absence de mention de la variété historique dans le paragraphe sur la vie apostolique (VC 9), où on ne distingue pas entre la tradition canoniale, la tradition mendiante, les groupes cléricaux et toute autre forme de diaconie apostolique. Étonnamment, il se trouve que la virginité ou la chasteté n’est même pas reconnue comme charisme ; on en donne plutôt une description romantiquement trinitaire (VC 21b).

Cependant, l’ouverture notable au dynamisme de l’histoire et l’insistance sur le discernement et les défis auraient pu mieux se justifier et s’organiser sur la base du charisme et de son apport de « vraie nouveauté dans la vie spirituelle de l’Église et d’initiative dans l’action » (MR 12). À la façon dont le discours sur la créativité et l’ouverture à la nouveauté est présenté, le charisme semble plutôt être le fruit de culture et de sensibilité historique, de sens pratique et de confiance en la Providence. Une référence éventuelle au charisme est faite plus pour rappeler la conservation que l’invention. Le paragraphe 37 en est un exemple emblématique : il est intitulé « fidélité et créativité », mais il insiste sur le fait de « rester fidèle à l’inspiration des origines » et de « répondre aux exigences de l’époque sans s’éloigner de l’inspiration initiale » (VC 37ab).

Autres fragilités théologiques

En restant dans le contexte théologique, il y a quelques notes caractéristiques de l’exhortation qui, à première vue, semblent aussi intéressantes, mais qui, en fait, ne sont pas convaincantes. La première est la perspective trinitaire de la vie consacrée. Il s’agit d’une nouveauté, également par rapport aux indications données par le Synode. Le développement de cette relation pose parfois question, ainsi quand on veut transférer au ciel des catégories nées de l’histoire. C’est le cas des conseils évangéliques qualifiés de « don et reflet » de la Trinité (VC 20-21), dans un langage plus homilétique que théologique. Surtout, les trois conseils sont présentés comme paradigmatiques depuis la vie même de Jésus (VC 18c), alors qu’on sait que la « triade » est le fruit de lectures historiques et de traditions de notre millénaire.

Heureusement, çà et là, on donne aussi des caractéristiques de Jésus autres que celles de pauvre-chaste-obéissant : par exemple, on le montre également comme « orant et missionnaire » (VC 77), « consacré et envoyé dans le monde » (VC 72a, 22a). Mais il ne s’agit de toute façon jamais de la multiplicité de ses « conseils » et il n’est fait que rarement allusion au radicalisme évangélique comme paradigme fondamental de toute vie chrétienne. Il me semble que domine, plus que toute autre, une christologie « globale », appelée « mystère du Christ » (VC 16a), dont on déduit des applications bonnes pour tous les thèmes abordés. Le recours fréquent à la Bible - on en trouve dans l’exhortation cent quatre-vingt-six citations, surtout du Nouveau Testament - semble géré de manière « accommodatice », sans référence à la tradition spirituelle.

Repenser les modèles dont on a hérité

Un aspect qu’il me semble important de souligner est celui du modèle institutionnel et des stratifications culturelles de la vie consacrée. Nous avons déjà noté qu’il y a dans l’exhortation un fort appel à prendre au sérieux les tendances de la culture actuelle, à répondre aux provocations de la culture par des contre-défis courageux et évangéliques, à « répondre avec la sagesse de l’Évangile aux questions que pose aujourd’hui l’inquiétude du cœur humain » (VC 81c). On en arrive même à dire que le contact de la vie consacrée avec d’autres cultures doit devenir générateur de nouveaux « styles de vie et méthodes pastorales », pour qu’ils deviennent proposition culturelle, modèles d’inculturation (VC 80b). Mais l’exhortation n’a pas été jusqu’à reconnaître que le modèle institutionnalisé de la vie consacrée - consolidé en Occident et exporté dans le monde entier - a besoin d’une refondation profonde et créative.

Plusieurs fois, il est fait allusion aux crises vécues ces dernières années, au déplacement désormais évident de la vitalité de la vie consacrée de l’hémisphère nord vers l’hémisphère sud, au souci de réorganiser les œuvres ou même de survivre matériellement dans certaines provinces ou dans des instituts entiers (VC 63-64 ; 13bc, 2d, 3b...). Mais, tout de suite après, on refuse d’entrer dans l’analyse des causes et du sens de ces réalités, pour affirmer qu’on ne doit « en aucune manière perdre confiance dans la force évangélique de la vie consacrée » (VC 63c). Et pourtant c’est précisément là que se trouve, selon moi, un des nœuds décisifs de la vie consacrée et de son avenir : dans le fait de repenser, de manière sérieuse et créative, son propre modèle de vie, son organisation et sa physionomie ecclésiales, ses processus de formation et ses langages de communication, l’organisation de l’apostolat et les schémas anthropologiques. Mais ce que le Pape ne dit pas explicitement, nous pouvons le déduire comme une conséquence logique quand nous prenons au sérieux l’invitation à élaborer de « nouveaux modèles culturels », à être une « véritable culture de référence » (VC 80ab).

Cette réticence à parler de déstructuration créative, face au refus ou aux provocations culturelles, me semble avoir eu également comme conséquence une perte de vigueur du thème de l’inculturation (VC 79-80) : les Pères synodaux avaient fait observer que le « défi de l’inculturation » exigeait, non seulement réceptivité et confiance, mais aussi audace, changements profonds, risque dans tous les domaines, caractère provisoire des résultats, changement de paradigmes et de modèles. Dans le texte du Pape, tout cela est comme nuancé, rendu générique et incolore, traité comme si le problème principal était l’adaptation et la sympathie, et non la crise provoquée par l’expérience de kenosis et par la rupture des certitudes culturelles. Après les interventions au Synode, on s’attendait à ce qu’il soit dit clairement que le modèle occidental ne peut pas être sacralisé, que les communautés et les Églises locales ont un « protagonisme » direct, et qu’elles doivent avoir pleinement confiance dans le « labeur complexe de l’inculturation » (VC 79b).

Questions disputées, mais non résolues

Au cours du synode, ont surgi de vraies quaestiones disputatae : la clôture des moniales, la place et le rôle des femmes, les instituts mixtes de frères et de prêtres, les nouvelles formes de vie consacrée, la révision et le complément de Mutuae relationes, l’identité des instituts séculiers de prêtres, la possibilité pour les vierges consacrées de s’associer et de se réunir, la collaboration entre instituts, etc. On s’attendait à ce que l’exhortation indique des solutions pratiques, en communion avec la mens des Pères synodaux, exprimée sur les cas singuliers par les propositions. Au contraire, les questions ont été renvoyées en bonne partie aux résultats des commissions d’étude appropriées, dont on sait peu de choses.

En ce qui concerne une plus grande souplesse dans l’observance de la clôture des moniales, le Pape n’a pas montré qu’il partageait la requête des Pères synodaux : en effet, le paragraphe traitant de cette question (VC 59 : le plus long de tous), à côté d’éloges un peu étranges quant à la valeur de la clôture, reste par ailleurs vague, disant moins que la proposition elle-même (prop. 22-23). Pour ce qui est de l’égalité juridique dans les instituts mixtes, le Pape ne confirme pas l’accueil positif du Synode, mais il demande une étude ultérieure et une évaluation de l’opportunité et du caractère réalisable du changement (VC 61). Il ne fait pas allusion à la révision de Mutuæ relationes, ni à la question des vierges consacrées, tandis qu’une brève description est faite de la spécificité des instituts séculiers cléricaux (VC 10c). Par rapport au thème de la collaboration entre instituts - pour la formation, la fidélité au charisme et l’apostolat - l’exhortation ne semble guère enthousiaste (VC 52), elle est même réticente, face aux multiples expériences, par exemple de formation conjointe, de stages, de noviciat communs, de fédérations et de projets d’union. L’union des instituts semble quasi totalement ignorée.

La femme consacrée et les nouvelles communautés

Au contraire, un développement plus spécifique est consacré aux formes nouvelles ainsi qu’au rôle de la femme dans l’Église. Le Pape aborde la question de la femme consacrée dans deux paragraphes (VC 57-58), que l’on peut estimer assez ouverts. Il reconnaît tant la richesse, l’originalité et la spécificité du témoignage des femmes dans l’Église que la présence de discriminations injustifiées à leur égard, de même que « le bien-fondé de beaucoup de revendications concernant la position de la femme dans divers milieux sociaux et ecclésiaux » (VC 57a). La reconnaissance de fait qu’« il est urgent de faire quelques pas concrets, en commençant par ouvrir aux femmes des espaces de participation dans divers secteurs et à tous les niveaux » (VC 58a), est accompagnée d’indications très générales mais d’aucune proposition pratique. Il y a ici un risque évident d’en rester au stade des bonnes intentions, généreuses mais aussi répétitives.

Le texte revient deux fois sur la question des nouvelles formes de vie consacrée (VC 12 et 62) : dans les deux cas, il reconnaît l’influence du Saint-Esprit, mais il exclut aussi que ces nouvelles formes soient une alternative aux institutions précédentes, confirmées par les siècles. En outre, il signale quelques éléments de nouveauté dans certaines de ces expériences : « il s’agit de groupes d’hommes et de femmes, de clercs et de laïcs, de personnes mariées et célibataires, qui suivent un mode de vie particulier » (VC 62b). En ce qui concerne le discernement de leurs charismes, l’exhortation reste assez générique, en renvoyant pour plus de détails aux résultats des commissions spécialement instituées à ce propos.

En conclusion

Le Pape lui-même se montre convaincu que son exhortation ne peut clore tout discours et toute expérience. Bien au contraire, il invite à continuer la réflexion, soit du côté des grands concepts - consécration, communion, mission - soit du côté de l’interprétation des défis qui émergent, pour une réponse spirituelle et apostolique efficace (VC 13d).

Effectivement, il faut reconnaître que le texte se caractérise par un grand effort pour intégrer la variété des opinions et des sensibilités. Il y réussit assez bien dans la troisième partie - même s’il néglige beaucoup de thèmes - ; un tel effort est peu visible dans la partie ecclésiologique, trop centrée sur quelques questions practico-juridiques, tandis qu’il échoue relativement dans la première partie, la réflexion théologique sur l’identité de la vie consacrée. Il faut également dire qu’il y a beaucoup plus sous les cieux et dans les livres, dans la vie et dans l’histoire : la sélection réductive est évidente dans le premier chapitre, ce qui rend difficile la réception des autres parties, si différentes par leur langage et leurs modèles de référence.

Une seconde remarque conclusive concerne la nécessité de tirer toutes les conséquences du changement des paradigmes culturels et des crises qui en découlent quant au modèle traditionnel de la vie consacrée. De nombreuses voix, au cours du synode, demandèrent avec insistance que la nouveauté qui est en train de germer dans les multiples expériences actuelles ne soit pas ramenée à de vieux schémas. De la même manière, l’Instrumentum laboris parlait à ce sujet de proposer « des outres neuves, quand les vieilles ne sont pas capables de contenir le vin nouveau » (IL 93). On ne voit pas comment honorer l’engagement d’« élaborer et mettre en œuvre de nouveaux projets d’évangélisation pour les situations actuelles » (VC 73d) en continuant à ne pas soumettre à vérification tout le système de vie et d’activité hérité du passé. Sur ce point, cependant, le Pape ne semble pas préoccupé : il donne pour certain que l’unique problème est de maintenir « l’engagement de la fidélité » (VC 63d).

La persévérance dans l’adhésion spirituelle au Seigneur ne dispense peut-être pas de vérifier la validité et la plausibilité des médiations liées à la culture et à l’histoire. Déjà, le Concile avait nié que l’Église puisse se lier de manière exclusive et indissociable à un modèle culturel (GS 58), et avait adressé aux religieux l’ordre suivant : « L’organisation de la vie, de la prière et de l’activité doit être convenablement adaptée aux conditions physiques et psychiques actuelles des religieux et aussi, dans la mesure où le requiert le caractère de chaque institut, aux besoins de l’apostolat, aux exigences de la culture, aux circonstances sociales et économiques » (PC 3). Pourquoi l’intéressante proposition de nouvelles significations anthropologiques pour les conseils et la vie fraternelle (VC 88-92) ne pourrait-elle être élargie aux modèles de gouvernement et de communauté, aux chemins de formation et à la réciprocité femme-homme, à la visibilité ecclésiale et à la participation à l’histoire ?

Différents auteurs ont insisté sur ce point, ces dernières années : il faut repenser profondément le modèle global de cette révision, en acceptant les conséquences qui peuvent même apparaître révolutionnaires. Il est sûr qu’après l’élan innovateur des années post-conciliaires, il s’est imposé, cette dernière décennie, une certaine atmosphère de restauration et de retour à la vieille discipline. Les sociologues mettent en garde contre le retour aux vieux schémas sûrs et au sacré réconfortant, contre le besoin diffus de certitudes et la fragilité des jeunes en face du risque et des engagements à long terme. Il y a le danger qu’on réponde à ces symptômes par une proposition nostalgique pour le modèle de la mémoire, et une thérapie de restauration idolâtrique ou purement administrative.

Il faut au contraire avoir le courage de penser de manière géniale et créative, de re-fonder avec liberté les médiations significatives pour transmettre les grandes valeurs de la sequela Christi, et pour offrir à la communauté ecclésiale et à notre humanité le charme d’une « existence transfigurée » par l’Esprit de sainteté et par la conformité à la volonté salvifique de Dieu.

Borgo S. Angelo 15
I-00193 ROMA Italie

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