La vie religieuse au Japon
Mikaël Takahashi, o.s.b.
N°1993-3 • Mai 1993
| P. 166-171 |
Lors de sa réunion annuelle, notre revue sollicite toujours de ses conseillers une contribution visant à faire mieux connaître les situations de la vie consacrée qu’ils représentent. L’an dernier, s’y ajoutaient les témoignages d’invités que nous avions appelés à cet effet. C’est ainsi que nous pouvons offrir à nos lecteurs comme un tour d’horizon, si limité soit-il, de la vie religieuse aux quatre coins de notre planète. Douloureusement éprouvée en bien des régions, l’Afrique trouve, dans le rapport de Sr. Mutonkole, un éclairage zaïrois très sensible et bien représentatif. Sr. Helguera, venue d’Argentine, nous conduit avec émotion aux “sources” de la vie religieuse latino-américaine. À l’occasion d’un retour en son Extrême-Orient natal, Sr. Takahashi nous informe avec précision sur la vie religieuse japonaise en lien avec une Église qui, sous bien des aspects, accuse des traits propres aux sociétés industrialisées. Enfin, revenant d’une récente mission d’information pour son Institut, le P. Zabé nous livre ses réflexions à propos de la situation nouvelle de la vie religieuse en Europe centrale et de l’est. Un panorama contrasté, avec ses ombres et ses lumières. Surtout, un témoignage pluriel de la diversité vivante de l’engagement de la vie consacrée au service de l’Évangile dans la mission de l’Église universelle.
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L’activité des congrégations religieuses apostoliques
J’ai séjourné récemment plus de deux mois au Japon, où j’ai pris contact avec les communautés religieuses féminines très empressées à me renseigner. Les problèmes qui se posent et que nous étudierons sont très semblables au Japon et en Europe. J’ai été frappée par le sérieux avec lequel est envisagée la formation religieuse.
Voici quelques données précises. Les catholiques, au nombre de 430.000 sur 123 millions d’habitants, ne représentent que 0,3 % de la population (4 catholiques sur 1000 habitants, 1800 prêtres, dont 950 japonais, un prêtre japonais sur 500 fidèles). Les religieuses contemplatives, réparties en 32 couvents, appartiennent à 8 instituts différents. Elles ne sont pas organisées en association et aucune documentation ne donne de vue d’ensemble en ce qui les concerne.
Les congrégations apostoliques sont au nombre de 75. Elles comptent 7400 religieuses, soit 1,7 % des catholiques. Elles ont fondé l’Association des Supérieures majeures. Le comité compte neuf membres et rencontre trois fois par an le Comité des Supérieurs majeurs masculins composé de cinq membres. Depuis 1988, l’assemblée générale réunit tous les supérieurs majeurs, masculins et féminins. En 1992, l’assemblée générale a invité la conférence épiscopale, Nous en reparlerons.
Quatre groupes sont animés par l’Association des Supérieures majeures :
- le comité de formation ;
- le groupe de recherches sur l’éducation ;
- un autre groupe de recherches sur les institutions ;
- le T.F.A. (Task Force for Action).
Sur les 75 congrégations apostoliques, 63 ont leur Maison-Mère en Occident, 12 seulement ont été fondées au Japon. Le nombre des religieuses varie beaucoup selon les congrégations et il va de soi que leurs activités s’en ressentent. Telle congrégation compte 10 membres tandis que telle autre en compte plus de 300 !
Rien n’est négligé dans le domaine de l’éducation. Les religieuses gèrent des institutions qui vont de la maternité à l’université en restant attentives aux directives de l’Etat. Les maisons catholiques sont estimées pour leur compétence et leur valeur éducative.
Dans le passé, les baptêmes étaient nombreux, les vocations religieuses aussi. Actuellement, l’influence religieuse est moins ressentie.
Les congrégations religieuses offrent un large éventail d’institutions en ce qui concerne le soin des enfants, des vieillards, des handicapés. C’est surtout après la deuxième guerre mondiale que, vu le nombre et la détresse des pauvres, la prise de conscience se fit plus attentive. Mis à part les hôpitaux, l’État intervient en donnant des subsides.
D’autres activités encore méritent d’être signalées. Telles :
les éditions chrétiennes ;
l’aide aux paroisses par la catéchèse ;
la formation des catéchistes ;
la participation aux diverses activités sociales ;
le « volontariat ».
Déjà, les congrégations religieuses autochtones envoient une partie de leurs membres en d’autres pays, en Allemagne, par exemple.
Les activités de l’Association des Supérieures majeures
La formation
Un comité de dix membres organise le programme de la formation.
Il existe des cours d’une durée d’un an (formation permanente). Ces cours quotidiens de formation théologique sont donnés à Tokyo à l’intention des professes perpétuelles. L’auditoire réunit une quarantaine de personnes.
Une formation d’une durée d’un mois est offerte aux religieuses âgées de plus de soixante ans. Elles reçoivent une possibilité de ressourcement en vivant un mois ensemble.
Des sessions d’un jour, ouvertes à toutes les religieuses, sont prévues à différents endroits du Japon et étudient le même thème. Cette année par exemple : « Quelle forme doit prendre le vœu d’obéissance pour être un signe authentique de l’évangile dans notre société ? »
Des sessions annuelles de quatre à cinq jours sont données pour les supérieures, les maîtresses des novices ou les professes temporaires.
L’Association des religieuses apostoliques de chaque région organise également ses propres rencontres et son programme de formation. Ainsi les religieuses du diocèse de Tokyo organisent des cours de formation pour les novices, pendant une durée de deux ans.
Les groupes d’étude
Deux groupes d’étude, pour les institutions caritatives et pour l’éducation, existent à l’intention des volontaires, des supérieures générales et des supérieures majeures. Ces groupes fonctionnent depuis plus de dix ans et se montrent attentifs aux problèmes actuels et futurs des entreprises chrétiennes. À l’occasion, des conférenciers laïcs ou religieux sont invités.
T.F.A. (Task Force for Action)
Ce groupe de volontaires d’une trentaine de membres veut promouvoir des activités au profit de l’Asie. Deux sessions annuelles sont organisées. Des expériences sont proposées, par exemple vivre dans les bidonvilles ou dans les régions du quart monde au Japon ou dans un autre pays d’Asie. Les problèmes actuels concernent surtout l’exploitation des femmes et la violation des droits de l’homme.
Amor (Asia - Oceania meeting of religions)
L’Association des Supérieures majeures participe à la Conférence des religieuses d’Asie et d’Océanie.
Tous les deux ou trois ans, une conférence se tient dans un pays asiatique. Le Secrétariat du centre de service asiatique se situe, pour le moment, en Corée. Quatre fois par an, il publie une lettre d’information et fait appel à une aide éventuelle. En 1991, la neuvième assemblée s’est tenue en Indonésie, dix-neuf pays y étaient représentés pour réfléchir sur le thème suivant : « Comment la religieuse peut-elle être une disciple prophétique de Jésus Christ en Asie-Océanie ? »
Les problèmes des religieuses au Japon
Problèmes internes
Le nombre des religieuses est assez grand par rapport au nombre des fidèles, mais comme les congrégations sont nombreuses, chacune d’elles a peu de vocations. La baisse de la natalité, l’attrait d’une vie facile, l’instabilité des jeunes aggravent la situation. L’âge moyen des religieuses augmente et il devient difficile d’assurer la continuité et la répartition du personnel ; il n’est donc pas toujours possible d’assurer à chacune le rôle qui lui conviendrait. La formation continue demeure une nécessité, mais comment trouver une solution à ce problème ? En communauté, les différences d’âge des religieuses sont notables et soulèvent des problèmes de relations humaines dans la plupart des congrégations.
La vie religieuse subit aussi l’influence de la société de consommation et le concept du vœu de pauvreté diffère selon les générations. Un problème se posera à tous les instituts : comment faire face au nombre de personnes âgées et de malades ?
Problèmes des institutions
Parfois les directives de l’État ou les interventions des sociétés s’opposent à l’exigence de l’idéal chrétien. Ceci est particulièrement ressenti dans les institutions éducatives et caritatives. Les communautés vieillissantes n’ont plus la vitalité nécessaire pour y faire face. Le niveau de vie augmente, les exigences de la société technique ne cessent de se multiplier, tandis que les ressources des congrégations - sur le plan des finances comme sur celui des personnes - diminuent. Le manque de relève devient le problème de toutes les communautés. Quant au personnel laïc, il comprend difficilement l’œuvre chrétienne au moment précis où elle est en quête d’un soutien matériel et humain.
Vers la collaboration avec l’Église du Japon
En 1984, la Conférence épiscopale du Japon a publié le document : L’objectif de base et les devoirs prioritaires dans l’Église du Japon. En réponse, il y eut, en 1987, la première « Convention Nationale pour promouvoir l’évangélisation » (NICE= National Incentive Convention for Evangelisation).
Voici un texte qui interpelle les congrégations religieuses :
Aujourd’hui, de nombreuses personnes ne se contentent plus des seules richesses matérielles, elles se mettent en quête des valeurs spirituelles ; la société de notre temps devient donc peu à peu une société qui recherche « le cœur plus que les choses ».
D’autre part, le nombre des personnes qui font l’objet d’une discrimination est en croissance, la société tend à les ignorer, vu l’accentuation du pragmatisme, de la volonté d’efficacité et aussi de l’uniformité. Ce n’est plus seulement la menace de l’égoïsme individuel qui paralyse le vrai progrès social, mais celui de l’égoïsme national, qui devient de plus en plus apparent.
Dans une telle situation, la priorité de l’effort d’évangélisation s’impose. Il est urgent d’évangéliser la société. Il est urgent de s’unir. Que l’attitude soit une attitude de collaboration, et cela au niveau national. Que soient unis les évêques, les prêtres, les membres des congrégations religieuses et missionnaires et les laïcs. (texte du 22 juin 1984 de la Conférence Épiscopale du Japon).
En réponse à cet appel, en mai 1992, l’Association des Supérieurs et Supérieures majeur(e)s a organisé une assemblée générale où elle a invité les évêques. Étaient présents : 15 évêques dont 3 archevêques et cela sur 16 diocèses ; 72 supérieures majeures dont 12 sont non-japonaises et 35 supérieurs majeurs dont 22 non-japonais.
Les discussions étaient menées en neuf petits groupes avec, dans chacun, la présence d’un ou deux évêques. Après les discussions, une table ronde réunissait tous les assistants et un compte rendu de cinquante pages fut rédigé et publié.
Les échanges permirent d’arriver à un consensus sur l’état de l’Église au Japon. On signala le danger du cléricalisme, d’où découle la passivité des laïcs, ainsi que la disparité entre l’Église des métropoles et l’Église rurale.
Le sens religieux de la vocation fut approfondi : don de Dieu à l’Église pour l’Église. On insista sur l’importance du dialogue avec la communauté locale, surtout dans le cas de fermeture des institutions gérées par les congrégations. On se préoccupa des moyens de susciter des vocations sacerdotales diocésaines.
La nécessité de l’évangélisation fut soulignée. Que rien ne fasse oublier la priorité du témoignage, celui de l’action, de la prière et spécialement celui de la sainte liturgie. On insista sur l’ouverture à tous, sur le fait que l’Église du Japon doit être elle-même missionnaire, attentive au dialogue, et à la rencontre des religions. Elle aura souci des étrangers, des travailleurs non japonais et elle s’efforcera de progresser dans le respect absolu des droits de l’homme. Il est urgent que tous les fidèles, clergé et laïcs, collaborent car de réelles difficultés surgissent.
En finale, il est édifiant de constater la vitalité de l’Église au Japon. L’archevêque de Tokyo remercia tous les membres d’avoir pris l’initiative de cette importante assemblée et particulièrement le Père Ikenaga, provincial des Jésuites, qui, de l’avis unanime, se montra un animateur remarquable.
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