Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

L’Ordre des Vierges consacrées

Janine Hourcade

N°1993-5 Septembre 1993

| P. 297-301 |

Janine Hourcade nous rappelle que l’Ordre des Vierges consacrées, en réelle extension dans l’Église actuelle, est là pour nous signifier à tous avec quelle radicalité le Christ Époux ravit le cœur de l’Église, et, à quelle profondeur de soi, en retour, chaque chrétien peut actualiser sa réponse de disciple.

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On commence ici ou là à parler de l’ordre des vierges consacrées, qui prend une extension certaine. De quoi s’agit-il ? Que faut-il entendre par là ? Que recouvre cette appellation, qui suscite l’étonnement, parfois l’ironie ?

Cet ordre des vierges consacrées, qui est rené du Concile par le nouvel Ordo de la consécration des vierges du 31 mai 1970, est, malgré sa jeune renaissance, plein de richesses qu’il est impossible d’épuiser en quelques lignes. Néanmoins on peut en faire une présentation succincte autour de ses fondements : biblique, historique, liturgique et canonique.

Fondement biblique

Et d’abord la virginité a un solide fondement scripturaire. Même s’il est vrai que dans l’Ancien Testament la stérilité est un opprobre pour la femme, on peut dans bien des textes déceler l’annonce de la virginité chrétienne : dans l’importance attachée à la virginité de la fiancée et aussi par les naissances, dans le contexte de l’Alliance, non suscitées par la voie normale de la fécondité. Les deux exemples les plus frappants sont Isaac et Samuel. Sara, mère d’Isaac, et Anne, mère de Samuel, étaient stériles et ne deviennent mères que par une intervention toute puissante de Dieu. L’annonce de la virginité se trouve encore dans la symbolique des épousailles entre Dieu et son peuple.

Mais ce qui n’est qu’esquissé dans l’Ancien Testament atteint sa plénitude dans le Nouveau Testament. Au seuil de la Nouvelle Alliance, il y a bien sûr, la virginité de Marie. La virginité est bien familière à Marie, elle sur qui l’ombre du Très Haut a reposé pour féconder son sein en la gardant intacte. Toute sa vie, une tradition sûre l’atteste, elle est restée fidèle à cette pureté, sans crispation ni ombre. Pour importante que soit la virginité de Marie à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament, c’est Jésus qui, dans l’Évangile, révèle le vrai sens et le caractère surnaturel de la virginité. En Matthieu 19,12 il affirme que c’est le Royaume des Cieux qui donne son sens à la virginité, et saint Paul développe longuement le symbolisme de l’Église vierge, épouse du Christ. Pour rapide qu’il soit, ce survol de l’Écriture établit les bases scripturaires de la virginité.

Fondement historique

Mais cette virginité n’est pas absolument spécifique de l’ordre des vierges consacrées, encore que, chez elles, elle ait la prééminence. Ce qui fait la spécificité de cette vocation, ce sont ses fondements historiques. Elle a existé aux premiers siècles et fait partie de la Tradition. « Le mot Ordo n’est pas à comprendre ici au sens d’ordre religieux, comme on parle de l’Ordo Fratrum Minorum ou de l’Ordo Praedicatorum, mais au sens du vocabulaire des institutions civiles de la Rome antique qui désignait par ce mot les corps constitués, surtout le corps de ceux qui gouvernent. Dans l’Église, il y aura équivalemment des corps constitués que la tradition, non sans des racines dans l’Écriture Sainte (cf. He 5,6 ; 7,11), appelle dès les temps anciens du nom de taxeis (en grec) et d’ordines (en latin) ; ainsi la liturgie parle-t-elle de l’ordo episcopalis, de l’ordo presbyterorum, de l’ordo diaconorum. D’autres groupes, dans l’Église, reçoivent ce nom d’Ordo : les catéchumènes, les vierges, les époux, les veuves... » Et cet ordre des vierges remonte très haut dans l’histoire. On sait que dès la première génération chrétienne des femmes ont consacré leur virginité au Seigneur Jésus : les quatre filles vierges de Philippe dans les Actes des Apôtres en font foi (21,8-9). Dans les siècles qui suivirent et cela jusque vers le IVe siècle, où s’organise la vie religieuse en communauté, et même au-delà, les deux formes de consécration coexistent encore quelque temps ; des femmes, continuant à mener leur vie dans le monde, consacrent leur virginité au Seigneur Jésus. À Rome, parmi bien d’autres, on garde le souvenir d’Agnès, à laquelle sont dédiées deux églises dont la plus ancienne est la magnifique basilique de Sainte Agnès-hors-les-Murs. En France, les Parisiens honorent et aiment leur patronne sainte Geneviève, cette vierge consacrée remarquable, qui sauva la ville de l’invasion et de la famine. On ne saurait sous-estimer la dimension historique de cette vocation et, lorsqu’on veut être assuré sur la manière de la considérer, il faut en revenir aux Pères. Les Pères reviennent actuellement à l’ordre du jour, pour le plus grand bien des chrétiens et des autres hommes et, comme le remarque le Cardinal de Lubac : "Chaque fois, dans notre Occident, qu’un renouveau chrétien a fleuri, dans l’ordre de la pensée comme dans celui de la vie (et les deux ordres sont toujours liés), il a fleuri sous le signe des Pères”. Les vierges consacrées peuvent donc s’enorgueillir de se situer dans l’orbite des Pères. Elles trouveront là, en particulier, une référence sûre sur ce qui concerne la compréhension de la virginité physique, qui ne saurait être négligée. Elles y apprendront que, dès les origines, la consécration des vierges ne peut être conférée que par l’évêque et que le lien qui les lie à celui-ci est d’ordre théologique et canonique, par conséquent primordial.

Fondement liturgique

Découlant de cette dimension historique, le troisième fondement aussi essentiel à cette vocation est la liturgie. Les différents ordres religieux ont chacun leurs chartes ou leurs règles, les vierges consacrées ont la liturgie de leur consécration. Cette liturgie splendide date du IVe siècle : elle s’inspire de la liturgie du mariage et ce symbolisme traduit la magnifique expression qu’emploie Tertullien pour désigner la vierge consacrée : Sponsa Christi, épouse du Christ. Plus important que tout autre commentaire sur cette vocation est le texte de la prière de consécration, que l’on doit probablement au pape saint Léon (440-461). Le début de cette prière replace la virginité consacrée dans la dynamique de l’Incarnation et dans la symbolique de l’union du Christ et de l’Église, qu’elle préfigure. La seconde partie est une magnifique supplication qui sous-tend une vision de la femme tout à fait étonnante, fulgurante pourrait-on dire. En voici quelques lignes.

Par la grâce de ton Esprit Saint,
qu’il y ait toujours en elle
prudence et simplicité,
douceur et sagesse,
gravité et délicatesse,
réserve et liberté...

Et toi, Dieu toujours fidèle,
sois sa fierté, sa joie et son amour,
sois pour elle
consolation dans la peine,
lumière dans le doute,
recours dans l’injustice :
dans l’épreuve, sois sa patience,
dans la pauvreté, sa richesse,
dans la privation, sa nourriture,
dans la maladie, sa guérison.

En toi qu’elle possède tout,
puisque c’est toi qu’elle préfère à tout.

Cette liturgie parfois encore utilisée dans les grands ordres contemplatifs, comme les Bénédictines, a été restaurée pour les femmes vivant dans le monde par le nouvel Ordo de la consécration des vierges du 31 mai 1970.

Fondement canonique

Le quatrième fondement de cette vocation est celui qui consacre officiellement sa renaissance : le fondement canonique. En effet, dans le prolongement du nouvel Ordo, le nouveau Code de Droit canon de 1983 consacre le canon 604 à l’ordre des vierges consacrées. On y insiste sur le caractère sponsal de cette vocation elles épousent mystiquement le Christ« et aussi son caractère ecclésial : »elles sont consacrées par l’évêque diocésain selon le rite liturgique approuvé et sont vouées au service de l’Église".

On ne saurait aussi passer sous silence un autre caractère ecclésial et officiel : les vierges consacrées relèvent à Rome de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique.

Par conséquent, établi sur ces quatre fondements, l’ordre des vierges consacrées a de solides assises. Au-delà, bien sûr, prenant la mesure de chaque vierge consacrée dans son individualité, on pourrait parler de la richesse humaine de cette vocation, de sa beauté et de sa grandeur. Par le plein épanouissement et la libération qu’elle apporte, elle est un signe fort qui situe bien la féminité dans notre époque troublée par la requête fiévreuse des femmes.

Chacun des points présentés serait susceptible de longs développements, mais le projet de cet article était de présenter dans son ensemble l’ordre des vierges consacrées.

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