Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Les Alliances de Dieu, les défis à venir et la vie religieuse

Guy Martinot, s.j.

N°1993-6 Novembre 1993

| P. 344-362 |

C’est un texte original et stimulant que nous offrons aujourd’hui à la réflexion de nos lecteurs. On sera particulièrement attentif à la façon dont l’A. fait mémoire des Alliances que Dieu a établies avec l’humanité en son histoire pécheresse et sauvée. Elles donnent de décrypter de manière très suggestive, à la lumière de la vie religieuse - considérée comme prophétie en acte et déjà-là du Royaume - les signes des temps inscrits dans les défis de notre monde. On pourra apporter à cet essai, ici une nuance et là une critique, mais on ne restera pas insensible aux analyses et perspectives qu’il propose.

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La vie religieuse apostolique et active est en crise dans la plupart des pays industrialisés : il y a peu de vocations et beaucoup des services rendus autrefois par les religieux, notamment dans l’enseignement et les soins de santé, sont pris en charge par les laïcs.

Si le sel de la terre... (Cf. Mt 5,13).

Dans cette situation, pour préparer le Synode sur la vie religieuse de 1994, il est nécessaire de retrouver dans la tradition et l’Écriture l’inspiration fondamentale de la vie consacrée ; c’est ce que nous essayerons de faire dans une première partie en méditant les alliances de Dieu. Mais il peut être stimulant aussi de discerner le service que, providentiellement, la vie religieuse est appelée à rendre dans l’avenir. C’est ce que nous voudrions tenter de développer dans la seconde partie.

Les alliances de Dieu

Dieu, un Être d’alliance

À l’homme qui se découvre incapable d’aimer en vérité, Dieu révèle qu’une alliance fondamentale entre lui et nous a été rompue. Parce que nous ne faisons plus l’expérience d’être aimés en vérité, pour toujours et gratuitement, nous sommes incapables d’aimer à notre tour.

Dieu prend alors l’initiative de nous « rééduquer » à l’amour. Il nous invite à refaire l’expérience de sa vie intime pour que nous redécouvrions de l’intérieur le sens de la nôtre : « En donnant toi-même la vie, tu découvriras ce qu’est mon amour de Père, mystère de l’unité trinitaire. En rassemblant une famille, une communauté, tu découvriras l’amour avec lequel je rassemble et conduis mon peuple ».

Ce partage d’une expérience fondamentale n’est pas exactement le sens donné habituellement au terme biblique d’alliance, berith ou diathèkè [1]. Nous l’employons ici d’une manière libre : faire alliance, proposer, après une rupture, de faire ensemble la même expérience pour se redécouvrir. Cela suppose une fidélité, dans le respect de certaines conditions révélées par Dieu.

La communication est d’abord parole, elle s’approfondit par l’exemple donné, elle s’inscrit dans la durée par l’alliance et s’achève dans le sacrifice.

L’histoire du salut et les alliances anciennes

La première alliance de Dieu avec l’homme, la première manière dont Yahvé se lie à sa créature, pour se faire connaître par elle, c’est la création de la nature autour de nous : « J’ai créé tout cela pour te le confier afin que tu apprennes à me reconnaître par tout ce que je fais, en devenant aussi créateur comme moi ». Démarche comparable à celle de ce jeune architecte qui avait construit une maison en se promettant d’épouser celle qui comprendrait son œuvre et pourrait l’achever par une décoration intérieure.

Au cœur de cette création se vit l’alliance par le couple : Dieu créa l’homme à son image, afin qu’il vive l’expérience de la vie trinitaire dans sa chair. Cette expérience fondamentale, l’homme était appelé à la vivre dans le couple comme roi de la création.

La chair est cette mystérieuse capacité divine qui existe encore à l’état « brut » dans l’homme. Malgré l’individualisme et toutes les oppositions, il reste entre les hommes une communauté essentielle : cette « matière première » qui me rend solidaire des autres au-delà de l’isolement de ma conscience.

Que le patrimoine génétique commun soit distribué par appariement entre les individus selon le « hasard et la nécessité » peut être compris comme une trace d’unité fondamentale du genre humain. C’est par « nature » aussi, que tout homme peut attraper d’un autre un virus, que tout homme est entraîné par l’esprit grégaire, que tout homme est sensible au conformisme. Par nos corps, il existe des traces d’une unité originelle entre les hommes au-delà des oppositions de personnes. La tendresse est la résurgence à travers l’amour de cette unité autrefois donnée et perdue aujourd’hui [2].

L’alliance est ce long processus à travers lequel Dieu nous réapprend dans la chair cette solidarité originelle que nous avons perdue.

Nous retrouvons cette trace divine en notre raison de vivre la plus profonde : être aimé et aimer. L’enfant, comme le vieillard, vit parce qu’il rend heureux ceux qui l’aiment. Tout petit, l’enfant ressent bien qu’il comble sa maman et que son papa est fier de lui. Jean Vanier répète souvent que le drame de l’enfant handicapé, c’est de percevoir, dès ses premiers instants, que ses parents souffrent et sont inquiets à cause de lui. Il l’exprimera plus tard : « C’est à cause de moi que tu pleures ? » À partir de là, il se considérera comme mauvais, parfois il se frappera ou se roulera dans la saleté pour se « punir » de ne pas rendre heureux ceux qui l’aiment.

Faire alliance, c’est reconnaître de manière stable que tu peux me rendre heureux et me faire grandir. Cette relation d’amour est créatrice : je t’aime tel que tu seras en étant aimé. En t’aimant, je te donne d’être. L’enfant rend ses parents heureux, il leur donne le courage de vivre et fait qu’ils soient parents. Cette relation trinitaire, révélée en Jésus, nous découvrons qu’elle est le cœur de la vie de l’homme. Le Père vit par le Fils et le Fils par le Père par le lien de l’Esprit. Dieu fit l’homme à son image. Lorsque cette réciprocité créatrice est entamée ou détruite, Dieu fait alliance avec nous pour la restaurer.

Ancienne et nouvelle alliance, c’est toute l’histoire de la Bible. Dieu partage tout d’abord sa vie par la mystérieuse et charnelle beauté vécue dans le couple au cœur de la création. Expérience tellement forte qu’elle conduit à la tentation de l’indépendance. La rupture avec Dieu va entraîner toutes les autres violences : dans le couple s’installent des rapports de séduction-domination ; le rapport avec la nature se fait dans un travail pénible ; entre les frères apparaît la jalousie qui va jusqu’au meurtre.

Après cette rupture originelle, Dieu refera l’homme capable de vie trinitaire par un long apprentissage d’alliances. Il lui dit en quelque sorte : « Nous allons revivre ensemble des expériences fondamentales, celle de la communauté, de la paternité, de l’intelligence et du pouvoir pour que tu redécouvres en acte qui Je Suis et qu’ainsi tu oses à nouveau vivre par l’autre et pour lui. Parce que cela échouera en partie, à cause de ta peur de vivre d’amour, je ferai une alliance charnelle avec toi, en te rejoignant dans ta peur, tes souffrances, tes limites. En te nourrissant de moi, je rejoindrai cette solidarité de base qui existe en vous ».

L’alliance de la vie dans la communauté

Que fait Yahvé lorsqu’il voit que « la méchanceté de l’homme était grande...et la terre remplie de violence » (Gn 6,5 et 11) ? Il prend Noé, un homme juste et intègre, qui marchait avec lui, il lui ordonne de se faire une arche et d’y entrer avec sa famille et un couple de tout ce qui est vivant : « J’établis mon alliance avec toi » (Gn 6,18).

L’arche est le lieu où l’alliance peut être vécue, en face de la violence ; lorsque la vie elle-même est menacée, elle a pour fonction de sauvegarder la vie.

Marthe Robin avait souvent répété à ses visiteurs Faites des communautés tant qu’il est temps !« Elles sont les lieux où peut être vécue l’alliance de Dieu pour sauvegarder la vie, c’est leur fonction écologique dans le sens le plus profond du mot. Le temps venu, lorsqu’un signe sera donné, elles pourront se répandre dans le monde. La condition de fidélité posée par Yahvé dans cette alliance est d’accepter toutes les différences et d’attendre le »signe de la colombe".

Noé n’était pas hébreu, n’était pas de la caste sacerdotale. L’alliance que Yahvé fait avec cet homme de bonne volonté pour sauver la vie de la violence a une valeur universelle [3].

Les hommes voudront construire par eux-mêmes leur unité : « une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux » (Gn 11,4), une Babel uniforme. Dieu les dispersa pour préserver leurs différences.

Abraham et les patriarches à sa suite vont vivre une autre alliance : être père, c’est connaître Dieu de la manière la plus intime. Pour avoir des enfants, il faut prendre le risque de quitter ses parents, sa terre, ses sécurités. Il faut oser entendre un appel intérieur, la promesse d’un pays inconnu.

À l’homme qui croit, Yahvé promet : « Ta femme te donnera un fils. Mon alliance sera marquée dans votre chair comme une alliance perpétuelle » (Gn 17,19 et 13). La confiance en la promesse sera la condition de l’alliance de paternité.

Comme Abraham a pu intercéder pour Sodome, celui qui entre dans l’alliance de la paternité peut intercéder pour les hommes qui s’enferment dans leur volonté d’uniformité.

Traiter leurs enfants comme s’ils en étaient propriétaires peut devenir la tentation des parents. Vient toujours un temps où il faut pour eux faire aveuglément confiance à Dieu : c’est le sacrifice d’Abraham (Gn 22).

Les patriarches Isaac et Jacob auront une vie tumultueuse mais ils feront, comme parents, cette expérience de Dieu Père.

La grande figure de Moïse peut apparaître comme un prototype de l’intellectuel. Il reçoit une éducation raffinée qui le coupe de son milieu. Lorsqu’il se trouve face à l’injustice, il réagit par la violence et puis s’enfuit par peur des conséquences. En exil, il trouve le moyen le plus facile d’assurer son confort, il se marie avec la fille d’un notable. Ce n’est pas ainsi que Dieu peut se révéler à lui.

Comme berger des troupeaux de son beau-père au désert il va s’approcher d’un phénomène naturel qui l’étonne : un buisson qui brûle sans se consumer. Quel symbole [4] ! Yahvé se révèle à lui, l’appelle intérieurement et lui fait découvrir la misère de son peuple pour le rendre solidaire (Ex 3). Son intelligence, dès lors, ne s’appliquera plus aux choses mais aux personnes pour reconnaître la valeur de chacune et leur confier la responsabilité dont elles sont capables.

Sa mission sera de faire vivre au peuple la libération qu’il a lui-même vécue : renoncer aux sécurités qui asservissent pour retrouver au désert l’expérience de Dieu. C’est une lourde tâche. Moïse connaîtra le découragement, il partagera ainsi l’expérience de Yahvé qui s’acharne à sauver son peuple. En s’appuyant sur Dieu, il pourra donner au peuple une loi qui le rende solidaire et permanent au-delà des peurs et des égoïsmes. Cette loi fondamentale sera l’Alliance de Dieu ; pour la conserver, Moïse construira une Arche.

Cependant, cette alliance échouera partiellement : le peuple entrera en terre promise mais Moïse lui-même devra le laisser partir sans lui. Il a succombé à la tentation de l’intellectuel : mesurer la puissance de Dieu à ses évidences propres. Celui qui ne croit pas au-delà de ce qu’il comprend et maîtrise peut parfois remplir une mission pour d’autres, mais ne peut vivre lui-même de Dieu. Aujourd’hui encore c’est la tentation et le risque de nombre d’institutions intellectuelles.

L’alliance avec l’intelligence est difficile, celle avec le pouvoir l’est encore plus, car, comme dit la sagesse : « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ». Pourtant Yahvé en prend le risque.

Pour garder la responsabilité essentielle, Moïse, face à la complexité des tâches, avait délégué des responsabilités aux Juges, mais ceux-ci « furent attirés par le lucre, ils acceptèrent des présents et firent fléchir le droit » (1 S 8,3). Cette corruption affaiblit Israël, qui réclama un roi pour être mené au combat comme les autres nations (1 S 8 et 19). Yahvé se sentit rejeté car il ne serait plus seul à régner sur eux. Il avertit le peuple des abus inhérents à tout pouvoir fort : ces rois prendraient leurs fils pour en faire des soldats ou des courtisans, leurs filles pour en faire des courtisanes.

Yahvé réprouvait ce choix mais il suivit la volonté des hommes tout en cherchant à en limiter les inconvénients : les prophètes iraient chercher le plus petit pour en faire le roi. À la différence des autres nations, ce roi ne serait jamais divinisé. Au début, il resterait un chef charismatique, c’est après David seulement que la charge serait héréditaire.

Dans la prospérité, « quand tu auras bâti de belles maisons et que tu seras riche, garde-toi de dire en ton cœur : ’C’est ma force, c’est la vigueur de ma main qui m’ont procuré ce pouvoir’. Souviens-toi de Yahvé, ton Dieu : c’est lui qui t’a donné cette force qui t’a procuré ce pouvoir, gardant ainsi comme aujourd’hui l’alliance jurée à tes pères »(Dt 8,12 et 17).

Parce qu’ils ne craignaient plus Yahvé, ces rois eurent peur du peuple. Cette alliance avec le pouvoir fut ainsi un échec partiel.

Ces premières alliances, les plus anciennes, restent toujours actuelles : l’homme et la femme vivent dans le mariage l’alliance fondamentale et font ainsi l’expérience de Dieu, celle-ci s’approfondit encore quand ils deviennent parents. De même, les alliances avec l’intelligence, telles qu’elles peuvent être vécues par les intellectuels, ou celles qui sont vécues dans l’exercice du pouvoir, restent toujours plus risquées [5].

Après elles, il n’y eut plus d’alliance jusqu’à Jésus. Les prophètes vinrent dénoncer les ruptures d’alliance commises par Israël et annoncer l’alliance nouvelle promise par le Seigneur.

La figure du Serviteur souffrant [6] dans le deutéro-Isaïe avec celle des noces du Cantique des Cantiques en sont les révélations les plus intimes. Dieu fera alliance avec l’homme souffrant dans un amour nuptial.

L’histoire du salut et l’alliance nouvelle

Toutes ces formes d’alliances préparaient une alliance nouvelle en Jésus. Dans les anciennes alliances, Dieu rejoignait l’homme en lui faisant vivre ce qu’il vivait lui-même ; dans la nouvelle alliance, Jésus vient vivre ce que vit l’homme dans sa pauvreté, sa souffrance et les conséquences de son péché. Il nouera avec lui une alliance personnelle et charnelle : alliance du service dans l’Église, alliance du cœur avec les pauvres, alliance de la maternité virginale en Marie, pour la révélation du Père qui nourrit ses enfants dans l’Eucharistie.

L’alliance avec le pouvoir avait abouti à un échec, Dieu a l’audace de la reprendre en se liant avec une institution humaine à laquelle il confie tous ses pouvoirs spirituels : « Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux » (Mt 16,19). « Qui vous écoute m’écoute » (Mt 10,40). Cette alliance est une expérience tellement intime qu’elle est analogue à celle de Jésus. « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20,21).

C’est par Pierre que Jésus noue cette alliance. Il fait de lui le fondement de l’Église et lui commande de « faire paître son troupeau ». C’est une alliance explicite qui se perpétuera dans une institution. Comme la première alliance avec le pouvoir dont elle prend le relais, elle s’articule sur un échec. Jésus n’instituera pas cette alliance sur la Croix, car Pierre est absent. Pendant l’agonie de Jésus, il s’est endormi, ensuite il a voulu recourir à la violence puis il a renié son maître et son ami. C’est avant la Passion, à Césarée, et après la Résurrection, au bord du lac, que Jésus noue cette alliance.

Il n’existe plus de pouvoir mais un service Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis ; si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné l’exemple pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous" (Jn 13,14-15). Ce service est obéissance parce qu’il se vit en Jésus.

L’alliance avec l’intelligence avait laissé Moïse sur le seuil de la Terre Promise. Aujourd’hui encore, les sages et les savants vivent rarement la plénitude de l’alliance ; ils gardent leur quant-à-soi, leur prudence. L’homme ne retrouve son cœur que lorsqu’il est appauvri.

Ce sont les cris des malades, des marginaux, des parents touchés dans leur affection, qui résonnent dans tout l’Évangile. Nous entendons comment Jésus y répond. Avec eux, il peut faire alliance et partager l’expérience de sa tendresse. Il peut les faire entrer dans la Terre Promise : le Royaume des cieux leur appartient.

Nouvelles alliances avec le pouvoir qui devient service, avec l’intelligence qui devient cœur, de la paternité qui devient virginale et maternelle. C’est au bout de sa souffrance que Jésus dira à Jean : « Voici ta mère » (Jn 19,26). Voici, celle qui t’engendrera à la vie de Dieu ; la nouvelle Ève, bénie entre toutes les femmes, qui te guérira des blessures de ton histoire personnelle. Figure de l’Église, elle te portera en elle.

À la différence de l’alliance avec l’Église, elle ne demande pas de médiation sacerdotale ni de sacrements. Elle se fait entre Marie et l’homme souffrant représenté par Jean. Au moment de cette adoption, Jean est écrasé car, avec toute la fougue de la jeunesse, il a tout risqué en Jésus. Les autres apôtres gardaient leur jugement critique et leur prudence, Jean s’était brûlé. Lorsque Jésus meurt en croix, le plus jeune des apôtres n’a plus de recours, il est l’image de l’homme abattu : c’est avec lui que Dieu institue une alliance universelle par Marie. Alliance de la virginité, car Marie accepte pour enfants ces hommes qui ont abandonné, trahi et crucifié son fils selon la chair.

À part l’alliance avec Pierre, c’est sur la croix que Jésus noue ces nouvelles alliances, Marie et Jean, les pécheurs pardonnés : Marie-Madeleine et le « bon larron ».

Cette alliance en Marie est aussi alliance universelle pour sauver la vie, elle reprend les alliances avec Noé et celle plus originelle encore du couple humain ; elle ne requiert pas la médiation d’une structure visible.

Cette alliance reprend celle de la création et du couple. Dieu faisait alliance avec l’homme en lui confiant la nature, ce merveilleux environnement dans lequel il l’avait placé et qui lui fournit sa nourriture. La condition de cette alliance, c’était de ne pas manger de l’arbre de « la connaissance du bien et du mal », recevoir dans la confiance sans devenir possesseur. L’Eucharistie est le fruit de l’arbre de la Croix, que tous les hommes sont appelés à manger.

Celui qui aime veut être un avec l’aimé. Physiquement, il existe deux manières d’être uni : l’union sexuelle et la manducation. Le vœu de l’amour, c’est que l’aimé me soit intérieur. L’enfant qui aime sa mère ou son père leur dit parfois : « Je t’aime tellement que je voudrais te manger », je voudrais que tu sois en moi. Jésus, lui, nous dit : « Je t’aime tellement que je veux être mangé par toi ! » Celui qui mange la chair et boit le sang du Christ vivra de sa vie. Il est sauvé « charnellement ». Jésus n’a pas dit Comprenez bien« mais »prenez et mangez" ; comme dans la première alliance, c’est un salut charnel, il rejoint en l’homme cette capacité divine originelle, notre chair. La condition de cette alliance, c’est de revêtir l’habit nuptial pour fêter l’amour fou de Dieu.

Dans la pauvreté radicale de la souffrance et de la mort, Jésus reste fidèle à l’homme. Là où il se sent complètement abandonné, l’homme retrouve la présence charnelle de Dieu. C’est une alliance corporelle, physique que Dieu noue avec l’homme, aussi intime que celle de la maman qui nourrit son tout-petit, il rejoint en lui cette chair, mystérieuse capacité divine commune à tous les hommes Celui qui mange ma chair vivra éternellement« . Alliance de réciprocité et d’identification : »... dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait" (Mt 25,40).

À travers toute l’histoire du salut, la démarche de Dieu reste constante : risquer une alliance avec l’homme dans les dimensions fondamentales de son existence pour se révéler à lui. Lui réapprendre ainsi à faire alliance, lui rendre la capacité de rendre heureux ceux qui l’aiment. Cette expérience est vécue par l’homme charnellement, dans cette capacité divine restée présente en tout homme [7].

Cette communication divine va toujours en s’approfondissant : elle est d’abord Parole, ensuite le Verbe se fait chair. Dieu nous donne l’exemple, il fait alliance avec nous car nous sommes pour toujours la source de sa joie. C’est par son sacrifice qu’il nous rend notre liberté d’aimer jusqu’au-delà de la mort.

Dans les anciennes alliances, Yahvé faisait entrer l’homme dans une expérience révélatrice de sa vie divine ; dans la Nouvelle Alliance, Jésus entre volontairement dans le tragique de la vie humaine pour la diviniser.

Nous pouvons maintenant, par une démarche assez différente, inspirée par la prospective, chercher à découvrir comment les religieux, en étant les témoins privilégiés de cette nouvelle alliance de Dieu, proposée dans la pauvreté, la chasteté et l’obéissance, peuvent répondre aux défis à venir.

La vie religieuse et les défis à venir

Cherchez d’abord le Royaume et sa justice et tout cela vous sera donné par surcroît (Mt 6,33).

L’implosion du communisme, suivie de son écroulement, a mis le système capitaliste, fonctionnant souvent dans le cadre politique de la démocratie, en situation de monopole. Il apparaît comme le seul modèle économico-social de référence [8] Situation dangereuse et paradoxale pour un système basé sur la concurrence.

Simultanément, l’écologie découvre que la croissance et l’expansion de la production et de la consommation, qui sont les moteurs du capitalisme et qui semblent indispensables pour faire face à la croissance démographique, se heurtent à des li mites infranchissables. En d’autres termes, le seul modèle économico-social dont nous disposons risque d’être inapplicable d’ici une dizaine d’années.

Ce sont les groupes humains dans lesquels les liens entre personnes sont restés prioritaires qui pourront mettre leur expérience de la solidarité à la disposition de l’humanité pour élaborer de nouveaux modèles économiques et sociaux [9]. Quels sont ces groupes ? Les P.M.A., pays que nous appelons moins avancés [10], les classes pauvres des pays riches [11], les personnes handicapées [12], les communautés et les religieux.

En décrivant les défis qui se profilent à notre horizon, nous reconnaîtrons que la seule manière d’y répondre est de refaire l’expérience de l’alliance avec Dieu pour recréer des liens de solidarité entre hommes ; c’est bien là le cœur de la vie religieuse.

Démographie et limites de l’expansion industrielle

Depuis le début du XVIIIe siècle, la population mondiale s’est multipliée par huit et l’espérance de vie a doublé. Même si un ralentissement s’est produit récemment, cette explosion démographique se poursuivra encore : 6,2 milliards en 2000, entre 12 et 13 milliards en 2100. La répartition de cet afflux de population se fera de manière tout à fait inégale : 5 % au Nord, 95 % au Sud. Sur les 3 milliards 200 millions d’hommes qui s’ajouteront à la population actuelle d’ici 25 ans, 200 millions naîtront dans les pays industrialisés et 3 milliards dans les pays moins avancés.

À titre d’exemple, le Nigéria avait 38 millions d’habitants en 1950, 120 millions en 90, et, à moins d’accident, épidémie (sida), il en aurait 500 millions en 2100.

Les courbes de la production et de la consommation se développent de la même manière. Depuis le début du siècle, l’activité économique s’est multipliée par 20, la consommation de l’énergie par 30 et la production industrielle par 50. Comme pour la démographie, cette accélération se produit surtout dans les dernières années. Théoriquement cet accroissement de production semble répondre à la croissance de population, mais en fait la répartition de ces richesses se fait à l’inverse des besoins : 80 % au Nord, 20 % au Sud.

Le développement industriel peut aussi freiner la croissance démographique. En Occident, comme plus récemment au Japon, au Brésil, à Taïwan ou en Corée, la natalité diminue lorsque, par le progrès matériel, la vie s’allonge et que la lutte est moins âpre. Mais il n’est pas possible d’envisager cette croissance industrielle dans les zones à forte démographie. Et c’est dans les régions où il y a déjà trop peu de jeunes que le ralentissement se produit. Un certain nombre de facteurs montrent bien que cette croissance économique doit être volontairement stoppée.

Pour la première fois dans l’histoire, l’humanité met en danger sa survie par la faute de son activité industrielle. Scientifiques et politiciens ont reconnu à la conférence de Genève que, d’ici trente ans, les rejets de gaz nocifs dans l’atmosphère bouleverseraient irrémédiablement le climat. C’était annoncer à mots couverts l’impossibilité de poursuivre la production et le développement industriels selon le modèle actuel. D’autres signaux l’annonçaient déjà : la destruction des forêts (sur une superficie égale à celle de l’Europe en un demi-siècle), la raréfaction des ressources non renouvelables, etc.

Pour répondre à la croissance démographique, la production et donc la consommation d’énergie devraient doubler d’ici vingt ans, ce qui augmenterait l’émission de CO2 de 50 à 60 %. La surchauffe qui en résulterait est symbolique de l’état de la planète. Il est impossible de poursuivre le type de développement sur le mode occidental : notre modèle économique rencontre une barrière physique. Le mode de gestion et le style de vie doivent être réinventés [13].

Déjà actuellement, les limites du modèle capitaliste apparaissent assez nettement, que ce soit dans l’échec du développement, dans les déceptions des pays ex-communistes ou dans les crises des pays industrialisés. Le capitalisme a développé une habileté extraordinaire dans la production des objets mais il échoue dans les domaines où les relations de personnes sont prépondérantes : éducation, enseignement, santé, famille, urbanisation... Il a perdu le secret des alliances.

Provisoirement, nous évoluons vers une société « duale » où le capitalisme fonctionne pour une frange privilégiée de la société, tant à l’échelle du monde qu’à l’intérieur des différents pays. Mais avant dix ans, il est probable que nous connaîtrons une implosion et un écroulement du capitalisme comparables à ceux du communisme. Quel modèle de société pourra-t-on proposer alors [14] ?

Comment réapprendre la solidarité lorsque les bouleversements économiques risqueront de provoquer la violence ? C’est à cette réinvention que les pauvres, les communautés et les religieux peuvent contribuer, chacun d’une manière différente, par leur expérience et leur tradition.

La réparation de la violence originelle par la vie religieuse

Les premiers chapitres de la Genèse nous ont révélé que la rupture du lien entre l’homme et Dieu est à l’origine de toutes les violences. Dès que l’homme veut se donner à lui-même immédiatement ce que Yahvé lui promet en son temps, il brise la relation de confiance, l’alliance. Alors, la violence s’introduit dans la relation entre homme et femme par le jeu de la séduction-domination, entre frères jusqu’au meurtre d’Abel, entre la nature et l’homme par la dureté du travail.

Pour recréer des liens, nous devons recommencer par ce qu’il y a de plus fondamental : le lien avec Dieu. Par nous-mêmes, nous n’en sommes pas capables, Dieu seul sauve, c’est lui qui prend l’initiative : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis... » (Jn 15,16). C’est à partir du moment où un homme fait l’expérience d’être aimé gratuitement et personnellement qu’il redevient capable de renouer des liens avec les autres dans la solidarité et dans la gratuité.

C’est l’essentiel de la vie religieuse, la vie « reliée » à Dieu. Le religieux, parce qu’il est appelé à suivre Jésus dans le choix des « pauvretés » que d’autres subissent sans les vouloir, peut révéler le sens qu’elles prennent dans l’alliance de Dieu. Comment alors offre-t-il un modèle alternatif de société ?

La vie religieuse, inspiration sociale alternative

Comment fera-t-on pour motiver les hommes au travail si on ne peut plus leur offrir des salaires plus élevés, des vacances plus lointaines, une voiture plus prestigieuse... ? La vie religieuse a l’expérience, depuis des siècles, d’une mise au travail de l’homme par une motivation désintéressée.

Et de fait, si on approfondit un peu l’analyse, on constate que la gratuité reste présente même au cœur de la motivation économique [15] : c’est le plus souvent pour un être aimé, femme, homme ou enfants, que chacun veut gagner plus. La motivation la plus profonde n’est pas l’intérêt matériel, mais la volonté de rendre heureux ceux qui nous aiment. Le désir de donner la vie, de donner sa vie dans ce but, est vital. Tout dépend de la qualité de bonheur qu’on veut donner : la vie religieuse peut révéler un bonheur plus profond au-delà de toutes les limites et déceptions.

Pour faire front à l’insécurité née de l’individualisme, le capitalisme multiplie les assurances et les contrôles. La vie religieuse offre l’exemple d’une société basée sur la confiance et la gratuité.

Bien souvent aussi nous augmentons, par compensation ou par inquiétude, les dépenses de prestige : voitures, habillement, habitation, etc. Cela existe beaucoup moins dans la vie religieuse, parce que les personnes sont connues de l’intérieur de manière stable. La multiplication des équipements individuels par incapacité d’utiliser les équipements collectifs alourdit nos sociétés industrielles. L’asphyxie des villes par le trafic automobile en est une illustration. Déjà dans ce domaine, des solutions communautaires deviennent nécessaires, transports collectifs, co-voiturage, etc. Là aussi, la vie religieuse a une expérience vivante de partage.

Contraintes et liberté

La pauvreté commence là où je ne veux pas aller vivre. Il y a donc deux manières de la faire reculer : soit offrir à tous le même standing que le mien, soit aller vivre avec les pauvres. La vie religieuse nous permet de vivre cette seconde voie. Elle ne connaît pas les limites de la croissance de la consommation.

Une personne handicapée qui ne pouvait pas se marier m’a demandé un jour : « Comment tu fais, toi ? Tu as choisi, moi je dois ! ». En d’autres termes, cela veut dire : puisque tu l’as choisi, que tu y as été appelé par Dieu, pour moi aussi cela peut être bon et mener à Dieu.

Les pauvres subissent beaucoup de contraintes, bien souvent ils sont forcés de faire ce que d’autres décident pour eux ; le religieux, lui choisit l’obéissance. Choisir d’être pauvre, de vivre la chasteté, d’obéir, c’est manifester au-delà des idéologies et des proclamations le sens des situations limites que la majorité de l’humanité subit sans les choisir.

Quand nous sommes dans un monde fermé, les conflits s’exacerbent, parce que toute injustice est définitive. Un autre service que rendent les religieux, c’est de manifester au cœur de la vie la « dynamique du provisoire » en attendant le retour du Christ et l’entrée dans son Royaume.

Dans un monde toujours à la recherche de plus de ressources, la plus-value la plus importante est celle que Jésus promet : celui qui aura abandonné pour moi, père, mère, frères, sœurs, terres... recevra le centuple et la vie éternelle. Cela multiplie les ressources et supprime leur précarité !

La vie religieuse et les pauvres

Il existe vraiment une « science » qui est donnée aux pauvres. Jésus reconnaissait : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux habiles et de l’avoir révélé aux tout petits » (Lc 10,21). C’est de cette science du cœur que le monde a besoin pour se sauver.

Nous avons tant à réapprendre de ceux qui sont pauvres : le goût de donner la vie, la fidélité à l’égard de ceux qui vieillissent, la simplicité de la mort. En eux, dans leur abandon au Père, Jésus nous livre l’Esprit [16].

Les vrais flux ne sont pas les flux monétaires mais les flux en hommes, des pauvres vers les riches, de la campagne vers la ville. Les religieux ont souvent joué un rôle particulier en étant intermédiaires entre les pauvres et la société globale [17].

Un journaliste, réalisateur de télévision, incroyant, avouait un jour que pour toucher la vérité d’une situation il lui fallait toujours entrer en contact avec les pauvres : eux seuls connaissent les injustices, parce qu’ils les subissent, eux seuls sont prêts à les dire, parce qu’ils n’en profitent pas et qu’ils n’ont pas peur. Mais, ajoutait-il, pour entrer en contact avec les pauvres et recevoir leur confiance, j’ai toujours passé par les religieuses ou les prêtres qui vivent avec eux.

Comme le répétait le Père Joseph, fondateur d’ATD : « Il faut que l’Église aime et sauve les pauvres pour que les pauvres aiment et sauvent l’Église ». Les religieux ne sont pas seulement les témoins des pauvres, mais les témoins de leur alliance avec Dieu, de leur valeur prophétique pour le monde.

Un défi impossible à relever

Jusqu’à présent, les pays riches ont refusé cet apprentissage, cette « révolution », mais vient le temps où ils y seront peut-être acculés.

L’écroulement du monde communiste a permis et provoqué des changements difficilement imaginables, par exemple la suppression du service militaire et un certain désarmement. Actuellement déjà, les pays riches montrent des signes de faiblesse. S’ils implosaient par la violence urbaine, la drogue, le surendettement, la « révolution grise » (vieillissement de la population), etc. Quel bouleversement, salutaire peut-être, pour toute l’humanité ! Ce défi global est démesuré. Peut-on imaginer un instant cette véritable « renaissance » dans nos sociétés usées et vieillissantes ?

Heureusement, dans le monde actuel, les distances diminuent et les forces des pays jeunes, y compris celles des pauvres et des religieux nous atteignent aussi. Lorsqu’on voit ce qui s’est passé aux Philippines, ce qui se passe dans plusieurs pays d’Afrique [18], en Amérique Latine [19] et ailleurs, on se remet à espérer. Alors que la spirale de la violence était prête à se déclencher, les religieux et les pauvres ont réouvert pour toute une société le chemin de la réconciliation. Les pays de l’Est ont aussi un rôle spécial à jouer car il leur faut mettre en place un nouveau modèle économique et social à partir d’une expérience d’échec.

Est-il possible de transposer les structures « économico-politiques » de la vie religieuse à des masses d’hommes qui ne sont ni appelés, ni volontaires ? Les conseils évangéliques sont-ils vivables pour tous, pour des non-chrétiens ? Ne risque-t-on pas par angélisme d’aboutir à la violence ? La réponse la plus simple est de constater que les structures démocratiques de la vie religieuse ont pu inspirer les démocraties de masse [20].

Une autre manière de répondre, c’est de reconnaître que, lorsque la nécessité existe, des évolutions étonnantes deviennent possibles. Or c’est bien ce qui se produira dans le domaine économique et social.

Mais la diminution des vocations dans les pays industriels n’est-elle pas justement le signe que la vie religieuse ne peut plus inspirer la société globale ? C’est vrai, mais en temps de crise, la nécessité peut donner naissance à un sursaut moral et spirituel. Nous voyons aussi que, dans les pays jeunes, la vie religieuse garde sa force d’attraction [21]. Peut-être un jour réinventerons-nous de nouvelles « réductions » du Paraguay ? L’efflorescence actuelle des nouvelles communautés est peut-être un signe précurseur. Elles constituent un intermédiaire nécessaire entre la vie religieuse et la société.

Ce ne sont pas les religieux qui seront les « agents » de cette « révolution », mais ils sont appelés à être les témoins privilégiés de l’alliance entre Dieu et les pauvres. En choisissant par vocation ce que d’autres subissent, ils peuvent redonner sens à la condition humaine, en manifester la dimension symbolique et l’ouvrir à un au-delà [22]. Ils peuvent être témoins de la liberté d’aimer redonnée par Dieu.

Les crises actuelles ont une même racine : notre incapacité de faire alliance, d’aimer dans la durée en permettant à l’autre de grandir [23]. La vie religieuse offre l’exemple séculaire d’alliance à vie entre des personnes de familles, nationalités, cultures, races et classes différentes.

Que nous nous sentions dépassés face à de tels défis, c’est le signe que nous n’imaginons plus un salut à notre mesure. C’est par sa croix que Jésus nous sauve, c’est en prenant le même moyen que nous le reconnaissons vivant, que nous vivons la Nouvelle Alliance.

Communauté d’Opstal - La Viale
Opstalweg 49
B 1180 BRUXELLES, Belgique

[1Pour une bonne synthèse des développements récents du thème de l’Alliance cf. C. Focant & A. Wenin, « L’alliance ancienne et nouvelle », dans la Nouvelle Revue Théologique, tome 110 n° 6, nov.déc. 1988, 850 à 866.

[2Karl Marx avait pressenti, en relisant Hegel, cette capacité divine qui unifie l’humanité : ce "Gattungswesen” est le concept clef de ses œuvres de jeunesse.

[3Beaucoup de communautés s’intitulent « Arches » (Lanza del Vasto, Jean Vanier...). Leur ouverture et leur œcuménisme se situent dans la ligne de cette alliance universelle.

[4Egide Van Broekhoven, un jeune prêtre ouvrier tué dans un accident de travail, y verra le symbole des villes modernes (cf. Journal spirituel d’un jésuite en usine, Paris, Desclée De Brouwer, Bellarmin, Collection Christus n° 43, 1976).

[5Nous pouvons retrouver dans ces alliances les grands points de la pastorale de Jean-Paul II.

[6Les Fraternités du Serviteur Souffrant fondées par Freddy Kunz dans le Nordeste du Brésil incarnent cette mystique : « Nous sommes déjà souffrants, que nous puissions servir par notre souffrance ». Cf. « O Servo Sofredor » vidéo-cassette « Témoins de la non-violence n° 4 », 49, Opstalweg, B 1180, Bruxelles.

[7La première inspiration de cette réflexion sur les alliances divines m’a été donnée lors d’une retraite avec le père Marie-Dominique Philippe O.P. J’ai pu l’approfondir en animant une session à l’Arche de Jean Vanier.

[8O. Roy dans son livre L’échec de l’Islam politique, Paris, Seuil, 1992, démontre pour l’Islam la même incapacité à construire un modèle de société.

[9M. Serres et X. Le Pichon ont développé un point de vue similaire dans une lecture de l’évolution et du progrès de l’humanité, cf. De l’Exclusion à la présence, Colloque Unesco 25 ans de l’Arche, Paris, Fleurus, 1990, 29-48. Cf. aussi N. Cannat, Le pouvoir des exclus, Paris, L’Harmattan, 1990.

[10Cf. Les Pays les Moins Avancés, Carte d’identité de 47 PMA, UNESCO, P.M.A., Paris, 1992. Il est urgent de remplacer ce terme PMA par un autre plus respectueux : terre de solidarité, pays traditionnels, pays protégés ? Fr. Kunz, dans Ânesse de Balaam Paris, Éd. Ouvrières, 1971, montre bien, par cet épisode biblique (Nb 22), le rôle de ces pays pauvres : le prophète Balaam frappe son ânesse qui refuse d’avancer. Yahvé lui révèle qu’il s’opposait à ce voyage et qu’heureusement l’ânesse est plus clairvoyante que son maître car celui-ci allait vers sa perte. Ainsi des nations riches qui bousculent les peuples pauvres pour qu’ils se « développent ». Ceux-ci bloquent. Heureusement pour les riches aveuglés qui sont ainsi empêchés de suivre le chemin qui les mènerait à leur propre perte. Dans cette même perspective, voir aussi le livre récent d’A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ?, Paris, L’Harmattan, 1991.

[11Des mouvements comme ATD Quart Monde se sont faits les témoins de cette culture des pauvres (122, Avenue du Général Leclerc, Pierrelaye, France).

[12C’est le charisme prophétique de l’Arche de Jean Vanier. Celui-ci redit souvent qu’il est facile de diagnostiquer les maladies du monde moderne mais que seule la personne handicapée est un « vaccin ». Cf. J. Vanier, La communauté, lieu du pardon et de la fête, Paris, Fleurus/Montréal, Bellarmin, nouvelle édition, 1989.

[13Cf. J.-M Poursin, « Explosion démographique et désastre écologique », dans Esprit, 1991, n° 5, 71-79. Les conclusions de cet article restent valables malgré les réserves et nuances émises par certains scientifiques. Il serait intéressant d’envisager les questions monétaires et les droits de tirage à partir de ces deux paramètres : mesurer, au niveau mondial, la masse monétaire à mettre en circulation aux ressources naturelles disponibles et surtout au nombre d’hommes capables de les faire fructifier. Ces références moins artificielles empêcheraient peut-être la spéculation et l’étranglement des échanges commerciaux par manque de liquidités.

[14Cf. l’article de Pierre Bouretz, « Histoire et utopie », Esprit n° 5, 1992, dans lequel il confronte Fukuyama/Hegel, Mosès/Rosenzweig.

[15Fr. Perroux a développé dans ses ouvrages cette « économie de la gratuité ».

[17Cf. le beau livre de J.-M. Hennaux, Le mystère de la vie consacrée, Passion et enfance de Dieu, Namur, Éd. Vie Consacrée, 1992.

[18Deux articles récents faisaient découvrir l’approfondissement que vivent actuellement les communautés religieuses au Zaïre : J.-M Van Parys, « Engagements religieux et crainte des violences », Vie Consacrée, 1992, 101-108 et A. Mutonkole, « Après une visite au Zaïre », Vie Consacrée, 1992, n° 5, 293-300.

[19Cf. Ch.-A. et M.-B. Arroyo, 1492-1992 Prophètes pour un nouveau monde, Paris, Dial, 1992.

[20C’est la thèse qu’a développée L. Moulin dans Le Monde vivant des religieux.

[21Le rayonnement de religieuses et religieux d’origine européenne mais vivant dans les pays pauvres, tels Mother Teresa de Calcutta, Sœur Emmanuelle, Freddy Kunz et tant d’autres, a valeur prophétique.

[22Lorsque cette ouverture sur un au-delà manque, l’homme la recherche dans la télévision et la drogue.

[23Dans un livre tout récent, Joseph Duponcheele développe une philosophie relationnelle du couple et de la famille : L’Être de l’Alliance et l’être, Paris, Cerf, 1992, 988 p.

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