Une lecture à deux voix
Jean Burton, s.j., Noëlle Hausman, s.c.m.
N°1993-4 • Juillet 1993
| P. 236-257 |
Dès l’annonce du thème du Synode de 1994, notre revue a invité à se préparer à la grâce de cet événement ecclésial en proposant une enquête. De même, un collaborateur de la revue avait eu, lui aussi, l’idée de recueillir les attentes de la vie religieuse canadienne vis-à-vis de ce Synode. Ce sont les résultats, modestes par la taille, de ces deux consultations que nous publions conjointement. Un petit air d’outre-Atlantique et quelques sondages belgo-français, une carte météorologique somme toute fort parlante. Ces deux enquêtes, différentes par la méthodologie, présentent en parallèle les sensibilités contrastées des deux approches. On regrettera, mais les situations locales sont souvent si dramatiques et douloureuses que leur silence est compréhensible, l’absence de réponses d’autres pays pourtant visités par notre revue. Il reste que ce que nous proposons ne manque pas d’intérêt et on sera attentif aux « conclusion » et « diagnostic » qui apprécient, avec un peu de recul, le matériau proposé par les réponses reçues et analysées. Les deux études ont été remises personnellement à tous ceux qu’elles pouvaient concerner, mais nous espérons surtout que leur lecture sera pour nous, religieuses, religieux, consacrés, l’occasion d’entrer avec espérance dans cet aujourd’hui de la « suite du Christ », dans ce temps de « krisis » auquel Dieu nous convoque et pour lequel il nous donne son Esprit.
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Réponses au questionnaire de Vie consacrée en vue du prochain synode « sur la vie consacrée et sa mission dans le monde ».
I. Analyse
Q. 1. Nature de votre réponse
Avant toute autre considération, il est important de se rendre compte que les réponses reçues - aussi valables qu’elles soient individuellement - ne peuvent prétendre représenter un échantillonnage statistiquement valable. Leur nombre est restreint, leur origine géographique surtout européenne (Belgique et France) et elles émanent presque exclusivement de la vie religieuse apostolique. Il est pourtant intéressant de les présenter et de les décrire autant que faire se peut.
Nous avons reçu 69 réponses représentant un total d’au moins 173 personnes (une réponse collective n’a pas précisé la taille du groupe). Majoritairement l’effort a été féminin : 132 religieuses (76,8 %). C’est aussi du côté féminin que les réponses collectives (groupe restreint ou communauté : 2 à 30) sont les plus nombreuses : des 15 réponses collectives (pour 119 personnes au moins), 13 émanent de communautés de religieuses (pour 103 personnes au moins). Deux communautés masculines nous ont pourtant envoyé des réponses détaillées. Une communauté apostolique de religieux (clercs et non-clercs) et une communauté monastique ont pris la peine de répondre.
Géographiquement, à l’exception d’une réponse libanaise et de deux réponses canadiennes (mais on se reportera ici à l’étude du P. Gilles Cusson dans ce même numéro), la masse des réponses est française (42) et belgo-luxembourgeoise (19) pour un nombre de personnes sensiblement égal (les Belges répondant davantage en groupe et/ou en communauté).
Il est intéressant de noter, parmi ces réponses, la présence de quelques textes plus élaborés et ne suivant pas nécessairement le canevas proposé.
On remarque également, comme nous l’avons déjà noté, qu’à l’exception des réponses de la communauté masculine contemplative, la toute grosse majorité des réponses émane de la vie religieuse apostolique.
Le contenu des réponses est quelquefois élaboré (parfois même sur des feuillets ajoutés), mais la majorité des opinions exprimées en réponse aux questions ouvertes (Q.2, Q.4 et Q.5) le sont de façon brève, respectant le cadre matériel du formulaire diffusé. À ce propos, on notera qu’un bon nombre des formulaires étaient photocopiés ou reproduits sur papier d’une autre couleur que celui utilisé par la revue, ce qui indique une multiplication volontaire de l’enquête proposée.
L’indication de l’âge n’ayant pas été demandée, il ne nous est malheureusement pas possible de préciser cette donnée de l’enquête. Des signatures connues ou la mention : « un groupe de religieuses du troisième âge » nous permettent de supposer que le petit échantillonnage rassemblé se situe sans doute, à l’une ou l’autre exception reconnue, aux environs - ou un peu au-dessus - de la moyenne d’âge de cette population. Cela n’enlève rien à la sagesse, ou parfois même à l’audace, des réponses fournies. Il est temps de les présenter.
Q.2. De manière globale, quelle est votre attente ?
Qu’attendez-vous du prochain synode sur la vie consacrée ?
Une question aussi ouverte et générale ne pouvait que susciter un large éventail des expressions de l’attente. Effectivement, à part quelques exceptions qui ne proposent aucune réflexion à ce sujet (27, 33, 49, 50), toutes notent une ou plusieurs demandes concernant le travail du synode.
Avec justesse, plusieurs situent bien ce travail dans le prolongement doctrinal et pastoral de Vatican II : qu’il (le synode) remette vigoureusement l’accent sur les orientations données (...) par Vatican II (39) et de citer deux axes principaux : la vocation de tous les chrétiens, chacun dans son état de vie, à la perfection dans une Église qui est tout entière en mission dans le monde de ce temps (39). De même, depuis Vatican II et Perfectæ caritatis, bien des orientations ont été données dont on demande comme une synthèse (13) avec un appel à la mise en pratique plus grande de Mutuæ relationes (13).
Encore s’agit-il de trouver la forme lisible pour tous dans un style plus jeune (60). Plus jeune et pour les jeunes, car la prise en compte de leurs attentes, de leurs questions et de leurs fragilités fait l’objet d’une véritable préoccupation (10, 16, 30, 31, 36, 37, 53, 56, 60). Mais cette reformulation est attendue à l’usage de tout le peuple de Dieu (9, 10, 17, 30, 41, 45, 58, 60, 61).
C’est pourtant prioritairement, et cela va de soi pour un synode des Évêques, qu’il est demandé, avec insistance souvent et parfois avec l’ombre d’une souffrance, de mieux connaître la nature de la vie consacrée/religieuse, d’apprécier et de respecter sa mission et d’en mieux promouvoir la reconnaissance dans la vie de l’Église (1, 2, 8, 14, 25, 31, 34, 35, 36, 37, 38, 41, 51, 55, 66). À cet effet, il est souhaité que le synode trouve une manière organique de donner la parole à ceux et celles qui vivent cet état de vie : que le synode, dit-on, reçoive des paroles vraies, des témoignages vécus (66) et que les personnes consacrées soient partenaires dans la préparation (7), que le synode, enfin, s’efforce d’être le porte-voix du vécu des religieux eux-mêmes (16).
Évidemment, l’attente d’un grand nombre des réponses (24 fois, explicitement) se tourne vers les consacrés eux-mêmes.
Et ici, la demande, sous des formes très variées mais pointant toutes vers la même réalité, touche d’abord le désir de conversion et d’engagement qui anime si fondamentalement la vie même de la consécration. Les citations sont nombreuses : que le synode nous redise que dans notre vie à tous il faut être plus missionnaire (8), l’exigence d’une plus grande vérité de vie (14), qu’il soit un stimulant pour l’approfondissement de ce que nous vivons (21), nous fasse retrouver, dans une foi renouvelée, les racines d’une nouvelle consécration (22), soit un encouragement (26), qu’il nous redise qu’il faut « penser neuf » (30), qu’il donne un élan nouveau (36), un nouveau souffle (37, 57, 60, 62), qu’il ranime la flamme et réveille les bonnes volontés (39), qu’il apporte un certain dynamisme de « sainte audace » dans l’agir (44), un nouvel essor (45), des directives et encouragements (47), une impulsion à oser les réponses neuves (55), un renouveau pour les consacrés eux-mêmes (56), qu’il redonne élan et vitalité (61), une perspective d’ouverture (63), qu’il soit un encouragement à travailler aux marges de la chrétienté (66).
On le voit, l’attente de voir le synode à l’origine d’un fort mouvement de réforme intérieure est grande, et constitue déjà comme l’anticipation, dans l’Esprit, des fruits de la grâce que cet événement ecclésial ne peut manquer d’apporter à celles et ceux qui s’y ouvrent déjà.
Certes, à cette motion consolante s’opposent, avec plus ou moins de force et d’à-propos, quelques craintes de voir ce synode n’être rien de plus que les autres synodes romains qui ont tous été verrouillés (42), et qu’il ne théorise (66) et produise une brique imbuvable (69) à la suite de laquelle la vie religieuse ne se trouve empêtrée dans des réglementations supplémentaires (...) dans des discours qui retardent d’un siècle (48). Mais le « hélas pas grand-chose » (14, 17) n’est pas la réponse majoritaire et il révèle sans doute, paradoxalement, une attente très réelle fût-elle exprimée avec humeur sur le ton du fils, dans l’Évangile, qui ronchonne et... s’en va pourtant travailler aux champs.
Nous l’avons remarqué, beaucoup de réponses attendent du synode un surcroît d’engagement des personnes concernées. Cela témoigne d’une réelle profondeur de la foi dans ce « don fait à l’Église » mais il est demandé que ce don soit reconnu plus rigoureusement et avec des accents nouveaux de la part des Pasteurs. Il nous faut revenir sur ce point.
En effet, il est indubitable que les réponses analysées demandent et attendent, de manière plus ou moins insistante, un certain effort doctrinal.
Dans une perspective œcuménique (13) et dans le cadre de l’Église communion où, à juste titre, la place et le rôle du laïcat ont été récemment soulignés (5, 7, 8, 37, 38, 48), où, encore, éclosent des formes neuves de vie religieuse « traditionnelle » et des jeunes communautés proposant des formes nouvelles de consécration (5, 29, 51), il est demandé au synode, même si sa mission n’est ni formellement ni premièrement à ce niveau-là, d’être l’occasion d’une réflexion théologique renouvelée à propos de la spécificité ecclésiale de la vie consacrée, religieuse surtout et, plus spécialement encore (c’est le biais de notre échantillon), de la vie religieuse apostolique et de sa mission. Dans cette même perspective, une attention particulière aux Instituts séculiers est également demandée (29).
Sous diverses formulations cette demande s’exprime dans un tiers au moins des réponses reçues : meilleure connaissance (1, 56), revalorisation (4, 5, 20), mise en évidence (4), clarification (6, 10, 11, 32), faire le point (9), redécouverte (12), nouvelle synthèse (13), meilleure compréhension (14, 34, 35), mise à jour (15), affirmation de la place (28), réflexion approfondie (29), distinction entre les formes (29,48),connaissance claire de la spécificité (31), réévaluation et réhabilitation (32), ligne conductrice claire (32), bien resituer la Vie consacrée dans l’Église d’aujourd’hui (37), étude des éléments constituants de la vie religieuse (46), perception des éléments essentiels (54), réponses neuves (55), aide à ce que la vie religieuse soit mieux définie, clairement définie dans l’Église (58), étude sur la mission de la religieuse (non moniale) (62), repréciser notre rôle spécifique (64)... On le voit, quelle qu’en soit l’origine (carence réelle dans le discours ordinaire du clergé, dans la catéchèse, dans l’opinion des familles chrétiennes, manque de formation des consacrés eux-mêmes, etc.), dont nous n’avons pas à discuter ici, une « attente théologique » est certaine.
Sans oublier la crainte, déjà exprimée, d’un synode qui théorise (66), il est demandé qu’il soit - principalement pour les Évêques et le clergé - l’occasion d’une meilleure connaissance de la spécificité de la vie consacrée/religieuse en ce qui concerne : son charisme fondamental, la liberté et la créativité apostolique (...), son régime spécifique d’obéissance par rapport à l’Ordinaire du lieu (...), l’originalité de sa vie commune basée sur les vœux (66).
Demande d’une réflexion doctrinale renouvelée, sans rigidité réglementaire, motivée par le souci des jeunes (nous l’avons déjà noté) et le souci de faire signe, prophétiquement, dans un monde postmoderne (54) en mutation profonde (4, 7, 15, 20, 30, 45, 54, 57, 60, 63) et qui appelle, de façon souvent conflictuelle, un témoignage vivant et nouveau.
Témoignage où la qualité de la vie communautaire (16, 25, 68) d’une part, et d’autre part la proximité avec les plus pauvres (31, 43, 66) aux marges de la chrétienté (66), dans ces lieux nouveaux de souffrance humaine où la vie religieuse féminine active est un élément moteur dans l’Église (66), dessinent déjà l’un ou l’autre trait d’un engagement libre et créatif.
Dans ce même registre, et en faisant appel aux consacrés eux-mêmes, car ce n’est pas la tâche du synode, l’attente exprimée par bon nombre de réponses est que le dynamisme (37) de la « sainte audace » (44) de la mission de la vie religieuse apostolique (spécifiée par les divers charismes) soit éclairé et stimulé « par » le synode (6, 8, 11, 29, 37, 45, 52, 62).
Les quelques réponses issues de la vie contemplative, quant à elles, redisent encore l’attente particulière que soit bien mis en lumière le rôle central de la vie de prière, du témoignage de la charité fraternelle communautaire et intercommunautaire (23), de la place des monastères dans les Églises locales et l’Église universelle (24), afin que soit soulignée davantage la dimension ecclésiale des communautés (25).
Certes, d’autres demandes percent ici et là, mais nous pensons avoir regroupé l’essentiel de l’attente que cette question ouverte a permis d’exprimer.
Il est probable, d’ailleurs, qu’une partie de ces accents ait été induite par la considération anticipée de la question suivante. En analysant les résultats de celle-ci, nous ne trouverons en tout cas pas d’incohérence notoire avec ce premier chapitre.
Q.3. Quelles questions importantes et urgentes le synode devrait-il aborder ?
Nous faisons nôtre la remarque suggérant, à propos des autres questions de l’enquête, que le rôle du synode n’est pas d’y répondre mais bien de susciter notre réponse (39) et donc, dans le même sens, reconnaissant la nécessité de distinguer deux séries de priorités : celles qui s’adressent aux Évêques participant au synode (K, A et D) et celles qui s’adressent aux religieux eux-mêmes (F, J, L, C, M, N) et pour lesquelles il n’est pas attendu de directives (66). Mais il sera pourtant intéressant de déployer quelque peu la « demande doctrinale » révélée par la première question, en analysant le classement des « priorités » proposé par les réponses.
Pour ce faire, nous avons pondéré les classements en accordant de 15 à 1 point aux priorités retenues selon la place (1.,..., 15.) occupée dans les ordres de préférence indiqués. Nous obtenons ainsi un classement global qui attribue à chacun des quinze thèmes énumérés une double cote (les chiffres entre parenthèses) qui indique la somme des points obtenus et le nombre de fois qu’il a été cité.
À nouveau, malgré la forme chiffrée de ce classement, il faut bien garder à l’esprit la taille réduite de l’échantillonnage dont il est extrait. Néanmoins, on s’aperçoit qu’il est demandé que soit accordée une attention prioritaire à l’élaboration (par le synode et/ou par les consacrés eux-mêmes) des thèmes dans l’ordre suivant.
1. C (736 points, 53 mentions) : Le sens renouvelé de la suite du Christ aujourd’hui
Tout à fait en concordance avec ce que nous avions déjà trouvé dans les attentes concernant les consacrés eux-mêmes, on peut penser que ce qui a motivé ce choix est certes l’importance en soi du thème de la sequela Christi, quand il s’agit de la conversion qui est au cœur de la vie consacrée, mais aussi l’insistance de l’« aujourd’hui » sur lequel s’appuie la chute de la phrase. En effet, nous l’avons déjà dit, un fort accent est mis ainsi sur les changements de notre monde et l’appel adressé aux « jeunes d’aujourd’hui ». Cette analyse est d’ailleurs confirmée par le choix de la deuxième priorité :
2. F (563, 45) : son inculturation dans les sociétés postmodernes
Que soient ainsi regroupés en tête ces deux pôles : sequela Christi - sociétés postmodernes, donne vraiment à penser. N’y lit-on pas l’urgence de l’engagement d’une vie évangélique radicale au plus vif de notre monde en peine (l’analyse des réponses à la 4. question apportera des précisions à ce sujet) ?
On ne s’étonnera pas non plus, étant donné le besoin exprimé que soient « reclarifiées », « approfondies », etc. la nature et la mission de la vie consacrée/religieuse dans l’Église, de trouver ensuite :
3. A (535, 38) : la théologie fondamentale de la vie consacrée
et, corrélativement, à l’usage des consacrés eux-mêmes :
4. K (500, 41) : La formation à la vie consacrée dans un monde qui change vite
Viennent ensuite, classées de manière d’ailleurs peu différenciée des précédentes (et formant avec celles-ci l’ensemble des items mentionnés dans plus de 50 % des réponses, c’est-à-dire ≥ 30) :
5. L (453, 38) : la connaissance dans le peuple chrétien (catéchisme et prédication) et donc chez les pasteurs (formation au séminaire) du sens spécifique de la vie consacrée
Les trois thèmes, A-K-L, formant un seul groupe, diversifié, peut-on dire, selon les divers destinataires.
C’est d’ailleurs vers une population bien précise du peuple de Dieu que le choix suivant se porte :
6. M (335, 29) : la complémentarité ecclésiale de la vie consacrée et du laïcat
Pris ensemble, L-M forment une priorité conjointe, que l’on peut qualifier d’ecclésiologique. Elle sera reprise, mais sous une formulation qui n’a pas accroché l’attention, avec le choix de E.
Vient ensuite, mais moins prégnant que la question d’une « théologie fondamentale » (C), le choix d’une attention à :
7. B (332, 25) : ses « éléments essentiels »
En deuxième position dans l’ordre aléatoire proposé, malgré son aspect de redite par rapport à A, cette formulation « essentialiste » a quand même été choisie 25 fois pour indiquer une priorité (mais seulement 6 fois en 1er et 12 fois en 2. choix contre 25 et 5 pour A).
À rattacher aux priorités que nous avons appelées « ecclésiologiques » (L et M, principalement), vient alors la question de l’insertion de la vie consacrée dans l’Église locale.
8. I (291,26) : sa collaboration avec l’Église locale
Et, parallèlement, en situation missionnaire vis-à-vis des jeunes Églises :
9. G (248, 22) : son inculturation dans les jeunes chrétientés
Encore que, ici, on se soucie plus des formes que doit trouver la vie
consacrée en un contexte culturel différent de celui qui l’a vue naître.
Sont alors mentionnées, d’une part sous une formulation très générale et théorique et, d’autre part sous l’angle d’un problème très concret, deux questions qui ne sont pas sans liens :
10. E (242, 21) : son statut ecclésial
et
11. N (234, 23) : les échanges et collaboration entre les communautés nouvelles et anciennes
Apparemment moins susceptible de faire l’objet d’une priorité au plan de l’élaboration doctrinale (ou bien estime-t-on que Redemptoris missio a déjà comblé une lacune ?), vient seulement :
12. O (174,15) : un nouvel élan missionnaire
Restent alors trois thèmes que l’on peut s’étonner, à des titres divers, de voir si peu mentionnés :
13. H (174,14) : son agir propre, ses « œuvres propres ».
Y aurait-il ici comme une incompréhension, voire même un rejet de ce qui serait compris comme la lourdeur des institutions passées où s’épuise des forces raréfiées ? Ou bien la visibilité prophétique de la vie consacrée ne se penserait-elle que dans des actions individuelles ou peu « corporatives » ? Il y a en tout cas matière à réflexion.
14. D (162,12) : ses fondements scripturaires.
Cette position suggère-t-elle que l’on estime suffisant l’effort exégétique fourni à l’ombre de l’« aggiornamento » ? Ou bien pense-t-on que l’approche, devenue quasi classique, du radicalisme évangélique suffit à rendre compte de l’émergence, au sein de l’existence chrétienne, d’un état qui l’institue comme forme de vie vouée publiquement ? Pourquoi ce thème n’a-t-il pas mérité une place semblable à A et C, auxquels il semble lié ? On peut multiplier les questions.
15. J (57, 6) ; son rapport au Pape.
Cette question, importante dans la tradition ignacienne, n’a trouvé que très peu d’écho.
Il serait certes possible de pousser plus loin l’analyse des classements fournis en reprenant la distribution des choix reçus par chacun des thèmes offerts. On remarquerait, par exemple, que les thèmes mentionnés le plus souvent le sont de façon très groupée autour des premières places (la distribution des fréquences ne présente qu’un pic et n’est pas répartie de façon étalée sur toutes les places). Ce qui peut se constater dans le parallélisme des points obtenus et des places elles-mêmes. On pourrait aussi remarquer, par exemple, que C mentionné 53 fois et obtenant le meilleur classement aux points n’a pourtant été donné en 1. place « que » 20 fois alors que A, moins souvent cité (38 fois), l’a été un peu plus souvent en tête du classement (25 fois). On pourrait aussi déceler des « familles » de choix regroupant des items plus fréquemment cités ensemble. Mais ces observations et ce qu’elles évoquent qualitativement ne nous semblent pas aisément interprétables sans une forte dose d’hypothèses relevant trop de l’analyste lui-même. Nous nous en abstiendrons.
Il reste, plus objectivement, à rapporter encore les quelques thèmes supplémentaires (P) ajoutés à la liste proposée et qui n’entraient pas dans la pondération précédente. Sans vouloir les citer in extenso on peut les regrouper sous quelques titres en indiquant leur origine.
- une « ré-écriture », pour en extraire l’essentiel, de Perfectae caritatis ; une reprise de P. C. 8, qui semble avoir été affaibli par le Droit canon (17, 62).
- la question de la transmission du charisme (aux collaborateurs laïcs) ainsi qu’une meilleure spécification de la vie consacrée laïque/vie religieuse (13, 21).
- développer le rapport de la vie consacrée à Marie (14).
- la responsabilité liturgique des communautés religieuses monastiques) (21).
- des questions plus focalisées sur le vœu de pauvreté, la vie communautaire, le vieillissement des congrégations et leur regroupement (32, 45).
- le rapport à l’Europe en construction (45).
On le voit donc, et les propositions de classement des thèmes proposés et l’adjonction (rare, il faut le reconnaître) de quelques suggestions supplémentaires offrent des indications qui, avec les nuances et restrictions indiquées au début de ce chapitre, pointent vers une « tâche doctrinale » concomitante à la convocation de ce synode et très certainement au moment de sa réception par le peuple de Dieu.
Tâche où l’Église (les Évêques, au titre de leur sollicitude pour tout le peuple de Dieu, mais encore, et avec un sens plus aiguisé des enjeux et des urgences, les consacrés eux-mêmes) doit essayer d’expliciter ce don qui lui est fait. Don toujours reçu comme neuf sous la motion inépuisable de l’Esprit et dont elle doit chercher l’actualisation pour l’aujourd’hui de Dieu et du monde.
Q.4. On entend parfois dire que la vie consacrée ne se trouve plus en « aggiornamento », mais en crise ; êtes-vous de cet avis ? Si non, quelle est votre analyse ? Quels souhaits avez-vous pour l’avenir ?
Cette triple question n’a pas laissé nos lecteurs indifférents.
Les réponses sont diverses : parfois laconiques ou réduites à la mention de quelques causes estimées plus particulièrement responsables de la situation actuelle, pages supplémentaires élaborant une analyse plus fouillée, elles réagissent toutes à ce qu’il est peut-être juste de reconnaître, pour la vie religieuse apostolique de nos pays occidentaux, comme un « temps d’épreuve ».
Nous choisissons de parler de « temps d’épreuve » pour tenir compte de la répartition des réponses : 42 acceptent de parler de crise, 18 cherchent à sortir de l’alternative aggiornamento/crise, 7 proposent une autre formulation, 2 sortent du cadre proposé et ne sont pas utilisées dans notre présentation. Beaucoup (sauf 12/69), pourtant, quelle que soit l’optique choisie, offrent une liste (pas toujours ordonnée) des causes présumées responsables de la situation.
Classification des choix
L’analyse de ces listes suivra donc le même principe de pondération que celui adopté dans l’analyse de la Q.3. à la seule différence qu’ici la première place est gratifiée de 9 points puisqu’il n’y avait que 9 réponses à classer.
On remarquera, enfin, que seize réponses ont indiqué d’autres causes, comme y invitait la lettre J de la liste proposée. Nous en proposerons évidemment un aperçu.
En cohérence, nous semble-t-il, avec l’attente exprimée que le synode soit l’occasion d’un « souffle nouveau », la première cause incriminée (citée 49 fois, 14 fois en 1. et 17 fois en 2. place) est : 1. D. (361, 49) : un manque de foi, de vigueur du témoignage. Très directement ici, plus peut-être que dans l’expression des attentes (tantôt adressées aux Évêques, tantôt aux consacrés eux-mêmes), le premier sujet de souci est nettement visé. D’autant plus clairement que le deuxième fait aussi référence à une carence, à un manque tout au moins, de la vie des Instituts.
2. C. (256, 34) : la perte d’un rapport vivant au charisme fondateur. Ce diagnostic est porté 12 fois en tête et 9 fois en second et, sans être massif, indique, pour notre échantillonnage, un devoir de revivifier ou de continuer ce que l’aggiornamento de l’après-Vatican II avait déjà mis vigoureusement en œuvre.
Vient ensuite la mention d’un aspect essentiel de la vie religieuse apostolique, qui s’est toujours comprise comme la suite de Jésus « passant en faisant du bien » parmi les foules :
3. G. (247, 38) : trop peu d’engagement avec les pauvres et les exclus.
Plus souvent citée que la cause précédente (38 fois) mais moins souvent en 1. ou en 2. place (respectivement 2 et 8 fois) et fréquemment en 3. et 4. place (respectivement 12 et 7 fois), cette faiblesse, ainsi soulignée, témoigne à nouveau du désir que le synode soit, pour les consacrés eux-mêmes, une occasion de réévaluation de leurs engagements propres et des lieux et personnes qu’ils rencontrent. C’est là certainement une réaction saine et courageuse, qui n’exclut pas les discernements nécessaires, car elle est assortie d’une autre préoccupation invitant également à la rencontre de l’« extérieur ».
4. B. (212, 34) : inadaptation à la modernité.
Aussi vague et ambiguë que soit cette proposition, avec peu d’éléments pour apprécier ce qu’elle évoque dans le chef de ceux et celles qui la citent (surtout en 3., 4. et 5. place, mais aussi 9 fois en 1.), on peut penser que ce choix exprime encore un sentiment qui, comme le précédent, oriente la préoccupation ad extra. Certes, cette « modernité » n’est pas adoptée telle quelle, tant s’en faut, mais l’invitation est claire d’essayer de mieux mettre en lumière ce que la vie consacrée a de prophétique pour ces temps qui sont les nôtres.
En position médiane est proposée la question, pourtant lancinante en arrière-fond, de la diminution des effectifs.
5. A. (199, 33) : la diminution des vocations.
Ici, la distribution des choix indique un plus grand étalement (d’où la baisse du nombre de points obtenus malgré un nombre de citations quand même important). C’est sans doute dû, pour une part, au fait que cet élément peut être appréhendé plus correctement comme une conséquence de la situation actuelle. Cela signifie également qu’il s’agit d’un élément tellement sensible dans l’affectivité de ceux qui cherchent à évaluer sa signification qu’il est difficile de lui donner sa place : il n’est pas cité en tête et on ne le relègue pas clairement en fin de classement.
Viennent alors, concernant plus directement les circonstances « de terrain », ou encore l’insertion de la vie religieuse dans la société (tâches séculières, œuvres propres, institutions) ou dans l’Église (collaboration avec les laïcs), les quatre dernières « causes ».
6. H. (169,29) : le poids des institutions.
En discordance avec le rejet en 9. place de la question des « œuvres propres » (I), les réponses reçues attribuent pourtant une position significative à l’interrogation concernant les institutions. Le libellé de notre liste induisait peut-être ce choix puisqu’il y était fait allusion à leur « poids ». Les considère-t-on comme fixant trop de personnes que l’on voudrait voir engagées ailleurs ? Il est un fait que le couple G-H (on se souvient que G déplorait le peu d’engagement auprès des plus pauvres) est choisi 20 fois, dont 10 à des places consécutives (1. et 2. et/ou 3. et 4. places). Mais cette proximité dans le classement n’implique pas nécessairement un lien interne entre ces deux sujets.
On peut aussi prendre en compte le couple F-H. En effet, F vient directement à la place suivante.
7. F. (161, 26) : des tâches devenues trop séculières
F-H est, lui aussi, sélectionné 12 fois de façon parfois liée (2. place pour F et 3. pour H ou encore : 5. -4., 6. -7., 7. -8.), mais la déconnexion (par exemple 7. - 2.), également observée, laisse supposer que le « danger » des tâches séculières n’est pas toujours pensé comme inhérent au poids des institutions où l’on œuvre avec les collaborateurs laïcs mais aussi, peut-être, comme éparpillement hors institutions. Toujours est-il que la question du rapport avec les laïcs (dans ou hors des institutions religieuses, n’est pas spécifié) a obtenu la mention à la place suivante.
8. E. (108, 23) : manque de confiance dans la collaboration avec les laïcs
Arrivant en 8. place, sélectionnée seulement 6 fois en premier choix, cette explication ne semble pas avoir retenu longuement l’attention. On se souviendra pourtant qu’une des questions soulevées dans les priorités à aborder à l’occasion du synode était la transmission du charisme aux collaborateurs laïcs. A-t-on pris la mesure de ce qu’implique cette « transmission » ? Savons-nous assez clairement quelles sont les œuvres où elle peut se vivre ? La dernière place de la proposition I indique, nous semble-t-il, que ces questions peuvent être soulevées.
9. I. (70,15) : l’absence d’œuvres propres
Le très faible score réalisé par ce thème peut surprendre. Certes, on a déjà manifesté le souci de ne pas voir les institutions être des contresignes. Les charismes fondateurs des diverses familles de vie religieuse apostolique n’ont-ils pas leur spécificité qui cherche à s’incarner dans un agir corporatif ? Où trouveraient-ils autrement « non seulement les pieds, mais les mains et la tête » (Jn 13,9) ? Toujours est-il qu’il est intéressant de noter que cet aspect de l’agir congrégationnel n’a obtenu aucune mention en premier choix. D’autres aspects, par ailleurs, ont été ajoutés.
Autres causes suggérées
Nous en proposons une présentation regroupée selon les niveaux d’analyse qu’elles évoquent.
– La société globale est mise en cause. Elle est décrite comme étant elle-même en crise (28, 42) et l’« air du temps », caractérisé par une prépondérance de la maîtrise et de l’efficacité, par la fin des idéologies, dominé par les médias très érotisés (50) ; le culte de l’argent est reconnu comme souvent délétère (59). C’est donc une société - mais a-t-elle connu un âge d’or où elle y aurait échappé ? - où la reconnaissance de l’absolu dans le don (46), l’engagement définitif, est de plus en plus difficile pour les jeunes (26, 49, 59, 66) et les vœux, par conséquent, forcément en rupture radicale (6).
L’Église dans la société est elle-même, comme institution, dans une situation nouvelle qu’il faut bien analyser aussi en termes de crise (64).
La vie religieuse, mais moins la vie consacrée comme telle (66), est alors interrogée comme source de sa propre crise.
Peut-être d’abord, en tout cas quelques réponses y insistent, dans son être communautaire (rupture des générations, malaise entre clercs et non clercs (21), style de prescriptions communautaires non adaptées a la communauté apostolique ou, a l’inverse, laisser-aller (11), individualisme et liberté mal comprise (50), baisse du sens de la vie fraternelle (45), mais aussi dans une difficulté plus profonde (46) à la source des autres causes plus superficielles.
On évoque alors une crise d’identité (13) — pour la vie religieuse apostolique surtout-, une perte dans la capacité de signification (dans le monde actuel) des valeurs de la vie religieuse (pauvreté, célibat, etc.) (66), ou même parfois comme une anémie chez les religieux(ses).
On ajoutera le manque, au sein de la vie religieuse apostolique, d’une véritable théologie des réalités terrestres qui la rejette toujours vers le modèle monacal (17). La vie religieuse traditionnelle n’a pas encore suffisamment articulé la complémentarité des formes de consécration (48, 58, 66) et se situe encore avec peine du point de vue œcuménique (69).
Ne manque-t-elle pas souvent, dit-on encore, de couleur, de beauté, de joie (48) ? Quelle est son type de visibilité (66) ?
La vie religieuse et son agir.
Son agir, dès lors, est questionné. Ici sont mentionnées, pêle-mêle, comme causes de sa situation actuelle : des institutions centrées sur elles-mêmes (4), vieillies et/ou inadaptées (62), conduisant à une certaine dilution dans le social (6), l’activisme « des œuvres pour Dieu et non de Dieu » (32). On dénonce des freins et des timidités (66), une absence de créativité (41).
On le voit, les remarques ajoutées durcissent peut-être le diagnostic et émanent, pour la plupart, des réponses qui acceptent sans plus le constat de crise. D’autres, nous l’avons signalé, cherchent une nouvelle formulation ou même refusent ce tableau. Il faut aussi les entendre.
Quelle est votre analyse ?
On parlera ici globalement d’une mutation que la vie religieuse doit accomplir avec toute la société, où elle aura alors plus que jamais son sens de signe de l’essentiel (1).
Dans le même sens, on estime que l’aggiornamento est encore en cours et que sa mise en œuvre, la pratique, spécialement du côté de la pauvreté, manque de vigueur (3). Certes, il y a des vies en crise parce que peu préparées à cet aggiornamento (4, 61, 62) et on propose la formule : il n’y a pas de crise mais des crises (5), individualisant, sans doute à outrance, la situation.
En fait, dit-on, la vie religieuse est toujours en recherche (7), en aggiornamento permanent (comme tout vivant) et participe a la « crise » (enfantement ?) que connaît notre société occidentale (9). Optimisme ? La lecture peut être différente : la vie religieuse est en état de survie où des indicateurs clairs sont attendus pour un nouveau chemin de vie (10). C’est, de toute façon, un passage (...) qui implique l’abolition de structures surannées (...), modifications qui exigent un discernement (...), une purification (11). Toute métamorphose pour progresser (45), toute mue est risquée et douloureuse comme phase de croissance (13), passage de l’adolescence (« mai 68 ») à l’âge adulte (33). Et c’est normal, car l’écoute de l’Esprit implique une vie religieuse jamais tout à fait adaptée à son Seigneur (13).
Évidemment, cela ne peut se faire loin du monde (14). Il faut tenir compte des signes des temps : être le sel de la terre et la lumière du monde sont des requêtes de toute vie chrétienne et d’abord de la vie religieuse (19). Nous sommes en changement (24), en renouvellement sous l’impulsion de l’Esprit (25), appelés à une véritable inculturation (29).
C’est une situation difficile (37), (...) pour la formation des jeunes de milieux d’origine déchristianisés ou ayant des problèmes familiaux (36). En présence de cette situation en évolution rapide, il est permis de parler d’une adaptation trop lente (qui devrait s’accélérer) non pour une dispersion mais pour un engagement solide qui intègre les valeurs propres de la vie consacrée (62).
Nous sortons donc d’un temps où les pesanteurs sociologiques ne jouent plus en faveur de la vie religieuse, pour un autre où il faut une décision de la liberté personnelle (66).
Sans nous culpabiliser (surtout là où peu de jeunes se présentent), que chacun (soit) fidèle à son appel dans un effort de cohérence (...), la visibilité viendra ensuite (66).
Souhaits pour l’avenir
Ensuite ! C’est à une certaine prospective que cette partie de la question 4 invitait. En bien des cas les réponses (47/69) reprennent sous une autre formulation des attentes déjà exprimées. Une réponse énonce de manière forte le souhait fondamental : (que) la vie consacrée (soit située) dans une perspective de consécration radicale, de communion vivante et de mission incarnée dans le hic et nunc et que, se situant aussi dans le tissu ecclésial et humain, la vie religieuse soit repensée en fonction des autres formes de vie chrétienne consacrées par le baptême, des autres formes de vie consacrée (Instituts séculiers, (...), et autres formes possibles que le canon 605 envisage. Et qu’elle s’aère et devienne vivante au lieu de se scléroser. Si ce n’est pas possible, qu’on ait la franchise de nous le dire et qu’on puisse choisir de mourir ou de refonder pour revivre et voir un chemin ouvert devant nous demain (69).
Certes, ce souhait si global et si fortement exprimé ne s’adresse pas seulement au synode des Évêques, mais il souligne, en forçant un peu les traits peut-être, l’importance du moment où nous sommes. Celui d’un engagement renouvelé qui suppose un fondement (le Christ), une formation et des statuts, une mission pour les vivre, une vigilance dans une réflexion (réforme ?) permanente (50).
Ce souhait, ainsi explicité, laisse alors la place à d’autres plus particuliers : l’accueil, le soutien et la prise au sérieux des jeunes vocations avec ce qu’elles apportent de neuf et parfois de dérangeant et aussi de fragile (24, 25, 44, 45, 59, 60). Jeunes, à qui il faut (l’Église et ses pasteurs) s’adresser en priorité dans ce monde en évolution (31, 56, 63, 64). Mais cette invitation ne sera crédible que si elle émane d’une vie consacrée/religieuse en état de conversion continuelle.
Conversion personnelle, aussi, où il est souhaité plus de sainteté, de générosité (5), plus de rigueur (8), une place plus vraie à l’Eucharistie et à Marie (32). Conversion où toute la vie consacrée/religieuse puisse être vouée à la seule priorité de la recherche du Royaume (32) sous le souffle d’une nouvelle Pentecôte (18) capable de réveiller et de stimuler (64) audace et créativité (56), dans un ressourcement (37, 53) aux charismes fondateurs qui nous permette d’être attentifs aux vraies priorités (67).
Cette réforme, ce retournement (62), ne pourra se faire que dans une profonde communion ecclésiale et, à ce propos, on souhaite contacts, entraide (4), confédération de familles religieuses proches (41) ; on appelle également à la coopération plus forte entre Ordres, Instituts, Congrégations (31, 37, 38) pour une véritable réconciliation (13).
Les souhaits s’adressent encore à l’agir de la vie religieuse : qu’il y ait un aggiornamento de l’aggiornamento dans l’incarnation des vraies valeurs de la vie religieuse (10). Il s’agit de la mission. Sont redits alors les souhaits de collaboration intercongrégationnelle, avec les laïcs, et surtout l’ouverture à de nouveaux lieux de vie apostolique. On évoque la possibilité d’émettre un quatrième vœu dédiant les consacrés à une présence entièrement vouée aux grandes souffrances de notre monde (SIDA par exemple, 32).
Certes, d’autres souhaits sont adressés à toute l’Église pour qu’elle travaille à une connaissance et reconnaissance claire de la vie consacrée/religieuse (61). Mais ces souhaits ont été exprimés sous forme d’attentes envers le synode des Évêques. On retrouve encore ici le désir de voir clarifier et approfondir la théologie et la mission (de la vie religieuse apostolique, plus spécifiquement), la spécificité et la spiritualité de la vie consacrée (distinguée de la vie religieuse) (6) : que toute l’Église à tous ces niveaux acquière le sens de ce qu’est la vie consacrée (1, 5).
Cela ne se fera pas sans un sens renouvelé d’obéissance au Pape (6) et d’une meilleure relation entre les religieux et les Évêques (28), sans une visite fréquente des prélats des congrégations romaines concernées sur le terrain si diversifié de la vie religieuse dans le monde (30), sans l’établissement d’un partenariat (dans la préparation du synode) impliquant, dit-on, une forme de discussion et de démocratie (64) dans la concertation.
Évidemment, il n’est pas du rôle d’un dépouillement d’enquête de vouloir conclure. Il s’est déjà trop glissé d’interprétations dans la disposition du matériau et dans les questions qu’il nous semblait soulever.
L’autre voix de cette lecture sera confiée à la deuxième partie de cet article. Prenant un peu de hauteur par rapport à l’ensemble des réponses, elle se fera entendre sous le mode du diagnostic. Nous avons voulu, pour notre part, essayer d’être au plus proche de leur contenu.
Peut-être, pour conclure, pouvons-nous transcrire un dernier souhait. Que cet engagement ecclésial de la vie consacrée et religieuse, souvent onéreux et fondamentalement joyeux soit célébré et, en retour, que les communautés aient un plus grand souci de leur liturgie (51).
25 rue Marcel Lecomte
B-5100 WÉPION-Namur, Belgique
II. Diagnostic
Publié avant même les Lineamenta et les importantes séries de questions qu’ils contiennent, notre modeste questionnaire visait à pouvoir mettre en évidence, à la manière d’un simple coup d’œil, quelques points majeurs de la situation présente des consacrés. C’est leur voix que nous voulions faire entendre sans intermédiaires, dans le concert des textes qui ne manqueront pas de parvenir aux Pères synodaux, parfois après de longs détours, remontées et reformulations. De ce point de vue, l’objectif est atteint : ce sont de petits groupes, même s’ils recouvrent parfois l’entièreté d’un monastère ou d’une congrégation, de France, de Belgique, du Canada et du Liban qui font ressortir en quelques lignes une ébauche, dont je voudrais m’attacher ici à donner les lignes principales. Ce n’est pas l’analyse statistique qui sera pour l’heure à l’avant-plan, mais ce qu’elle permet : l’émergence d’une sorte de portrait sans nuances ni retouches que nous allons considérer de plus près.
La première évidence qui frappe l’esprit touche à la sobriété des réponses - le peu de place allouée à chacune y contraignait sans doute. Il en résulte qu’une sorte de proposition à double entrée peut résumer sommairement les formulations reçues : « Oui, nous attendons quelque chose du synode si... », « Non, nous ne sommes pas en crise, mais... ». Attachons-nous à cette impression élémentaire, avec ce qu’elle peut comporter de contradiction.
« Nous attendons quelque chose du Synode si... » : une revendication bien orientée ?
Beaucoup de réponses demandent une meilleure « connaissance » de la vie consacrée, et plus particulièrement de la vie religieuse. Le destinataire de cette requête, quand il est identifié, sera le corps épiscopal, les prêtres et séminaristes, le grand public, les chrétiens laïcs, mais plus rarement les religieux eux-mêmes. Lorsque l’on compare cette attente majoritaire avec la hiérarchie des questions urgentes à traiter au synode (question 3), on constate que les propositions touchant les fondements (théologiques ou scripturaires) de la vie consacrée, sa radicalité à la suite du Christ, la formation nécessitée par « un monde qui change vite » sont souvent portées au premier plan. Que l’on sache, ces aspects de la « doctrine » et de la « pratique », comme disait l’intitulé de la troisième question, relèvent pour l’essentiel de la vie consacrée ou religieuse elle-même.
Même les suggestions supplémentaires (sur le renouveau de la catéchèse, la pastorale de la famille, la formation à la liberté, le retour à Perfectae caritatis 8, la « mission liturgique », le sens du célibat ou de la vie consacrée « laïque », les jeunes et le vœu de pauvreté, le vieillissement de la vie religieuse, le discernement des vocations, le rôle de la femme dans l’Église, etc.) confirment généralement cette tendance à reporter sur le synode des responsabilités qui ne sont pas à proprement parler les siennes. Comme l’a montré le Cardinal J.-M. Lustiger récemment dans notre revue [1], il ne revient pas aux Évêques de se préoccuper des affaires internes aux formes de vie individuelles ou instituées de la vie consacrée, mais de réfléchir à l’identité de ce don fait par Dieu à l’Église, afin d’offrir les principes d’un discernement que l’horizon de l’évangélisation mesure par ailleurs spécifiquement.
Ainsi, mises à part quelques réserves sévères (« En vérité, je n’attends pas grand-chose du synode lui-même » ; « rien de plus que des autres synodes »), la somme des attentes va certainement au-delà de ce qu’il est raisonnable d’espérer des Évêques lorsqu’on n’a pu le trouver chez soi. Cette formule un peu dure veut indiquer que les multiples variantes de la « reconnaissance » demandée doivent venir d’abord d’une assurance intérieure à la vie consacrée que la hiérarchie ecclésiastique peut ensuite seulement confirmer. Mais jamais la vie religieuse n’a pu naître ou renaître de la seule initiative épiscopale (cf. PC 1 : « ... beaucoup fondèrent des familles religieuses que l’Église accueillit volontiers et approuva de son autorité »).
On fera remarquer encore que les requêtes portant sur une doctrine plus claire (« identité ») de la vie consacrée dans l’Église sont persistantes, malgré l’enseignement éclatant de Vatican II et la reformulation récente que vient de nous en offrir le Catéchisme de l’Église catholique (§§ 914-933). Même s’il faut du temps pour qu’un Concile soit « reçu » par le cœur chrétien, on reste surpris devant la faible pénétration dans les milieux religieux, d’un corpus particulièrement « performatif », mais qui semble demeuré dans l’ombre depuis bientôt trente ans.
La question porte peut-être, en définitive, sur la capacité du langage à donner sens à l’action : a-t-on trouvé, dans la vie consacrée et surtout religieuse, un mode d’expression de la doctrine qui éclaire la pratique, une manière de dire la pratique qui permette d’enrichir la réflexion, théologique notamment ? En reportant sur les autres corps ecclésiaux des attentes que ceux-ci seraient en droit d’avoir à leur égard, les consacrés manifestent en tout cas la pénurie où ils se trouvent d’un langage, voire d’une action, qui les identifie et les situe « dans l’Église et dans le monde » aujourd’hui. Cette indigence sera-t-elle estompée par un sursaut vers la mission ?
« Nous ne sommes pas en crise, mais... » : plus qu’un malaise
Beaucoup de réponses répugnent à déclarer la vie consacrée en crise, entre autres parce que certaines formes anciennes et nouvelles en paraissent florissantes ou que la vie religieuse s’épanouit encore dans d’autres parties du monde. Temps de « difficulté », de « mutation », de « passage », de « croissance », de « tentation », de « recherche », d’« enfantement », voire de « survie », l’état présent de la vie consacrée exige plutôt un« discernement lucide » et une « purification » pour ce « renouveau », ce« ressourcement », cette « revitalisation », bref ce « temps de désert » qui doit l’adapter davantage « à la vie moderne », selon l’esprit du Concile - mais comment mieux décrire une crise, au sens chrétien du mot ?
On le sait, pour le Nouveau Testament au moins, la crise est une sorte de temps béni (un kairos) où il faut se décider sans retard à une estimation qui « passe au crible » un comportement, une situation, une doctrine, à la lumière du discernement déjà opéré dans la venue de Jésus et qui s’achèvera à la fin des temps. Cette krisis, toujours provoquée d’en haut, représente pour l’Église l’occasion d’une conversion et d’une intime rénovation. Elle signifie que Dieu, s’approchant des siens, prend en main une cause, y manifeste l’état des cœurs et décrète lui-même les conditions de sa transformation. Entendre un tel verdict relève évidemment des règles habituelles du discernement des motions et des esprits, et, plus simplement encore, du témoignage que l’Esprit Saint rend à la vérité du Christ chez tous les baptisés. Les « règles pour sentir avec l’Église » que l’on trouve à la fin des Exercices tracent le cadre du respect, de la louange, de l’audace et de l’amour requis pour accueillir ce dessein divin.
Le classement des causes de la crise, pour qui l’a reconnue (question 4.1) confirme ce sentiment que chacun sait qu’un « combat » s’annonce, même s’il ne peut encore s’y engager entièrement. La plupart du temps, le « manque de foi, de vigueur du témoignage » est mis en cause dès l’abord, plus que « la baisse des vocations » ou l’« inadaptation à la modernité », qui pourraient reporter les responsabilités ailleurs. Ainsi, lorsqu’est acceptée l’hypothèse radicale (la crise plutôt que l’aggiornamento), l’implication est maximale, à divers niveaux. Tout d’abord en ce sens qu’à la différence d’autres propositions (poids des institutions, tâches devenues trop séculières...), la foi ou le témoignage en question ne peuvent être que ceux des consacrés eux-mêmes. Ensuite, parce que ce motif est décidément le plus profond de tous, touchant au lien des consacrés avec Celui qu’ils font profession d’« aimer par-dessus tout » (LG 44). Enfin, les suggestions supplémentaires (question 4.2 : « autres causes ») le confirment, parce que le visage du Christ devrait demeurer, plus encore que celui du fondateur, l’horizon vivifiant. Comme le notent certaines réponses, la perte d’un lien vivant au Christ conduit à une situation où, « au lieu de faire l’œuvre de Dieu, nous faisons notre œuvre pour Dieu ».
On pourrait s’interroger encore sur la nostalgie récurrente de l’origine (« que feraient nos fondateurs aujourd’hui ? ») qui veut trouver dans le passé la norme des choix à venir. Pour recommandable qu’elle soit - n’est-ce pas le processus de la mémoire chrétienne et n’a-t-on pas opéré ainsi, dans la vie religieuse, depuis le Concile au moins ? - cette démarche ne peut demeurer exclusive de l’attente de la fin où l’espérance se fonde davantage encore. Que peut en effet nous dire un passé dépassé, s’il ne s’éclaire du Seigneur qui vient ? Ce qu’ont fait les fondateurs, ce que nous faisons aujourd’hui, ce que d’autres feront après nous demain relève certes d’une continuité, mais son secret ne se découvre, au fur et à mesure du déploiement des temps, qu’à ceux qui se trouvent avec le Christ dans le même rapport que leurs devanciers. En d’autres termes encore, ce n’est pas le lien au fondateur, c’est la relation au Christ qui inspire et mesure l’actualité de l’engagement religieux ou consacré. Une relation qui relève des mêmes procédures (la spiritualité vécue, le mystère proposé...) mais qui suscite à chaque âge l’étonnante nouveauté dont l’humanité a besoin pour sa route.
Des souhaits pour l’avenir
Simples et sommaires aussi, les souhaits proposés à la fin de la quatrième question (4.3 : « Quels souhaits émettriez-vous pour l’avenir ? ») ouvrent précisément cette perspective, dont nous pourrions traiter en même temps que de la cinquième et dernière question (« Avez-vous d’autres remarques à formuler ? »), de manière à former un tableau prospectif plus complet.
On ne s’étonnera pas de voir reprendre dans ce domaine le style des attentes du début (deuxième et troisième questions), adressées d’abord à d’autres acteurs : le clergé, les Évêques, la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée, toute l’Église enfin. Mais les religieux sont également requis, selon des suggestions diverses qu’un examen plus attentif révélerait peut-être insuffisantes : comment remédier à pareille crise de confiance (en soi et d’ailleurs en tous) par des moyens somme toute palliatifs ? Quelle force recevoir du Saint-Esprit qui ne soit pas uniquement tournée vers l’évangélisation missionnaire, mais vers « l’aggiornamento de l’aggiornamento », selon la belle formule de l’une des réponses ?
Quelques recommandations émergent cependant, dont la plus constante touche aux relations entre instituts religieux eux-mêmes (nous allons y revenir), tandis que d’autres songent plutôt à de meilleures relations entre religieux et Évêques, d’autres enfin, au développement de la collaboration entre laïcs et religieux ainsi qu’à une plus grande ouverture aux démunis « qui viendraient nous ramener au meilleur de nous-mêmes ». En ce qui regarde la concertation entre instituts religieux, on remarquera que le sujet, tabou depuis des dizaines d’années, fait ici une entrée en force. Sans aller jusqu’à souhaiter que les instituts religieux se fondent « dans une même et large institution » - hypothèse qui nous placerait hors de la vie consacrée, dont le propre est précisément de manifester diversement les mystères du Christ, (cf. LG 46) - nous pouvons nous interroger sur l’avenir d’un intérêt que la nécessité paraît imposer : est-ce d’additionner des situations déficientes qui permettra de se fortifier ? Et si l’on n’a pas en vue les unifications institutionnelles, comment respecter l’autonomie vitale de diverses instances en présence dans la même action ?
On distinguera de ces aspirations celles qui portent plus loin encore et veulent associer au synode des religieux orthodoxes et protestants, ou espèrent un rapprochement avec la vie consacrée de l’Église orientale, ou enfin attendent des jeunes Églises d’Afrique et d’Asie le retour du sens du sacré.
Notons-le encore, certains thèmes qu’on aurait cru dominants apparaissent de manière totalement marginale dans ces réponses ; c’est le cas pour la place de femmes dans l’Église et dans sa liturgie (aucune réponse ne revendique pour elles l’ordination presbytérale, alors que leur ingéniosité pastorale est plus d’une fois saluée). Il faut dire que notre questionnaire n’avait pas attiré l’attention sur ces points supposés sensibles ; mais leur absence quasi totale dans les réponses, qui laissaient la place à l’expression propre, permet de penser qu’il s’agit là, dans nos pays, de préoccupations de surface.
Le sentiment le plus clair, au terme de cette lecture globale des résultats de notre enquête, c’est que la vie consacrée, surtout mais pas uniquement sous sa forme religieuse, se trouve devant un synode qui l’interroge profondément ; on souhaitera donc que les évêques trouvent le langage qui convient à une situation contrastée, selon les parties du monde, mais qui semble requérir partout leur ministère de consolation.
Par rapport aux Lineamenta
Une lecture tout aussi globale du Document de travail (= Lineamenta) diffusé largement à la fin de 1992 permet de faire quelques comparaisons. Il est clair que l’objectif du synode porte sur « la nature (identité) ainsi que la fonction (tâche-don-mission) » des diverses formes de vie consacrée reconnues par l’Église [2]. Il est également certain que le synode espère un « renouveau » (L 1) et qu’il opérera à la fois « un réexamen attentif des valeurs qui déterminent la nature spécifique de la vie consacrée dans l’Église » (L 13) et « un discernement serein sur la situation actuelle » (L 25), puisque, « devant (des) problèmes réels, il est juste que l’on s’interroge sur les causes et que l’on mette en œuvre des remèdes salutaires » (L 28).
Certes, le « patrimoine doctrinal du Magistère » (L 4) permet déjà d’énoncer dans une Première partie « les éléments communs et essentiels à toutes les formes » (L 5) que revêt la vie consacrée, spécialement l’unité entre la vocation, la consécration et la mission (L 6), le sens de la virginité et des liens sacrés (L 7-8), la dimension communautaire et eschatologique (L 9-10), les exigences fondamentales d’une authentique vie spirituelle (L 11-13). De plus, depuis Vatican II surtout, la « variété charismatique et la pluralité des formes de vie consacrée et des sociétés de vie apostolique » peuvent être mieux saisies dans leurs richesses et particularités (L 14-24) [3]. On comprend donc aisément que la tâche du synode ne consistera pas à approfondir cet aspect doctrinal.
Mais la situation présente de la vie consacrée, décrite dans la Deuxième partie, se trouvera sans aucun doute au cœur des débats. Des valeurs ont été solidement acquises depuis le Concile (L 26), certaines dénotant des tendances nouvelles de grande importance : meilleure théologie de l’Église locale, collaboration entre divers instituts, extension de la vie consacrée dans les jeunes Églises et dans les pays d’Europe de l’Est, sensibilité actualisée envers opprimés et marginaux (L 27). Des problèmes demeurent néanmoins posés : désorientation des personnes et des groupes, diminution du témoignage public, manifestations de désaccords théoriques et pratiques envers le Siège Apostolique ou les Évêques, extinction des vocations dans certains pays (L 28). Les ambiguïtés liées à la société moderne doivent pourtant être dépassées (L 29), et les défis propres à la vie de l’Église en certaines régions, être relevés (L 30). Sur ce chemin de renouveau« encore inachevé » (L 31), quelques questions semblent prioritaires : la promotion des vocations et la formation, l’unité entre consécration et mission, l’inculturation (L 32).« Si les Fondateurs vivaient aujourd’hui, ils ne manqueraient pas à l’appel de l’Église pour un essor renouvelé de vie évangélique, de profonde spiritualité et de présence généreuse dans la nouvelle évangélisation » (L 33) : telle semble, finalement, la requête déjà adressée par le synode à la vie consacrée.
Cette analyse est reprise, dans la Troisième partie, sous l’angle de la mission. La vie consacrée est appelée à« sentir l’Église » (L 35), dans la communion et l’obéissance envers le Pape et les Évêques (L 36-37), grâce notamment aux organes de coordination adéquats (L 38), mais surtout à l’insertion dans l’Église locale (L 39-40), en communion avec les laïcs, avec lesquels ils entretiendront un« rapport réciproque et varié » (L 41). Dans la nouvelle évangélisation, les religieux et les religieuses en particulier« doivent être les premiers », mais tous sont appelés au témoignage de vie, à un profond renouveau dans l’annonce de la Parole et dans les œuvres, à une authentique créativité apostolique, car« il faut refaire partout le tissu chrétien de la société humaine » (L 42-43). La mission de la vie consacrée dans le monde porte particulièrement sur le témoignage rendu à l’amour de Dieu, l’attention aux jeunes, l’option préférentielle pour les pauvres, la présence à la culture, bref, il s’agit toujours de« servir la cause de l’humanité selon le dessein de Dieu » (L 44).
En conclusion, si la présence de la Vierge Marie est fréquente dans les expressions de la vie consacrée (L 45), l’étonnante variété de ses charismes constitue, à travers l’action féconde du Saint-Esprit,« une présence particulière du Verbe Incarné, Crucifié et Ressuscité »,« une manifestation de la beauté de l’Église »,« des fragments de l’unique Évangile, des paroles de l’unique Parole qui est le Verbe, des modes divers de rendre présent l’unique mystère du Seigneur »,« une synthèse de l’histoire de l’Église et de la spiritualité chrétienne ». Tous ses membres se trouvent donc invités« à répondre à la grâce reçue avec la ferveur des Saints » (L 46).
De telles attentes ne concordent pas en tous points avec celles que nous avons rencontrées du côté des consacrés eux-mêmes. Il est cependant évident que l’on envisage, de part et d’autre, le synode comme un appel à la conversion. Il semble bien aussi qu’un effort de« créativité » et d’ailleurs de sainteté soit attendu de la vie consacrée elle-même. Dans la situation un peu morose que dévoilent les réponses à notre questionnaire, les recommandations des Lineamenta mettent la barre très haut. Le ministère des Évêques pourrait donc provoquer des motions contraires, de désolation ou de consolation. L’essentiel est sans doute, comme dans les Exercices, que quelque chose se passe, fût-ce sous la forme d’une« agitation des esprits » (ES 6), en signe de notre engagement dans cette préparation.
Rue Gaston Bary, 65
B-1310 LA HULPE, Belgique
[1] Voir son article « Un Synode des Evêques sur la vie consacrée », in VC 1993-2, 72-77.
[2] (Lineamenta, 1 ; nous citerons L 1). Pour mémoire, il s’agit des instituts religieux et séculiers, ainsi que des vierges consacrées et de certains ermites ; les sociétés de vie apostolique sont également concernées, « compte tenu de la spécificité de leur vie et de leur apostolat ».
[3] On remarquera que « les instituts voués à la vie apostolique », comme disait Perfectae caritatis 8, n’ont pas reçu de traitement séparé, même si L 18 admet « la variété des familles vouées aux diverses œuvres d’apostolat, parmi lesquelles les instituts de vie monastique et canoniale, les ordres mendiants, les instituts laïcs et les instituts séculiers » ; ce n’est guère ce que PC permet de nommer « la vie religieuse apostolique, féminine notamment ». Le document comporte quelques autres approximations.