Communauté de foi avec des nouveaux croyants
Un appel pour l’Église
Marie-Louise Gondal
N°1995-2 • Mars 1995
| P. 101-112 |
Nul ne contestera l’importance d’une communauté vivante dans le processus de transmission de la Foi. Elle appartient à l’essence de la foi chrétienne et est d’autant plus nécessaire qu’il s’agit de “néophytes” ou de “recommençants”. Cet article, riche de l’expérience de l’auteur dans l’Église de Lyon, nous le montre très bien. Mais l’intérêt supplémentaire de ce texte est aussi de susciter la réflexion et le discernement - en fidélité au charisme propre - concernant le rapport à établir entre cette demande nouvelle de “communautés de foi” et les communautés religieuses plus anciennes, elles-mêmes, par vocation ecclésiale, lieux de transmission de la foi. Les indications données en conclusion de cet article ne constituent pas un point final. Au contraire, il serait fort heureux que soient communiquées et partagées des expériences en cours, des recherches intercongrégationnelles, des évaluations d’insertions d’œuvres propres dans la pastorale d’ensemble de l’Église locale, etc. Nous l’espérons, les lecteur(trice)s engageront le dialogue.
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Depuis que le baptême des adultes a été revalorisé et le catéchuménat réinventé, la période de l’après-baptême (autrefois appelée néophytat) a toujours fait difficulté. Il apparaît de plus en plus, lorsque le nombre de ces adultes augmente, que l’Église “déjà-là” est appelée à tenir compte de leur situation de “nouveaux”. En outre, de plus en plus, se présentent des baptisés peu ou pas introduits à une expérience chrétienne. Ils peuvent, eux aussi, en bien des cas, être considérés comme de « nouveaux croyants ». Les uns et les autres appellent l’Église à développer non seulement de nouvelles pratiques d’initiation (tout ce qui se fait en pastorale catéchuménale) mais aussi de nouvelles formes pour « vivre la foi en commun ».
Afin de les aider à persévérer dans la foi, à trouver leur place et leur parole propre dans l’Église, le catéchuménat invite des chrétiens à susciter avec eux des groupes de partage réguliers, appelés “communautés de foi”, dans le cadre paroissial ordinaire. Cette initiative a eu une période d’essai (de 1982 à 1986) et a été reprise, de manière plus concentrée et plus réfléchie, à Lyon, en 1990, après une session d’une centaine d’accompagnateurs [1].
C’est donc une expérience jeune et bien différente des formes communautaires de laïcs ou de laïcs et prêtres qui sont nées depuis les années 70. Ces C.F. (communautés de foi) ne correspondent pas tout à fait aux mêmes besoins, n’ont pas le même type de naissance, ne requièrent pas le même type d’engagement, n’ont pas les mêmes perspectives propres, et ne sont pas appelées sans doute à développer des organisations aussi lourdes. Leur ambition est seulement de vivre dans le tissu ordinaire de la vie chrétienne et, s’il plaît à Dieu, d’y être des germes de renouvellement.
Je ne sais si cette modeste réalisation peut croiser vos propres recherches [2] à partir de formes de vie communautaire bien autrement établies ! Pour permettre cette communication, voici d’abord une présentation de ces communautés. Je la prolongerai par quelques réflexions sur sa signification et ses enjeux tels qu’ils apparaissent, au moment où nous en sommes. Et je noterai simplement quelques points de contact possibles avec le charisme religieux.
Origine et forme des communautés de foi
Il faut peut-être avoir longtemps fréquenté des catéchumènes ou des « recommençants » pour accepter qu’ils ne soient pas « comme nous », les chrétiens « de naissance ». Différents, ils le sont, non seulement à cause de leur jeunesse dans la foi, mais aussi parce que la foi, en eux, ne s’est pas constituée à partir du même sol, des mêmes expériences, des mêmes itinéraires. Ils sont neufs, avec ce que cela implique d’ardeur souvent, mais aussi d’inexpérience. Ils viennent d’ailleurs, avec ce que cela implique d’étrangeté pour nous, une étrangeté qui les marque durablement.
Quelques traits communs aux nouveaux chrétiens
– Ils sont convaincus de la nécessité du partage de foi. C’est évident. Pour eux, partager n’est pas un vain mot. C’est par là qu’ils sont entrés dans une communication, pour eux inédite. C’est par là que l’évangile a résonné en eux. C’est ce qui les a conduits à la foi. C’est cela qui a fait de leur profession de foi un acte personnel, touchant aux profondeurs de leur être.
Première différence avec bien des chrétiens, trop souvent plus “pratiquants” que parlants, ou « parlants » sans être toujours bien “croyants”, vivant la foi comme une « tradition » plus que comme une aventure personnelle.
– Du fait de leur histoire, les néophytes ont peu de mémoire chrétienne : des textes fondateurs, de l’histoire telle qu’elle s’inscrit dans les faits et les réalités d’une société et de l’Église. Ils ont souvent autour d’eux - et pour cause - peu d’exemples de vie chrétienne. Ils sont donc fragiles. La parole n’a pas encore eu le temps de s’enraciner profondément, de rejoindre toute leur culture et leur histoire, et de les éclairer. Ils ne voient pas toujours encore les discernements à faire, les actes à poser, les rendez-vous à prévoir.
En cela aussi ils diffèrent des chrétiens de souche. Ils en rejoignent cependant certains qui voudraient pouvoir mieux comprendre les choses de la foi et qui ne savent pas toujours comment le faire.
– Ils ont des difficultés en eux-mêmes. Autant, pendant le temps de leur catéchuménat, ils se sont sentis accueillis et appelés par autrui, autant, après avoir franchi le seuil de la vie baptisée, ils répugnent à entrer dans des obligations, à “s’aligner” sur des chrétiens trop habitués. En outre, leur entourage chrétien peut faire difficulté : comment vivre au quotidien le fait qu’on a un mari ou des enfants incroyants ou d’une autre religion ? Les difficultés sont parfois plus grandes qu’avant le baptême. Et on n’a pas encore trouvé l’art de la négociation ou du compromis. Comment se conduire pour être fidèle à l’évangile ? Bien des questions morales notamment demeurent floues ou encore inaperçues dans un temps d’initiation qui est, par définition, un commencement et non un accomplissement.
– Ils ont enfin des difficultés avec l’Église. Ils sont perdus devant les complexités de l’organisation ecclésiale, surpris de tensions et divisions qui leur paraissent maintenant un réel obstacle à la foi. Ils ont des difficultés à entrer dans un régime sacramentel ordinaire. La répétition ne leur est pas familière, et ce n’est pas du jour au lendemain, surtout dans la culture ambiante actuelle, qu’elle peut leur apparaître porteuse d’esprit et de liberté. Il arrive aussi qu’ils soient sollicités trop précocement pour porter des engagements ou remplir des rôles ecclésiaux pour lesquels ils ne sont pas prêts, et leur désillusion est parfois pour eux un fardeau et même un danger pour leur avenir de croyant.
– En revanche - pour ne pas dire seulement leurs difficultés - un appel émane d’eux, celui d’une foi neuve, fraîche, simple, qui n’élude pas les questions radicales et ne les noie pas non plus dans les ratiocinations. Un appel venant d’une détermination personnelle souvent étonnante, qui leur a fait traverser tant d’ignorance, d’indifférence, de difficultés. Il est évident que la vibration de cet appel, mystique et chaude, est une richesse pour l’Église, où l’on discute parfois longtemps de questions secondes, évitant de parler de ce qui fait le cœur de l’espérance chrétienne. Et si cet appel est étouffé ou demeure marginal, il manquera à toute la communauté chrétienne, et en particulier à sa capacité d’évangéliser et de transmettre la foi.
Ces quelques traits suffisent sans doute à faire pressentir le décalage qui peut exister entre des nouveaux venus à la foi et les communautés chrétiennes établies, qui se sentent parfois si responsables de l’évangile qu’elles s’en croient propriétaires. C’est ce constat qui a peu à peu imposé l’idée que les communautés ordinaires (paroissiales) avaient, non seulement à se déplacer pour aller à la rencontre des demandeurs de foi, mais à se modifier grâce à eux. N’est-ce pas là un schéma de ce qu’on appelle « l’inculturation », dont on parle souvent pour les pays d’au-delà des mers, mais qui est aussi valable en Europe, face à des cultures nouvelles ?
Des communautés pour grandir dans la foi
Ces communautés de foi sont si simples qu’elles peuvent, à certains, paraître trop simples. Elles sont précieuses par cette simplicité même, car c’est aujourd’hui l’élémentaire qui manque dans notre vie d’Église. Il s’agit de groupes de foi, peu nombreux (8 à 12 personnes), mensuels, sans eucharistie propre, relativement stables, constitués dans les mois qui suivent le baptême, dans le tissu paroissial ou inter-paroissial, et entretenant entre eux des liens de réseau. Donc pas, non plus, des groupes totalement « informels ».
– La visée est celle d’une intégration dans l’Église par interaction entre chrétiens anciens et chrétiens nouveaux. Les nouveaux apportent la fraîcheur de leur foi, la force de leur démarche, leurs questions dérangeantes et aussi leur disponibilité, leur être même. Les chrétiens déjà-là sont invités à redevenir simples dans la foi, à retrouver des questions enfouies, à apprendre les commencements. Au fond, il s’agit de permettre que la greffe se noue au tronc et que la sève du tronc alimente le surgeon.
– La rencontre, animée par un ou deux animateurs laïcs (le plus souvent, en fait, une personne ayant l’expérience du catéchuménat), comporte toujours plusieurs composantes : accueil fraternel de la vie de chacun, écoute d’un texte de l’Écriture (souvent choisi à partir d’un thème adapté) et de la conversion personnelle qu’il appelle, apport de la vie extérieure, ecclésiale ou plus large, prière finale. La participation de tous s’éveille peu à peu, à mesure que le “lien” se développe.
– Les relations en réseau sont encouragées : rencontre trimestrielle des animateurs, temps fort avant Pâques, courriers et feuille de liaison, documents pour animateurs, visites d’un « pèlerin » des communautés. Une équipe globale s’est constituée, soucieuse de suivre les évolutions, de travailler les questions qui se posent après plusieurs années ou d’approfondir quelques points spécifiques.
– Les relations avec l’environnement ecclésial sont entretenues : avec les équipes pastorales des paroisses. Elles se cherchent à un niveau plus large, de secteur, et aussi au niveau diocésain. Ces recherches croisent l’aspiration communautaire parmi les chrétiens « anciens » telle qu’elle a pu se manifester, dans notre diocèse, au conseil diocésain de pastorale et au Synode.
– Les effets de ces groupes sont assez étonnants. Aux néophytes ils offrent un milieu pour croître humainement et chrétiennement, assimiler ce qu’ils ont reçu, apprendre à discerner, entrer peu à peu dans une vie sacramentelle plus mûre, découvrir les besoins de la mission aujourd’hui, devenir témoins, avec vérité et courage, liberté et joie. Les chrétiens anciens, bien souvent, y trouvent pour eux-mêmes un renouvellement, et beaucoup disent avoir ainsi découvert la capacité de parler de leur foi, simplement, avec leur entourage. Des recommençants et des chrétiens sans église sont également attirés par ces groupes.
En somme, ces communautés apparaissent comme de vraies “cellules” d’Église où se réinstaure le lien de la foi, où l’on peut dire “je crois” dans l’expérience effective d’un “nous”, où l’on peut dire “Notre” Père en sachant qu’il est celui de tous mais aussi de chacun.
Signification et enjeux
La situation, si prometteuse soit-elle, demeure cependant précaire. Les malentendus ne sont pas impossibles, les dérives de tel ou tel groupe ne sont pas à exclure, les évolutions rendues difficiles si le ministère et les conseils qui gouvernent les communautés établies ne perçoivent pas leur originalité ou ne cherchent pas les moyens de les faire entrer dans le visage public de l’Église. Il faut donc réfléchir à la portée de cette initiative née, ne l’oublions pas, par la fécondité d’une nouvelle manière de baptiser, dans l’après Vatican II.
Quatre manières de percevoir ces communautés
L’attitude réductrice : une efflorescence passagère. On peut considérer ces communautés comme exceptionnelles. On dira alors qu’elles conviennent dans des endroits de diaspora chrétienne, ou des paroisses particulièrement arides, mais que, là où existe encore un prêtre ou une communauté paroissiale vivante, il y a des groupes comme cela. Et on cite les équipes liturgiques, les groupes issus de l’action catholique ou des groupes « informels ». Ou encore on dit que « cela ne durera pas ». Ou même, que cela ne « doit » pas durer, car les néophytes, s’étant affermis dans la foi, doivent ensuite « voler de leurs propres ailes », c’est-à-dire dans les équipes existantes ou même... seuls.
Or, pour les néophytes des C.F., comme pour les chrétiens anciens qui y participent, cet échange, après un ou deux ans, est devenu, disent-ils, « vital ». Ils veulent « continuer ». Et il leur paraît que ce qu’ils trouvent dans ce groupe, ils ne le trouvent pas ailleurs. Alors, ne sommes-nous pas invités à voir là un enjeu plus profond ou plus large ?
L’attitude inquiète. Les C.F., un repli sur la piété, des petits groupes coupés de la vie. On serait parfois porté à penser que ces groupes sont loin des « engagements » ecclésiaux ou autres. Ou qu’ils cultivent le repli sur soi, sur une piété sentimentale.
Il est vrai que ces groupes ne visent pas d’abord à orienter tous leurs membres dans tel ou tel engagement pratique, ou politique, ou ecclésial. Il est vrai aussi qu’ils sont attentifs à la tonalité de la vie fraternelle. Mais ils ne sont pas « fermés » pour autant. Les engagements de leurs membres sont libres et peuvent donner lieu à un partage et un discernement commun. L’expérience montre que ces C.F. seraient plutôt à la source des engagements des uns ou des autres et qu’elles sont une aide pour garder à ces engagements un espace de respiration. L’échange réaliste sur l’écho de la parole de Dieu dans la vie de chacun est également la meilleure sauvegarde contre des formes de piété effervescente ou mièvre.
L’attitude ouverte, une germination nouvelle. On peut encore penser qu’elles sont une promesse et une indication non négligeable pour l’évangélisation et pour l’Église. Elles correspondent à trois besoins ou trois possibilités, non seulement des néophytes, mais de l’Église actuelle.
– Un besoin (et une possibilité) de s’identifier. Grâce à des communautés de foi, des gens peuvent s’identifier ou se ré-identifier chrétiennement. La pratique de la messe n’y suffit plus aujourd’hui. L’accès à l’Écriture, trop peu vulgarisé encore, ouvre des chances nouvelles. Plutôt que de vouloir renflouer des équipes spécialisées, ne convient-il pas d’offrir d’abord au plus grand nombre (surtout en monde populaire) des lieux où l’on peut s’identifier comme croyant, vivre le lien mutuel de la foi, apprendre à appartenir au corps ecclésial, devenir libre et adulte dans la foi ? C’est un aspect d’une réponse possible à l’attrait des sectes pour beaucoup de gens aujourd’hui ayant une attente spirituelle et désireux de trouver des repères et des groupes à taille humaine.
– Un besoin (et une possibilité) de refaire un tissu ecclésial. De plus en plus, en bien des endroits (ruraux ou urbains), des communautés de foi de ce genre sont le seul moyen, simple, peu onéreux, de garder vivant ce qu’une néophyte appelait le « point-source » de la foi. Quand l’environnement devient trop anonyme, trop fonctionnel, ou trop ronronnant, des groupes restreints (groupes « primaires ») sont indispensables pour la survie et le développement des individus, dans la société comme dans l’Église. Ce pourrait être un enjeu vital dans une situation ou dans un fonctionnement d’Église qui, de ce fait, privilégie des organisations sans être assez attentif à reconstituer les fraternités.
– Un besoin (et une possibilité) de trouver un langage et la capacité de parler. Un partage de foi régulier, nourri d’Écriture, mûri par la vie, ouvert à la diversité des expériences, et qui évite les simplismes comme les ratiocinations, est un lieu de re-naissance de la parole. Si les croyants ne se parlent pas vraiment entre eux de leur foi, comment pourront-ils en parler d’autres ? Les membres de ces groupes se sentent devenir « témoins », souvent sans l’avoir cherché. De « pratiquants », ils deviennent « parlants », ce qui a des effets de chaîne et sur la pratique et sur l’évangélisation.
L’attitude responsable : donner un espace ecclésial à cette réalité
– Savoir y reconnaître une aspiration des chrétiens déjà-là. Dans des paroisses tiraillées, essoufflées, plus ou moins rétrécies sur quelques pratiquants et pas des tout jeunes, retrouver le baptême comme « sol » et « source » d’un partage de la foi correspond à l’attente de beaucoup de chrétiens, inquiets de l’avenir. Cela pourrait ouvrir des chemins de foi et de réconciliation pour une masse de baptisés « éloignés », parfois porteurs d’attentes spirituelles fortes et trop peu écoutées, attirés par ce qui se vit dans ces groupes. Non que ces communautés permettent par elles-mêmes une ré-initiation, mais elles en montrent la possibilité et en préparent des acteurs.
– Réfléchir une pastorale des communautés. Ces communautés ne peuvent naître et durer que si elles sont appelées à entrer dans une dynamique ecclésiale globale, en évitant le flou ou la contrainte. Certains diocèses, en Afrique, en Australie, développent une pastorale des communautés. Chaque continent a sa manière. L’Europe n’est pas l’Afrique ni l’Amérique latine. Mais peut-être avons-nous, dans une histoire récente, manqué d’attention à certaines renaissances communautaires et elles ont dépéri pour être demeurées uniquement informelles, marginales ou utopistes, ou exposées à des dérives.
– Mettre en œuvre un service minimum. Un appel doit être entretenu, des explications et clarifications réitérées, des passerelles constamment cherchées. Les animateurs demandent à être aidés et formés. Des vocations diverses naissent. Des tensions ecclésiales peuvent apparaître, ou des liens sont à trouver avec d’autres formes de communautés. Il faut donc une régulation minimum : des personnes-ressources et des repères, et, finalement, une légitimité. Ceci dépasse le service du catéchuménat ou même une paroisse et devrait peu à peu retenir l’attention des responsables de l’Église.
Le baptême des adultes fait signe, c’est entendu. Et cela nous réjouit. Mais a-t-il encore pu porter tout son fruit ? Il nous reste peut-être encore à voir le chemin que nous indiquent ces nouveaux frères venus d’un autre monde que celui où nous avons poussé, la plupart d’entre nous. Et après leur avoir (de notre mieux) transmis l’héritage, à nous laisser conduire, par eux et avec eux, sur l’autre rive. On a beaucoup parlé d’inculturation, ces derniers temps, pour l’Afrique. Peut-être le courant catéchuménal est-il aussi porteur d’un enjeu pour l’inculturation du christianisme dans notre culture occidentale actuelle. Il en manifeste en tout cas un aspect essentiel : la nécessité de garder ouvert un lieu où re-naître, en permanence.
Conclusion
Il est trop tôt pour conclure. Il s’agit seulement d’une germination. Et les perspectives sont encore à accueillir, à préciser, à élargir. À plus forte raison, il serait quelque peu téméraire de vouloir établir des rapports entre ce charisme communautaire « ordinaire » et celui des communautés traditionnelles ou des communautés nouvelles. Il semble cependant que ces communautés, si leur appel se confirme, peuvent rappeler aux unes et aux autres que le charisme communautaire s’origine dans le don de Dieu reçu au baptême et dans l’Eucharistie. Plutôt que de se borner à le présupposer comme allant de soi, il conviendrait alors de réactualiser ce fondement et de voir ce qu’il peut inspirer dans la pratique. Je me bornerai à deux ou trois suggestions ou questions.
1. Il y a, de fait, un lien entre la recherche communautaire dans le peuple de Dieu et celle des instituts religieux.
– À l’origine de ces instituts, tout d’abord pour certains du moins, il est certain que leur naissance a été permise et favorisée par des « courants communautaires » où l’on cherchait à connaître le Christ et à vivre de l’évangile. L’histoire religieuse du XVIIe siècle, par exemple, montre une foule de sociétés de ce genre, plus ou moins organisées. C’est dans ces groupes que certaines personnes se sont senties appelées à une vie particulière à la suite du Christ. Il se trouve effectivement que parfois des instituts se sont ensuite coupés de cet enracinement ecclésial plus large.
– Actuellement, on peut dire que les religieux ont souvent un lien réel à des communautés naissantes de laïcs, soit pour les initier, soit pour les aider dans leurs partages, leur apprentissage de la prière ou des liens fraternels. Inspirateurs, éducateurs, témoins, les religieux sont tout cela. À mon sens, ils ne le sont pas assez.
2. Il me semble que les religieux aujourd’hui sont souvent en panne pour dire leurs finalités, ou risquent de répéter des mots de jadis. Ils pourraient trouver là une manière de “sentir et de sentir en Église”. Or cela est encore peu perçu.
– On parle bien de relation des communautés religieuses avec des laïcs, mais c’est souvent de manière trop centrée sur les religieux eux-mêmes. Des laïcs gravitent autour d’eux, reçoivent d’eux témoignage et formation spirituelle ou théologique, mais toutes ces planètes communiquent peu entre elles, sinon « par l’opération du Saint-Esprit ». Ces groupes ont parfois tendance à devenir élitistes. Et peu d’initiatives en sortent pour le commun du peuple de Dieu.
– Il se peut que des religieux se sentent appelés, aujourd’hui, individuellement ou collectivement, à être “catalyseurs”, ou “suscitateurs” de ces communautés chrétiennes ordinaires, sans pour autant verser dans le modèle de la communauté monastique paroissiale. Il me semble qu’il y aurait là grand profit pour l’Église, et notamment pour toute une population qui ne demande pas mieux que de “faire Église”, mais qui n’y est pas appelée de manière adaptée. Mais peut-être est-ce plus une ligne ministérielle (d’ailleurs pas nécessairement incompatible avec la vie religieuse)...
Je serais tentée de dire qu’il y aurait là, pour bien des instituts religieux préoccupés d’eux-mêmes et de leur survie, une manière de “vivre”, tout simplement, en communiquant ce qu’ils ont reçu, et qui leur découvrirait peut-être la voie d’une nouvelle fécondité.
3. Plus largement, il me semble que, de plusieurs côtés aujourd’hui, en Europe [3] mais aussi en d’autres continents, émerge la conscience que l’Église doit vivre mieux le lien fraternel et communautaire. Le modèle hiérarchique et sacramentel a mis en relief certains aspects de sa structure, mais ces aspects ne suffisent pas, à eux seuls, à honorer la communion en Christ de tous les baptisés, si le chrétien de base ne trouve devant lui que des collectivités anonymes ou une mosaïque de groupes, informels ou sur-organisés, ne communiquant entre eux que superficiellement ou pas du tout. Les religieux pourraient avoir, me semble-t-il, dans cette émergence de nouveaux modèles de communautés chrétiennes un rôle très important.
Cela exigerait d’eux, me semble-t-il, de réfléchir à une appartenance plurielle. On ne peut aujourd’hui considérer sa communauté religieuse comme une société ou une Église “complète”, sans communication avec l’Église ordinaire que par la hiérarchie, les rites, les services, ou sous le mode d’une information lointaine. Serait-il impossible que l’on aille vers une osmose plus grande, au bénéfice des uns et des autres ?
Cela exigerait aussi des formes ecclésiales ordinaires, notamment paroissiales, si l’on ne veut pas que l’Église devienne une mosaïque de particularités sans lien entre elles, que le ministère se rende capable d’accueillir et de faire communiquer des formes de partage diverses, dans l’unité de l’origine et de la mission.
313, av. A. Sakharov
F-69009 LYON, France
[1] L’initiation chrétienne des adultes est devenue une possibilité et un fait marquant en Europe et en France. Un rassemblement national à Paris, en juin 1994, de 2000 accompagnateurs français l’a manifesté. Chaque année, en France, quelques milliers d’adultes demandent de découvrir la foi, d’être baptisés, d’être catéchisés ou de “recommencer” un chemin de foi. À Lyon, il n’est guère de paroisse un peu accueillante qui n’entende cet appel, et la pastorale des “recommençants”, appuyée sur un lieu de proposition urbaine (l’Espace Sainte Marie, 2, Bd Tchécoslovaques, Lyon, 7ème) se développe. Lorsque l’Église retrouve le sens de son baptême, nos contemporains retrouvent la saveur de la foi. Dans la dynamique de l’initiation, se forment, depuis quelques années, des communautés de foi, lieux mensuels de partage suivi offert à des baptisés croyants. Ni communautés religieuses, ni communautés de vie, ces communautés de foi nous gardent des particularismes d’une vie communautaire très organisée. Elles pourraient être un signe modeste, mais vital, en un moment où le tissu ecclésial s’effrite rapidement.
[2] Cette communication a été proposée lors du Conseil annuel de la revue Vie consacrée, en septembre 1994, qui avait pour thème : « Les formes de vie communautaire selon les charismes divers de la vie consacrée ».
[3] - Sur la pastorale catéchuménale en Europe : Aux commencements de la foi, (Conférence Européenne des Catéchuménats, préface du Cardinal Martini, Médiaspaul, 1990). Voir en particulier le chapitre 2 : « Pastorale catéchuménale et conscience baptismale en Europe aujourd’hui », par Henri Bourgeois, 41-67.- Sur le fait et la signification du catéchuménat dans le monde, cf. les Actes d’un colloque international de théologie catéchuménale, tenu à Lyon, en 1993, dans Spiritus, 134, février 1994.