La vie religieuse et Redemptoris Missio (I)
Antonio Gonzalez Dorado, s.j.
N°1993-2 • Mars 1993
| P. 78-97 |
Il n’est certainement pas inopportun de souligner, dans le titre donné au Synode, les mots qui spécifient la vie consacrée en en indiquant la finalité : « et sa mission dans l’Église et le monde ». L’étude exhaustive de Redemptoris missio, proposée par le Père Dorado, est donc la bienvenue. Elle nous aidera à mieux percevoir comment il est de la nature profonde de la vie consacrée de participer, à sa manière propre, au témoignage requis de toute l’Église en ce temps où le monde appelle à une évangélisation renouvelée.
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Je remercie la CONFERA [1] pour son invitation à participer à ces journées de réflexion sur la vie religieuse dans le contexte de l’encyclique Redemptoris Mater proclamée par Jean-Paul II le 7 décembre 1990 pour célébrer le vingt-cinquième anniversaire du décret Ad Gentes élaboré par le Concile Vatican II.
Le thème qu’il m’a été demandé de développer - « La vie religieuse dans sa projection universelle ad gentes » - me semble très important ; il ne s’agit pas, en effet, de théorie abstraite mais du témoignage de milliers de sœurs et de frères, de tous les instituts et congrégations religieuses, qui rendent présent l’évangile, c’est-à-dire Jésus et son message, dans tous les continents. Beaucoup d’entre eux, au cours de ces années, ont confirmé leur témoignage missionnaire par le martyre, proclamant qu’il vaut la peine d’offrir sa vie pour l’Évangile et pour les frères les plus nécessiteux et les plus ignorés.
D’autre part, nous nous trouvons à un moment où nous avons besoin d’un rajeunissement évangélique de notre vie religieuse et cela n’est possible que par un renouvellement profond de la mystique missionnaire dans nos communautés. Jean-Paul II nous dit dans son encyclique :
Le présent document a un objectif d’ordre interne : le renouveau de la foi et de la vie chrétienne. En effet, la mission renouvelle l’Église, renforce la foi et l’identité chrétienne, donne un regain d’enthousiasme et des motivations nouvelles. La foi s’affermit lorsqu’on la donne ! La nouvelle évangélisation des peuples chrétiens trouvera inspiration et soutien dans l’engagement de la mission universelle (R.M. 2).
Nous, religieuses et religieux, nous sommes l’Église, et notre consécration spéciale à la suite du Christ est radicalement marquée et vivifiée par sa mission évangélisatrice. Comme disait Paul VI :
Grâce à leur consécration religieuse, ils sont par excellence volontaires et libres pour tout quitter et aller annoncer l’Évangile jusqu’aux confins du monde (E.N. 69).
Si la mission est force rénovatrice pour toute l’Église, c’est l’esprit missionnaire qui doit agir aujourd’hui dans tous nos instituts et communautés, suscitant une vie religieuse nouvelle et dynamique, généreuse et stimulante pour les nouvelles générations qui entendent l’appel radical du Christ à continuer dans le monde sa mission évangélisatrice.
Aujourd’hui, lorsque nous nous plaignons du vieillissement accéléré de beaucoup de nos instituts et du manque de vocations, il nous faudrait peut-être d’abord nous demander où en sont notre enthousiasme et notre témoignage missionnaire, en tenant compte des perspectives et orientations neuves offertes par Vatican II dans le décret Ad Gentes et, dernièrement, par Redemptoris Missio.
Tenant compte de cette double perspective - le témoignage actuel de nos communautés missionnaires, présentes activement en tant de parties du monde, et la nécessité d’un rajeunissement de la vie religieuse en Europe et spécialement en Espagne - j’ai le désir de réfléchir avec vous sur l’urgence qu’il y a de rénover notre esprit missionnaire et de le communiquer à tous les secteurs de l’Église, suivant les orientations que nous donne Jean-Paul II dans Redemptoris Missio.
Crise de l’esprit missionnaire dans l’Église
L’enthousiasme missionnaire de l’Église était tellement débordant dans la première moitié de ce siècle que l’on n’hésita pas à le qualifier de « siècle des missions ». Cependant nous avons l’impression que, au cours des dernières années, une certaine crise a été ressentie, spécialement dans nos vieilles Églises de l’hémisphère nord. Redemptoris Missio évoque ce fait et souligne même certaines causes qui pourraient l’expliquer :
Le diagnostic de Redemptoris Missio
L’encyclique, sensible à ce « nouveau printemps » du christianisme où l’Église voit s’ouvrir « les horizons d’une humanité plus disposée à recevoir la semence évangélique » (RM, 3), souligne que :
On ne peut taire une tendance négative que ce document désire contribuer à surmonter : il semble que la mission spécifique ad gentes devienne moins active, ce qui ne va assurément pas dans le sens des directives du Concile et de l’enseignement ultérieur du Magistère. Des difficultés internes et externes ont affaibli l’élan missionnaire de l’Église à l’égard des non-chrétiens, et c’est là un fait qui doit inquiéter tous ceux qui croient au Christ. Dans l’histoire de l’Église, en effet, le dynamisme missionnaire a toujours été un signe de vitalité, de même que son affaiblissement est le signe d’une crise de la foi (RM, 2).
À quelles causes peut-on attribuer ce recul ? L’encyclique tente d’en expliciter quelques unes.
Étiologie de la crise missionnaire
On peut regrouper en trois chapitres les motivations qui peuvent expliquer cette crise.
Un premier chapitre reprend les difficultés liées à la situation dans de nombreux pays du monde.
Les difficultés semblent insurmontables et pourraient décourager s’il s’agissait d’une œuvre purement humaine. Certains pays interdisent aux missionnaires d’entrer chez eux ; d’autres interdisent non seulement l’évangélisation mais aussi les conversions et même le culte chrétien. Ailleurs, les obstacles sont d’ordre culturel : la transmission du message évangélique paraît dépourvue d’intérêt ou incompréhensible ; la conversion est perçue comme un abandon de son peuple et de sa culture (RM. 35).
Ces difficultés sont accrues lorsque les peuples en question sont heurtés par le contre-témoignage de nations qui s’affirment traditionnellement comme chrétiennes ou par la manière d’agir des Églises elles-mêmes dans leurs activités missionnaires. Comme l’affirme Jean-Paul II : « Nous ne pouvons pas prêcher la conversion sans nous convertir nous-mêmes chaque jour » (RM, 47).
Dans un deuxième chapitre, nous trouvons des motivations plus profondes et internes à l’Église elle-même. Le Pape souligne un changement de mentalité, nécessaire mais trop peu nuancé :
À cause des changements de l’époque moderne et de la diffusion de nouvelles conceptions théologiques, certains s’interrogent : la mission auprès des non-chrétiens est-elle encore actuelle ? N’est-elle pas remplacée par le dialogue inter-religieux ? La promotion humaine n’est-elle pas un objectif suffisant ? Le respect de la conscience et de la liberté n’exclut-il pas toute proposition de conversion ? Ne peut-on faire son salut dans n’importe quelle religion ? Alors, pourquoi la mission (RM, 4) ?
Et plus loin, il ajoute :
Aujourd’hui, l’appel à la conversion que les missionnaires adressent aux non-chrétiens est mis en question ou passé sous silence. On y voit un acte de « prosélytisme » ; on dit qu’il suffit d’aider les hommes à être davantage hommes ou plus fidèles à leur religion, qu’il suffit d’édifier des communautés capables d’œuvrer pour la justice, la liberté, la paix, la solidarité (RM 46).
Dans certains secteurs de l’Église, quoique avec une prise de position moins radicale, on sépare exagérément l’objectif christologique de la mission de l’objectif ecclésiologique : « Certains, précisément là où s’exerce la mission ad gentes, tendent à dissocier la conversion au Christ et le baptême, jugeant que celui-ci n’est pas nécessaire » (RM, 47).
À la suite de ces prises de position peu nuancées, le Pape souligne que « l’un des motifs les plus graves du manque d’intérêt pour l’engagement missionnaire est une mentalité marquée par l’indifférentisme, malheureusement très répandue parmi les chrétiens, souvent fondée sur des conceptions théologiques inexactes et imprégnée d’un relativisme religieux qui porte à considérer que ’toutes les religions se valent’ ».
Un troisième chapitre présente les motifs d’affaiblissement de l’esprit missionnaire ad gentes. Il pourrait être intitulé, en reprenant les termes mêmes de l’encyclique : Le « rapatriement » des missions. Nous lisons dans le document :
Ce qu’on appelle le retour ou le « rapatriement » des missions dans la mission de l’Église, l’introduction de la missiologie dans l’ecclésiologie et l’insertion de l’une et de l’autre dans le dessein trinitaire du salut, tout cela a donné un souffle nouveau à cette activité missionnaire, qui n’est plus conçue comme une tâche marginale de l’Église mais intégrée dans le cœur de sa vie comme un engagement fondamental de tout le Peuple de Dieu. Il faut néanmoins éviter de courir le risque de ramener au même niveau des situations très diverses et de réduire, voire de faire disparaître, la mission et les missionnaires ad gentes. Dire que toute l’Église est missionnaire n’exclut pas l’existence d’une mission spécifique ad gentes ; de même dire que tous les catholiques doivent être missionnaires n’exclut pas mais, au contraire, demande qu’il y ait des « missionnaires ad gentes et à vie » par une vocation spécifique (RM 32).
La tentation de ce repli est beaucoup plus forte lorsqu’on considère la situation et la problématique dans lesquelles se trouvent nos Églises. Celles-ci se situent dans des contextes clairs de déchristianisation qui exigent une nouvelle évangélisation, et ce, en beaucoup de cas, avec un manque criant de vocations (RM 36).
« Les Églises anciennes, engagées dans la nouvelle évangélisation, pensent qu’elles doivent maintenant mener la mission chez elles, et elles risquent d’affaiblir l’élan vers le monde non chrétien, admettant de mauvaise grâce les vocations en faveur des Instituts missionnaires, des Congrégations religieuses ou des autres Églises. C’est au contraire en donnant généreusement de notre bien que nous recevrons » (RM, 85).
À la racine des causes qui affaiblissent l’enthousiasme missionnaire, le Pape dénonce une crise de la foi dans nos vieilles communautés (RM, 36), un manque de ferveur et d’ardeur évangélisatrice (EN 80, RM 36), l’infiltration de certains courants de la culture moderne (RM, 36), et la diffusion de certaines conceptions théologiques peu correctes et qui prétendent s’appuyer sur les enseignement du Concile Vatican II (EN 80 ; RM, 35 et 83).
Crise d’un modèle missionnaire préconciliaire
Mais, en plus des causes relevées par Redemptoris Missio, je crois qu’il faut en ajouter une autre très importante, sous-jacente à tout le document, mais qui n’est pas directement explicitée : la nécessité d’un nouveau modèle missionnaire actualisé, capable de motiver les chrétiens d’aujourd’hui appartenant à notre culture et immergés en elle, un modèle solidement nourri par une théologie qui reprenne les grands apports de Vatican II.
En effet, tout en reconnaissant l’héroïsme des missionnaires de la première moitié du XXe siècle, nous ne pouvons oublier que le modèle missionnaire préconciliaire est irréversiblement dépassé. Il a été rudement dénoncé par différents secteurs de la société et remis en question par les documents conciliaires, spécialement par le décret Ad Gentes. La crise du modèle a eu de graves incidences sur le développement et l’orientation de l’esprit missionnaire. Il est donc urgent d’élaborer un nouveau modèle ; c’est un des objectifs que se propose Redemptoris Missio dans une absolue fidélité au commandement que nous a fait Jésus de transmettre la bonne nouvelle à tous les peuples (Mt 28,16-11 ; Mc 16,14-18 ; Lc 24,36,49 ; Jn 20,19-23 ; Ac 1,7-8).
Nous remarquons aujourd’hui trois points dépassés dans l’ancien modèle missionnaire : une conception étroite de la mission évangélisatrice de l’Église et de ses objectifs ; un ecclésiocentrisme excessif qui pouvait inconsciemment conduire le missionnaire à une sorte de prosélytisme ; une orientation teintée de colonialisme, fondamentalement européenne et marquée par l’Église occidentale.
Dans ce modèle, la motivation la plus forte et la plus stimulante pour les vocations missionnaires était sans doute de sauver les âmes des païens. La générosité chrétienne tendait à libérer ces âmes de l’enfer et à rendre possible la rencontre définitive de Dieu après la mort, grâce à l’annonce de l’Évangile, à la propagation de la foi et à la réception du baptême.
Cette compréhension limitée du salut évangélique rendait la mission d’autant plus urgente qu’elle était habituellement accompagnée de deux postulats assez répandus, malgré certaines précisions apportées par les théologiens, surtout à partir du XVIe siècle.
Pour le premier postulat, toutes les religions païennes étaient fausses. Cela impliquait, sans nuances, une vision radicalement pessimiste du monde religieux en dehors de l’Église, il était privé de toute possibilité de salut, idolâtre et dangereusement dominé par les forces démoniaques. Par conséquent le principe « Hors de l’Église, pas de salut » était compris d’une manière tout à fait radicale. On tendait à penser en tout cas que l’entrée explicite dans l’arche du salut, c’est-à-dire dans l’Église, était le seul moyen de se libérer du déluge porteur de mort qui frappait toute l’humanité. C’est à Boston, en 1950, que le principe ecclésial en est arrivé à être totalement déformé. Le Saint-Office dut intervenir pour condamner définitivement ce qui est connu comme l’hérésie de Boston.
Il n’est pas étonnant qu’à partir de cette manière d’envisager l’objectif de l’évangélisation missionnaire, les missions se soient focalisées sur une préoccupation quasi exclusivement ecclésiocentrique, surtout vers les années 1930. La missiologie donne alors comme objectif majeur des missions l’implantation de l’Église dans les pays où l’Évangile n’est pas encore proclamé. À partir de ce moment grandit l’intérêt pour la prédication kérygmatique, pour les conversions explicitement christologiques et ecclésiologiques, et pour la constitution d’Églises locales autochtones dans les terres traditionnelles de mission. Une des grandes préoccupations était la formation d’un clergé et d’une hiérarchie indigènes. Ce courant très marqué risquait de susciter chez les missionnaires une certaine tendance au prosélytisme religieux, avec toutes les déficiences que cela implique et qui seront dénoncées dans la déclaration Dignitatis humanae du concile Vatican II (DH, 4).
Le modèle missionnaire préconciliaire était aussi trop orienté vers la colonisation à la mode européenne, il était trop peu respectueux des groupes ethniques qu’il voulait évangéliser. Le phénomène est explicable si l’on se rappelle que, à partir du XVIe siècle, la grande expansion missionnaire se développe en étroite relation avec les grands empires coloniaux et est marquée par un ethnocentrisme européen qui se définissait comme la culture et la civilisation face à l’inculture et même à la sauvagerie. La majorité des missionnaires se sentaient non seulement porteurs de l’Évangile de Jésus, mais aussi de leur propre culture occidentale. Ils se voyaient même comme les collaborateurs des nouvelles relations politiques entre les métropoles et les colonies, comme cela s’est passé en Amérique latine et en d’autres continents ; même s’ils ne cessèrent pas de dénoncer certaines des injustices des colonisateurs. Bien plus, fondateurs de nouvelles Églises, ils s’efforcèrent de les implanter sur le modèle de nos Églises européennes. Certains d’ailleurs rencontrèrent de sérieuses difficultés en essayant de s’adapter aux nouvelles cultures, comme ce fut le cas pour certains missionnaires de l’Inde et de la Chine, dont nous nous souvenons avec respect comme pionniers d’une nouvelle missiologie. Il suffit de rappeler, entre autres, le nom du P. Ricci.
Ce modèle missionnaire préconciliaire comporte aussi des éléments essentiels qu’il faudra toujours garder. Mais les limites et les déviations expliquent beaucoup d’erreurs commises dans le passé et qui demandent à être corrigées. C’est ce qui suscite, dans certains milieux extra-ecclésiaux, une rude critique des missions du passé, comme dans le document des anthropologues réunis aux Barbades. L’Église elle-même, depuis le concile Vatican II, a remis ce passé en question et cherche un autre modèle missionnaire, plus cohérent avec l’Évangile et plus en accord avec les valeurs positives de notre culture actuelle.
Une crise de purification et de croissance
La crise du modèle missionnaire, qui fut celui de l’Église durant les cinq derniers siècles, est aussi un facteur important pour expliquer la crise missionnaire de nos communautés et les erreurs d’orientation que dénonce Redemptoris Missio.
Il faut cependant tenir compte du fait que le concept de crise fait allusion à une situation faite de changements et de difficultés, sans qu’il y ait nécessairement une connotation négative. Nous ne pouvons oublier que le développement, le progrès et le rajeunissement sont toujours précédés par une crise transitoire au cours de laquelle doit disparaître ce qui est caduc et dépassé, afin précisément de maintenir la vraie vie et de la mener à une plénitude et à une nouveauté plus grandes.
La révision énergique à laquelle est soumis le modèle missionnaire précédent a déchaîné dans l’Église et dans ses communautés une forte crise, non exempte de désorientations conjoncturelles, telles que les souligne Redemptoris Missio.
Jean-Paul II la décrit comme une crise de croissance et de renouveau, où surgit un nouveau printemps chrétien « que l’on voit déjà poindre ». Il regarde avec optimisme la nouvelle culture qui est en train de naître :
Que ce soit dans le monde non-chrétien ou dans le monde de chrétienté ancienne, les peuples ont tendance à se rapprocher progressivement des idéaux et des valeurs évangéliques, tendance que l’Église s’efforce de favoriser. Aujourd’hui se manifeste parmi les peuples une nouvelle convergence à l’égard de ces valeurs : le refus de la violence et de la guerre, le respect de la personne humaine et de ses droits, la soif de liberté de justice et de fraternité, la tendance à surmonter les racismes et les nationalismes, l’affirmation de la dignité de la femme et sa valorisation" (RM 86).
Il observe également les premiers fruits du Concile :
Les Églises locales se sont multipliées, avec leurs évêques, leur clergé et leur personnel apostolique ; on constate une insertion plus profonde des communautés chrétiennes dans la vie des peuples ; la communion entre les Églises entraîne un échange intense de biens spirituels et de dons ; l’engagement des laïcs dans l’évangélisation est en train de modifier la vie ecclésiale ; les Églises particulières s’ouvrent à la rencontre, au dialogue et à la collaboration avec les membres d’autres Églises chrétiennes et d’autres religions. Et surtout une conscience nouvelle s’affirme, à savoir que la mission concerne tous les chrétiens, tous les diocèses et toutes les paroisses, toutes les institutions et toutes les associations ecclésiales (RM 2).
Dans ce contexte d’espérance, le Pape n’ignore pas les difficultés externes et internes qui « ont affaibli l’élan missionnaire de l’Église à l’égard des non-chrétiens » (RM 2) ; il en souligne même quelques-unes, comme nous l’avons vu. Mais il en conclut qu’est en gestation un nouvel accent missionnaire pour le troisième millénaire que va commencer l’Église (RM 86). Il y a crise, certes, mais c’est une crise de croissance, de renouvellement, de recherche d’une vie nouvelle.
C’est pourquoi on note, dans l’ensemble de l’encyclique, la recherche d’un nouveau modèle missionnaire ad gentes, éclairé par les orientations de Vatican II et situé dans le contexte de la nouvelle évangélisation.
Un nouveau modèle missionnaire
Le nouveau modèle de la mission ad gentes, qui se dessine dans Redemptoris Missio, s’intègre clairement dans le grand projet de la nouvelle évangélisation, qui engage toutes nos Églises dispersées à travers le monde.
Différents niveaux de la nouvelle évangélisation
Ce n’est pas le moment de nous arrêter à une présentation de la nouvelle évangélisation, thème que j’ai développé dans de nombreux articles. Je veux seulement souligner les différents niveaux de compréhension de ce projet, et certaines de ses relations avec l’esprit et le modèle missionnaire ad gentes.
Au sens le plus large, la nouvelle évangélisation est le grand projet de toutes nos Églises face au processus accéléré d’unification et de communication de toute l’humanité, animé par les valeurs de liberté, d’égalité, de justice et de fraternité auxquelles on ne peut renoncer. Le grand objectif de cette nouvelle évangélisation est la promotion de la « Civilisation de l’Amour » - expression originale de Paul VI - en étroite connexion avec le don évangélique du Royaume de Dieu.
En un sens plus restreint, la nouvelle évangélisation vise principalement les aires de la vieille chrétienté, qu’il est nécessaire de réévangéliser (RM 32). Elle s’oriente surtout vers les non-pratiquants et ceux qui se sont éloignés de leur Église, et s’efforce d’établir de nouveaux liens entre l’Évangile et la culture, surtout là où historiquement s’est produite une rupture.
Enfin, comme préoccupation plus immédiate et opérationnelle, la nouvelle évangélisation se propose le renouvellement interne de l’Église dans l’esprit de Vatican II et de Evangelii nuntiandi :
Cette nouvelle évangélisation-qui s’adresse non seulement à chacune des personnes, mais aussi à des groupes entiers de populations dans la diversité de leurs situations, de leurs milieux, de leurs cultures - est destinée à la formation de communautés ecclésiales mûres, c’est-à-dire où la foi répand et réalise tout son sens originel d’adhésion à la personne du Christ et à son Évangile, de rencontre et de communion sacramentelle avec Lui, d’existence vécue dans la charité et le service (ChL 34).
Relations d’appui mutuel et de complémentarité
L’encyclique commence par clarifier les relations de complémentarité qui doivent exister entre la mission ad gentes et la nouvelle évangélisation, en ses acceptions les plus restreintes :
De même, il est à noter qu’il existe une interdépendance réelle et croissante entre les différentes activités salvifiques de l’Église : chacune exerce une influence sur l’autre, la stimule et lui vient en aide. Le dynamisme missionnaire suscite des échanges entre les Églises et les oriente vers le monde extérieur, avec des influences positives en tous sens. Les Églises de vieille tradition chrétienne, par exemple, aux prises avec la lourde tâche de la nouvelle évangélisation, comprennent mieux qu’elles ne peuvent être missionnaires à l’égard des non-chrétiens d’autres pays ou d’autres continents si elles ne se préoccupent pas sérieusement des non-chrétiens de leurs pays : l’esprit missionnaire ad intra est un signe très sûr et un stimulant pour l’esprit missionnaire ad extra, et réciproquement (RM 34).
L’appui mutuel que prêtent à l’Église les deux activités n’est pas extrinsèque ; celles-ci tendent à être deux expressions d’une mission unique de toutes les Églises :
L’introduction de la missiologie dans l’ecclésiologie et l’insertion de l’une et de l’autre dans le dessein trinitaire du salut, tout cela a donné un souffle nouveau à cette activité missionnaire, qui n’est plus conçue comme une tâche marginale de l’Église mais intégrée dans le cœur de sa vie comme un engagement fondamental de tout le Peuple de Dieu (RM 32).
Par conséquent, toute véritable Église doit être missionnaire et évangélisatrice à l’intérieur de sa propre communauté, dans son milieu ambiant, et dans une projection extérieure plus universelle. C’est seulement lorsque ces trois expressions missionnaires de l’unique mission originale de chacune des Églises se développent simultanément que ces activités se fécondent mutuellement, se renforçant pour développer leurs objectifs plus spécifiques.
Mais faisons un pas de plus : si la nouvelle évangélisation, en son sens le plus restreint, et l’activité missionnaire ad gentes se retrouvent dans la mission fondamentale de l’Église, nous pouvons nous demander si la nouvelle évangélisation, dans son dynamisme plus universel et planétaire, n’offre pas un modèle nouveau, plus actualisé et cohérent avec l’activité missionnaire traditionnelle des Églises.
Ma réponse est affirmative. C’est seulement de cette manière que l’on peut obtenir une plus grande cohérence entre les deux activités de l’Église, et un dépassement effectif de l’ancien modèle missionnaire.
Je m’arrêterai seulement à certains aspects qui dépassent et mettent en question l’ancien modèle missionnaire, en même temps qu’ils prétendent renouveler, par de nouvelles motivations, l’esprit missionnaire de toute l’Église.
Une vision optimiste, christologique et pneumatologique de toute l’humanité
La première limite du vieux modèle que nous signalions était une compréhension négative et tragique de l’humanité extérieure à l’Église, qui agissait comme facteur d’urgence. Aujourd’hui, le missionnaire de la nouvelle évangélisation avance avec plus de sérénité, parce qu’il sait que le Christ et l’Esprit sont plus grands que l’Église, et que le médiateur entre Dieu et les hommes est activement présent au cœur du monde.
Redemptoris Missio l’affirme en toute clarté :
Si le salut est destiné à tous, il doit être offert concrètement à tous. Mais il est évident, aujourd’hui comme dans le passé, que de nombreux hommes n’ont pas la possibilité de connaître ou d’accueillir la révélation de l’Évangile, ni d’entrer dans l’Église. Ils vivent dans des conditions sociales et culturelles qui ne le permettent pas, et ils ont souvent été éduqués dans d’autres traditions religieuses. Pour eux, le salut du Christ est accessible en vertu d’une grâce qui, tout en ayant une relation avec l’Église, ne les y introduit pas formellement mais les éclaire d’une manière adaptée à leur état d’esprit et à leur cadre de vie. Cette grâce vient du Christ, elle est le fruit de son sacrifice et elle est communiquée par l’Esprit Saint : elle permet à chacun de parvenir au salut avec sa libre coopération (RM, 10).
Plus loin, l’encyclique élargit cette vision en disant :
L’Esprit se manifeste d’une manière particulière dans l’Église et dans ses membres ; cependant sa présence et son action sont universelles, sans limites d’espace ou de temps. Le Concile Vatican II rappelle l’œuvre de l’Esprit dans le cœur de tous les hommes, par les « semences du Verbe », dans les actions même religieuses, dans les efforts de l’activité humaine qui tendent vers la vérité, vers le bien, vers Dieu. (...)
L’Esprit est donc à l’origine même de l’interrogation existentielle et religieuse de l’homme qui ne naît pas seulement de conditions contingentes, mais aussi de la structure même de son être.
La présence et l’activité de l’Esprit ne concernent pas seulement les individus, mais la société et l’histoire, les peuples, les cultures, les religions. (...)
C’est encore l’Esprit qui répand les « semences du Verbe », présentes dans les rites et les cultures, et les prépare à leur maturation dans le Christ (RM, 28).
Bien plus, cette action du Christ et de l’Esprit Saint au cœur du monde est si énergique qu’elle permet à tous les secteurs de l’humanité, par des chemins connus uniquement de Dieu, de s’associer au mystère pascal et, par conséquent, de se christifier dans leur vie et leur manière d’agir (GS 22 ; RM 10).
Alors, pourquoi la mission ? Et l’encyclique répond : parce que tous les hommes ont droit à connaître l’Évangile et parce que ce service à l’humanité a été commandé par le Christ à l’Église. C’est ce qu’affirme le document :
La nouveauté de la vie en lui est la Bonne Nouvelle pour l’homme de tous les temps : tous les hommes y sont appelés et destinés. Tous la recherchent effectivement, même si c’est parfois de manière confuse, et tous ont le droit de connaître la valeur de ce don et d’y accéder. L’Église, et en elle tout chrétien, ne peut cacher ni garder pour elle cette nouveauté et cette richesse reçues de la bonté divine pour être communiquées à tous les hommes.
Voilà pourquoi la mission découle non seulement du précepte formel du Seigneur, mais aussi de l’exigence profonde de la vie de Dieu en nous (RM 11).
La mission au service du Royaume de Dieu
Une autre limite du modèle missionnaire préconciliaire était un ecclésiocentrisme marqué, avec le danger de dévier vers des attitudes prosélytiques. Redemptoris Missio aborde ce thème de manière très équilibrée, mettant en lumière simultanément le fait que l’Église doit être au service du Royaume de Dieu et la manière dont elle doit réaliser ce service (RM 12-20). Nous nous trouvons devant un des chapitres les plus lumineux de l’encyclique, en évidente connexion avec les documents qui développent la fin de la nouvelle évangélisation.
Dans ce deuxième chapitre, l’encyclique aborde trois thèmes principaux qu’il nous est impossible de développer avec l’ampleur voulue : qu’est-ce que le Royaume de Dieu ? quel lien l’Église entretient-elle avec le Royaume, et quels sont les services qu’elle doit lui rendre ?
Analysant la nature du Royaume de Dieu, le document ne le réduit pas à sa dimension eschatologique-céleste. Au contraire, on observe une opiniâtreté décidée à clarifier sa présence et sa réalisation dans l’histoire, parce que :
Travailler pour le Royaume signifie reconnaître et favoriser le dynamisme divin qui est présent dans l’histoire humaine et la transforme. Construire le Royaume signifie travailler pour la libération du mal dans toutes ses formes. En un mot, le Royaume de Dieu est la manifestation et la réalisation de son dessein de salut dans sa plénitude (...)
La nature du Royaume est la communion de tous les êtres humains entre eux et avec Dieu (RM 15).
Suivant le langage de la nouvelle évangélisation, travailler aujourd’hui pour le Royaume de Dieu dans notre histoire actuelle c’est promouvoir le civilisation et l’amour dans tous les milieux et toutes les cultures, encourageant les valeurs positives du nouvel humanisme et libérant les victimes et les pauvres de notre société.
Mais, comme nous le dit le Pape, le Royaume de Dieu ne peut être réduit à une sagesse purement humaine, quasi à une science de bien vivre (RM 11). Le Royaume de Dieu est révélation de son projet salvifique sur toute l’humanité et pour tous les hommes (RM 14 et 18), proclamé par Jésus et identifié à Lui, de telle sorte que :
Le Royaume de Dieu n’est pas un concept, une doctrine, un programme que l’on puisse librement élaborer, mais il est avant tout une Personne qui a le visage et le nom de Jésus de Nazareth image du Dieu invisible. Si l’on détache le Royaume de Jésus, on ne prend plus en considération le Royaume de Dieu qu’il a révélé, et l’on finit par altérer le sens du Royaume, qui risque de se transformer en un objectif purement humain ou idéologique, et altérer aussi l’identité du Christ, qui n’apparaît plus comme Seigneur à qui tout doit être soumis (RM 19).
Quel est le lien du Christ avec le Royaume ?
Certes l’Église n’est pas à elle-même sa propre fin, car elle est ordonnée au Royaume de Dieu dont elle est germe, signe et instrument. Mais, alors qu’elle est distincte du Christ et du Royaume, l’Église est unie indissolublement à l’une et à l’autre. (...) Il en résulte une relation singulière et unique qui sans exclure l’action du Christ et de l’Esprit Saint hors des limites visibles de l’Église, confère à celle-ci un rôle spécifique et nécessaire. D’où aussi le lien spécial de l’Église avec le Royaume de Dieu et du Christ qu’elle a « la mission d’annoncer et d’instaurer dans toutes les nations » (LG 5 ; RM 18).
Le Royaume de Dieu est plus grand que l’Église et l’Église est au service du Royaume. Et le Pape ajoute :
Que l’on ne craigne pas de tomber là dans une forme d’« ecclésiocentrisme » ! Paul VI, qui a affirmé l’existence d’« un lien profond ; entre le Christ, l’Église et l’évangélisation », a dit aussi ; « l’Église n’est pas à elle-même sa propre fin, mais elle désire avec ardeur être tout entière du Christ, dans le Christ et pour le Christ ; tout entière également des hommes, parmi les hommes et pour les hommes » (RM 19).
Mais il faut nous demander quels sont les services que l’Église doit rendre à l’humanité et au Royaume de Dieu. L’encyclique énumère les suivants : d’abord et avant tout « par l’appel à la conversion : c’est le service premier et fondamental rendu à la venue du Royaume dans les personnes et dans la société humaine » (RM 20). Paul VI l’avait déjà souligné : « Évangéliser, pour l’Église, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même » (EN 18). Et il ajoutait : « Il n’y a pas d’évangélisation vraie si le nom, l’enseignement, la vie, les promesses, le Règne, le mystère de Jésus de Nazareth, Fils de Dieu ne sont pas annoncés » (EN 22). Tel est l’apport original et propre de l’Église à toute l’humanité.
Deuxièmement, « l’Église est au service du Royaume quand elle fonde des communautés et quand elle institue des Églises particulières qu’elle conduit à la maturité de la foi et de la charité, dans l’ouverture aux autres, dans le service de la personne et de la société, dans la compréhension et l’estime des institutions humaines » (RM 20).
Troisièmement, « l’Église est aussi au service du Royaume quand elle répand dans le monde les ’valeurs évangéliques’ qui sont l’expression du Royaume et aident les hommes à accueillir le plan de Dieu » (RM 20).
Quatrièmement, « l’Église est enfin au service du Royaume de Dieu par son intercession, car le Royaume est de soi don et œuvre de Dieu, comme le rappellent les paraboles évangéliques et la prière que Jésus nous a enseignée » (RM 20).
À partir de ces perspectives, les objectifs de la mission ad gentes s’élargissent de manière extraordinaire et les finalités de bon nombre d’entre eux se clarifient. Sans vision pessimiste de la réalité, un objectif majeur est de servir l’humanité dans toutes les parties du monde en annonçant le Royaume de Dieu et en promouvant la « Civilisation de l’Amour » ; et en même temps des Églises autochtones qui, témoins du message de Jésus, puissent développer d’une manière permanente et originale ce même service évangélisateur parmi leurs propres frères, avec ceux qui se sentent liés par des liens de sang et de culture.
Missions et jeunes Églises inculturées
Cette nouvelle compréhension des missions ad gentes promeut aussi un nouveau système missionnaire orienté par les exigences de l’inculturation et de l’implication dans l’histoire des différents peuples dans lesquels l’Évangile est rendu présent pour la première fois selon le principe paulinien : "Je me suis fait tout à tous afin d’en sauver à tout prix quelques-uns (1 Co 9,22).
En effet, comme nous l’avons déjà vu, ce qui ressortait dans l’ancien modèle missionnaire, c’était son attitude colonisatrice accentuant un rejet des cultures autochtones, collaborant souvent avec l’orientation de l’histoire imposée par les empires aux peuples évangélisés, et introduisant le modèle d’une Église occidentalisée d’une manière uniforme dans toutes les nations. Aujourd’hui, ce modèle est totalement dépassé et même positivement rejeté par un monde qui heureusement est en train de dépasser la mentalité colonialiste, et qui réclame l’autonomie de tous les peuples et ethnies, le respect de toutes les cultures et le droit à orienter sa propre histoire en absolue liberté, dans le cadre d’une convivialité pacifique et solidaire entre toutes les nations.
Cette nouvelle sensibilité anticolonialiste a déjà été reprise par le Concile Vatican II. À partir de 1930 certainement, l’objectif missionnaire de l’implantation de l’Église dans tous les peuples avait été souligné, mais restait encore la question de savoir comment réaliser cette implantation. Le décret Ad Gentes a répondu à cette question en s’appuyant sur le principe théologique de l’Incarnation :
La semence qui est la parole de Dieu venant à germer dans une bonne terre, arrosée de la rosée divine, puise la sève, la transforme et l’assimile pour porter enfin un fruit abondant. Certes à l’instar de l’économie de l’Incarnation, les jeunes Églises enracinées dans le Christ et construites sur le fondement des apôtres, assument pour un merveilleux échange toutes les richesses des nations qui ont été données au Christ en héritage (cf. Ps 2,8). Elles empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs peuples, à leur sagesse, à leur science, à leurs arts, à leurs disciplines, tout ce qui peut contribuer à confesser la gloire du Créateur, mettre en lumière la grâce du Sauveur, et ordonner comme il le faut la vie chrétienne (AG 22).
Afin que la foi du Christ et la vie de l’Église ne soient plus étrangères à la société dans laquelle ils (les laïcs chrétiens) vivent, mais commencent à la pénétrer et à la transformer, ils doivent se joindre à leurs concitoyens avec une charité sincère, afin que dans leur comportement apparaisse un nouveau lien d’unité et de solidarité universelle, puisée dans le mystère du Christ (AG 21).
Cette nouvelle compréhension de la manière de vivre la mission a été fixée plus tard dans l’heureuse expression, riche et suggestive, d’inculturation qui, en de nombreuses occasions, a été proposée par Jean-Paul II, et qu’il a développée plus amplement dans Redemptoris Missio (RM 52-54). À mon sens, inculturation est l’expression la plus pertinente que la théologie a trouvée jusqu’aujourd’hui pour exprimer l’incarnation que la mission doit réaliser dans les différents peuples, et celle qui éclaire le plus le nouveau modèle missionnaire quand elle est reliée directement à l’incarnation missionnaire du Fils de Dieu, modèle normatif de la mission évangélisatrice de l’Église.
Je veux uniquement rappeler, et de manière schématique, quelques-unes des nouveautés les plus importantes qu’implique l’action missionnaire inculturée.
En premier lieu, elle clarifie le grand objectif des missions, que présentait Paul VI : « il importe d’évangéliser... la culture et les cultures de l’homme... partant toujours de la personne et revenant toujours aux rapports des personnes entre elles et avec Dieu. (...) Indépendants à l’égard des cultures, Évangile et évangélisation ne sont pas nécessairement incompatibles avec elles, mais capables de les imprégner toutes sans s’asservir à aucune » (EN 20). Il est évident que ce service ne peut se réaliser « si le nom, l’enseignement, la vie, les promesses, le Règne, le mystère de Jésus de Nazareth, Fils de Dieu ne sont pas annoncés » (EN 22).
En deuxième lieu, l’inculturation exige de s’unir à l’histoire des peuples évangélisés. Dans le décret Ad Gentes, on disait expressément :
Les chrétiens venus de tous les peuples et rassemblés ainsi dans l’Église "ne se disdnguent des autres hommes ni par le pays, ni par la langue, ni par leurs façons de se comporter dans la cité ; aussi doivent-ils vivre pour Dieu et le Christ selon les usages et le comportement de leur pays, pour cultiver vraiment et efficacement en bons citoyens l’amour de la patrie, pour éviter cependant de manière absolue le mépris à l’égard des races étrangères, le nationalisme exacerbé, et promouvoir l’amour universel des hommes (AG 15).
La mission doit se sentir spécialement solidaire des justes revendications libératrices des peuples et nations évangélisés et également des pauvres et des victimes des sociétés dans lesquelles elle s’implante. La mission doit aller de pair avec une option préférentielle pour les pauvres (AG 12) qui, suivant l’exemple de Jésus (Lc 4,16-22), doit se manifester de manière visible et par des paroles évangéliquement prophétiques.
Troisièmement, pour que tout cela soit possible, la mission doit s’ouvrir à un dialogue avec la culture ambiante, avec les religions non chrétiennes et avec les confessions chrétiennes non catholiques (AG), avec, comme objectif, de promouvoir conjointement divers niveaux de solidarité capables de favoriser le climat de liberté religieuse, l’humanisation progressive de la société et la libération des opprimés. Pour que cela soit viable :
L’Église interdit sévèrement de forcer qui que ce soit à embrasser le foi, ou de l’y amener ou attirer par des pratiques indiscrètes, tout comme elle revendique avec force pour qui que ce soit de n’être pas détourné de la foi par des vexations injustes.
Selon la très ancienne coutume de l’Église, on doit examiner avec soin les motifs de la conversion et, s’il est nécessaire, les purifier (AG 13).
Enfin, ce service que l’Église doit rendre à tous les peuples, selon le commandement de Jésus, et que tous les hommes ont le droit de recevoir, ne sera possible dans toute sa plénitude que dans la mesure où les missionnaires encourageront simultanément la promotion de nouvelles églises locales et autochtones, dont les membres, croyants et baptisés, seront fidèles à la fois à l’Évangile, à leur culture et à leur histoire, décidés à vivre dans la dynamique du Royaume de Dieu et à le promouvoir dans leur propre société, tout en respectant la liberté de chacun, entretenant le dialogue et favorisant une solidarité plurielle et ouverte, semence et ferment pour développer la civilisation de l’amour.
Les missionnaires seront uniquement le moyen d’une première présence explicite de Jésus et de son message dans les différents peuples ; mais l’incarnation de Jésus se réalisera au milieu d’eux grâce à leurs propres membres qui auront accueilli avec joie le mystère de l’Évangile, mystère du Christ et de son Église (RM 53).
Nouvelles motivations et collaboration différenciée
Le nouveau modèle missionnaire recèle de précieuses potentialités pour renouveler les vocations missionnaires dans nos communautés. Tout en maintenant une fidélité radicale à l’Évangile, il offre un ensemble de motivations en profonde harmonie avec l’ambiance culturelle où vivent et grandissent nos jeunes chrétiens.
De plus, il offre une variété de possibilités et d’alternatives diverses pour s’intégrer dans une équipe missionnaire où se retrouvent différents charismes et modes d’action, sachant que toutes les composantes se sentent unies par une même vocation.
(Lire la suite de l’article dans Vie Consacrée 1993-2)
Facultad teológica Jesuitas
Paseo de la Cartuza
E. GRANADA, Espagne
[1] Confederación Espanola de Religiosos