Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Théologie de la vie religieuse

Chronique bibliographique

Léon Renwart, s.j.

N°1993-1 Janvier 1993

| P. 48-58 |

La lecture plurielle offerte par cette chronique, détaillée et pénétrante, vient, à sa manière, éclairer les études qui précèdent. L’approche diversifiée à laquelle elle donne lieu fait bien ressortir les traits, parfois contrastés, de ce visage de l’Église où se reflète la générosité de l’Esprit.

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Parmi les ouvrages que les éditeurs ont eu l’obligeance de nous envoyer, ceux que nous présentons se classent assez naturellement en deux groupes : quatre d’entre eux décrivent des formes, anciennes ou nouvelles, de vie consacrée ; les quatre autres étudient la vocation ou certains de ses éléments [1].

I

Des deux parties de Moines dans l’assemblée des fidèles la première, écrite par Jean Legrez, retrace les débuts du monachisme en Syrie, dans la Cappadoce et à Jérusalem, puis son apparition et sa croissance dans la Gaule ; la seconde, de la plume de Jean-Miguel Garrigues, recherche les caractéristiques du monachisme basilical, la manière dont il se distingue de la vocation au désert et se fonde sur la spiritualité baptismale. Il éclaire son exposé par l’exemple de l’Église de Lyon. Ces deux études attirent l’attention sur une forme ancienne et moins connue du monachisme, celui qui s’est développé au sein de la communauté sacramentelle de l’Église locale rassemblée autour de l’évêque. Elles font pressentir la complexité et la richesse des formes adoptées par la vie religieuse à ses débuts, les motivations diverses qui la firent naître et les réalisation variées dans lesquelles elle prit forme. Le célibat pour le Royaume en est une constante, la spiritualité baptismale y est fondamentale ainsi que le sens de la communauté ecclésiale et du rôle que les moines ont à jouer au sein de celle-ci. Avec saint Basile, « l’idéal ascétique évangélique dans toute sa pureté (leur apparaît) comme le bien commun que tous les baptisés sont appelés à vivre, chacun à sa place dans l’Église » (52). Aussi l’accent est-il mis sur le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain plus que sur la pénitence, si caractéristique de l’idéal des Pères du désert. Pour le même saint Basile, « le monde représente tout ce qui est étranger à la foi chrétienne, ou bien tout ce qui est refus de l’Évangile... les membres de la communauté chrétienne, sans appartenir à la fraternité des ascètes, s’ils vivent selon Dieu, ne sont pas considérés comme étant ’du monde’ » (55). Aussi, pour lui, « les ascètes sont des chrétiens comme les autres qui doivent vivre avant tout l’Évangile selon leur vocation propre » (61). Ces vues permettent à ces moines d’avoir respect et admiration pour les anachorètes, la spiritualité du désert et les prouesses de ses habitants tout en se sachant appelés à vivre autrement la radicalité de l’Évangile. C’est une leçon que Vatican II nous a aidés à retrouver.

Dans Les grands Ordres religieux [2]. Claire Lesegretain consacre une première partie à une esquisse de la vie religieuse masculine en Occident. À la suite du P. J.-Cl. Guy, elle y distingue quatre périodes de création entrecoupées de trois temps de mutation. La partie principale de l’ouvrage est consacrée à la présentation de vingt instituts masculins établis en France et à l’interview de leurs supérieurs. Ce sont huit Ordres : Bénédictins, Chartreux, Prémontrés, Dominicains, Franciscains, Jésuites, Carmes et Trappistes ; sept Congrégations : Frères des Écoles chrétiennes, Montfortains, Spiritains, Assomptionnistes, Salésiens, Fils de la Charité, Petits Frères de Jésus ; et cinq Sociétés de vie apostolique : Oratoriens, Lazaristes, Sulpiciens, Eudistes, Missions Étrangères de Paris. Un bref historique de l’institut, de son fondateur et de sa situation est suivi par une interview détaillée du ou des supérieurs. Parmi les centres d’intérêt de l’auteur figurent l’état des effectifs, le problème des vocations, les perspectives d’avenir, les orientations apostoliques, les relations avec l’épiscopat et l’Église universelle. Une brève troisième partie fournit une présentation sommaire d’une vingtaine d’autres instituts ayant au moins soixante membres en France.

On saura gré à l’auteur d’avoir rassemblé dans ces pages une foule de renseignements concrets sur la vie religieuse, les fondateurs, le passé, le présent et l’avenir des instituts sur lesquels elle a fait porter son enquête. On trouvera aussi, pour chacun d’eux, des adresses de contact.

Qu’il n’ait pas été possible d’éviter toujours des imprécisions n’étonnera personne. Signalons-en deux : à propos des vœux, (79) il faut noter que, si tous les religieux sont appelés à prononcer des vœux définitifs, les vœux solennels ne s’émettaient que dans les Ordres proprement dits ; de même (et c’est plus important), les membres des instituts séculiers prononcent eux aussi des vœux publics au sens du Code, c’est-à-dire « reçus par les supérieurs légitimes au nom de l’Église » (c. 1192, 1) : le dernier doute sur ce point a été écarté par la Plenaria de la CRIS en mai 1983. Le terme « statut épiscopal » (155) appliqué aux abbés bénédictins ou trappistes est ambigu : s’ils peuvent avoir droit à certains ornements épiscopaux (mitre et crosse), ils ne reçoivent pas la consécration épiscopale ni le pouvoir d’ordonner des prêtres.

Réunis en colloque à Chantilly en septembre 1991, des membres d’instituts féminins de spiritualité ignacienne ont mis en commun leurs réflexions [3] pour une meilleure connaissance de leur spécificité. En guise d’introduction, A. Demoustier, s.j. se demande : « Qu’est-ce qu’être ignacien ? » Trois critères lui paraissent décisifs : être « formés par les Exercices spirituels à faire des choix qui insèrent socialement le choix premier de suivre Jésus-Christ - dans une vie apostolique elle-même insérée dans la société humaine - comme membres d’une communauté instituée pour cela » (13). Trois exposés présentent ensuite des fondations et le rôle qu’y jouèrent des jésuites : Sœurs de Saint-André (M.-Th. Lacroix), Sœurs de Saint-Joseph du P. Médaille (Th. Vacher), Ursulines d’Anne de Xaintonge (M.-A. Le Bourgeois). Ils sont suivis par une réflexion sur la fonction des textes et la manière de s’y rapporter (Chr. Hourticq ; cf. l’article paru dans Vie consacrée, 1992, 6, 372-387) et une brève présentation de cinq autres instituts. Une table ronde termine cette réunion, qui a permis une meilleure connaissance réciproque et fut surtout une interpellation à poursuivre l’effort entrepris depuis vingt ans en vue d’une collaboration plus étroite. Ces renseignements et ces suggestions rendront aussi service à un plus large public.

L’auteur rassemble dans De seculiere instituten [4] une information claire et objective sur les instituts séculiers, réalité peu ou mal connue du public. Il expose d’abord leur histoire et leur préhistoire. S’ils se rattachent comme les autres formes de vie consacrée aux ascètes et vierges des premiers temps, il faut attendre le XVe siècle pour voir apparaître les premières manifestations d’une vie selon les conseils organisée dans le monde. Les plus connues sont « l’institut séculier avant la lettre » (Paul VI) mis sur pied par Angèle Merici (1474-1540) et les Soeurs de Charité de saint Vincent de Paul (1581-1660). Aux XVIIIe et XIXe siècles, le mouvement s’étend, parfois en réponse à des situations politiques troublées : citons la fondation de la Société du Cœur de Jésus et des Filles du Cœur Immaculé de Marie par le P. de Clorivière à la suite de la Révolution française et les multiples créations du P. Honorat Kosminski (1829-1916) en Pologne (cf. Vie consacrée, 1984, 298). Mais il faut attendre le XXe siècle pour que les instituts séculiers soient, non sans peine, reconnus par la hiérarchie et trouvent place dans le Code de Droit Canon de 1983.

Une seconde partie étudie cette nouvelle forme de vie consacrée. Elle précise ses caractéristiques : sécularité consacrée, apostolat, liens fraternels sans vie en commun. Elle examine les divers aspects de l’organisation interne de ces groupes. À la grande diversité des implantations répond un large éventail de solutions concrètes sur des points comme la discrétion, les membres, leur recrutement, leur formation, leur engagement dans l’institut, le gouvernement de celui-ci, la manière d’y promouvoir la vie spirituelle, points dont le Code souligne l’importance tout en laissant une grande autonomie au droit particulier. Pour mieux situer ces nouvelles fondations, l’auteur les compare brièvement aux simples laïcs, aux religieux et aux autres mouvements reconnus dans l’Église.

Une troisième partie recense les instituts reconnus aux Pays-Bas et en Flandre et signale ceux qui sont en voie de formation.

Remarquablement documenté (près de 325 notes, malheureusement rejetées à la fin du volume), ce livre donne un fort bon aperçu sur cette forme de vie consacrée et rassemble nombre de détails pratiques que l’on est heureux d’y voir réunis. Il soulève toutefois un problème fondamental, qui concerne d’ailleurs toutes les formes de vie consacrée. Comment se situent-elles par rapport à la déclaration de Vatican II que « l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur forme de vie » (LG 40, § 2) ? Comment comprendre cet « appel spécial (extra oproep) qui s’ajoute à la consécration baptismale » (56) ? Est-ce un échelon supérieur (facultatif et laissé à la générosité de l’appelé) ou représente-t-il une manière parmi d’autres de vivre la radicalité de l’appel baptismal ? A plusieurs reprises, l’auteur a des expressions qui laissent planer le doute. Or il ne s’agit pas ici d’une question de mots, mais d’une orientation importante. Ce qui fait la grandeur d’une vocation, est-ce son contenu « en soi » (tout spécialement ses renoncements) ou le fait que telle vie concrète (dans le mariage, le célibat, la vie consacrée...) est ce que Dieu m’offre, à moi personnellement, ce à quoi il m’invite dans son amour ? De la réponse donnée à cette question dépend aussi le souci pastoral envers la sainteté du peuple de Dieu. Parce que trop d’auteurs étaient (et sont parfois encore) persuadés que celle-ci est réservée à une élite de consacrés, les simples laïcs ont été les parents pauvres de la littérature spirituelle, au plus grand dam de tous les chrétiens.

II

Tendre vers le Christ [5], d’Augustin Roberts, o.c.s.o., est une introduction à la profession monastique écrite principalement pour les moines et moniales d’obédience bénédictine et cistercienne. Il part des observances extérieures pour mettre de mieux en mieux en lumière le cœur de cette vocation. La signification de la profession est étudiée dans ses diverses obligations : l’engagement à la conversion de la vie, la chasteté consacrée, la pauvreté, l’obéissance monastique, la stabilité, les moyens à mettre en œuvre. Deux chapitres nouent la gerbe et présentent les rapports entre stabilité et profession ainsi que le défi des vœux.

Ce livre est remarquable à plus d’un point de vue. Il centre les engagements du moine autour du vœu de conversion de la vie. Il met ainsi en lumière l’unité du propos et la manière dont ses diverses parties s’organisent dans la démarche monastique vers le but de toute vie chrétienne, l’épanouissement de l’amour du Christ. Vus de la sorte, les « trois vœux » et les observances claustrales trouvent une place équilibrée dans une marche en avant commandée par l’amour, qui dépasse, en les incluant, les exigences juridiques des engagements. Très réaliste, l’auteur détecte les difficultés de la route et les illusions qui peuvent se présenter, notamment devant les imperfections des membres de la communauté ou dans le désir de changer de monastère ou de vocation.

Dom Roberts a remarquablement intégré les grandes directives de Vatican II, spécialement sur la vocation de tout chrétien à la perfection de la charité. Cela lui permet d’expliciter la manière spécifique dont la vie monastique répond à cet appel divin adressé à tous. Mais il nous semble avoir moins bien tenu compte de la place de l’univers « qui aspire à la révélation des fils de Dieu » (Rm 8,18) telle que Vatican II la suggère. Ne peut-on penser que la mission donnée à l’humanité dès l’origine concerne chaque être humain, sans en excepter moines et moniales dans leurs renoncements ? Dans cette optique, on continuera certes à tenir que le but de toute vie chrétienne est bien « d’établir le règne de Dieu dans la personne tout entière, corps et âme » (159), mais en suit-il que « l’âme du monachisme est d’ anticiper (nous soulignons) ici et maintenant, autant que possible, la vie éternelle du ciel » (ibid.) ? De même, si l’on tient à présenter l’état de virginité consacrée comme« objectivement... plus conforme et plus semblable à celui du Christ que le mariage » (87) - malgré le peu d’intérêt d’une considération « objective » pour un état dont la possibilité dépend essentiellement d’un appel personnel de Dieu -, est-ce bien parce qu’elle « permet à l’homme ou à la femme... d’être le sacrement vivant de l’amour de Dieu au-delà de ce que la sexualité est capable d’exprimer » (ibid.) ? N’oublions pas que c’est dans le mariage que saint Paul voit « un mystère de grande portée... qui s’applique au Christ et à l’Église » (Ep 5, 32). De même, peut-on présenter le renoncement à la volonté propre comme ce qu’il y a « de plus central et de plus important » (121) dans l’obéissance religieuse ? Ainsi isolés de leur contexte, ces mots laissent certes tomber bien des nuances données ailleurs, mais ne rejettent-ils pas dangereusement dans l’ombre le droit et le devoir imprescriptibles, rappelés par Vatican II, qui obligent chacun à suivre sa conscience ? Certes, tenir que, même par nos renoncements, nous n’anticipons pas la vie du ciel, mais que nous collaborons ici-bas, par eux, à la transformation de ce monde ne représente aucune atténuation de leurs exigences, mais cela met mieux en lumière, croyons-nous, la complémentarité des diverses démarches chrétiennes : les religieux rappellent à tous que même les meilleures réalités terrestres n’ont pas leur fin en soi ; les laïcs, pour leur part, témoignent que ce levain venu d’en-haut doit faire lever la pâte que constitue notre existence d’ici-bas.

Le principal mérite de ce livre reste qu’il présente l’idéal monastique et la manière concrète d’y tendre de telle sorte qu’il est évident que le moine ou la moniale ne sont pas un modèle à imiter vaille que vaille, mais un stimulant pour tout chrétien (et pour tout homme de bonne volonté) à montrer la même générosité dans leur propre vocation.

Les deux textes traduits dans Qui cherches-tu ? [6] ont été écrits par Thomas Merton à l’intention des postulants et des novices de la vie monastique. Le premier présente celle-ci comme le fait de prendre l’Évangile profondément au sérieux. Le second examine brièvement les grands principes théologiques sans lesquels cette vie n’aurait pas de sens. Par suite de sa mort accidentelle (1968), l’auteur n’a pas eu la possibilité de faire bénéficier son texte des apports de Vatican II. Il est d’autant plus remarquable de déceler, à maints indices, leur ouverture possible sur ces perspectives enrichissantes. Par exemple, « le moine remplit sa fonction dans l’Église... de la manière particulière que Dieu lui rend possible » (63) permet de nuancer : « la vie monastique est traditionnellement considérée comme la pure vie chrétienne » (25) et de voir en elle, compte tenu de la vocation de tous les chrétiens à la perfection évangélique, chacun dans son état de vie (LG 40, § 2), une manière authentique, parmi d’autres, de répondre à l’appel divin. D’excellentes notations sur « la chair et l’esprit » (à ne pas assimiler au corps et à l’âme ; cf. 47) et sur le « mépris du monde », que le moine cultive « dans le sens où le monde est opposé à Dieu »(69), ouvrent la porte vers une théologie des réalités terrestres et de leur place dans toute vie chrétienne. Mais surtout, le rappel, face aux changements et aux bouleversements déjà prévisibles, de la place centrale du Christ et de son appel aidera le moine (et tout chrétien) à « remplir sa fonction : se maintenir lui-même vivant par son contact avec Dieu »(62) et lui fournira le critère fondamental du discernement entre les observances essentielles et des modalités liées à un temps ou à un lieu.

La recherche de l’unité à l’échelle mondiale est devenue une préoccupation majeure de nos jours. Ce signe des temps interpelle particulièrement les communautés religieuses, qui sont appelées à vivre la communion fraternelle de façon exemplaire pour l’Église et pour le monde. C’est le thème étudié par Fabio Ciardi dans Koinonia [7]. Une première partie examine les deux données évangéliques (le groupe des Douze, la communauté de Jérusalem) qui ont inspiré la vie religieuse. Une seconde parcourt l’histoire et dégage les divers aspects mis en lumière au cours des siècles : le primat de la communion avec Dieu dans la vie des anachorètes, la naissance de la fraternité chez les cénobites, la prise de conscience, avec saint Basile, de l’excellence de la vie commune, le fondement trinitaire à la base de la communauté augustinienne, le monastère bénédictin se présentant comme école du service divin, la fraternité franciscaine vécue comme cloître ouvert sur le monde entier, la Compagnie de Jésus unissant fortement ses membres pour pouvoir les disperser en réponse à tous les appels, les congrégations religieuses joignant l’amour mutuel des membres et leur zèle pour les âmes, les nouvelles communautés répondant aux appels de notre temps. Une troisième partie approfondit la réflexion théologique : elle présente la Sainte Trinité comme archétype de la communauté, qui puise sa vie dans le Christ ressuscité et dans l’Esprit qu’il lui communique. Don de Dieu, l’unité de la communauté est le fruit de la Parole divine, du charisme de la vocation, de l’Eucharistie et du « sacrement du frère ». Aussi la communauté est-elle par nature missionnaire et apostolique. Dans la communion ecclésiale, elle est « mémoire » et signe prophétique de l’unité. Une dernière partie dégage les conséquences pratiques et esquisse le parcours quotidien qui fera de la communauté le lieu de la croissance des personnes dans l’exercice de la charité. Les notes, assez abondantes, sont données à la fin des chapitres, ce qui ne facilite pas leur consultation ; une bibliographie d’une dizaine de pages signale les ouvrages concernant directement les aspects théologiques et spirituels de la vie religieuse sous son aspect communautaire.

Première présentation synthétique de la vision chrétienne du corps et de la corporéité, Per una Teologia della Corporeità [8], de Carlo Rochetta, se divise en deux parties. La première, historique, examine d’abord l’approche du corps dans l’Écriture. Pour celle-ci, l’être humain est un, d’une unité vitale où les dimensions spirituelle et corporelle ne sont jamais séparées mais forment un être constitutivement en rapport avec l’univers créé, avec les autres, notamment dans la réciprocité des sexes, et avec le Dieu dont il dépend dans son existence et son agir. Dans l’histoire postérieure du christianisme intervinrent plusieurs influences dualistes qui mirent cette unité en question : le gnosticisme, pour qui la matière est mauvaise ; la pensée platonicienne, qui voit dans le corps un instrument temporairement utilisé par l’âme. La géniale synthèse de saint Thomas sur l’unité de l’être humain ne réussit pas à s’imposer aux penseurs suivants. On vit renaître un certain dualisme, notamment dans les mouvements pénitentiels et leur culpabilisation du corps. Au XVIIe siècle, Descartes, en vertu de son « Je pense, donc je suis », réduisit l’essence de la personne au « je pensant », solitaire (car en principe il se suffit à lui-même et n’a pas besoin du corps pour son activité propre). Son influence n’a pas cessé de se faire sentir dans la culture occidentale et même dans l’opinion des chrétiens sur le corps. Une réaction est cependant en cours, dans les sphères philosophiques et dans l’Église. On commence à y retrouver le sens et la place du corps dans la prière, la liturgie, les sacrements, grâce notamment aux progrès de l’exégèse et de la réflexion dogmatique.

Une seconde partie développe les perspectives théologiques. Le récit biblique de la création révèle la place centrale attribuée à l’humanité, appelée à coopérer à l’achèvement du monde et à devenir le « partenaire » de Dieu. Le moi personnel de chacun s’exprime et se réalise dans et par son corps, « symbole réel » de ce qu’il est ; par lui, il entre en relation avec l’univers sensible, avec les autres et avec Dieu lui-même. La distinction des sexes est une dimension constitutive de l’homme et de la femme, un appel à l’amour et à la communion, une valeur confiée à leur responsabilité, finalement aussi le lieu de sa nostalgie du Tout-Autre. Le péché originel est toutefois intervenu et a eu de profondes répercussions sur la vie individuelle et sociale. Mais le Fils de Dieu fait homme nous sauve par une « nouvelle création » : le Christ est corporellement le sacrement de notre rédemption, que l’Église, corps ecclésial et corps eucharistique, rend visible pour tous les siècles. Ceci se réalise sous de nombreux aspects : le corps des baptisés, le corps dans le mariage ou la consécration virginale (avec de brèves notations sur le sens des vœux), le corps dans la maladie et la mort, puis dans la résurrection. La Sainte Vierge, montée au Ciel, y est devenue l’icône du peuple de Dieu.

Ce livre contient des pages remarquables sur le plan de Dieu dans la création, notamment un commentaire du Cantique des Cantiques au sens littéral, lu comme le poème de la beauté et de la bonté de l’amour conjugal. Il remet bien en lumière la notion biblique de l’être humain dans son unité psycho-somatique, mais il révèle aussi par le fait même combien notre vocabulaire et nos mentalités ont peine à se dégager d’une optique dualiste. En ce qui concerne le péché originel et son influence sur nous, l’auteur aurait pu, à la suite de bons exégètes, mettre mieux en lumière la place centrale du Christ dans l’œuvre de notre salut. Si les auteurs du péché d’origine transmettent à tous leurs descendants une nature blessée, ne sont-ils pas plus puissants pour le mal que le Christ ne l’est pour notre rédemption, qui ne bénéficie qu’à ceux qui l’acceptent ? La réponse à cette difficulté classique ne se trouverait-elle pas dans une doctrine, remise en lumière par Vatican II, et à laquelle l’auteur fait çà et là allusion, celle de l’unique plan de Dieu dans la création. En faisant exister l’univers, le Père a librement appelé tous et chacun des hommes à partager l’amour qui est la vie même de la Trinité. Pour cela, il nous a créés libres, c’est-à-dire capables de l’aimer. L’incarnation du Verbe, premier-né de toute créature, est donc d’abord destinée à donner la possibilité aux êtres de chair et de sang que nous sommes de devenir fils adoptifs dans le Fils incarné. Dans cette optique, la considération du péché, sans être secondaire, est seconde. Tout aussi exigeante, cette vue positive est plus encourageante, car elle nous invite à répondre à l’amour par l’amour, ce qui rend mieux gloire à Dieu, à sa fidélité et à sa bonté.

Le grand mérite de cet ouvrage est de remettre en lumière les perspectives fondamentales d’une théologie de la corporéité et de laisser pressentir les conséquences qui en découlent pour une attitude pleinement chrétienne en face de toutes les réalités de ce monde dans lequel, par lequel et avec lequel nous avons à faire notre salut en réalisant le plan de Dieu sur sa création. Le domaine qu’il nous fait découvrir est plein de promesses et encore largement inexploré, notamment dans ses conséquences pour la vie religieuse.

Rue de Bruxelles 61
B-5000 NAMUR, Belgique

[1Garrigues, J.-M. ; Legrez, J. Moines dons l’assemblée des fidèles. À l’époque des Pères. IVe-VIIIe siècle. Coll. Théologie historique, 87. Paris, Beauchesne, 1992, 22 x 14, 229 p., 120 FRF.

[2Lesegretain, Cl. Les grands Ordres religieux. Hier et aujourd’hui. Paris, Fayard, 1990, 24 x 15, 457 p., 120 FRF.

[3La vie religieuse ignacienne féminine. Colloque de Chantilly, 13-15 septembre 1991. St-Didier-au-Mont d’Or, Secrétariat ignacien, 1992, 30 x 21, 79 p.

[4Lauvrijs, B. De seculiere instituten. Het religieuze leven van de 21ste eeuw ? Brugge, Uitg. Tabor, 1991, 21 x 13, 159 p.

[5Roberts, A., o.c.s.o., Tendre vers le Christ. Une introduction à la profession monastique. Coll. Voix monastiques, 4. Québec, Abbaye N.-D. du Lac, 1992, 22 x 14, 243 p.

[6Merton, Th., o.c.s.o. Qui cherches-tu ? Vocation et spiritualité monastique. Coll. Voix monastiques, 5. Québec, Abbaye N.-D.-du-Lac, 1992, 22 x 14,74 p.

[7Ciardi, F. Koinonia. Itinerario teologico-spirituale della communità religiosa. Coll. Collana di teologia, 23. Roma, Città Nuova, 1992,21 x 14,334 p., 32.000 ITL.

[8Rochetta., C. Per una Teologia della Corporeità. Torino, E. Camilliane, 1990, 21 x 15, 229 p., 22.000 ITL.

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