Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La vie religieuse et Redemptoris missio (II)

Antonio Gonzalez Dorado, s.j.

N°1993-3 Mai 1993

| P. 140-151 |

Après avoir présenté les enjeux et les défis généraux de la mission ad gentes de l’Église, tels que l’Encyclique les analyse et les situe théologiquement, l’auteur nous introduit, dans cette deuxième partie de son article, à la compréhension de la grâce et du rôle des divers Instituts de vie consacrée dans cette proclamation de l’Évangile « jusqu’aux confins du monde » (E.N. 69). La place essentielle de la consécration instituant particulièrement cette forme de vie chrétienne en signe du Royaume, est soulignée ici. De ce noyau central rayonnent alors avec clarté les engagements « prophétiques » qui l’incarnent : option pour les pauvres, prière et contemplation, promotion - en commençant par les pays du premier monde - d’une civilisation de l’amour et de la solidarité, engagements si divers qui, toujours, greffent ceux qui s’y donnent au mystère du Christ livré pour le salut du monde.
La première partie a paru dans Vie consacrée, 1993, 78-97.

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La vocation missionnaire de la vie religieuse

Ayant en vue un horizon missionnaire renouvelé, Redemptoris Missio nous rappelle que :

Dans la richesse inépuisable et multiforme de l’Esprit, prennent place les vocations des Instituts de vie consacrée, dont les membres, puisqu’ils « se vouent au service de l’Église en vertu même de leur consécration, sont tenus par l’obligation de travailler de manière spéciale à l’œuvre missionnaire, selon le mode propre à leur Institut » (RM 69).

Paul VI disait : « Grâce à leur consécration religieuse, ils sont par excellence volontaires et libres pour tout quitter et aller annoncer l’Évangile jusqu’aux confins du monde » (EN 69).

En ce moment de crise missionnaire dans les anciennes Églises, il nous appartient d’être les premiers à réagir en promouvant le nouveau modèle que nous devons concrétiser et développer, puisque les religieux « incarnent l’Église désireuse de se livrer au radicalisme des béatitudes. Ils sont par leur vie signe de totale disponibilité pour Dieu, pour l’Église, pour les frères » (EN 69). C’est ce que l’Église réclame de nous.

L’histoire des missions et l’histoire de la vie religieuse

Aujourd’hui, il nous est rappelé que « l’histoire atteste les grands mérites des familles religieuses dans la propagation de la foi et dans la formation de nouvelles Églises, depuis les antiques Institutions monastiques et les Ordres médiévaux jusqu’aux Congrégations modernes » (RM 69). Observant la réalité actuelle, Paul VI constatait que l’on trouve souvent les religieux « aux avant-postes de la mission et ils prennent les plus grands risques pour leur santé et leur propre vie » (EN 69).

Il n’existe pas d’institut religieux sans un vaste chapitre missionnaire, et l’histoire des missions fait constamment mémoire d’innombrables missionnaires totalement consacrés dans la vie religieuse. Seule une vie religieuse décadente peut cesser d’entendre le commandement de Jésus : « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28,19-20a). « Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru en mon nom : ils chasseront les démons, ils parleront des langues nouvelles, ils prendront dans leurs mains des serpents, et s’ils boivent quelque poison mortel, cela ne leur fera aucun mal ; ils imposeront les mains à des malades et ceux-ci seront guéris » (Mc 16,16-18). « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28,20b). « Quant à eux, ils partirent prêcher partout, le Seigneur agissait avec eux et confirmait la parole par les signes qui l’accompagnaient » (Mc 16,20).

Le témoignage comme spécificité missionnaire des religieux

Mais quel est l’apport majeur que nous, religieux, pouvons offrir aux missions ? Sans aucun doute, un témoignage lié à notre consécration. Souvenons-nous de ce que disait Paul VI :

L’Évangile doit être proclamé d’abord par un témoignage. Voici un chrétien ou un groupe de chrétiens qui, au sein de la communauté humaine dans laquelle ils vivent, manifestent leur capacité de compréhension et d’accueil, leur communion de vie et de destin avec les autres, leur solidarité dans les efforts de tous pour tout ce qui est noble et bon. Voici que, en outre, ils rayonnent, d’une façon toute simple et spontanée, leur foi en des valeurs qui sont au-delà des valeurs courantes, et leur espérance en quelque chose qu’on ne voit pas, dont on n’oserait pas rêver. Par ce témoignage sans paroles, ces chrétiens font monter, dans le cœur de ceux qui les voient vivre, des questions irrésistibles (...) Un tel témoignage est déjà proclamation silencieuse mais très forte et efficace de la Bonne Nouvelle. Il y a là un geste initial d’évangélisation (EN 21).

Reprenant le même thème, Jean-Paul II souligne que :

L’homme contemporain croit plus les témoins que les maîtres, l’expérience que la doctrine, la vie et les faits que les théories. Première forme de la mission, le témoignage de la vie chrétienne est aussi irremplaçable. Le Christ, dont nous continuons la mission, est le « témoin » par excellence et le modèle du témoignage chrétien. L’Esprit Saint accompagne l’Église dans son cheminement et l’associe au témoignage qu’il rend au Christ (RM 42).

Paul VI faisait remarquer que « (les religieux) ont une importance spéciale dans le cadre du témoignage qui est, nous l’avons affirmé, primordial dans l’évangélisation » (EN 69) ; ce qu’il liait à ce qui fait l’essence même de notre vie religieuse :

Ce témoignage silencieux de pauvreté et de dépouillement, de pureté et de transparence, d’abandon dans l’obéissance, peut devenir, en même temps qu’un appel adressé au monde et à l’Église elle-même, une éloquente prédication capable de toucher même les non-chrétiens de bonne volonté, sensibles à certaines valeurs (EN 69).

Logiquement, il s’agit d’un style de vie qui doit être profondément et radicalement relié à l’amour, puisque c’est « l’amour qui est et qui reste le moteur de la mission et qui est également l’unique critère selon lequel tout doit être fait ou ne pas être fait, changé ou ne pas être changé. C’est le principe qui doit diriger toute action et la fin à laquelle elle doit tendre. Quand on agit selon la charité ou quand on est mû par la charité, rien n’est désavantageux et tout est bon » [1] (RM 60).

C’est l’amour qui nous conduit aux renoncements fondamentaux pour mieux aider et servir nos frères ; il doit être le témoignage principal dans le monde missionnaire.

L’option pour les pauvres

Le déploiement du témoignage missionnaire des religieux, note Redemptoris Missio, se manifeste dans deux secteurs où ils s’impliquent de manière spéciale : l’option pour les pauvres et la prière contemplative. Observant la sensibilité de notre monde actuel, l’encyclique fait remarquer que :

Le témoignage évangélique auquel le monde est le plus sensible est celui de l’attention aux personnes et de la charité envers les pauvres, les petits et ceux qui souffrent. La gratuité de cette attitude et de ces actions, qui contrastent profondément avec l’égoïsme présent en l’homme, suscite des interrogations précises qui orientent vers Dieu et vers l’Évangile. De même l’engagement pour la paix, la justice, les droits de l’homme, la promotion de la personne humaine est un témoignage évangélique dans la mesure où il est une marque d’attention aux personnes et où il tend vers le développement intégral de l’homme (RM 42).
L’Église est appelée à rendre son témoignage au Christ en prenant des positions courageuses et prophétiques face à la corruption du pouvoir politique ou économique ; en ne recherchant ni la gloire ni les biens matériels ; en utilisant ce qu’elle possède pour servir les plus pauvres, et en imitant la simplicité de la vie du Christ. L’Église et les missionnaires doivent donner également le témoignage de l’humilité, d’abord envers eux-mêmes, en devenant capables d’un examen de conscience au niveau personnel et communautaire, afin de corriger dans leurs comportements ce qui s’oppose à l’Évangile et défigure le visage du Christ (RM 43).

Se centrant sur les zones géographiques plus spécifiquement missionnaires, Jean-Paul II écrit :

Les jeunes Églises, qui vivent la plupart du temps parmi des populations souffrant d’une grande pauvreté, expriment souvent cette préoccupation comme une partie intégrante de leur mission. La Conférence générale de l’épiscopat latino-américain à Puebla, après avoir rappelé l’exemple de Jésus, écrit que « les pauvres méritent une attention préférentielle quelle que soit la situation morale ou personnelle dans laquelle ils se trouvent. Ils sont faits à l’image et à la ressemblance de Dieu (...) pour être ses enfants, mais cette image est ternie et même outragée. Aussi Dieu prend leur défense et les aime (...). Il s’ensuit que les premiers destinataires de la mission sont les pauvres (...), et que leur évangélisation est par excellence un signe et une preuve de la mission de Jésus »
Fidèle à l’esprit des Béatitudes, l’Église est appelée à partager avec les pauvres et avec les opprimés de toute sorte. (RM 43)

Et le Pape exhorte les instituts religieux

à faire une révision de vie sincère, dans le sens de la solidarité avec les pauvres. En même temps je remercie les missionnaires qui, par leur présence aimante et leur humble service, œuvrent en vue du développement intégral de la personne et de la société, grâce aux écoles, aux centres sanitaires, aux léproseries, aux maisons d’accueil pour les personnes handicapées et les vieillards, aux initiatives pour la promotion de la femme, et d’autres encore. Je remercie les prêtres, les religieux, les religieuses et les laïcs pour leur dévouement et j’adresse mes encouragements aux volontaires des Organisations non gouvernementales, aujourd’hui toujours plus nombreux, qui se consacrent à ces œuvres de charité et de promotion humaine (RM 60).

Plus loin, le Pape insiste encore sur ce type de présence des religieux dans les zones de mission :

Je rappelle aux Instituts de vie active qu’ils ont devant eux les immenses espaces de la charité, de l’annonce de l’Évangile, de l’éducation chrétienne, de la culture et de la solidarité avec les pauvres, les victimes de la discrimination, les marginaux et les opprimés. Ces Instituts, qu’ils poursuivent ou non une fin strictement missionnaire, doivent se demander s’ils peuvent et s’ils veulent étendre leurs activités en vue de l’expansion du règne de Dieu (...) L’Église doit faire connaître les grandes valeurs évangéliques dont elle est porteuse, et personne ne témoigne de façon plus convaincante de ces valeurs que ceux qui font profession de vie consacrée dans la chasteté, la pauvreté et l’obéissance, par un don total à Dieu et une pleine disponibilité pour servir l’homme et la société à l’exemple du Christ (RM 69).

Jean-Paul II souligne le travail que les religieuses sont appelées à déployer pour la promotion et la libération de la femme (RM 70).

Le témoignage de la prière et de la contemplation

Si l’option pour les pauvres doit être spécialement vécue par les communautés religieuses missionnaires, celles-ci doivent aussi rendre présents dans leurs nouveaux milieux de vie le sens et l’expression de l’oraison et de la contemplation chrétiennes. C’est pourquoi le document invite les instituts de vie contemplative à fonder des communautés dans les pays de mission. Et il ajoute : « Cette présence est partout bienfaisante dans le monde non chrétien, spécialement dans les régions où les religions ont une grande estime pour la vie contemplative à cause de l’ascèse et de la recherche de l’Absolu » (RM 69).

Les religieux en général, et plus particulièrement les contemplatifs, doivent essayer d’ouvrir un dialogue fécond dans le domaine de l’ascèse et de la contemplation, selon les orientations données par Vatican II :

Les instituts religieux qui travaillent à la plantation de l’Église, profondément imprégnés des richesses mystiques qui sont la gloire de la tradition religieuse de l’Église, doivent s’efforcer de les exprimer et de les transmettre selon le génie et le caractère de chaque nation. Ils doivent examiner comment les traditions ascétiques et contemplatives, dont les germes ont été quelquefois répandus par Dieu dans les civilisations antiques avant la prédication de l’Évangile, peuvent être assumées dans la vie religieuse chrétienne (AG 18).

Après avoir signalé l’importance de ce témoignage et de ce dialogue interreligieux spécialisé, il est demandé aux communautés contemplatives de chercher une adaptation adéquate aux conditions locales, insistant sur le fait que « la vie contemplative relevant du développement complet de la présence de l’Église, il faut qu’elle soit instaurée partout dans les jeunes Églises » (18).

Promotion de la vie religieuse autochtone

Un autre objectif concret de la vie religieuse missionnaire est la promotion de communautés autochtones dans les jeunes Églises. En elles « les diverses formes religieuses doivent être cultivées avec soin, afin de montrer les divers aspects de la mission du Christ et de la vie de l’Église, d’apporter un dévouement aux diverses œuvres pastorales et de préparer comme il le faut leurs membres à les accomplir » (AG 18), étant donné que la vie religieuse apporte « une aide précieuse et absolument nécessaire à l’activité missionnaire, mais (que) par la consécration plus intime faite à Dieu dans l’Église, elle manifeste aussi avec éclat et fait comprendre la nature intime de la vocation chrétienne » (AG 18).

Le souci effectif de cet objectif concret signifiera toujours la foi qu’ont les religieux en leur propre vocation et en leur mission dans l’Église et pour toute l’humanité, ainsi que l’enthousiasme avec lequel ils la vivent. La diminution de cette foi et de cet enthousiasme est toujours le facteur le plus déterminant de l’absence de jeunes vocations.

La mystique missionnaire, élan rénovateur de la vie religieuse

Je ne veux pas terminer ces réflexions sans souligner l’incidence que le réveil de la mystique missionnaire en nos communautés et instituts religieux doit avoir sur le renouvellement et le rajeunissement de la vie religieuse, de notre vocation et de notre mission dans les anciennes Églises d’Europe.

Il est évident que, durant les dernières années, un certain désarroi, un certain découragement même, se sont généralisés dans beaucoup de nos communautés religieuses des zones traditionnellement chrétiennes de l’hémisphère nord. Un des faits les plus importants a été les nombreuses défections de religieuses et de religieux ainsi que la nette carence de vocations. Les causes qui peuvent expliquer ces phénomènes sont nombreuses et diverses. Mais je crois que l’une d’entre elles est particulièrement importante : nous nous interrogeons sur la fin et sur l’objectif de la vie religieuse sans trouver de réponse convaincante, d’où un manque d’orientation, de ferveur et d’enthousiasme. Je crois qu’un renouveau de l’esprit missionnaire, prenant en compte les caractéristiques de son nouveau modèle et soutenu par le témoignage de missionnaires qui le vivent, peut constituer un des principaux facteurs de renouvellement. Redemptoris Missio indique le chemin :

De même, il est à noter qu’il existe une interdépendance réelle et croissante entre les différentes activités salvifiques de l’Église : chacune exerce une influence sur l’autre, la stimule et lui vient en aide. Le dynamisme missionnaire suscite des échanges entre les Églises et les oriente vers le monde extérieur, avec des influences positives en tous sens. (...) L’esprit missionnaire ad intra est un signe très sûr et un stimulant pour l’esprit missionnaire ad extra, et réciproquement (RM 34).

Je crois que nous pouvons appliquer ce principe général à notre vie religieuse. Dans la mesure où nos communautés retrouveront l’esprit missionnaire universel avec toute la ferveur de l’Évangile (EN 80), elles retrouveront le sens de la mission dans l’hémisphère nord et en Europe, leur manière spécifique de le développer et, par conséquent, leur propre identité. Aujourd’hui, nous devons réaliser notre mission dans le cadre de la nouvelle évangélisation qui, simultanément, oriente et invite à la mission ad gentes. Notre mission doit se sentir soutenue et éclairée par cette dernière.

Promotion en Europe de la civilisation de l’amour et de la solidarité

L’objectif majeur de l’Église, et par conséquent de notre vie religieuse, en Europe, est de promouvoir dans notre culture l’esprit de l’amour et de la solidarité. C’est une mission à réaliser dans un climat de liberté religieuse, dans des relations nourries par un dialogue respectueux, montrant, par le témoignage et l’exemple de notre vie, qu’il est possible de la vivre.

Nous pouvons découvrir l’action salvifique de Dieu en Europe parce que la culture et l’humanisme de notre continent ont toujours été dynamisés par les valeurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, qui, progressivement, ont eu une incidence toujours plus grande dans les autres pays du monde.

Mais l’Europe, comme tout l’hémisphère nord, risque de s’enfermer égoïstement sur elle-même, en optant prioritairement pour son propre développement face à celui d’autres peuples, et pour l’amélioration de sa qualité de vie - interprétée en termes matérialistes et économiques - face à d’autres valeurs d’importance plus radicale et en connexion directe avec les droits les plus fondamentaux de tout homme. Les relations actuelles avec l’hémisphère sud et l’apparition consciente de ce qu’on appelle le Quart Monde dénoncent cette tendance et expliquent la crainte de larges secteurs de l’humanité devant la naissance progressive de l’unité européenne. Ce risque et cette tendance doivent être abordés de front par l’Église et par nos communautés religieuses, si nous voulons collaborer à la promotion de la civilisation de l’amour et de la solidarité en Europe et sur toute la planète.

Mais comment affronter ce défi ? Par le témoignage de notre présence et de notre service généreux dans les zones du Quart et du Tiers Monde ; par la transmission, à travers nos communautés, de la voix des pauvres à l’adresse de la société européenne actuelle. Ce service d’évangélisation est lié à l’impulsion missionnaire développée par nos instituts religieux fidèles au nouveau modèle de l’activité missionnaire universelle.

Promotion d’un style de vie dans l’esprit des béatitudes

L’élan de la civilisation de l’amour, au sein de l’actuelle et complexe réalité européenne, n’est possible que dans la mesure où naît un nouveau style de vie inspiré par l’esprit des béatitudes. C’est-à-dire une vie où priment les valeurs de l’amour, de la justice et de la miséricorde dans le projet du salut et de la libération des pauvres, des opprimés et de toutes les victimes de notre société et de notre monde. Cette attitude fait passer le partage avant l’avoir, le sacrifice pour le frère avant le plaisir, le service généreux avant le pouvoir et la domination.

Pour l’Européen d’aujourd’hui, souvent marqué par le matérialisme ambiant, ceci peut paraître utopique. La vie religieuse doit lui montrer, en sa réalisation existentielle et historique, la possibilité de voir se rencontrer un bonheur et une joie qui font grandir parallèlement le besoin de partager généreusement, de se sacrifier pour les victimes et d’être toujours disponible à rendre n’importe quel service à ses frères.

Il s’agit de faire une relecture de notre consécration, de nos vœux, qui doivent se concrétiser dans notre service missionnaire universel et dans une manière originale de vivre dans notre milieu européen, sans accepter la facilité mais en offrant le témoignage d’une authentique nouveauté de vie.

Promotion de l’esprit de contemplation et de prière

Nous commençons à pressentir qu’une des limites les plus importantes dont a souffert la culture européenne a été son éloignement progressif du mystère, de l’intériorité et, par conséquent, de la contemplation et de la prière. Obsédée par la dimension scientifique et technologique, notre culture en est arrivée à confondre le scientifique avec le sage ; elle a tendance à réduire l’intériorité à la psychologie, et la cohabitation humaine à une situation de droit encadrée par des systèmes juridiques et légaux cautionnés par une opinion publique plus ou moins générale.

Un ensemble de phénomènes sont venus dénoncer les faits. Parmi eux, les terribles catastrophes auxquelles a dû faire face l’Européen au cours de ce siècle ; la destruction progressive de la nature qui, comme nous le répète l’écologie, équivaudrait à un processus suicidaire de l’humanité ; la rencontre plus respectueuse avec les cultures orientales axées sur la contemplation ; la brusque arrivée critique de la postmodernité montrant à la fois la découverte et le besoin d’une nouvelle religiosité.

L’Europe, pour arriver à la civilisation de l’amour et de la solidarité universelle, a besoin de retrouver le silence profond et l’expérience de la contemplation, elle doit réapprendre à cheminer par les sentiers humains et « désintellectualisés » de l’intériorité pour établir à nouveau le contact direct avec la source originelle dans laquelle s’engendre et se manifeste l’amour, qui est la vraie vie, capable de donner sens à toute autre forme de vie toujours partielle et fragmentaire.

Si l’activité missionnaire universelle, par sa nature même et en fonction des cultures contemplatives avec lesquelles elle doit entrer en contact, a besoin du service de communautés reconnues pour leur témoignage de prière et de contemplation, elle nous avertit aussi que nous, les religieux, devons assumer cet important service dont a besoin l’Europe aujourd’hui. Nous gardons en mémoire l’ancienne expérience mystique de l’Europe, nous sommes formés pour la prière et la contemplation ; à partir de notre vécu personnel, nous sommes spécialement aptes à entrer dans un dialogue constructif avec les cultures de la contemplation, dans lesquelles vivent nos frères et sœurs missionnaires. Toute notre vie prend sens et s’oriente à partir du plus profond de l’intériorité, où celle-ci devient manifestation et contemplation, appel et mission, esprit et force, sortie d’elle-même et offrande aux autres, découverte de ce que le moi ne se réalise pleinement que dans l’incorporation généreuse et pleine d’espérance au « nous ».

Communication du mystère du Christ source de liberté religieuse

Les services étroitement liés entre eux que l’Europe a le droit d’exiger de l’Église et des religieux, et que nous avons l’obligation de lui offrir à cause du commandement de Jésus lui-même, ne peuvent être réalisés que par une annonce sans équivoque du Christ, de son message et de son magistère (EN 22 ; 27).

En étant mis d’entrée de jeu en contact avec ce climat de liberté religieuse et rencontrant une société pluraliste au plan religieux, nous courons le risque de tomber dans une certaine timidité alors qu’il s’agit de proposer notre message, celui de notre foi, celui du Christ. Nous devons bien sûr le proposer en respectant et même en encourageant la liberté religieuse, et dans un dialogue avec les non-croyants. Mais :

Le dialogue n’est pas la conséquence d’une stratégie ou d’un intérêt, mais c’est une activité qui a ses motivations, ses exigences et sa dignité propres : il est demandé par le profond respect qu’on doit avoir envers tout ce que l’Esprit, qui « souffle où il veut », a opéré en l’homme. Grâce au dialogue, l’Église entend découvrir les « semences du Verbe » (AG, 11), les « rayons de la vérité qui illumine tous les hommes » (NAE 2), semences et rayons qui se trouvent dans les personnes et dans les traditions religieuses de l’humanité. Le dialogue est fondé sur l’espérance et la charité, et il portera des fruits dans l’Esprit. (...)
On voit par là quel esprit doit animer ce dialogue dans le contexte de la mission. L’interlocuteur doit être cohérent avec ses traditions et ses convictions religieuses et ouvert à celles de l’autre pour les comprendre, sans dissimulation ni fermeture, mais dans la vérité, l’humilité, la loyauté, en sachant bien que le dialogue peut être une source d’enrichissement pour chacun. Il ne doit y avoir ni capitulation, ni irénisme, mais témoignage réciproque en vue d’un progrès des uns et des autres sur le chemin de la recherche et de l’expérience religieuse et aussi en vue de surmonter les préjugés, l’intolérance et les malentendus. Le dialogue tend à la purification et à la conversion intérieures qui, si elles se font dans la docilité à l’Esprit, seront spirituellement fructueuses (RM 56).

Dans un contexte de liberté religieuse et de dialogue ouvert, quant à la maturité et à la croissance de toute notre société, nous ne pouvons oublier que notre obligation majeure est d’exposer et de communiquer aux autres le message que nous avons reçu de Jésus ainsi que son magistère, qui déjà appartient au patrimoine de toute l’humanité

Plus encore, comme croyants, nous savons que cette proclamation explicite de la révélation de Dieu en Christ est un facteur décisif pour mener notre continent vers la civilisation de l’amour et de la solidarité, reconnaissant que, de manière mystérieuse, l’Esprit du Seigneur agit dans le même sens dans les milieux extérieurs à l’Église, avec lesquels nous devons honnêtement maintenir un dialogue constant, où nous puissions déjà nous sentir amis et frères, unis par l’amour, bien qu’existent entre nous de grandes différences en de nombreux domaines.

Vers une vie religieuse nouvelle, consciente de sa vocation missionnaire

Curieusement, Redemptoris Missio, encyclique écrite pour renouveler l’esprit missionnaire de l’Église, nous conduit à un renouvellement de notre vie religieuse. Elle nous propose des orientations fondamentales : renouveler l’estime de notre consécration radicale ; la mettre au service de la mission, tant de la nouvelle évangélisation, dans l’hémisphère nord, que de la mission universelle ad gentes, dans des lieux et des groupes humains où l’Évangile n’est pas encore ou est à peine parvenu ; assumer le modèle missionnaire proposé par le concile Vatican II, plus cohérent avec les exigences positives de notre culture contemporaine. En un mot : comme religieux, essayons de vivre déjà comme citoyens de l’amour et de la solidarité.

Facultad teológica Jesuitas
Paseo de la Cartuja
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[1Isaac de l’étoile, Sermon 31, PL 194, 1793.

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