La veuve consacrée dans le monde d’aujourd’hui
Hélène Marchal
N°1993-5 • Septembre 1993
| P. 302-308 |
Hélène Marchal, à son tour, nous montre, très simplement et avec ferveur, que la veuve consacrée, dans le monde d’aujourd’hui, est aussi un signe, combien lumineux, de la fidélité de Dieu. Sans minimiser la valeur d’une deuxième alliance, parfois souhaitable, cette consécration du veuvage exprime avec force l’absolu et la pérennité de l’amour humain qui, dans l’épreuve même de la mort du conjoint, témoigne de l’éternité de Dieu.
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Choisir de rester veuve aujourd’hui et de consacrer son veuvage à Dieu, est-ce une question qui peut encore se poser ?
Dès ses débuts, l’Église a accordé une place toute particulière à la veuve, la soutenant matériellement et moralement, l’honorant, lui confiant une mission de charité au service de la communauté. Peu à peu, la vie monastique s’est développée et a reçu celles qui, étant veuves, voulaient consacrer le reste de leur vie à la prière et à la pénitence.
Nous assistons aujourd’hui dans l’Église à des recherches, à des expériences de vie qui rappellent ce qu’ont vécu les premières veuves chrétiennes. Après avoir tenté de dégager quels facteurs pouvaient être à l’origine de ce mouvement, nous verrons quel encouragement le magistère lui a donné, et nous citerons quelques réalisations déjà engagées dans cette voie d’un renouvellement qui constitue un retour aux origines.
Des facteurs de renouvellement
Le XXe siècle aura vu des mutations profondes dans l’Église, ou peut-être plus exactement des efforts de retour aux sources. Des remises en question et aussi des perspectives d’avenir.
Ce siècle aura vu, en l’espace de trente ans, deux guerres briser de nombreux foyers et laisser seules de nombreuses femmes. Par ailleurs, beaucoup de ces foyers s’étaient engagés dans la vie conjugale avec une haute idée du mariage chrétien. Il n’est donc pas étonnant qu’une nouvelle conception du veuvage se soit fait jour, qu’un type nouveau de veuvage ait surgi. Confrontées aux mêmes problèmes, ces femmes se sont unies pour mieux s’aider et se défendre. L’Église, par la voix du magistère, a encouragé ces initiatives et tracé la voie d’une nouvelle spiritualité du veuvage.
Renouveau de la spiritualité conjugale
À l’instigation de Rome (Casti connubii), la spiritualité conjugale s’est revivifiée, s’est libérée de nombreux tabous et a permis à de nombreux couples de vivre intensément le sacrement de mariage. Des foyers se sont regroupés pour réfléchir ensemble à leur vie à deux, comme « L’anneau d’or », aujourd’hui les équipes Notre-Dame. De cette réflexion il ressort plus particulièrement que l’union d’amour créée par le mariage chrétien se poursuit au-delà de la mort.
L’amour plus fort que la mort [1]. Ceci donne donc une portée eschatologique à l’épreuve du veuvage. La mort de leur mari avec toutes ses conséquences et la certitude que l’amour continue, transfiguré, suscite chez certaines veuves le très profond désir de s’unir plus étroitement à celui qui les a précédées auprès du Seigneur et qui les entraîne vers lui. Elles cherchent un sens à donner à leur épreuve et à leur vie, à la suite de Jésus Christ qui a dit : « Celui qui croit en moi, quand même il serait mort, vivra » (Jn 11, 25).
Les veuves se groupent pour s’entraider
Associations civiques. Dans notre temps sécularisé, on voit fleurir les associations d’entraide et de défense. Devant les problèmes législatifs, économiques, sociaux, qui se posent aux veuves, des associations se sont créées : « Fédération des Associations de veuves, chefs de famille », « Association et entraide des veuves et orphelins de guerre »... Elles travaillent sur un plan strictement humanitaire et non confessionnel.
Avec le mouvement chrétien « Espérance et vie », lui-même en relation avec les organisations chrétiennes de veuves existant dans de nombreux pays, nous voyons les veuves se constituer en mouvement d’Église, et dans une perspective précise, non seulement d’entraide, mais de prière et d’apostolat. C’est tout un ministère d’évangélisation qui leur est confié, notamment sur le plan familial. Ce mouvement a été créé plus particulièrement pour les femmes dont le veuvage est récent, afin de les aider dans ces moments difficiles. (En Belgique, « Accueil et Espérance » - Fraternité des veuves, rue de la Prévoyance 58, à 1000 Bruxelles.)
Les encouragements de l’Église
Ils se manifestent de façon très autorisée par la voix du magistère, d’abord par Pie XII, qui donne un grand élan à la spiritualité du veuvage, puis par Paul VI et récemment par Jean-Paul II.
Le message de Pie XII aux veuves [2]. Il fut adressé aux congressistes réunis à Rome en septembre 1957 par l’Union internationale des Organismes familiaux avec comme thème du congrès : l’enfant privé de père.
Le pape dégage les grands traits de cette spiritualité en insistant sur l’aspect de « foyer continué », ce qui est assez nouveau, car ceci n’avait pas été perçu dans la spiritualité des veuves du début du christianisme et est la conséquence du renouveau de la spiritualité conjugale dont nous avons parlé plus haut. Pie XII présente le veuvage comme une croix très lourde mais qui peut aussi être signe d’espérance, tout spécialement si le mariage a été vécu de façon douloureuse par incompréhension ou inconduite de l’époux ; dans ce cas le pardon de l’épouse, inspiré de celui du Christ, peut restaurer ce qui semblait perdu. Il conseille aussi d’entretenir sa vie spirituelle, rappelant en cela la recommandation de l’Apôtre. Que la veuve continue dans son foyer la tâche d’éducation des enfants, commencée à deux, pour leur assurer « une formation virile, solide, ouverte sur la société, pour leur laisser la liberté à laquelle ils ont droit, en particulier dans le choix d’un état de vie ». Le Pape termine son message en insistant sur le témoignage de foi, d’espérance et de charité que son épreuve amène la veuve à donner à ceux qui l’entourent. Il conclut :
Loin de détruire les liens d’amour humain et surnaturel contractés par le mariage, la mort peut les perfectionner et les renforcer. Sans doute, sur le plan juridique et sur celui des réalités sensibles, l’institution matrimoniale n’existe plus ; mais ce qui en constituait l’âme, ce qui lui donnait vigueur et beauté, l’amour conjugal avec toute sa splendeur et ses vœux d’éternité, subsiste, comme subsistent les êtres spirituels et libres qui se sont voués l’un à l’autre... Le veuvage devient en quelque sorte l’aboutissement de cette consécration mutuelle ; il figure la vie présente de l’Église militante, privée de la vision de son époux céleste, avec qui cependant elle reste indéfectiblement unie, marchant vers lui dans la foi et l’espérance, vivant de cet amour qui la soutient dans ses épreuves et attendant impatiemment l’accomplissement des promesses initiales.
Message du Pape Paul VI [3]. Il a été envoyé aux participantes du pèlerinage des veuves à Lourdes en 1977. Ce pèlerinage est organisé tous les cinq ans par le mouvement « Espérance et Vie » et regroupe un grand nombre de veuves de différents pays. Paul VI rappelle que « le Christ est venu assumer et transfigurer la souffrance en l’acceptant et en l’offrant ». Même dans notre misère, « le Père ne cesse de nous aimer avec tendresse, de nous inviter à un plus grand amour et de nous promettre la Vie... Cette espérance et ce courage de vivre sont fortifiés par la prière », insiste-t-il, revenant lui aussi sur cette mission dont la veuve ne saurait se détourner. Enfin il appelle au dépassement de sa propre peine : « l’épreuve est un appel à l’ouverture aux autres, au service, en particulier des autres femmes en détresse ». Le Pape ajoute :
Dans ce monde désemparé par son propre égoïsme, vous serez les témoins de l’Espérance et de l’épanouissement de la vie dont les femmes ont particulièrement le secret.
Jean-Paul II [4] s’adresse également aux veuves du mouvement « Espérance et Vie » pour leur pèlerinage à Lourdes en 1982. Il leur dit notamment :
Les circonstances très diverses qui marquent la vie des veuves comportent toujours deux réalités fondamentales : l’amour qui a conduit des femmes au mariage avec toute la joie et l’espérance que cela représente, et la mort, qui a enlevé d’auprès d’elles le compagnon de toute l’existence, auquel unissent les liens de l’amour et de la fidélité qui trouvent un prolongement dans l’affection de leurs enfants.
Jean-Paul II souhaite que toute la communauté chrétienne s’intéresse à la situation des veuves et les soutienne, comme ce fut le cas aux premiers temps de l’Église, ainsi que nous l’avons vu, en particulier dans leur vie familiale, où elles deviennent le véritable chef de leur foyer.
Il recommande aux enfants devenus adultes de veiller sur leur mère veuve car « ce sont eux qui portent la première et la principale responsabilité de veiller sur elle ».
Ce nom d’« Espérance et Vie », qu’a choisi le mouvement, correspond bien à la mission des veuves dans l’Église et dans le monde, à qui elles doivent aussi apporter un témoignage de charité, étant « particulièrement capables de comprendre la solitude et la douleur ».
Il est remarquable de constater dans chacun de ces messages les mêmes conseils, la même attention à la situation des veuves, et aussi l’unanimité existant avec les principes recommandés déjà par saint Paul et les Pères. On retrouve les mêmes paroles d’espérance, d’ouverture, le vœu d’assumer et de transfigurer cette croix de l’épreuve de la séparation, l’incitation pressante à la prière et à la charité. Ceci confirme bien qu’une appréhension nouvelle du veuvage est aujourd’hui proposée par l’Église et nous allons voir comment cela peut être vécu.
Réalisations et perspectives
Cet enseignement du magistère et les orientations actuelles de la spiritualité conjugale dégagent quelques grands axes qui animeront le cheminement spirituel des veuves qui, comme au commencement de l’Église, veulent aller plus avant et faire profession de viduité.
Vers une spiritualité du veuvage
Au point de départ, existe un véritable appel de Dieu, une vocation à vivre totalement à son service, le reconnaissant comme l’absolu de la vie. Certaines le réaliseront dans la vie religieuse ; pour d’autres, il s’agira de vivre ces exigences de don total de soi-même là où la vie les a placées ; elles ne peuvent ni ne souhaitent abandonner leurs obligations familiales, sociales, professionnelles. Pleinement vécue dans le monde, cette consécration ne sera pas une consécration « au rabais ».
Comme les veuves des premiers temps de l’Église, elles ont compris que cet idéal ne pouvait se réaliser que soutenu par la prière fréquente et assidue, la participation à l’Eucharistie aussi souvent que possible, la lecture attentive de la Parole de Dieu.
Un autre caractère fondamental est le désir de consacrer leur veuvage dans le prolongement du sacrement de mariage, en union avec leurs maris qui contemplent la face de Dieu. Cette consécration peut être faite isolément, mais certaines peuvent souhaiter l’aide et le soutien d’une communauté pour la vivre ensemble, en Église, réunies non seulement par l’amitié fraternelle mais surtout par la volonté de Dieu qui leur a accordé cette même vocation à son service dans le monde d’aujourd’hui.
Cette consécration fait renoncer au remariage, d’abord parce que cet appel indique que le Seigneur veut toute notre vie, tout ce que nous sommes, et ensuite notre mari est toujours un vivant pour nous et le foyer continue avec une face d’ombre et une face de lumière, dans la fidélité jurée et maintenue.
Enfin le veuvage est considéré comme un mystère pascal de la mort à la vie, une résurrection vécue avec le Christ. Ceci indique quel message d’espérance la veuve est chargée d’apporter au monde, plus particulièrement aux si nombreux foyers déchirés aujourd’hui, ainsi qu’à tous ceux qui souffrent dans leur corps ou dans leur cœur et pour lesquels elle intercédera.
Quelques propositions de réalisations
Réunies à Lourdes, en 1943, sept jeunes veuves, sans se concerter, ont ressenti cet appel à une consécration totale. Leurs réflexions ont abouti à la naissance de la Fraternité Notre-Dame de la Résurrection [5] qui accueille les veuves âgées de moins de 50 ans et dont le mariage a été unique. Elle est actuellement présente non seulement en France, mais aussi en Afrique, en Espagne, en Inde, au Portugal et en Suisse.
La vie de la communauté est assurée par des courriers mensuels, des journées de récollection plusieurs fois par an et une retraite annuelle. Ceci permet, malgré la dispersion géographique, une véritable vie de fraternité, chacune continuant à vivre là où ses devoirs la retiennent.
Pour les veuves de plus de 50 ans, une communauté s’est également créée, dont la spiritualité est très voisine. Il s’agit de la Communauté « Anne la Prophétesse » [6].
Enfin il existe aussi un Institut Sainte Françoise Romaine aux statuts un peu différents [7].
Les conditions ont changé depuis le début de l’Église, mais on sent de nouveau cet appel à donner à la veuve une place bien particulière ; la consécration est maintenant reconnue par un rituel de bénédiction qui a reçu l’approbation romaine en 1962, en ce qui concerne la Fraternité Notre-Dame de la Résurrection.
La vie en plein monde de ces veuves consacrées montre la vitalité de l’Église et son adaptation à la vie actuelle ; elle permet aussi à ces femmes d’être toutes données à Dieu et de participer activement à la réalisation de son règne dans les circonstances où la vie les conduit, dans la ligne du foyer continué [8].
39-41 rue de l’Armée Patton
F54000 NANCY, France
[1] H. Caffarel, e.a. L’amour plus fort que la mort. Coll. Foi vivante, 44, 1967,
[2] Pie XII, dans Documentation Catholique, n° 1262, 1285-1290.
[3] Paul VI. Document Espérance et Vie, 1977, 49 rue de la Glacière, Paris.
[4] Jean-Paul II. Dans Documentation Catholique, 1983, 670-672
[5] Fraternité Notre-Dame de la Résurrection, 39 rue Gay Lussac, F-75005 Paris. Adresse de contact pour la Belgique : Madame Jean Baudet, rue de la Poudrière 23, B-7390 Quaregnon.
[6] Madame de Broissia, 6, Place Saint-Bénigne, F-21000 Dijon.
[7] Madame Cécile Demoulin, rue des Français 12, B-6200 Châtelet.
[8] Note de la rédaction. Signalons également l’existence des Frères de la Résurrection, qui accueillent la consécration des veufs. On remarquera que cette consécration du veuvage ne s’oppose évidemment pas, à ce que soit engagée pleinement là où elle est souhaitable et même parfois nécessaire, une nouvelle alliance scellée par le sacrement de mariage.