Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique d’Écriture Sainte

Didier Luciani

N°1995-5 Septembre 1995

| P. 318-333 |

Le numéro de septembre de notre revue voit revenir chaque année avec intérêt la “Chronique d’Écriture sainte”. Tous les livres recensés (près d’une vingtaine cette fois) ne touchent pas, c’est évident, à des questions exégétiques intéressant directement la vie consacrée ; mais bon nombre de nos lectrices et de nos lecteurs, responsables de bibliothèques, engagés dans la catéchèse ou dans la formation sous diverses formes, trouveront encore cette fois des recensions, précises et bien informées, au sujet de livres de niveau et de contenu variés.

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Une petite vingtaine de livres recensés, répartis de manière quelque peu arbitraire en cinq catégories, composent cette chronique d’Écriture Sainte : tout d’abord les instruments de travail et les traductions bibliques ; en second lieu, les lectures spirituelles de l’un ou l’autre livre de l’Écriture ; troisièmement, les ouvrages concernant le problème herméneutique ; quatrièmement, les commentaires et les études exégétiques sur l’Ancien Testament ; enfin, ceux sur le Nouveau Testament.

I

Commençons donc par notre premier instrument de travail, qui se révélera vite indispensable à de nombreux utilisateurs. Il s’agit du Guide de la Bible hébraïque [1] publié par deux professeurs de la faculté de théologie de Lausanne, Th. Römer et J. D. Macchi, et destiné à introduire à ce qui devrait rester l’une des premières étapes de tout travail exégétique sérieux : l’établissement du texte par la critique textuelle. L’ouvrage comporte trois chapitres : un premier sur le système d’annotations des massorètes (les rabbins qui ont transmis le texte de la Bible hébraïque) ; un deuxième sur l’apparat critique, qui recense les principales variantes et donne des critères pour les évaluer ; un troisième enfin qui fournit la liste de tous les sigles, signes et abréviations utilisés dans cet apparat critique. Cet opuscule ne fait pas double emploi avec la préface de Elliger, Rudolph et Weil dans la Biblia Hebraica Stuttgartensia. Il met à la disposition de tous des indications qui ne se trouvaient qu’en latin dans cette édition. Il permet de mieux comprendre et d’apprécier le travail magistral et encore inachevé de D. Barthélemy sur la critique textuelle de l’Ancien Testament.

Toujours concernant le texte de l’Ancien Testament, mais cette fois pour la seule partie araméenne du livre de Daniel, une autre lacune est comblée [2]. Jean Margain, professeur de langues anciennes à l’Institut catholique de Paris et à l’École pratique des hautes études (4e section), par ailleurs grand spécialiste du Pentateuque samaritain, nous fournit, en effet, un commentaire philologique à la fois clair et concis de ces passages (Dn 2,4b-7, 28), donnant pour chaque mot du texte sa traduction, ses particularités phonétiques et morphologiques ainsi que sa fonction grammaticale dans la phrase. Ce manuel pourra servir aussi bien comme livre d’exercices et accompagner la “Grammaire d’araméen biblique”, parue en 1988 dans la même collection, grâce à la diligence du même auteur. On n’a désormais plus aucune raison d’être rebuté par l’étude de cette section araméenne du livre de Daniel.

Il y a deux ans, les éditions du Cerf publiaient, dans leur série de grands dictionnaires et sous la signature de M. Cocagnac, un lexique théologique sur les symboles bibliques, (Les symboles bibliques, 1993), analysant en vingt et une sections les réalités principales qui forment le cadre de l’expérience humaine dans la Bible (la lumière, le feu, l’eau, l’arbre, la vigne, le pain etc.). Du même auteur et aux mêmes éditions paraît aujourd’hui un ouvrage de dimension plus réduite, mais recoupant le même sujet [3] et qui pourrait, en quelque sorte, servir d’introduction théorique et méthodologique au précédent. L’introduction et les deux premiers chapitres sont consacrés à des réflexions sur le symbole comme incarnation de la Parole et sur le récit biblique qui véhicule cette Parole. Trois chapitres illustrent ces considérations en envisageant successivement les thèmes du déluge, de la femme, du diable. Enfin, un dernier chapitre traite du rapport entre symboles et sacrements au travers de différents épisodes bibliques (Jonas, Nicodème...). Le propos est donc à la fois plus large et plus restreint que dans le lexique théologique : plus large, car il englobe une approche philosophique et théologique de la question avec, entre autres, de nombreuses comparaisons entre la sagesse biblique et la sagesse hindoue ; plus restreint, car seuls quelques symboles sont étudiés, ce qui supprime la possibilité de les mettre en série et de les éclairer les uns par les autres. S’il fallait ne choisir qu’un seul des deux ouvrages de M. Cocagnac, je n’hésiterais pas un instant à recommander le premier.

Toujours dans cette première rubrique, abordons maintenant les traductions et commençons par saluer la parution, dans “La Bible d’Alexandrie”, du livre des Nombres [4] (voir la recension du précédent volume - le Deutéronome - dans Vie Consacrée, 1993, 264-265). Avec ce volume n° 4, s’achève la première étape de l’entreprise, inaugurée en 1986 par M. Harl, de traduction et d’annotation de la Septante. À proprement parler d’ailleurs, la Septante désigne, d’abord et exclusivement, ces cinq livres du Pentateuque désormais disponibles, et ce n’est qu’à partir du II. siècle qu’on étendra cette dénomination à tout l’Ancien Testament. L’œuvre accomplie est donc déjà considérable et il n’est plus besoin d’en montrer l’intérêt pour les biblistes comme pour les patristiciens, ni de louer la compétence de ceux qui l’ont réalisée : pour ce volume (le plus épais des cinq avec presque six cents pages), G. Dorival, professeur à l’université de Provence, a été assisté d’une équipe de collaborateurs. Qu’ils en soient encore remerciés.

D’un tout autre genre est le travail des frères Hurault ! Du diocèse de Versailles, tous deux engagés, depuis de longues années, dans des ministères en milieu populaire, ces deux prêtres souhaitaient proposer une édition de la Bible qui soit accessible aux gens les plus simples. On a déjà beaucoup parlé, dans la presse, de leur Bible des communautés chrétiennes, édition pastorale, publiée par les éditions Médiaspaul [5]. Aussi n’est-il pas nécessaire de revenir ici sur les imperfections et les déficiences que d’autres ont déjà signalées ailleurs (traductions imprécises, incohérentes ou fautives, annotations réductrices, moralisantes ou tendancieuses), ni sur la grave polémique que cette édition a provoquée avec la communauté juive (certaines notes et commentaires véhiculant trop de relents d’antisémitisme). J’avoue par contre avoir encore du mal à comprendre comment un tel ouvrage, cautionné par de telles autorités (Nihil obstat délivré par des exégètes et théologiens compétents, Imprimatur par l’évêque de Versailles, caution de la Société Biblique Catholique Internationale) ait pu voir le jour avec tant de défauts. Le droit canon ne prévoit-il d’ailleurs pas que les traductions en langue vernaculaire soient soumises à l’approbation du Siège Apostolique ou de la conférence des Evêques (c. 825) ? Mais, en amont de toutes ces remarques, il me semble qu’une autre question encore se pose : est-il judicieux de multiplier les traductions (plus d’une dizaine de traductions françaises intégrales, facilement disponibles aujourd’hui et dont certaines sont déjà excellentes) d’un texte qui, de toutes façons, restera d’un abord difficile ? Ne risque-t-on pas, souvent au prix d’un appauvrissement du sens, de croire et de faire croire qu’une traduction “idéale” pourrait aplanir ces difficultés ? Ne faut-il pas distinguer davantage le niveau du texte relativement fixe (ce qui, en outre, faciliterait la mémorisation) et celui de ses interprétations ? Doit-on publier une nouvelle Bible à chaque fois qu’un quidam, prétextant de la difficulté de l’accès au texte et de l’abîme culturel qui sépare le lecteur de celui-ci, entend proposer une nouvelle manière de la lire et de l’actualiser ? Après tout, un enfant de six ans comprend très bien ce que lui dit sa maman quand elle lui raconte “Le petit chaperon rouge” (“tire la bobinette et la chevillette cherra”) ; un jeune de douze ans est capable de s’initier au langage le plus abscons quand il se passionne pour l’informatique (“Si vous n’avez pas assez de RAM, rajouter des SIMMs sans oublier de modifier les dip switches et de changer les paramètres du Bios en faisant impérativement un cold boot”). Cela ne signifie-t-il pas que, même d’un point de vue anthropologique, deux choses sont d’abord nécessaires pour entrer dans la Bible et y percevoir une parole vive : la chaleur d’une voix qui la raconte (indispensable oralité) et le minimum de faim qui suscite l’écoute et la recherche. Ensuite, ce n’est peut-être pas tellement à la Bible d’être “pastorale”, mais aux pasteurs (et à tous ceux qui ont la charge de la transmettre) d’être suffisamment habités par elle pour ouvrir, avec la grâce de Dieu, les Écritures et les intelligences et renvoyer, comme sur le chemin d’Emmaüs, à la seule Parole qui compte.

II

Avec l’ouvrage de la regrettée Fr. Quéré sur l’évangile de Jean [6], nous passons dans la rubrique de ce que j’ai appelé, faute de mieux, “les lectures spirituelles”. La démarche de l’auteur me paraît ici nettement moins ambiguë que celle des frères Hurault, même si sa “lecture” comporte, de fait, un essai de traduction. D’une part, le livre sort dans une édition commune qui ne cherche nullement à “faire” Bible (le titre de l’ouvrage parle de “lecture” et non de “traduction”) ; d’autre part, les présupposés de cette traduction sont clairement définis puisqu’il s’agit d’adapter à la scène le texte du 4e évangile, ou plus exactement de larges extraits de celui-ci,. On peut ne pas être d’accord avec certains de ces présupposés (“Pour qu’un texte devienne voix, il faut... secouer ce récitatif qui, pour servir la religion, s’évertue à être objectif, frileux, parfois mièvre à vous ôter des lèvres tout sel évangélique...”, 8), mais au moins, on sait à quoi s’en tenir ! En privilégiant une approche plus esthétique - “il faut que les mots giflent par leur beauté”, disait le poète Pierre Emmanuel - l’auteur sert le texte et en éclaire quelques aspects. Ici l’écriture ne se présente pas comme inspirée, mais se révèle être inspirante : cela peut profiter à d’autres qu’à l’auteur.

Après nous avoir donné, aux éditions Desclée De Brouwer, une lecture spirituelle de Marc (1984), de Luc (1986) et de Jean (1989), Monseigneur Daloz, archevêque de Besançon, achève son parcours évangélique avec Matthieu [7]. Il ne faut pas chercher ici une exégèse savante (aucune note en bas de page, aucune référence bibliographique), mais plutôt un commentaire spirituel, fruit d’une méditation personnelle et d’une réflexion commune au sein de “Groupes Évangile”, qui, dans un souci d’éclairage réciproque, opère sans cesse le passage entre le texte évangélique et l’humanité d’aujourd’hui. Comme le dit la préface (11), “c’est notre histoire que nous relisons, que nous éclairons, que nous comprenons mieux en écoutant et en contemplant l’Évangile de Matthieu. C’est aussi l’histoire du monde, depuis l’aube de la création originelle jusqu’à l’éclatement de la lumière à la fin des temps ! À nous aussi, l’appel est lancé : Convertissez-vous, le Règne des cieux s’est approché !”

Dans le même genre du “commentaire spirituel”, s’inscrit le livre de Divo Barsotti sur les Actes des Apôtres [8], paru d’abord en italien en 1977, et traduit ici en français par les soins de Sœur É. de Solms. Une brève introduction sur la date de la composition du livre, sa structure et son unité, son message et sa valeur spirituelle ainsi que sur les problèmes historiques qu’il soulève (7-21) ; une conclusion sur les sources, la théologie, la doctrine, la place de l’Église et de l’histoire dans les Actes (535-556) ; entre les deux un commentaire suivi des trois grandes parties du livre (1-5 : L’Église de Jérusalem ; 6-12 : l’Église devient missionnaire ; 13-28 : Les voyages de Paul) ; aucune note : voici ce que nous offre cet ouvrage. On ne sera pas forcément d’accord avec toutes les thèses de l’auteur. Peut-on, par exemple, parler d’une “élection” de Rome (14) et dire au sujet de la mission de cette ville qu’elle est “la Cité voulue de Dieu... pour toujours” (530) ? Peut-on affirmer que, selon les Actes, “l’église judéo-chrétienne n’a pas en elle les promesses de l’avenir” et que “le judaïsme est fini” (546) ? Il est possible, malgré cela, qu’on puisse également en tirer quelque profit pour sa lecture méditée.

III

Faisant la transition entre “lecture spirituelle de l’Écriture” et “questions d’herméneutique”, le dixième “Cahier de l’École Cathédrale” de Paris, signé par P.-M. Hombert et consacré à l’exégèse des Pères de l’Église [9]. Reprenant à son compte la déclaration récente des évêques de France invitant à “retrouver, avec les Pères, les chemins de la lectio divina (“Les Pères de l’Église dans notre culture”, Documentation Catholique 1993, 1070-1072), l’auteur entend proposer, à partir d’exemples concrets, une initiation à cette exégèse si différente, dans ses modalités, de l’exégèse moderne. Ainsi, dix grands textes patristiques, choisis pour leur richesse et leur valeur exemplaire, sont présentés et commentés avec suffisamment d’ampleur pour que l’on puisse rejoindre le mouvement même de la pensée de leur auteur (Irénée, Origène, Méthode d’Olympe, Pseudo-Sévérien, Didyme l’Aveugle, Grégoire de Nysse, Cyrille d’Alexandrie, Ambroise de Milan et Augustin) et percevoir, chemin faisant, la méthode exégétique de ceux qui demeurent les premiers chaînons de la tradition ecclésiale. Une introduction (11-18) montre comment cette exégèse patristique s’enracine elle-même dans le Nouveau Testament et dans le phénomène de relecture incessante des Écritures : la conclusion (95-99) en dégage les caractéristiques majeures. Une bonne initiation, pour se préparer à aller plus loin !

Le Centre d’Études et de Recherches Interdisciplinaires en Théologie (CERIT) de la faculté de Théologie Catholique de Strasbourg rend compte, dans un ouvrage récent, de ses travaux en exégèse biblique [10]. Le titre “Exégèse et herméneutique”, comme le sous-titre “Comment lire la Bible ?” circonscrivent très bien le propos. Il s’agit de présenter quelques-unes des plus importantes méthodes actuelles d’interprétation de l’Écriture et surtout d’en réfléchir et d’en discuter les présupposés. P. Beauchamp, avec la largeur de vue qui le caractérise, pose, à partir du récit de Gn 12,10-13, 14 (Abram et Saraï en Égypte), les fondements d’une lecture typologique. J. Zumstein traite des enjeux de la méthode historico-critique et des différentes démarches qu’elle met en œuvre. R. Meynet ne peut faire autre chose que de nous entretenir des lois de la rhétorique biblique, illustrant son propos par une analyse de Mc 10,13-52 (séquence structurée autour de la troisième annonce de la Passion). Les présupposés de la sémiotique sont également présentés par un spécialiste en la personne de L. Panier, tandis que J. L. Hill nous parle plus largement, à propos de la résurrection de Lazare (Jn 11), de ce qu’implique tout acte de lecture. Enfin, pour terminer, J. M. Heinrich, psychanalyste, nous fait part d’une “approche laïque” de la lettre aux Hébreux, c’est-à-dire, en l’occurrence, une lecture appuyée sur les présupposés analytiques. Comme le dit le préfacier (C. Coulot), il ressort de cette confrontation que toute lecture féconde et respectueuse résulte d’une alchimie subtile et d’une rencontre pleine de délicatesse entre la méthode utilisée et le texte à découvrir, la première s’efforçant sans cesse de s’améliorer et de s’adapter au second afin d’en percevoir la singularité et les rugosités.

Un autre ouvrage, également collectif (dix-neuf auteurs), venant du Canada et portant sur les mêmes questions d’interprétations et de pratiques actuelles de la Bible, témoigne du regain d’intérêt pour tout ce qui touche à l’herméneutique [11]. Par rapport au livre précédent, la perspective est un peu plus large, mais traitée avec non moins de compétence par des théologiens et des biblistes de renom. L’ouvrage se divise en trois parties. Dans la première (“Formation et premières interprétations de la Bible”, 11-129), on rappelle brièvement comment l’Ancien et le Nouveau Testaments se sont formés et comment, dès avant la clôture du canon, le processus d’interprétation était engagé, fournissant à l’exégèse rabbinique et patristique les présupposés et les fondements de leur propre lecture. Une deuxième partie (“L’analyse critique de la Bible et ses méthodes”, 133-242) passe en revue sept méthodes et approches contemporaines, inspirées pour la plupart des sciences humaines, pour interpréter le texte biblique : méthode historico-critique, analyse structurelle, rhétorique gréco-romaine, analyse sémiotique, critique narrative, approches sociocritiques et lectures psychanalytiques (spécialement celles qui sont associées au nom de Drewermann). La dernière partie (“Pratiques de la Bible en Église”, 245-365), s’appuyant sur la conviction que la Bible est avant tout Parole de Dieu pour une communauté de croyants (voir Commission Biblique Pontificale “L’interprétation de la Bible dans l’Église”, § IV), porte sur divers essais d’actualisation, d’inculturation et d’usage de la Bible en Église : dans les communautés de base latino-américaines, selon les perspectives féministes, par le biais de l’expérience liturgique, ou encore dans la rencontre avec d’autres cultures. On ne peut bien sûr attendre d’un tel parcours une synthèse unifiée ; on percevra au moins, sous cette multiplicité, l’unique désir d’entendre la voix du Dieu vivant.

IV

Passons maintenant aux ouvrages qui concernent l’Ancien Testament, avec un commentaire du prophète Amos. Après l’évangile de saint Luc et les récits de la passion dans les synoptiques, édités au Cerf, après de nombreuses études sur des textes isolés publiés dans diverses revues, Roland Meynet, associé ici à Pietro Bovati, applique les procédures de l’analyse rhétorique, pour laquelle il a également fourni une grammaire (aux éditions du Cerf ; voir recension dans Vie Consacrée, 1990, 410-411), à un livre complet de l’Ancien Testament [12]. C’est, sauf erreur de ma part, une première. À l’encontre des approches diachroniques, la méthode utilisée ici, mettant entre parenthèses les questions discutées de sources, de datation et d’histoire de la rédaction du texte biblique, se limite à dégager la composition de celui-ci dans son état final et ceci en fonction des règles de composition littéraire propres aux auteurs hébraïques. L’avantage d’une telle lecture, fondée sur le présupposé que l’analyse formelle du discours n’est pas séparable de l’analyse de son sens, est immédiatement évident : elle permet de proposer une vision tout à la fois organique et synthétique du livre d’Amos, ce qui n’est déjà pas une mince affaire quand on se rappelle le caractère énigmatique et l’authenticité discutée de certains passages (Am 5,9 ; 6,9-10 etc.). Deux remarques toutefois. Comme le texte d’Amos est analysé aux différents niveaux de son organisation (le livre, les sections, les sous-sections, les séquences), on n’évite pas, du point de vue de l’interprétation principalement, un certain nombre de répétitions qui rendent la lecture parfois fastidieuse. D’autre part, le format de la collection choisie pour éditer cette lecture (Lire la Bible, 18 x 12) semble assez mal convenir au projet de nos auteurs qui comporte toute une part de réécriture et de visualisation du texte. Si l’accès au sens dépend aussi de la forme, cela devrait se marquer également dans le travail d’édition ! Est-ce pour remédier à cet inconvénient, ou pour des raisons économiques, que le Cerf publie en même temps une autre version plus complète, plus aérée, mais aussi plus onéreuse de ce commentaire (Le livre du prophète Amos, 448 p., 220 FRF) ? Les deux éditions étaient-elles nécessaires ? Pour ma part, j’opterai plutôt pour la grande. En tout cas, une chose est sûre : nos deux auteurs, jésuites, professeurs à Rome, n’ont pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin, puisqu’ils prennent la direction d’une collection “Rhétorique Biblique” pour laquelle trois commentaires de la même veine sont déjà annoncés (L’épître aux Hébreux, l’Apocalypse de Jean, La Pâques du Seigneur Jésus dans les Évangiles Synoptiques).

Initiative intéressante que celle du Comité Sépharad de la Communauté Israélite de Strasbourg, de célébrer, en 1988 (c’est-à-dire en l’an 5748 de l’ère juive), le 3300e anniversaire du don de la Thorah sur le mont Sinaï (selon le calendrier juif, cet événement s’est en effet produit en l’an 2448), par une série de conférences sur “les Dix Paroles” (le texte d’Ex 20, 2-17 étant pris comme référence), aboutissant à la publication de l’ouvrage que nous recensons ici [13]. Ce recueil contient trente-six études écrites par trente auteurs différents, certains bien connus du monde catholique francophone (Neher, qui signe ici son dernier écrit, Lévinas, Abecassis...), d’autres un peu moins, au style varié et aux approches différentes, mais qui ont tous en commun de présenter la compréhension juive du Décalogue telle qu’elle a été transmise par les Maîtres d’Israël. Si les huit premières contributions et les huit dernières sont consacrées à l’étude du contexte scripturaire et traditionnel du Décalogue, les vingt autres s’attachent tout simplement à commenter chacune de ces dix Paroles. Dans cette partie, et personne ne s’en étonnera, le précepte de l’observance du sabbat reçoit un traitement privilégié, avec quatre essais. Le lecteur chrétien, s’il n’est pas tant soit peu informé, sera certes souvent décontenancé par ce type d’exégèse, mais s’il parvient à surmonter ce sentiment d’étrangeté, il en percevra aussi toute la richesse existentielle et découvrira peut-être comment la Loi est un chemin de vie.

V

Terminons cette chronique biblique par quelques études de grande valeur sur le Nouveau Testament.

Point n’est besoin de présenter et de commenter l’ouvrage désormais classique, et sans équivalent, de P. Grelot sur “L’espérance juive à l’heure de Jésus” [14]. La première édition de cette anthologie datait de 1978 et était épuisée depuis longtemps. Aussi l’infatigable bibliste n’a pas envisagé une simple réimpression ; il a remis son ouvrage sur le métier en tenant compte des études parues depuis lors sur ce même sujet. C’est donc un dossier de textes renouvelé et enrichi (cent trente-sept textes cités et commentés au lieu de cent un dans la première édition) qui nous est ici présenté avec la compétence que l’on connaît à l’auteur. Pour qui veut découvrir le terreau dans lequel s’enracine la confession au Christ et comprendre la prétention de celle-ci d’accomplir l’espérance juive, ce livre est indispensable.

J. Murphy O’Connor, professeur à l’École biblique et Archéologique Française de Jérusalem et spécialiste reconnu de saint Paul, rend un grand service à tous les biblistes en leur offrant son ouvrage sur Paul et l’art épistolaire [15]. Certes, on pourrait penser que les choses sont abordées par le petit bout de la lorgnette, puisque les écrits pauliniens sont ici étudiés uniquement du point de vue de la forme, mais, à la lecture, on s’aperçoit bien vite que cette approche originale éclaire un grand nombre de questions disputées qui ne sont peut-être pas sans liens avec le contenu théologique de ces écrits eux-mêmes. Trois chapitres composent l’ouvrage. Le premier (“Prendre la plume”, 13-69) traite du mécanisme de la rédaction et de l’expédition d’une lettre dans le monde gréco-romain où Paul a vécu, passant en revue aussi bien les questions de support, d’encre et d’outils d’écriture que celles, plus compliquées, des secrétaires et des coauteurs des lettres. Le deuxième, comme son titre l’indique (“l’ordonnancement d’une lettre”, 71-165), s’occupe du caractère formel des diverses lettres, analysant et comparant plus particulièrement le début (adresse et action de grâce) et la fin (bénédiction finale et salutation) de chacune. Le troisième chapitre présente les différentes hypothèses concernant la formation du recueil paulinien ; l’auteur propose enfin sa propre explication sur cette question controversée. L’ensemble du livre fourmille de renseignements passionnants et souvent méconnus. Ceux-ci nous rendent Paul et son œuvre éminemment proches et humains. Bref, un ouvrage digne de la collection des “Etudes annexes de la Bible de Jérusalem” auquel il appartient.

Sur un passage relativement peu étudié pour lui-même (Mc 9,14-29 : la guérison d’un enfant épileptique), C. Runacher, religieuse dominicaine, publie un ouvrage qui est la reprise de sa thèse de doctorat en Écriture Sainte [16]. L’intérêt d’une telle étude tient tout d’abord aux caractéristiques du texte évangélique lui-même. C’est en effet dans cette seule péricope que sont concentrées aussi nettement les principales données marciennes sur la foi (incrédulité, puissance de la foi, lien avec la prière). D’autre part, la portée christologique, le rôle des disciples, la place de la péricope dans l’évangile de Marc et la complexité de sa composition sont autant de traits remarquables, qui nécessitent explication. Hormis pour le premier chapitre qui s’intéresse à la logique narrative du texte, la démarche adoptée est classique et parcourt les différentes étapes de la méthode historico-critique (étude du contexte littéraire, histoire de la rédaction, histoire de la tradition), pour déboucher sur l’interprétation. Mais il faut noter, et c’est peut-être l’aspect le plus intéressant de ce travail, que tout en restant cohérente avec ses choix méthodologiques, l’auteur s’efforce à chaque étape de sa recherche d’articuler analyse diachronique et analyse synchronique. Enfin, C. Runacher conclut son parcours en élargissant sa perspective et en examinant la place et la fonction de cette péricope dans l’ensemble de l’évangile. Une certaine familiarité avec les procédures exégétiques est toutefois requise pour tirer profit de cet ouvrage assez technique.

Il y a des gens qui écrivent sur Jésus et qui ne sont ni théologiens, ni exégètes ; il y a aussi des exégètes qui ne sont pas théologiens ou, inversement des théologiens qui ne sont pas exégètes. Parfois, cependant, il arrive que des exégètes fassent véritablement œuvre de théologiens. Une preuve éclatante en est donnée par le dernier ouvrage de J. N. Aletti, paru dans la collection “Jésus et Jésus-Christ” [17].

L’exégèse contemporaine a si souvent affirmé l’existence de différences irréductibles et substantielles entre les divers écrits du Nouveau Testament qu’il faut, sans doute, une bonne dose de naïveté ou un certain goût de la provocation pour poser la question “Jésus-Christ fait-il l’unité du Nouveau Testament ?” et, plus encore, pour prétendre y répondre exégétiquement et non pas dogmatiquement. C’est pourtant bien ce qu’accomplit l’auteur, montrant que les affirmations ou les négations des divergences ou convergences internes au Nouveau Testament ont été posées à partir d’un type d’exégèse insuffisamment attentif à la synchronie des textes et à l’existence, en eux, de structures discursives actorielles et axiologiques. Au terme d’une enquête qui, sans être exhaustive, n’en est pas moins rigoureuse, Aletti conclut qu’un processus de “Jésuchristologisation” traverse et unifie tous les écrits du Nouveau Testament, et que celui-ci se développe autour des relations structurantes Père/Fils, Maître/disciples, Epoux/épouse. Le dernier mot n’est certainement pas dit par ce livre difficile, mais gageons qu’il marquera une étape importante pour la recherche exégétique et que ses thèses influenceront le dialogue entre confessions chrétiennes ainsi qu’avec le judaïsme.

Rue Bruylants, 14
B-1040 BRUXELLES, Belgique

[1Romer, Th. ; Macchi, J. D. Guide de la Bible hébraïque. La critique textuelle dans la Biblia Hebraica Stuttgartensia. Genève, Labor et Fides, 1994, 11 x 18, 78 p.

[2Margain, J. Le livre de Daniel. Commentaire philologique du texte araméen. Coll. Les classiques de la Bible 4. Paris, Beauchesne, 1994, 16 x 24, 80 p., 60 FRF.

[3Cocagnac, M. La Parole et son miroir. Les symboles bibliques. Coll. Lire la Bible 102. Paris, Cerf, 1994, 11,5 x 18, 240 p., 90 FRF.

[4La Bible d’Alexandrie. Les Nombres. Paris, Cerf, 1994, 14 x 20, 604 p., 240 FRF.

[5La Bible des Communautés chrétiennes. Paris, Médiaspaul, 1994, 15 x 21, 1704 p., 90 FRF.

[6Quéré, F. Une lecture de l’évangile de Jean. Paris, DDB, 1994, 13 x 21, 132 p., 86 FRF.

[7Daloz, L. Le règne de Dieu s’est approché. Une lecture spirituelle de Matthieu. Paris, DDB, 1994, 15 x 23, 396 p., 155 FRF.

[8Barsotti, D. Les Actes des Apôtres. Paris, Téqui, 1994, 13 x 21, 560 p., 168 FRF.

[9Hombert P. M. L’Écriture symphonique. Lire et comprendre l’exégèse des Pères de l’Église. Coll. Cahiers de l’École cathédrale 10. Paris. Marne, 1994, 17 x 21, 102 p., 65 FRF.

[10Cerit. Exégèse et herméneutique. Comment lire la Bible ? Coll. Lectio Divina 158. Paris, Cerf, 1994, 13 x 21, 176 p., 80 FRF.

[11Entendre la voix du Dieu Vivant. Interprétations et pratiques actuelles de la Bible, sous la direction de J. Duhaime et O. Mainville, Coll. Lectures Bibliques 41. Montréal/Paris, Médiaspaul, 1994, 14 x 21, 367 p.

[12Bovati, P. ; Meynet, R. La fin d’Israël. Paroles d’Amos. Coll. Lire la Bible 101. Paris, Cerf, 1994, 11 x 18, 238 p., 98 FRF.

[13Les dix Paroles, sous la direction de M. Tapiero. Paris, Cerf, 1995, 16 x 24, 605 p., 150 FRF.

[14Grelot, P. L’espérance juive à l’heure de Jésus. Édition nouvelle, revue et augmentée, Coll. Jésus et Jésus-Christ 62. Paris, Desclée, 1994, 15 x 22, 360 p.

[15Murphy O’Connor, J. Paul et l’art épistolaire. Coll. Études annexes de la Bible de Jérusalem. Paris, Cerf, 1994, 13 x 18, 212 p., 130 FRF.

[16Runacher, C. Croyants incrédules. La guérison de l’épileptique. Marc 9,14-29. Coll. Lectio Divina 157. Paris, Cerf, 1994, 13 x 21, 300 p., 150 FRF.

[17Aletti, J. N. Jésus-Christ fait-il l’unité du Nouveau Testament ? Coll. Jésus et Jésus-Christ 61. Paris, Desclée, 1994, 15 x 22, 296 p.

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