Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Le discernement des vocations religieuses et sacerdotales grâce aux Exercices spirituels

Albert Chapelle, s.j.

N°1991-5 Septembre 1991

| P. 298-310 |

Les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola inspirent cette pratique du discernement, dans la vie courante, d’une vocation religieuse ou sacerdotale déterminée. Au-delà des présupposés humains et chrétiens, les critères intellectuels et affectifs éclairent le chemin de la mémoire et du pardon qui conduit au choix de Dieu même, dans un lieu et un temps donnés. Sans préjudice d’une pastorale des vocations ou des exigences de la direction spirituelle, l’auteur indique heureusement les conditions de l’accompagnement ecclésial au temps de l’élection.
Intervention de l’auteur dans le cadre d’un « atelier » consacré à la pratique des Exercices Spirituels pour le discernement des vocations religieuses et sacerdotales lors du « Symposium sur la pratique des Exercices Spirituels de saint Ignace », organisé du 1er au 6 avril 1991 par l’Institut d’Études Théologiques de Bruxelles.

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Le propos de ces pages est circonscrit. Il s’agit de l’aide apportée, grâce aux Exercices Spirituels [1], à quelqu’un déjà mobilisé par la question d’une vocation au service de Dieu. Cet article fait abstraction de la direction spirituelle, et il laisse de côté le domaine de la pastorale des vocations. Nous nous tiendrons à la situation précise du discernement de l’appel reçu et de la réponse à lui donner.

Avant le travail d’élection proprement dit, et sa cristallisation éventuelle dans une retraite, se place la question des aptitudes. Il nous faut d’abord l’évoquer.

Présupposés humains et chrétiens : les aptitudes

Les présupposés humains et chrétiens du discernement et l’usage des Exercices à cet effet sont ceux que présume une élection au sens ignatien traditionnel [2]. Les annotations 13 à 20 des Exercices en esquissent les grands traits [3].

Je suppose un chrétien ou une chrétienne capable de déterminer librement l’orientation de sa vie. Cela implique bien des conditions physiques et psychiques, intellectuelles et morales. Le sens religieux doit être présent ainsi que la confession de la foi catholique.

À ce niveau du travail d’élection, il ne s’agit pas encore de discernement ni de choix. Chercher et trouver la volonté de Dieu, c’est d’abord vérifier un certain nombre d’aptitudes à recevoir une vocation divine, à la vie consacrée ou au ministère sacerdotal. À cet égard, je mentionnerai trois notations.

  • Une déficience, par exemple psychique (affabulation ou névrose de culpabilité), peut apparaître d’emblée. Avec prudence on considérera qu’elle suffit à dispenser d’une recherche ultérieure.
  • Parmi les aptitudes d’une vocation à la vie consacrée ou sacerdotale, je place la profession de la foi catholique. Sinon, il me paraît superflu de vouloir faire élection (cf. E.S. 170).
  • L’illusion sur la possibilité concrète de concilier ou d’unir mariage et vocation religieuse, mariage et ministère sacerdotal, dissuade de pousser plus loin la recherche.

Tout ce qui est théologiquement possible n’est pas praticable aujourd’hui dans l’Église. Donc l’Esprit Saint n’y appelle pas. Qui s’y penserait appelé par Dieu est dans l’illusion. La rigueur de ce propos peut surprendre. Elle est née de la compassion pour des jeunes gens et des jeunes filles engagés dans d’interminables recherches et ensuite dans d’affreuses déceptions qui éloignent de l’Église.

Il faut dire la même chose à propos de l’ordination des femmes. Quelle que soit notre option théologique, l’Église n’y procède pas et ne le fera pas durant la jeunesse de l’interlocutrice. Le Saint Esprit ne convie personne à poursuivre un rêve impossible, étranger au réel. Même s’il était possible d’imaginer pour l’avenir une modification de la règle liturgique, il n’est pas juste de laisser quiconque engager sa vie sur ces pressentiments et contre la voix des pasteurs de l’Église.

Les aptitudes à une vocation sont des indications providentielles. L’absence d’une aptitude peut exclure d’un état de vie. Sa présence ne préjuge ni de la volonté de Dieu sur cette personne ni de la réponse de celle-ci. Ce discernement appartient à ce que saint Ignace appelle « le travail de l’élection ».

Le travail de l’élection

Les aptitudes étant supposées présentes, ou du moins n’apparaissant pas absentes, la question prend une actualité forte : « que faire ? » Répondre à cette question, c’est trouver et accepter, après l’avoir cherchée, la volonté divine.

Chacun sait la place des élections dans les Exercices et le long chemin nécessaire avant d’y parvenir. Nous allons, dans la vie courante, pratiquer l’équivalent de ces préparatifs à l’élection. Je dis « dans la vie courante ». Ce qui signifie pratiquement à travers une série de rencontres dont le rythme est variable (par exemple tous les quinze jours) et dont la durée est de quelques mois.

La cinquième annotation et la troisième addition (E.S. 5 et 75)

Le premier moment, conformément à la cinquième annotation [4] et à la troisième addition [5], est de faire acte de présence à Dieu. Car une « vocation » signifie une initiative, un appel de Dieu et donc d’abord la présence de Dieu et de son Christ. Avant de vouloir exister pour Dieu, il faut avoir reconnu que Dieu existe pour nous. Qui s’imaginerait encore Dieu étranger aux engagements des hommes ne doit pas perdre son temps à « chercher et trouver » une hypothétique volonté de Dieu.

Le travail de la mémoire commence ici : « ai-je déjà rencontré Dieu ? Dieu m’a-t-il visité ? parlé ? touché ? » Si l’on constate l’absence d’une vie réelle de prière et de foi, il ne faut pas avancer davantage. Souvent cependant la mémoire n’a pas été exercée ; il faut l’aider à rappeler les consolations [6] anciennement reçues.

Principe et fondement : la raison

Si Dieu existe pour nous, il nous aime. A-t-il une volonté sur nos vies ? une volonté déterminée ? une volonté déterminée et bienfaisante ? une volonté déterminée, bienfaisante et préférable à toute autre [7] ? S’il en est ainsi, Dieu veut-il et peut-il faire connaître à chacun sa volonté (déterminée, bienfaisante et préférable à tout) ? Si Dieu me manifeste sa volonté, suis-je déterminé à la suivre ?

Ces questions proposent une traduction possible des données du Principe et Fondement [8] (E.S. n° 23) sur notre création et notre fin ultime, sur le bon usage des créatures ordonnées par Dieu à notre salut et sur l’indifférence nécessaire [9].

Si quelqu’un ne comprend pas ces questions, il n’est pas capable, à tout le moins il n’est pas mûr, pour entrer dans le travail des élections selon les Exercices. Si, par exemple, quelqu’un se contentait d’affirmer : « Dieu me laisse libre » sans croire à un appel personnel et déterminé de Dieu, il s’illusionnerait beaucoup, en faisant comme s’il cherchait cette volonté.

C’est souvent dans un véritable combat que l’intéressé accepte de reconnaître que la volonté, la vocation divine précède et suscite nos intentions, nos choix, nos engagements.

Quand ce n’est pas perçu et attesté, il faut laisser l’homme « entre les mains de son conseil ». Il n’est pas apte à un travail de discernement ultérieur. Si la conviction de la personne reste que la volonté divine n’est déterminée que par l’homme, elle ne pourra guère entrer et demeurer dans la vie consacrée.

Principe et Fondement : la mémoire

Ces affirmations de principe - et leur enseignement - sont nécessaires. Elles ne suffisent pas. Encore faut-il que la personne y retrouve son bien. Le travail de la mémoire doit être mobilisé : « Quand Dieu m’a-t-il montré sa volonté sur moi ? » Si la réponse était « jamais », il faudrait aviver la mémoire pour rappeler les indications providentielles reçues dans la nature et l’histoire de chacun. Il faut découvrir les lieux méconnus et oubliés où s’est manifestée la volonté de Dieu.

Si quelqu’un cherche Dieu, c’est que Dieu l’a visité. La personne doit donc pouvoir faire le travail de mémoire pour identifier les visites divines, leur rythme, leurs traces et le sens qu’elles impriment à sa vie.

Il importe que la personne le reconnaisse : « Dieu était là et je ne le savais pas ». Nous sommes tous pécheurs, nous avons donc méconnu la présence et la parole, la volonté et l’action de Dieu. Il est vain de la chercher maintenant, si nous ne reconnaissons pas l’avoir méconnue dans le passé. C’est un des moments névralgiques du travail spirituel : « ce que je cherche, je l’ai méconnu ». Comment s’engager dans l’œuvre du Sauveur sans cette reconnaissance minimale ? La lumière vient par le pardon.

Vers une confession générale

Ici commence un travail équivalent à celui de la première semaine. Il est surtout inspiré du deuxième exercice [10], des colloques [11], et des règles de discernement [12] propres à cette semaine.

Sans donner nécessairement aucun texte des Exercices, à l’aide des psaumes comme le 50/51 ou de quelques scènes miséricordieuses de l’Évangile (Lc 5, 7, 19), il faut apprendre à l’intéressé à se reconnaître pécheur et pardonné.

Comme dans les Exercices, avant de poser un choix déterminé, il faut avoir reconnu comment on a péché : « quels péchés ai-je commis » ? C’est l’autre part - déterminante elle aussi - du travail de la mémoire. Comment, quand et où, avec qui ai-je offensé Dieu ? (Ex 56).

Comme dans les Exercices, il faut inviter à une reprise de toute la vie dans la miséricorde de Dieu et le sacrement de pénitence. Il faut prendre la peine de conduire à une confession générale devant le Christ en croix. On rappellera la possibilité de se confesser à un autre prêtre. On marquera la grande opportunité de la démarche sacramentelle de réconciliation avec Dieu pour se faire disponible à sa volonté.

La personne et l’appel du Christ

Au terme de cette étape, il faut recentrer la recherche sur la personne de Jésus-Christ et sur son Église.

La vocation est un appel du Seigneur à le suivre, à l’imiter, à le servir et à l’aimer. Il invite à coopérer à son œuvre et à servir les siens. Toute générosité humaine doit ici être rapportée dans le Christ à son principe et à son terme. À qui, par exemple, dit vouloir servir les autres, on peut demander : « Qui veux-tu servir ? pour quoi ? comment les choisis-tu ? es-tu envoyé ? par qui ? au nom de quoi ? par quelle force ? en vertu de quel amour ? ». Ces questions renvoient à la personne du Christ et à son initiative rédemptrice. « Je veux être prêtre », dit un autre. On lui répondra : « pourquoi ? qui le veut ? on ne se fait pas prêtre : qui peut te faire prêtre ? » etc.

Il peut être utile de donner un contenu rationnel à ces demandes. Être prêtre, cela signifie, dans l’Église catholique romaine, ceci et cela... Être religieux, c’est professer publiquement les conseils évangéliques et pratiquer la vie commune, etc.

Il peut être opportun de dire les vertus à pratiquer dans tel état de vie.

Il est surtout important de reconnaître dans le Christ Sauveur la source et l’accomplissement de ces bonnes intentions. Ainsi enseigne-t-on peu à peu non seulement l’indifférence (je ferai ce que le Christ voudra et rien d’autre), mais l’humilité (je ne ferai que ce qu’il veut, mais avec lui et comme lui). Bref, il faut manifester en toute question sur la vie sacerdotale ou religieuse un écho d’une attirance du Christ. Une question sur soi-même devient ainsi une question à lui poser, pour connaître sa volonté. À cet effet, on rappellera que Dieu donne sa lumière au temps voulu, ni trop tôt ni trop tard, ni trop ni trop peu.

Ayant ainsi disposé son cœur à faire une véritable élection en réponse à l’appel de Jésus-Christ, le jeune homme ou la jeune femme devient capable de poser rationnellement les questions à résoudre. Il importe de les énoncer dans l’ ordre logique de leurs conséquences. Il importe plus encore de les poser au Christ et d’entendre de lui la réponse véridique.

La question du célibat

Le jeune homme ou la jeune femme sont ainsi amenés à poser explicitement la question du célibat, du célibat voulu à jamais pour le Royaume.

On suggère ici une priorité pratique du choix du célibat par rapport aux autres choix à accomplir dans le travail de l’élection.

Le jeune homme ou la jeune femme seront invités à considérer s’ils sont personnellement invités par le Christ à garder le célibat pour le Royaume. On n’impose pas à Dieu le choix du célibat. On ne se l’impose pas. Il est proposé par Dieu dans le Christ. Les motivations psychologiques et les raisons théologiques sont suspendues à une inclination profonde, c’est-à-dire à la motion [13] divine, à l’attirance par le Christ.

Si le goût du célibat est réellement absent, il n’y a pas de choix à opérer. L’attrait du mariage est naturel mais de soi il ne signifie encore rien. Tandis que le goût de se réserver au Christ, le désir de n’être qu’à lui, la volonté de lui appartenir exclusivement peuvent indiquer dans la personne l’attirance et la volonté du Christ. Ils l’indiquent à coup sûr quand le réalisme du renoncement est accompagné de la paix du sacrifice de louange.

L’accompagnateur manifestera le contenu de ce choix. Il faut éclairer rationnellement les personnes sur la dignité du célibat pour le Royaume et la préférence reconnue par l’Église. Il faut manifester aussi la bonté du mariage, la force de l’attrait sexuel, la dignité de la vie conjugale, la joie de la paternité ou de la maternité, auxquelles seul le Christ peut en l’occurrence demander de renoncer de propos délibéré. Ces choix peuvent être quasi immédiats ou demander de longues maturations. Si quelqu’un ne se découvre pas personnellement invité par le Christ à cette préférence exclusive, il vaut mieux qu’il ne s’engage pas dans le célibat religieux ou sacerdotal. Il semble judicieux de le déconseiller, tant que la motivation humaine de service ou de générosité n’est pas dépouillée de son idéalisme un peu suspect et n’a pas fait place au réalisme spirituel de la communion au Christ et de sa préférence.

Conséquences pratiques et éléments de vocation

Supposons ce point acquis. Avant de procéder plus avant, il convient de vérifier la portée et les conséquences pratiques de cette élection. Quels renoncements sont à effectuer ? quelle habitude à modifier ? quelles relations rompre ? quelles affections transformer ? L’engagement réel dans ce travail sur l’affectivité est un excellent critère de la vérité de la vocation reçue et de la réponse donnée.

Il faut ensuite aider l’intéressé à objectiver les divers éléments constitutifs de la vocation recherchée dans la vie religieuse, avec le célibat, la pauvreté, l’obéissance, la vie commune, la visibilité ecclésiale. Chaque point doit être choisi. La délibération peut être brève : elle ne doit pas être absente.

Ainsi, être prêtre, c’est accepter telle obéissance, des études, une formation, une disponibilité, un renoncement aux entreprises commerciales et politiques, à une carrière professionnelle, etc.

Tout cela doit être présenté, reconnu, accepté. Cela prend un peu de temps. Et à nouveau - comme pour le célibat - moins parce qu’on le souhaite, que parce que Dieu y invite. Si, suivant les manières traditionnelles de faire élection, la vocation divine n’est pas et reconnue et accueillie, encore une fois, il ne faut pas poursuivre le travail de discernement.

Quelque part dans l’Église

Une fois ces points majeurs acquis, il faut apprendre à l’intéressé les limites de sa démarche. En rigueur de termes, il ne décide pas d’être prêtre ou religieux. Pour répondre à ce qu’il croit être l’appel du Christ, il demande d’être admis au noviciat ou au séminaire.

Cette nuance est importante : elle rappelle l’objectivité des aptitudes reçues ou non ; elle montre surtout la nécessaire reconnaissance ecclésiale. Ce rappel des limites de la personne et de ses choix fortifie les responsabilités et décharge des angoisses inutiles. On peut préciser en ces termes l’objet des élections : « Puisque le Christ le veut, je demanderai d’être religieux/se, si l’Église m’accepte ». L’insistance sur le caractère partiel des décisions du sujet n’est pas seulement un gage de vérité et d’humilité, elle éclaire encore les démarches ultérieures.

Si en effet Dieu me veut prêtre ou religieux, il me conduit quelque part dans l’Église. Un lieu dans l’Église a été préparé. Si personne dans l’Église n’a été préparé et n’est disposé à me recevoir, je ne serai pas prêtre, je ne serai pas religieux. Où donc le Christ me veut-il ? Le Seigneur répond à cette question par des signes plus ou moins éloquents mais qui ne manquent jamais.

Quelles que soient les intuitions ou les affections humaines, il faut ici reprendre le discernement des aptitudes. Aptitudes du sujet à telle forme de vie, mais aussi aptitudes de l’institut ou du diocèse à le recevoir et à le former. La prudence et la charité inspireront à ce propos notre parole, autorisée d’ailleurs par la demande du sujet : celui-ci a droit à être guidé conformément à la vérité.

Je suggère deux brèves notations. Les signes à déchiffrer sont presque toujours déjà là, inscrits dans la vie, les circonstances, les lectures de la personne, à son insu ou non. S’il y a hésitation ou inclination, il faut suggérer non pas d’aller essayer, ni seulement d’aller voir mais d’aller interroger clairement et directement le supérieur ou le responsable concerné. Aller parler et demander, en étant décidé à ne se porter formellement candidat qu’ultérieurement.

Si quelqu’un ne trouve pas où entrer et si on ne peut lui indiquer une place, ou bien l’intéressé est au bout de sa recherche, ou bien l’accompagnateur est au bout de l’aide qu’il est capable d’apporter. Pourquoi ne pas interrompre ? ou renvoyer à quelqu’un d’autre ?

Cependant on ne clôturera pas cette recherche du lieu où entrer sans avoir la certitude morale d’y être conduit par le Christ. « Il te guide, il te suggère de frapper à cette porte. Si tu es accepté, tu y entreras un jour ; et si plus tard, le Christ te conduisait ailleurs, tu le suivrais encore ».

Au temps voulu

Il faut enfin conclure ce travail d’élection par une décision sur la date. Ne pas retarder la réponse au Christ. Ne pas anticiper sur sa volonté et les temps de l’Esprit.

Préalablement au discernement des responsables religieux ou diocésains, il faut aider à prendre en compte le rythme et les délais déjà inscrits dans la vie d’études ou de travail. La personne est-elle déjà apte à faire bon usage d’une désolation [14] ? peut-elle retrouver le pardon après une faiblesse ou un péché ? est-elle capable de faire ce qui lui est demandé malgré une préférence contraire ? peut-elle vivre à un autre rythme que le sien ? Les critères énoncés par le Père Decloux dans Vie consacrée [15] suffisent à indiquer une maturité suffisante, si le choix a été délibéré en réponse à un véritable appel de Dieu. La maturité de vie et la vertu qui peuvent suffire pour une élection en bonne et due forme suffisent aussi à indiquer la date à laquelle il est possible de demander l’admission au séminaire ou au noviciat.

S’il y a hésitation, laisser le temps. Le Saint-Esprit est le maître du temps...

L’élection dans la vie courante

Au terme de cet itinéraire, on voit comment il s’agit ici d’élection dans la vie courante.

Je n’ai pas évoqué le travail de direction spirituelle qui peut être concomitant : formation à la prière, à la pratique des sacrements, aux vertus, au service d’autrui, à la discrétion, etc.

On remarquera aussi que la multiplicité des démarches et des choix invite souvent à ne pas condenser dans une retraite ce long travail de discernement.

La confession générale et ses préparations d’une part, l’élection du célibat pour le Royaume d’autre part peuvent s’opérer à l’intérieur d’une récollection ou de quelques jours d’Exercices. À plus forte raison, le travail de recentrement sur le Christ et sur son appel. Ce n’est pas toujours indispensable à la prise de décision. La retraite ou les Exercices peuvent venir en confirmation d’un choix déjà mûr.

Enfin, la recherche du lieu et du temps d’une demande d’admission se fait normalement en dehors de la retraite.

Une retraite d’élection

En conclusion situons rapidement ce travail de discernement d’une vocation sacerdotale ou religieuse à l’intérieur du chemin des Exercices.

Quelques notations spécifiques peuvent suffire à propos d’une « retraite d’élection ». Et tout d’abord, on soulignera l’importance des 5e, 17e, 20e annotations. Il faut aussi donner à connaître le texte du Fondement. Souvent sa seule lecture fait fonction d’un critère rationnel de discernement.

La confession générale et sa préparation sont importantes avant tout travail d’élection. Il convient, de plus, de donner à contempler la personne du Christ, ses tentations et son appel aux apôtres, avant d’inviter l’intéressé à s’interroger sur sa propre vie.

On observera la 15e annotation : croire que la lumière sera donnée au temps voulu, dans les délais dont le retraitant dispose providentiellement. Enfin, on ne manquera pas de préciser le terme atteint. L’indifférence ? la volonté de suivre le Christ ? le désir de trouver sa volonté ? le choix du célibat ? une décision de demander plus tard d’être prêtre ? la décision de demander maintenant d’entrer dans la vie religieuse ? Il y a grand fruit à préciser - par écrit et en toute clarté - les décisions prises ou non.

Un mois d’Exercices

Ce qui vient d’être esquissé vaut quelle que soit la durée du temps disponible. Les notations suggérées sont à appliquer avec plus de rigueur encore s’il s’agit des Exercices d’un mois.

La pratique des additions sera soigneuse, on aura le souci de ne pas commencer les élections avant les Deux Étendards et de les terminer avant la troisième semaine.

Il convient d’aider l’exercitant à sérier les diverses questions à résoudre et à les énoncer suivant l’ordre des raisons. Ce travail aide à demeurer disponible à la grâce d’en haut. Dieu répond aux questions qu’il a suscitées et que nous avons bien posées. Nous ne trouvons pas facilement de réponse si notre raison a failli dans sa tâche ou si nous n’avons-pas adopté le rythme de l’Esprit Saint.

Ces diverses notations indiquent des chemins de la disponibilité à la grâce. Elles trouvent dans l’union à Dieu et la prière d’intercession leur signification vive.

Boulevard Saint-Michel 24
B-1040 BRUXELLES, Belgique

Rectificatif paru dans le numéro 6 de 1991
L’auteur de l’article sur Le discernement des vocations religieuses et sacerdotales grâce aux Exercices spirituels, paru dans notre dernier numéro, nous écrit : "J’aimerais corriger un passage de mon récent article de Vie consacrée (1991/5). À tort, j’ai écrit, page 299, que la névrose de culpabilité constituait une contre-indication claire à toute vocation sacerdotale ou religieuse. C’est simplement une erreur. À supposer le diagnostic établi, une névrose se soigne et beaucoup se guérissent. La vie consacrée ne suppose ni des héros, ni des êtres en parfaite santé. Elle est ouverte à qui est assez pauvre pour trouver son bien et son équilibre dans la miséricorde du Christ, la vie commune et le service du prochain. La tradition de l’Église n’a jamais affirmé la nécessité d’une bonne santé ou d’un bon caractère pour la profession des conseils évangéliques. Je vous remercie de publier cette retractatio et vous prie de croire à mon religieux respect.”
A. CHAPELLE, S.J.

[1Nous suivons ici la traduction des Exercices proposée par Éd. Gueydan, deuxième édition revue et corrigée. Coll. Christus n° 61. Textes, Paris, Desclée de Brouwer ; Montréal, Bellarmin, 1985.

[2Dans la tradition spirituelle ignatienne ce terme rassemble les notes de théologie biblique où il évoque l’alliance entre Dieu et son peuple choisi et celles de théologie scolastique où il signifie l’acte pleinement libre « par lequel l’homme, ayant tout bien considéré et délibéré, s’engage dans un sens déterminé et limité », (op. cit. p. 226). Dans l’élection il y a accord de deux libertés : celle de Dieu qui choisit et celle de l’homme son élu.

[3Les « annotations » sont des avertissements donnés par Ignace au début du livret des Exercices dans le but d’aider « celui qui les donne » et « celui qui les reçoit » à bénéficier pleinement de l’expérience.

[4« Pour celui qui reçoit les exercices, il est très profitable d’y entrer avec un cœur large et une grande générosité envers son Créateur et Seigneur... » (E.S. 5,1) (op. cit. 30).

[5Les additions sont, dans le livret des Exercices, les avis donnés « pour mieux faire les exercices et pour mieux trouver ce que l’on désire » (E.S. 73, 1). Celle que nous évoquons ici (E.S. 75) suggère un acte par lequel, le temps d’un Pater Noster, « l’esprit tourné vers le haut », je me tiens présent à la présence divine avant d’entrer en prière.

[6Dans le vocabulaire ignatien la consolation évoque l’expérience spirituelle de ces mouvements intérieurs (motion) saisissant tout l’être, où peut se percevoir l’accord de l’esprit de l’homme avec les inspirations décisives de la charité. Ignace la décrit avec toutes ses nuances aux n°316 des E.S.

[7cf. A. Chapelle, « La fidélité de Dieu dans nos fragilités humaines », Vie consacrée, 1988, 33-45.

[8Nous faisons ici référence au n° 23 des E.S. où Ignace rappelle la fin pour laquelle nous sommes créés. « L’homme est créé pour louer, révérer et servir Dieu et par là sauver son âme, et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé » (op. cit. 44).

[9C’est dans le même texte du Principe et Fondement que la nécessité de « nous rendre indifférents » est évoquée comme chemin de droite élection. Par indifférence on entend cette disponibilité intérieure où la liberté n’est pas sollicitée ni retenue par des « affections » qui l’empêcheraient de reconnaître et d’accueillir la liberté de Dieu.

[10On le sait la démarche des Exercices propose quatre étapes. Au cours de la première (dite « première semaine » bien que le nombre de jours ne soit jamais fixé) la méditation du péché et de mes péchés (le deuxième exercice) conduit le retraitant au « colloque ».

[11Dans le colloque, il parle au Christ, à Dieu... « comme un ami parle à un ami » (E.S. 54), devant le Christ en croix, il peut « crier » son étonnement ému devant tant de miséricorde (E.S. 53 et 61).

[12Deux séries de règles de discernement sont proposées par Ignace : la première aide à repérer les motions (mouvements en tout l’être) qui traversent et émeuvent le retraitant pour les identifier et ensuite - dans la deuxième série des Règles - en discerner plus précisément la nature et l’origine spirituelles en regard de l’Esprit de Dieu.

[13Voir note 3.

[14« Désolation » désigne cet ensemble de motions intérieures qui, à l’inverse de celles qui sont caractérisées comme consolations, sont le signe d’une contrariété, d’une épreuve ou d’une tentation dans la vie spirituelle.

[15S. Decloux, « L’accueil de vocations à la vie religieuse », Vie consacrée, 1976, 3, 131-141.

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