Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La docilité à l’Esprit Saint

Chemin de communion à Dieu en toutes choses

André de Jaer, s.j.

N°1993-5 Septembre 1993

| P. 321-334 |

Avec simplicité et une très grande justesse où l’expérience affleure, ces pages, - reprises d’une conférence donnée dans le cadre de l’Arche - introduisent de manière complète et équilibrée à la “vie en Dieu”. Une vie comme “chemin de communion à Dieu en toutes choses” que, sans crainte, on peut comprendre comme “mystique” si on y voit l’épanouissement de toute vie chrétienne qui se livre, avec abandon et confiance, à la conduite de l’Esprit en vue d’un acquiescement, paisible et vigoureux, à la vie même du Christ en chacun de nous, qui nous choisit de manière toujours singulière à être en Lui pour la joie du Père.

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Ce texte est la reprise d’une causerie donnée dans le cadre d’une semaine de rencontre de la « Commission œcuménique de spiritualité » de l’Arche, à Trosly-Breuil. Dans le souci d’aider les membres de l’Arche à approfondir leur vie spirituelle, la commission souhaitait un éclairage sur la vie mystique, la fidélité au Saint-Esprit et l’union à Dieu.

Spiritualité et Mystère chrétien

La spiritualité chrétienne peut être décrite comme une manière particulière d’assimiler, de vivre et d’exprimer la Bonne Nouvelle de Jésus. Car il n’y a pas d’autre voie chrétienne de salut que celle qui consiste à accueillir l’évangile de Jésus, l’enseignement de sa Personne et sa parole de vie.

Mais l’évangile est tellement riche d’inspiration que personne ne peut prétendre en exprimer totalement la richesse. Il y a différentes manières de grouper et de mettre en valeur les pierres précieuses du trésor de la Bonne Nouvelle : elles peuvent toutes inspirer une manière caractéristique de s’engager à la suite de Jésus. Cette naissance d’une forme de vie spirituelle, d’une famille spirituelle, est toujours un don de l’Esprit Saint. D’où la diversité des familles spirituelles dans l’Église. Elles ne s’excluent jamais les unes les autres. Au contraire, il y a en elles une complémentarité. Elles se nourrissent les unes des autres, s’enrichissent mutuellement. Saint Ignace a été nourri et formé par saint François, saint Dominique, les bénédictins de Montserrat et les chartreux. De nombreux chrétiens de diverses traditions et spiritualités sont nourris par Charles de Foucauld, Taizé ou Thérèse de l’Enfant-Jésus.

On peut comparer les courants spirituels aux branches d’un grand arbre. Il y a des branches maîtresses, des branches anciennes et d’autres plus récentes, sans oublier les jeunes pousses encore fragiles. Toutes se soutiennent et s’enrichissent mutuellement. Mais toutes aussi sont reliées à un tronc commun. Nombreuses sont les branches mais le tronc est unique. Ainsi en est-il des spiritualités, elles vivent toutes reliées entre elles et enracinées dans un tronc commun : la bonne nouvelle de l’évangile, le mystère du Christ.

Les évangiles nous montrent le chemin concret qu’a pris Jésus. Saint Paul déploie le mystère du Christ, le dessein d’amour de Dieu révélé dans l’histoire de Jésus (par exemple : Ép 1,3-20 ; 3,8-9 ; Rm 8,22-35 ; Col 1,3-13). Bien souvent, Paul commence ses lettres par une prière d’action de grâce parce que nous sommes déjà introduits dans le mystère du Christ et il demande à Dieu de nous y faire pénétrer encore davantage.

Nous pourrions nous demander comment la spiritualité de l’Arche se situe dans le mystère chrétien, dans le dessein d’amour du Père en Jésus. Quelles sont ses caractéristiques ? Une alliance avec Jésus et les plus pauvres de ses frères ; un enracinement au cœur de l’Église, une ouverture à l’œcuménisme et à l’humanité de base. Sa spiritualité la situe à une place bien particulière à l’intérieur de l’unique mystère chrétien.

Mystère du Christ et vie mystique

Parler de « vie mystique » aujourd’hui provoque souvent la méfiance ou au moins la réaction : « Ce n’est pas pour moi ! » Et pourtant, sans entrer dans les discussions théologiques à propos de cette expression, on peut comprendre la « vie mystique » pour un chrétien comme la vie dans une certaine expérience du mystère du Christ. Tout chrétien est introduit dans cette vie mystique. Saint Paul invite aussi bien les anciens débauchés et prostituées de Corinthe (1 Co 1,17 ; 2,5 etc.) que les citoyens romains à ouvrir leur cœur et leur être tout entier au mystère du Christ mort et ressuscité, vivant au cœur de notre monde.

Vivre le mystère du Christ, c’est accueillir progressivement ce mystère dans toutes les dimensions de notre être, avec notre mémoire, notre intelligence, notre volonté, notre affectivité et notre corps, avec aussi toute notre histoire, sa beauté comme ses blessures, sans oublier que nous sommes inscrits dans une société, une culture, le monde, l’Église.

Cette vie dans le mystère du Christ commence normalement à notre baptême, elle se nourrit de l’eucharistie, s’approfondit par notre vie de foi et de prière, prend corps dans une vie selon l’évangile et les béatitudes. Mais parce que le Christ ressuscité assume toute la création et l’humanité entière (Col 1,18-20), tout homme qui agit avec une conscience droite commence déjà à être touché et à vivre de ce mystère. Car tout être humain est enfant du Père en Jésus, même s’il l’ignore encore. Ceci éclaire aussi la vocation de l’Arche, appelée à être à la fois Arche d’alliance qui accueille Jésus avec Marie dans une intimité cachée, et Arche de Noé accueillant tout être humain de bonne volonté en qui le Christ est déjà présent.

La vie mystique chrétienne, c’est l’expérience que nous avons du mystère chrétien dans notre vie. Nous la faisons chacun à notre manière, infiniment diversifiée. Mais nous n’en avons pas toujours une conscience claire. Des gens très simples ou de tout petits enfants peuvent avoir une expérience très profonde du mystère chrétien, sans pouvoir l’exprimer en termes adéquats.

Accueillir le mystère chrétien, accueillir Jésus, nous touche et nous transforme, comme tout amour. C’est le cœur qui change d’abord, au plus intime de nous-mêmes. Mais cela va se traduire dans notre manière de voir et de sentir les choses et le monde. Les réactions ne sont plus les mêmes, le cœur devient évangélisé. On peut parler d’une co-naissance, de l’entrée dans une nouvelle manière d’être, de sentir, de faire l’expérience de soi-même, des autres, du monde. Saint Jean parle de l’onction qui instruit le chrétien (1 Jn 2, 27), et saint Paul de connaissance et de sagesse (Ép 1,17 ; Col 1,9 ; Ph 1,9, etc.) C’est cela, au sens large et profond, la vie mystique chrétienne.

On voit bien que cette vie mystique, comme toute vie d’amour, est réellement une vie, elle est vivante, donc elle naît, croît, se développe ; elle peut être malade, mourir même, mais aussi mûrir jusqu’à atteindre son plein épanouissement. C’est un chemin qui introduit de plus en plus dans le mystère chrétien, dans l’Esprit du Christ. Il faut s’y laisser conduire, se laisser toucher et mener et, pour cela, être docile et fidèle à celui qui conduit : l’Esprit de Jésus.

Une question se pose : quelle est, au plus profond, au niveau de la conscience du cœur, l’expérience que nous avons du mystère du Christ ? Comment le mystère de Jésus nous touche-t-il ? Le lieu le plus précieux de notre vie est le point où Dieu en Jésus nous réjouit et nous touche. Il est bon de le reconnaître et de lui en rendre grâce. C’est notre part de vie mystique chrétienne.

La docilité au Saint Esprit

L’entrée dans le mystère chrétien se fait progressivement. Il s’agit de tout un itinéraire, d’un chemin spirituel. Spirituel ne veut pas dire « dans les nuages », car ce chemin se parcourt dans le terreau de notre vie, avec nos responsabilités humaines, personnelles, familiales, communautaires, sociales, ecclésiales. Spirituel veut dire dans l’Esprit Saint. Il s’agit de nous laisser conduire, d’être fidèles, de demeurer dociles à l’Esprit de Jésus qui veut prendre peu à peu toute la place, évangéliser toutes les dimensions de notre existence pour nous donner la vie en abondance (Jn 10,10). C’est le pèlerinage de notre vie, notre histoire sainte à l’intérieur de l’unique Histoire sainte, l’alliance de Dieu, qui se fraie un chemin avec son peuple, avec l’humanité tout entière, à travers l’histoire des hommes.

Dans ce chemin de fidélité au Saint Esprit, d’une part tout est déjà donné. Tout est accompli (Jn 19, 30). Le monde est déjà sauvé. La plénitude de l’amour est déjà donnée. L’unité a déjà surmonté les divisions en Jésus ressuscité (Col 1,19-20). Mais, d’autre part et en même temps, chacun de nous, chacune de nos communautés, nos Églises, nos peuples, nos histoires, tous, nous avons encore à nous ouvrir, à accueillir, à nous laisser pleinement intégrer au mystère du Christ déjà présent au plus intime de notre cœur. Cet accueil dépend de notre liberté appelée à être docile et fidèle à l’Esprit du Christ qui veut tout rassembler et nous conduire au Père.

Le chemin est unique pour chacun. Jésus rejoint chaque personne sur la route, là où elle est, et il l’accompagne selon ce qu’elle est avec son tempérament, sa culture, son histoire, son contexte social, comme il accompagnait Madeleine ou les disciples d’Emmaüs. L’Esprit de Jésus rejoint chacun au plus intime de tous ses conditionnements humains. C’est là le respect de Dieu pour chacun, mais cela ne l’empêche pas d’être l’amour qui invite « Je me tiens à la porte et je frappe » (Ap 3,20). Il appelle chacun personnellement et de manière unique, mais il appelle aussi des groupes d’hommes et de femmes, ayant des affinités humaines et spirituelles, des attraits communs. C’est ainsi que se forment des communautés chrétiennes, des familles spirituelles.

Cependant, même si le chemin est unique pour chacun et donc infiniment multiple, il y a des constantes que l’on retrouve, des étapes à parcourir, des passages obligés, un itinéraire, bref quelque chose de commun à tous. Mais les étapes de cet itinéraire sont parfois inversées et souvent recommencées. Il y a des chemins classiques, d’autres plus originaux. Une illumination fulgurante peut être suivie d’un retour au b, a, ba. On pourrait parler d’étapes, bien qu’il soit dangereux de vouloir situer avec précision celle où l’on se trouve. Car s’il y a une maturation, une croissance dans la vie spirituelle, elle s’accomplit plus souvent par une descente, un appauvrissement, une simplification dans la remise de soi entre les mains de Dieu que par un « enrichissement » et une montée.

Ces étapes ne sont d’ailleurs jamais franchies une fois pour toutes, elles sont des dimensions permanentes du pèlerinage chrétien, de l’entrée dans l’alliance, dans le mystère du Christ, le fidélité et la docilité au Saint-Esprit. Cependant il y a des temps et des moments dans une vie spirituelle où il nous est donné de vivre davantage telle dimension, telle facette, telle étape de l’existence chrétienne. Ce n’est jamais nous qui choisissons, c’est ce que Dieu nous donne à vivre à chaque moment de notre existence, dans le respect de notre liberté et de nos situations humaines (Jn 3,8).

Comment baliser cet itinéraire, articuler les étapes, les composantes de fidélité au Saint-Esprit dans le chemin spirituel de chacun ? Il y a diverses approches possibles. Il est proposé ici une approche génétique qui paraît assez conforme à la pédagogie de Dieu dans l’Écriture et s’inspire des exercices spirituels de saint Ignace.

Cependant, avant d’évoquer brièvement chacune des étapes composant la vie dans la fidélité à l’Esprit Saint, je voudrais rappeler un préalable. Car il y a une difficulté particulière aujourd’hui à prendre ce chemin, du moins dans le monde occidental et son contexte spirituel. Aujourd’hui plus que jamais, en effet, la personne veut réaliser elle-même sa vie, prendre en mains son propre destin, être responsable de son histoire, de la société qu’elle édifie. C’est la capacité d’initiative et d’entreprise de chacun qui compte pour que la liberté se construise elle-même.

Il importe donc d’aider la personne à découvrir d’abord que la dimension la plus profonde de la liberté n’est pas l’affirmation autonome de soi, mais la capacité de se recevoir d’un Autre qui est à la source de notre liberté, se communique à nous et nous donne d’agir. La tentation actuelle est de refuser cette dépendance comme une aliénation et de n’accepter d’autres références ou origine que son élan subjectif. Nous reconnaissons là une conception prométhéenne et donc athée du monde, de l’homme, de l’histoire. Après une période de griserie, elle risque souvent d’aboutir au désespoir ou au désenchantement, comme nous le voyons, par exemple, dans les régimes marxistes, mais aussi chez combien de jeunes.

À l’opposé de ce piège, la docilité à l’Esprit Saint met au centre de la personne la relation constitutive à Dieu et la liberté humaine appelée par Dieu à consentir à cette dépendance créatrice dans un engagement responsable.

C’est déjà le sens de l’alliance dans l’Ancien Testament. Elle est action de grâce pour le don gratuit d’être créé, appelé, choisi par Dieu Elle est le long apprentissage de la réponse qui librement consent à se recevoir de Dieu et engage toutes les forces créatrices de l’homme en réponse à ce don. Jésus, le Fils du Père, vit cela dans son histoire d’homme. Il se reçoit totalement du Père à la racine de sa liberté, et cette réceptivité à l’Esprit Saint le conduit à s’engager par amour dans l’histoire des hommes, livrant sa vie jusqu’au bout.

Quelles sont les étapes de ce chemin de fidélité à l’Esprit qui nous fait entrer progressivement dans le mystère du Christ ?

Consentir à une bonté et à une vérité originelles

La docilité et la fidélité au Saint-Esprit ne peuvent être pleinement confiantes si la personne ne reconnaît que son existence est portée, dès l’origine, par un amour créateur totalement fidèle (cf. Gn 1 : « Et Dieu vit que cela était bon »). Une confiance fondamentale peut alors naître et grandir. Dans notre monde désenchanté, angoissé, blessé, il importe de reconnaître qu’il y a encore un sens à la vie, qu’une espérance existe encore, qu’une guérison est encore possible. Souvent des jeunes feront cette découverte, non par des paroles ou des sermons, mais grâce à des témoignages, des rencontres, des expériences de vie, la découverte d’une communauté. Combien n’ont pas fait cette expérience, fragile encore, en arrivant à l’Arche ? Une confiance nouvelle, une joie simple naissaient en leur cœur, auxquelles ils n’osaient encore trop croire.

Il importe de les aider à reconnaître dans cet élan de liberté, ce désir de vivre et de partager, cette découverte de la confiance vécue en communauté, les premières touches de l’Esprit Saint, de l’Esprit de Jésus, dans leur existence. En même temps, il faut les inviter à entrer dans ce chemin de vérité qui remet en question d’anciennes conceptions, de vieilles habitudes.

Consentir à la joie d’être un pécheur pardonné

Ce monde dont on pressent la beauté, la bonté, l’exigence de vérité semble bien utopique face à la réalité expérimentée chaque jour. Monde blessé et cassé de la violence, de l’injustice, du rejet de l’autre, de l’absence de Dieu. Devant cette invitation à vivre dans la confiance, l’admiration, la communion, nous sentons combien il est difficile de garder l’espérance, de continuer à aimer. Les zones obscures de notre moi émergent alors avec les tentatives de repli sur soi, de jalousie, de rejet, de découragement, de révolte, de fuite, etc.

La fidélité et la docilité à l’Esprit Saint font reconnaître cet amour du Père qui, en Jésus, nous rejoint dans nos ténèbres. Le Christ est venu vivre dans notre monde blessé et pécheur pour nous dire la miséricorde du Père, qui nous aime tels que nous sommes, avec nos blessures et nos péchés et veut nous pardonner, nous réconcilier, nous guérir, nous re-créer. C’est un combat parfois très rude dans lequel, pour être dociles à l’Esprit, il nous faut accepter de descendre avec Jésus dans notre enfer, sans révolte, sans découragement, mais dans l’humble reconnaissance des blessures de notre péché solidaire du péché des autres et du monde. Nous y recevons, comme des pauvres, la joie d’être pardonnés et aimés tels que nous sommes. C’est là une composante fondamentale de la docilité à l’Esprit Saint. Il y a encore un sens à la vie, une espérance pour le monde, une guérison possible.

Se mettre à la suite de Jésus

Ce Jésus Sauveur, qui nous révèle le visage de Dieu, non seulement nous pardonne et nous rend la confiance du cœur, mais il nous invite à le suivre dans sa manière d’être et de vivre. Il nous propose d’entrer dans son amitié, son intimité, la connaissance intérieure de ce qu’il est pour nous laisser évangéliser par lui. Invitation à le contempler longuement pour être peu à peu conformé à lui. Invitation à vivre comme il a vécu parmi ses frères, et d’abord dans la pauvreté et la simplicité de la vie cachée à Nazareth avec Marie et Joseph. La fidélité à l’Esprit Saint commande ce temps de communion paisible, de vie dans la grâce du moment présent, de maturation silencieuse et de croissance dans la vie avec Jésus, entrant dans son mystère filial devant le Père et fraternel comme un pauvre parmi les hommes.

C’est comme par osmose que l’on goûte de plus en plus la manière d’être et de vivre de Jésus telle qu’elle nous est révélée en particulier par sa naissance pauvre à Bethléem et les trente ans de vie cachée à Nazareth. La vie à l’Arche offre une école du cœur bien précieuse pour cela.

Discerner l’Esprit de Jésus - le combat spirituel

Mais cette vie nouvelle, cette manière d’être et de vivre à l’exemple de Jésus et dans la docilité à son Esprit, est bientôt assaillie et combattue par un autre esprit : des forces négatives, destructrices, ennemies, qui se manifestent souvent de manière séduisante et prennent l’apparence du bien, s’opposent à l’Esprit de Jésus. Dès sa vie cachée, et plus encore dans sa vie publique, Jésus prend le chemin du serviteur pauvre et humble, il invite à vivre les béatitudes.

Pourquoi cela ? Quel mal y a-t-il à prendre le chemin de la richesse et des honneurs, même pour annoncer l’évangile ? D’ailleurs, pourquoi ne pas chercher d’abord à gagner et à réussir sa vie au lieu de la perdre à cause de Jésus et de l’évangile, comme il nous le demande ? Où tout cela va-t-il conduire ? La docilité et la fidélité à l’Esprit de Jésus sont mises à rude épreuve par cet autre esprit, l’ennemi qui combat à mort Jésus et son Esprit. C’est alors l’apprentissage des divers esprits et du combat spirituel pour rester fidèles à l’Esprit de Dieu.

En contemplant Jésus, le Fils de Dieu, qui se révèle serviteur pauvre parmi ses frères, en habitant le mystère de Jésus dans le quotidien de la vie, la personne apprend à discerner, parmi les motions impulsives, les mouvements instinctifs de son désir, ce qui vient de l’Esprit Saint et ce qui vient de l’ennemi, source de confusion et de trouble. Il existe des « règles » qui aident à discerner les esprits, à apprendre comment s’y retrouver dans les motions diverses, que l’attrait de Jésus et de son chemin de serviteur, mais aussi d’autres attraits plus égoïstes, suscitent en sens divers. Ainsi apprend-on à discerner en toute circonstance l’appel de Dieu dans la fidélité à son Esprit. Sans jamais oublier que ce chemin où Dieu rejoint l’homme passe par le concret des engagements humains de la vie quotidienne. C’est dans le concret du monde que s’incarne l’amour filial et fraternel conforme à l’Esprit de Jésus. Ce combat et ce discernement demandent information, conseil, attention à la pensée de l’Église, dialogue avec un accompagnateur, un conseiller. Nous sommes souvent mauvais juges pour nous-mêmes et un « œil extérieur » peut aider à voir clair dans ce combat parfois subtil.

Répondre à l’appel de Jésus et de son Esprit sur ma vie

Tout ce travail de docilité et de fidélité à l’Esprit Saint dans la lumière de Jésus permet de se conduire selon le Christ. Nous sommes introduits dans son dessein d’amour sur nous. Peu à peu mûrit en nous la réponse que nous sommes appelés à donner librement à l’amour prévenant du Seigneur Jésus qui nous conduit. Nous reconnaissons progressivement la manière dont il désire que nous orientions notre vie. À la lumière de son chemin de serviteur pauvre et humilié, vivant les béatitudes, et dans la docilité à son Esprit, nous discernons peu à peu son appel, son choix pour nous, qu’il s’agisse d’orientation globale et définitive de la vie, de l’état de vie à choisir ou d’une nouvelle étape où nous sommes invités à entrer.

La fidélité à l’Esprit Saint implique notre réponse libre et aimante à cet appel, réponse appuyée sur sa grâce. Elle mûrit bien souvent à travers des résistances, des peurs, des attraits, bref à travers un combat spirituel qui peut être rude, mais qui est porté par la douceur de son amour prévenant. Cela aboutit à des décisions qui orientent et déterminent une vie fidèle à l’Esprit Saint. Je reçois ainsi ma place unique dans le dessein d’amour du Père qui édifie le Corps du Christ, son Église, au cœur du monde.

On voit ici combien il importe d’aider ceux qui avancent sur ce chemin d’élection et de décision qui nous enracine dans le réel et nous conduit à livrer notre vie avec Jésus. Cela demande formation, accompagnement, étapes et échéances qui soutiennent, stimulent la personne dans sa liberté, lui évitent des stagnations ou des hésitations interminables qui paralysent son dynamisme humain et chrétien.

Vivre avec Jésus dans sa Pâque

Livrer sa vie avec Jésus au Père et aux frères, à la place bien concrète qu’il propose, pour y vivre et y être fécond, c’est toujours être introduit de quelque manière dans l’eucharistie et la Pâque de Jésus, car c’est accepter de mourir à mes rêves, à mes projets, et livrer ma vie à l’œuvre de Dieu comme le grain qui meurt pour porter du fruit. Déjà le mystère de la croix était présent dans la deuxième étape comme mort au péché. Mais maintenant je suis invité à recevoir sa croix avec lui pour être sauveur avec lui dans notre monde. Chaque pas un peu important dans la fidélité au Saint-Esprit est une petite Pâque. Combien plus lorsqu’il s’agit d’un choix de vie définitif auquel un être humain et plus encore un chrétien est normalement appelé.

C’est en contemplant Jésus dans sa vie, livrée pour ses frères jusqu’au bout de l’amour, et en acceptant d’avoir part à ce même chemin, que l’Esprit nous confirme, nous fortifie, nous donne la paix là où nous sommes conduits. La docilité, la fidélité à l’Esprit Saint nous conduisent toujours à la croix de Jésus. C’est là que l’Esprit est donné en plénitude (Jn 19, 30). Cette étape est d’une importance fondamentale dans le concret de la vie ; beaucoup cependant s’arrêtent et s’en écartent par peur de traverser ces zones ténébreuses. Elles sont pourtant le chemin de la vie.

Recevoir la vie nouvelle qui surgit de la mort

Dans la vie chrétienne, la croix n’est jamais un aboutissement. Elle est passage, Pâque avec Jésus. Un chemin spirituel peut habiter, parfois longtemps, le lieu de la croix vécue comme une mort offerte avec le Christ. Mais c’est toujours aussi être conduit par l’Esprit de Jésus et être transfiguré par lui en un être nouveau, recevoir une vie nouvelle qui surgit de la mort. Connaître les fruits de résurrection et de vie nouvelle reçus dans ce chemin pascal est un apprentissage de fidélité à l’Esprit Saint, car le Seigneur ressuscité nous ressuscite déjà avec lui, du fond de la nuit de notre vie livrée avec lui.

Toutes les facettes de cette étape importante de la vie chrétienne sont ébauchées dans les différentes apparitions de Jésus ressuscité. Il rend la paix à ceux qui ont peur, apporte la joie dans la tristesse, la confiance dans le désespoir, il rassemble sa communauté, son Église et lui donne sa mission. Paix, joie, confiance, communion, amour de son Église, élan dans la mission : autant de signes de l’Esprit reçus lorsque nous lui sommes fidèles.

En un sens, nous rejoignons ici notre point de départ. Par la vie dans l’Esprit, nous reconnaissons en tout un don de Dieu, sa présence, son travail, la communion en lui. Nous apprenons à chercher et à trouver Dieu en toutes choses, à devenir contemplatifs dans l’action, à demeurer dans une vie d’union à Dieu au cœur du monde et de l’action.

Un chemin de communion à Dieu en toutes choses

La fidélité docile à l’Esprit Saint, telle qu’elle vient d’être décrite, avec ses différentes étapes et ses composantes permanentes, amène la personne à devenir attentive à l’Esprit non pas uniquement, ni même d’abord, dans les temps de prière formelle. C’est au cœur de la vie quotidienne, dans l’action, le travail, les rencontres, à travers les tensions, les difficultés, les joies de l’existence, que l’on apprend à vivre sa relation à Dieu, en union avec Jésus qui vit en nous ces attitudes fondamentales que sont l’action de grâce, la miséricorde, l’offrande dans la disponibilité.

Bien sûr, les temps forts de prière demeurent plus que jamais nécessaires dans notre monde où Dieu semble souvent absent pour renouveler et nourrir le contact avec lui. À chacun de trouver et d’être aidé à trouver une manière et un rythme quotidien, hebdomadaire, mensuel, annuel. Mais l’action où nous sommes appelés à nous engager ne doit pas être vécue loin de Dieu, du sentiment de sa présence. Il s’agit d’apprendre à vivre une attitude de contemplation qui accompagne le mouvement même de l’action. Ainsi nous apprenons à chercher et trouver Dieu en toutes choses. Jésus a vécu dans sa vie concrète cette fidélité à la volonté de son Père, cette communion à Lui. (Cf. Jn 4,34 ; 5,20 ; 6,38 ; 8,29, etc.).

Jésus continue en chacun de nous la vie de prière et d’action de grâce filiale et fraternelle qui est le tout de son existence. En se livrant à l’action, à son travail, une personne qui, docile à l’action de l’Esprit, fait la volonté du Père se trouve pleinement unie au Seigneur Jésus et devient un « instrument » entre ses mains.

Dans une vie qui se laisse ainsi conduire, la prière tend à devenir continuelle (Cf. Col 3,20 ; Ph 4,4-7 ; Ép 6,18, etc.), elle est comme l’orientation théologale de la personne axée sur Dieu, de sorte qu’elle demeure en relation et en communion vivante avec lui dans tout ce qu’elle fait, comme Jésus, le Fils toujours en communion vivante avec le Père. Elle devient comme une respiration vivante du cœur qui s’en remet sans cesse au Père en Jésus. Nous retrouvons ici la vie mystique de notre première partie.

La prière, alors, n’est plus réduite aux exercices formels, aux moments où la personne se met à l’écoute de Dieu et lui parle en cessant toute autre activité. Mais elle se vit dans l’action même. Car prier, être uni à Dieu, c’est être attentif à lui, accueillir sa présence, communier à sa volonté non seulement dans la méditation de l’Écriture, la réception des sacrements, mais dans toute la vie de l’Église, dans son propre cœur et dans le cœur de tout être humain, dans toute la réalité du monde, puisque, par son incarnation et sa vie ressuscitée, le Christ enveloppe et rejoint toute créature. Le monde est destiné à devenir un lieu privilégié de communion à la présence de Dieu. C’est comme si toute la vie sociale et tout contact avec autrui, et de manière privilégiée tout contact avec le pauvre et le petit, étaient destinés à devenir un point de départ constant pour la louange et le service de Dieu. Non après coup, mais dans l’expérience même de l’échange, du dialogue, de la rencontre.

Ainsi les temps de prière formelle n’apparaissent pas comme une recherche de la présence de Dieu qui aurait été perdue, comme si l’action, le travail, les rencontres nous éloignaient fondamentalement de Dieu ; mais ces temps renouvellent le contact avec Dieu toujours présent à nous-mêmes et à toutes choses. Ainsi une continuité et une réciprocité tendent-elles à s’établir de la prière à l’action et de l’action à la prière.

La marque qu’imprime dans le cœur le temps d’oraison de chaque jour, les sentiments et les dispositions spirituelles, fruits de cette oraison, tendent à demeurer présents et actifs pendant toute la journée et à en influencer le déroulement. Et ce qui est vécu, éprouvé, rencontré dans le temps de l’action, se dépose dans le cœur, y reste vivant, pour devenir nourriture disponible au temps de l’oraison et du contact plus explicite qu’elle réinstaure avec Dieu.

Comment ne pas penser ici à la Vierge Marie qui prête attention aux événements et aux paroles de son Fils, les recueille en elle-même pour ensuite les méditer dans son cœur et en recevoir le fruit qu’à travers eux Dieu cherche à lui communiquer (Lc 2,19 ; 51) ?

Nos vies si bousculées, dans les communautés de l’Arche et ailleurs, peuvent peut-être trouver un chemin d’unification en les nourrissant par ce va-et-vient incessant entre la prière et l’action. Ainsi deviendrons-nous toujours davantage fidèles et dociles à l’Esprit Saint et laisserons-nous grandir dans nos cœurs cette perle précieuse de la vie mystique chrétienne.

Rue Marcel Lecomte, 25
B-5100 WÉPION-NAMUR, Belgique

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