Faire corps : une question de vie ou de mort
Peter Hans Kolvenbach, s.j.
N°1991-6 • Novembre 1991
| P. 243-354 |
L’adresse historique du Père Général aux Jésuites belges, réunis pour l’accueillir à l’occasion des jubilés ignatiens, souligne le caractère capital d’une « passion pour l’union » du corps apostolique de la Compagnie, en vue d’accomplir l’œuvre de Dieu. C’est là « une question de vie ou de mort », comme l’attestent le cheminement d’Ignace et de la Compagnie naissante, mais aussi l’itinéraire des Exercices : le corps des Apôtres uni au Christ n’est-il pas le prototype du corps de la Compagnie de Jésus ? Ainsi, les Constitutions montrent-elles dans la Compagnie elle-même une union à faire malgré les obstacles, un corps apostolique au service des missions pontificales, un lieu où se laisser conduire par l’imprévisible mais unique Esprit. L’union des cœurs et des esprits devient alors un critère de l’apostolicité du travail et du discernement de l’avenir, lorsque le corps universel est appelé à vivre l’infini dans le plus particulier : « c’est cela qui est divin ».
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Sans doute les deux Provinces belges de la Compagnie ont-elles célébré l’année ignatienne par de nombreuses initiatives : publications, conférences, expositions, sans oublier les cantates. Pourtant, l’expression la plus heureuse et la plus juste de notre reconnaissance pour la naissance providentielle d’Ignace et pour l’approbation pontificale de cette nouveauté dans l’Église que sera la vie apostolique est de faire et de refaire ce que nos premiers compagnons, dans leur délibération de 1539, ont appelé en termes lapidaires : nos reducere ad unum corpus, « nous ramener à un seul corps ». Nous en saurons davantage lorsque l’Institut Max Planck aura terminé son étude du vocabulaire de tous les écrits d’Ignace, mais dès maintenant, il semble bien qu’Ignace ne parle jamais de l’« unité » de la Compagnie, mais d’« union », ou plus souvent encore de « s’unir », convaincu que la Compagnie aura sans cesse à faire et à refaire sa vocation d’être un corps apostolique, à commencer et à recommencer sa mission d’être un corps pour l’esprit.
Il faut reconnaître avec une gratitude profonde qu’en dépit de tant de courants qui divisent l’humanité et de tant de tensions qui traversent l’Église, malgré l’appartenance des jésuites à tant de cultures et de langues diverses, à tant de régimes politiques et de conditions ecclésiastiques différentes, la Compagnie ne connaît pas en ce moment les déchirements et les séparations dont tant d’autres souffrent.
Cette passion pour l’union est stimulée par tout un courant dans le monde politique qui porte son regard sur des unités continentales - l’unité européenne - des alliances et des marchés communs, annonçant déjà « la maison commune de l’humanité » et « le village global de l’avenir ».
Dans le réalisme et dans la foi
Mais cette marche vers l’unité, tantôt forcée, tantôt motivée par le désir d’avoir, se heurte à la résistance de ceux qui ne veulent pas se perdre ou qui ne veulent rien perdre et érigent alors en obstacles insurmontables les particularités et les régionalismes. Le point de vue d’Ignace part, comme d’habitude, d’un réalisme dans la foi.
Un réalisme qui lui fait constater dans les Constitutions que « l’union des membres de cette congrégation avec leur tête et entre eux, est difficile, étant donné leur dispersion dans les diverses parties du monde parmi les fidèles et les infidèles » (655).
Une foi qui lui fait découvrir que cette union du corps apostolique n’est pas d’abord un effort à faire, mais avant tout un don à recevoir. C’est « la sagesse et la bonté souveraine de Dieu notre Créateur et Seigneur (qui doit) maintenir, conduire et faire avancer dans son saint service cette très petite Compagnie de Jésus comme elle a daigné la faire naître » (134).
L’union du corps apostolique, toujours à établir et à rétablir, sans exclure les moyens humains - en les utilisant au contraire largement - se fonde alors, selon les paroles mêmes d’Ignace, sur « une grande union à Dieu et une grande familiarité avec lui dans la prière et dans toutes ses actions afin que de Dieu, comme de la source de tout bien, il (le Père Général) obtienne d’autant mieux une abondante participation de ses dons et de ses grâces pour tout le corps de la Compagnie » (723). C’est dans ce réalisme de la foi qu’Ignace osait demander ce qui était humainement difficile, voire impossible : s’unir, sans se lasser, pour accomplir la tâche apostolique, car la Compagnie ne peut atteindre la fin qu’elle poursuit pour la plus grande gloire de Dieu si ses membres ne sont pas unis entre eux et avec leur tête (655).
Dans la même ligne de réalisme et de foi, Ignace n’hésite pas à nous confronter avec une tension indispensable dans notre travail en tant que jésuites, à savoir une disponibilité universelle et l’insertion dans une tâche particulière ; un souci universel qui vise toute personne humaine sans exception et toute la personne humaine sans la réduire à une de ses dimensions, et l’indispensable inculturation qui doit prendre corps en telle culture et en telle langue, en telle œuvre particulière et en tel effort individuel. S’unir alors pour pouvoir accomplir une œuvre pour Dieu, mais aussi s’unir afin que Dieu puisse prendre corps, car il s’agit aussi d’une œuvre à accomplir par Dieu.
Faire corps
Essayons de voir d’un peu plus près cette union du corps qui est pour Ignace comme pour nous une question de vie ou de mort.
Faire corps sera une de ces surprises dont la vie d’Ignace et de ses premiers compagnons est riche. Étudier, devenir prêtre, faire des vœux, fonder une famille religieuse, être élu général, bâtir des collèges : ce sont, pour Ignace, autant d’événements inattendus, autant d’appels de Dieu discernés.
Il serait pourtant inexact de croire qu’Ignace voulait travailler seul. Jean de Polanco, résumant les débuts de la vie apostolique d’Ignace, mentionne, en même temps que son désir d’aider les autres, celui de se faire aider pour rendre cette aide plus féconde : juntar algunas personas a su compania, c’est-à-dire « réunir quelques personnes pour vivre avec lui afin de suivre le dessein qu’il avait alors d’aider à réformer les fautes qu’il voyait dans le service de Dieu et afin qu’ils fussent comme des trompettes de Jésus-Christ » (Fontes narrativi, I, 170). Une première tentative de faire corps sera sans lendemain. Pourtant cette première union, même éphémère, est si forte qu’Ignace ne reste pas seul dans la prison d’Alcala, un de ses compagnons se joint volontairement à lui. Il n’est pas nécessaire de montrer que non seulement la vie apostolique naissante d’Ignace, mais aussi son expérience spirituelle ne justifient nullement une conception individualiste de la spiritualité ignatienne. Il est certain que les Exercices Spirituels, comme aussi le petit Gerson, qu’Ignace fréquentait si assidûment, ont puissamment aidé la personne humaine à se découvrir en tant que personnalité en présence du Seigneur Créateur et Rédempteur. Le « moi » fortement accentué dans la rencontre avec la divine Majesté n’est pas un « moi » qui se ferme sur lui-même.
Un corps apostolique
Ignace déploie d’abord devant nos yeux toute l’histoire de la dé-création qui conduit à la mort et nous fait découvrir notre responsabilité personnelle en cette histoire pervertie car, par nos connivences, nous en sommes solidaires et parties prenantes. Surgit alors la contemplation du Règne pour nous appeler personnellement à assumer notre responsabilité dans l’œuvre de la re-création qui naît sans aucun doute d’un amour personnel, d’un engagement personnel à la suite du Christ, et nullement d’un intérêt individuel - ou en vue d’une sainteté individualisée - mais d’un appel à participer à l’œuvre évangélique - annoncer la bonne nouvelle aux pauvres - et pour « être mis avec le Fils » toujours à l’œuvre pour le salut de tous et de toutes. À en croire les sources ignatiennes, c’est le corps apostolique - au sens de corps des apôtres dans le langage d’Ignace - qui est comme un prototype du corps de la Compagnie de Jésus. La place des apôtres dans les Exercices Spirituels n’est pas seulement la conséquence d’une dévotion envers eux, mais une caractéristique du mystère de la vie du Christ qu’Ignace découvre comme essentielle pour la Compagnie naissante.
Vivre aux côtés du Seigneur comme l’ont fait les apôtres, c’est se laisser rassembler autour du Christ comme un corps pour être dispersés par son Esprit dans le monde entier, comme l’ont été les apôtres. Ce prototype était si présent aux premiers compagnons qu’ils se consolaient de leurs patients efforts pour se mettre d’accord pendant la délibération de 1539 en se rappelant les tensions habituelles qui existaient entre les apôtres. Ignace y lisait cette synergie du corps apostolique de la Compagnie avec le Seigneur toujours à l’œuvre, car les apôtres ne seraient rien en eux-mêmes sans le Christ, mais d’autre part, le Christ et sa bonne nouvelle ne seraient rien pour nous sans l’œuvre des apôtres. Sans le kérygme dont ils sont les auteurs - non pas des échos mécaniques, mais des personnalités, des créateurs dans leur inébranlable fidélité au Ressuscité - Jésus ne serait rien pour nous. Les Actes des Apôtres nous révèlent cette union du corps des Douze, souvent ébranlée, toujours refaite dans le discernement de l’Esprit. Ignace a voulu apprendre d’eux l’œuvre de l’Esprit qui, jusqu’à nos jours, commande seul, parmi nous et pour nous, le paradoxe de liberté et de structures que reflètent les Exercices Spirituels et les Constitutions.
Faut-il alors s’étonner que, dans les Constitutions, Ignace tire toutes les conséquences d’une vie d’apôtre ? Il ne l’institutionnalise pas. D’abord parce qu’il conçoit cette vie comme une certaine voie vers Dieu, sans nier l’existence d’autres voies qui reflètent, elles aussi, une dimension de l’inépuisable richesse de celui qui seul est la voie. Mais aussi parce qu’Ignace maintient dans notre manière de procéder, dans notre style de vie et de travail, toutes les tensions qui sous-tendent l’engagement apostolique.
Les défis à dépasser
Cette manière, c’est moins un chemin à suivre ou un programme à exécuter proposés par les Constitutions qu’un certain nombre de défis qui ne nous laisseront jamais en repos et nous pousseront toujours vers un mugis, vers une forme nouvelle de service qui, à son tour, sera dépassée par un surcroît de service.
Nous connaissons par cœur ces tensions : être un contemplatif en action en est une, comme aussi ce défi proposé par les Exercices Spirituels : une extrême pauvreté spirituelle et son incarnation dans une forme effective inspirée par l’Esprit du Seigneur pour son œuvre dans le monde et non par mes goûts ou mes préférences les plus saintes.
Nous avons déjà rencontré cette disponibilité universelle et l’indispensable inculturation de tout travail. Ces défis, qui semblent parfois contradictoires, portent aussi la manière typiquement jésuite de faire corps. En revoyant la façon dont est née la Compagnie, l’observateur pourrait avoir l’impression que les amis dans le Seigneur évoluent lentement mais sûrement vers une institution hiérarchique fortement structurée. C’est comme si, au fur et à mesure de cette évolution, la personne disparaissait devant les exigences du corps. Les Constitutions soulignent en effet que « ce qui vient en premier lieu, ce qui est le plus important pour nous dans l’ordre des fins, concerne le corps universel de la Compagnie » (135). Certaines expressions des Constitutions, c’est bien connu, donnent l’impression que la Compagnie existait avant ses membres, surtout lorsque le texte parle de « ceux qui se réunirent les premiers dans cette Compagnie » (53). Les Constitutions ne décrivent pas la Compagnie comme une grande famille vivant ensemble dans une chaude unanimité ; pourtant elles ne suppriment nullement les mille délicatesses qu’avaient les premiers compagnons les uns envers les autres, quand ils se soutenaient mutuellement par des échanges spirituels et par l’entraide matérielle (FN, I, 102-105).
La charité dans la diversité
Ce sont des gestes bien concrets qu’évoquent les Constitutions lorsqu’elles parlent d’amour mutuel et de charité. En appelant la Compagnie de Jésus une « compagnie d’amour », François Xavier visait concrètement « l’union qui est tellement nécessaire dans le Christ notre Seigneur pour que se maintienne le bon état et le bon fonctionnement de la Compagnie » (657). Loin d’écraser la personne, Ignace voudrait que tous et chacun puissent s’épanouir justement en s’incorporant à cette union à faire qu’est la Compagnie. Il dit alors : « La diversité unifiée par les liens de la charité sera une aide pour chacun d’eux » (624). Tout en admettant par ailleurs que ce désir d’union rencontre bien des obstacles dans les caractères : « une raideur marquée » (184), « des personnes qui n’ont pas mortifié leurs vices » (657), ou bien « le fait que souvent, ils seront savants, qu’ils auront la faveur des princes et des grands... » (656). Sans songer à embrigader les compagnons de force - Ignace savait que plusieurs parmi eux avaient de fortes personnalités-, il voulait pourtant, « grâce à l’union dans un même sentiment et un même vouloir », s’assurer que les compagnons puissent « se maintenir et aller de l’avant dans le service de notre Seigneur » (424). Car, au fond, cette union dont parle Ignace n’est pas un but en soi : elle est pour le Tout Autre, et pour les autres qui sont ses fils et filles. Alors les vœux des scolastiques et des frères en formation ne se contentent pas d’exprimer un don solitaire de soi-même sous le regard de Dieu, mais ils disent un engagement personnel d’entrée dans le corps apostolique de la Compagnie. Alors les vœux définitifs des pères et des frères mettent cette incorporation dans le corps apostolique de la Compagnie au service des missions données par le Vicaire du Christ sur terre. Ainsi ce corps apostolique n’a de sens que par celui qui est Tout Autre, reconnu dans les autres, surtout lorsqu’ils ne reconnaissent pas ou pas encore le Tout Autre comme leur Créateur et Rédempteur.
Un corps conduit par l’Esprit
Ignace demande alors « un même sentiment et un même vouloir » (424) lorsqu’il s’agit de continuer l’œuvre du Christ auprès « de tous les hommes qui sont - par le fait même d’être hommes - notre prochain ». Sur ce point les Exercices Spirituels et les Constitutions coïncident : pour les compagnons, aimer Dieu le Tout Autre et s’unir à lui, c’est le servir dans son œuvre auprès des autres ; peu d’effusions, peu d’extases, mais un mouvement laborieux qui porte sans cesse à « étendre » à l’humanité l’amour qui brûle dans la Trinité sainte, pour la « ramener à un seul corps, celui du Christ, dans son Esprit, à la gloire du Père ».
Concrètement, Ignace vivait ce mouvement comme la recherche progressive d’un accord qui n’est nullement le résultat d’un compromis ou d’un marchandage, mais le fruit d’un discernement. Ignace était plus sobre que nous dans l’emploi de ce mot, car il connaissait par expérience le prix à payer pour scruter et pour trouver, dans la consolation comme dans la désolation, les « inclinations » de l’Esprit. Peu importe les formes que le discernement prendra, il suppose toujours une personne « mortifiée afin qu’elle ne soit vivante qu’en Dieu » ou bien une personne « libre car libérée de tout ce qui empêche une vie dans l’Esprit ». Plus sobrement, les sources ignatiennes présupposent que celui qui participe à un discernement accepte de remettre en question ses certitudes, pas seulement parce qu’il croit que l’autre aussi a quelque chose à lui dire au nom du Seigneur, mais surtout parce qu’il croit que la mise en question de sa certitude dans l’Esprit le conduira vers une vérité plus universelle, vers un engagement plus authentique et un plus grand service.
Ignace nous voit volontiers comme des hommes de désir, ou bien « ayant le désir du désir ». Il nous laisse prier et demander « ce que je désire », tout en nous mettant parfois sur le chemin. Mais si Ignace prend tant de précautions au début du discernement afin que l’Esprit du Seigneur puisse imprimer les sentiments du Christ sur nos choix et sur nos décisions, il ne considère pas le terme de celui-ci comme définitif. Si, dans les Exercices Spirituels, il nous aide à commencer la phrase, mais d’une manière telle que Dieu seul puisse l’achever, dans la pratique de la Compagnie naissante, les compagnons acceptent toujours qu’une incertitude subsiste pour que Dieu puisse bouleverser leur plan et tout remettre en question de nouveau.
Tout cela, non pour éviter de prendre une décision ou pour rester dans un clair-obscur commode, mais pour mieux se laisser conduire par l’Esprit.
Si Ignace avait voulu durcir ou raidir le langage de son premier projet, jamais les collèges n’auraient pu surgir dans la Compagnie comme un ministère à privilégier.
Dans le dépassement des conflits
Reconnaissons que nous ressemblons au peuple élu, désireux somme toute de retrouver l’esclavage du Pharaon pour jouir d’une sécurité immédiate plutôt que de continuer à marcher sur un chemin extrêmement exposé et plein d’imprévus mais qui mène à la liberté véritable. Plusieurs ne supportent pas ou ne supportent plus cette recherche continue de ce que Dieu veut, cette perpétuelle remise en question de nos œuvres, ce regard sans cesse braqué sur les contours de l’avenir. Pourtant c’est là notre vocation, elle n’est pas seulement au service de ce que nous faisons présentement, mais elle est toujours au service de tant d’autres qui, dans l’Église, ont à faire face aux mêmes problèmes de la nouvelle évangélisation et de la pénurie de vocations, de la retombée dans la routine de nos meilleurs efforts et du vieillissement, et qui ne trouvent pas toujours dans leurs spiritualités ce qu’Ignace a mis à notre disposition. De toute manière, c’est seulement en tant que corps apostolique et universel que nous pouvons faire face à ce qui advient dans l’Église et dans le monde. Lorsque, au niveau d’une province, les jésuites se rassemblent pour élaborer un plan ou un projet apostolique, ils se découvrent normalement très divers. Si foi et justice ne divisent pas les esprits, de grandes divergences se manifesteront sur la manière de proclamer la foi et de promouvoir la justice. Un désaccord peut facilement exister sur les priorités à donner à tel travail, à tel ministère ou à telle idée.
Ignace ne nous demande pas de faire abstraction de ces conflits tout simplement pour avoir la paix. Il savait que les hommes peuvent avoir des raisons banales et intéressées de se mettre d’accord et des raisons très graves de se désunir. Il nous demande de dépasser le conflit car, puisqu’un même Esprit est à l’origine de tous ces désirs, l’opposition ne sera pas permanente si, cohérents avec notre vocation, nous osons situer tous ces problèmes au niveau de la sollicitude de toutes les Églises et de l’universalité des missions que le Pasteur universel ne cesse de nous confier.
Au service de la mission
Ces missions qui nous sont confiées concernent aussi bien la mise en œuvre du Concile de Vatican II en toute son ampleur que la recherche d’une manière d’annoncer la bonne nouvelle au Premier Monde ; aussi bien l’aide aux Églises en détresse que le dialogue avec les grandes religions qui ne vivent plus seulement dans les pays lointains mais sont présentes dans nos rues ; aussi bien le souci d’être des maîtres de la prière apostolique que la volonté d’assurer la dimension sociale de la bonne nouvelle et la promotion de la justice. Ce sont ces missions qui méritent notre union des cœurs et des esprits et qui devraient servir de critères lorsqu’il s’agit d’évaluer le sens apostolique de notre travail et de discerner l’avenir de nos œuvres.
Une spiritualité incarnée maintenant
Accueil et échanges, communication et attention doivent nous disposer à écouter ce que l’Esprit dit maintenant, ici et là, à son Église, au service de laquelle la Compagnie comme corps - et chacun de nous comme membre de ce corps - est appelée à vivre, à travailler et même à souffrir. Si la mission est confiée au corps de la Compagnie, chacun avec son tempérament et sa santé, avec sa richesse et sa faiblesse, avec sa culture et son histoire n’en pourra assurer qu’une part limitée dans un endroit déterminé. Il est important que, dans la Compagnie, toute situation - ou travail - conforme à notre charisme, soit considérée par tous comme faisant partie d’une mission que nous portons ensemble et reconnue comme celle de toute la Compagnie.
Des efforts multiples dans une grande diversité de tâches et de situations, mais au fond une seule mission pour l’Église et pour l’humanité ; chacun y participe en donnant le meilleur de lui-même, en bonne santé ou en maladie, qu’il soit jeune ou plus âgé, « allant de l’avant dans le service divin » (281). Il ne s’agit pas d’un langage héroïque destiné à gonfler de courage les forts et à emballer les médiocres. C’est bien dans le quotidien, voire dans la routine des tâches journalières, que la Compagnie garde le regard toujours tourné vers l’avènement de Dieu dans l’humanité. Elle n’a pas d’autre but. En tant que corps, nous devons en témoigner.
L’annonce de l’Évangile, surtout dans le Premier Monde où tout se mêle et se croise, a tendance à s’enliser facilement dans les médiations, les tâches et l’œuvre qu’il faut faire tourner. Il ne faut pas que la complexité des approches paralyse le dynamisme du corps pour l’esprit, la clarté, la vigueur de l’annonce. Notre fondateur était un pèlerin en route vers Dieu qu’il voulait « trouver en toutes choses » ; nous devons avoir le courage de nous servir des médiations, même les plus complexes et les moins attirantes, lorsqu’il s’agit de la plus grande gloire de Dieu. Mais les médiations ne devraient pas étouffer l’esprit du corps de la Compagnie.
Nos reducere ad unum corpus : nous ramener à un seul corps. C’est le sens de cette rencontre dans l’année d’Ignace. Ce corps est appelé à vivre de l’infini de Dieu, mais à la suite du Fils par une spiritualité incarnée dans le « maintenant » et le « ceci » du choix concret. « Être aux dimensions du plus vaste, mais se tenir au plus étroit, c’est chose divine ». Voilà comment, en 1640, un jésuite belge a résumé la spiritualité d’Ignace. Il ne croyait pas si bien dire le mystère du Verbe incarné que le corps de la Compagnie est appelé à continuer avec lui, en lui et pour lui.
Borgo Santo Spirito, 5
I-00193 ROMA, Italie
RECTIFICATIF
L’auteur de l’article sur Le discernement des vocations religieuses et sacerdotales grâce aux Exercices spirituels, paru dans notre dernier numéro, nous écrit : "J’aimerais corriger un passage de mon récent article de Vie consacrée (1991/5). À tort, j’ai écrit, page 299, que la névrose de culpabilité constituait une contre-indication claire à toute vocation sacerdotale ou religieuse. C’est simplement une erreur. À supposer le diagnostic établi, une névrose se soigne et beaucoup se guérissent. La vie consacrée ne suppose ni des héros, ni des êtres en parfaite santé. Elle est ouverte à qui est assez pauvre pour trouver son bien et son équilibre dans la miséricorde du Christ, la vie commune et le service du prochain. La tradition de l’Église n’a jamais affirmé la nécessité d’une bonne santé ou d’un bon caractère pour la profession des conseils évangéliques. Je vous remercie de publier cette retractatio et vous prie de croire à mon religieux respect.”
A. CHAPELLE, S.J.