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La vie monastique et contemplative en Amérique espagnole

Martin de Elizalde, o.s.b.

N°1991-3 Mai 1991

| P. 165-171 |

Au cœur de l’évangélisation du « Nouveau Monde », et d’ailleurs dans l’appel à toute « nouvelle évangélisation », se pose la question de l’importance de la vie religieuse, notamment contemplative. Ce texte très documenté sur l’histoire du monachisme en Amérique latine montre comment la vie contemplative et ses valeurs essentielles ont été présentes dès le début de cette épopée, mais sans donner de fondations (sinon féminines) significatives. Les raisons en sont-elles seulement économiques ? Si rien n’est irréparable dans l’histoire de l’Église travaillée par l’Esprit, l’appel de Paul VI au Mont Cassin trouve heureusement son écho dans les espérances de Puebla.

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Les termes « vie contemplative » et « vie monastique » ne sont pas synonymes. Le premier indique une attitude de l’âme, le second une règle de vie, une discipline. La vie monastique a toujours une dimension contemplative, mais la vie contemplative peut fleurir hors des monastères [1].

Nous nous proposons d’esquisser rapidement une histoire de la présence monastique et contemplative en Amérique espagnole [2], et de considérer ensuite l’insertion de la vie monastique dans l’Église face à la nouvelle évangélisation.

La présence contemplative

En dehors du Brésil, les moines des ordres traditionnels ne se sont pas établis de manière organique et définitive dans le Nouveau Monde. Mais la présence contemplative n’a pas fait défaut, ni parmi les laïcs, ni chez les religieux mendiants : c’est elle qui a rendu possible une certaine qualité monastique dans la fondation de l’Église sur notre continent.

La dimension contemplative dans la vie de l’Église

L’Amérique espagnole a eu des saints - ceux qui ont été canonisés ne sont pas nombreux - qui offrent l’exemple de la vocation chrétienne dans ses différentes manifestations. Citons, parmi les martyrs : Roque Gonzalez de Santa Cruz et ses compagnons ; parmi les évêques et pasteurs, Toribio de Mogrovejo ; parmi les missionnaires, Francisco Solano ; parmi les religieux conventuels, Martin de Porres. Dans ce retable nous trouvons aussi deux laïques, tertiaires d’un ordre mendiant, pénitentes austères et contemplatives : Mariana de Jesus Paredes, le lis de Quito, et Rosa de Lima. Elles attestent que la chrétienté américaine connaissait et appréciait la recherche de Dieu dans le silence et le dépouillement, intérieur et extérieur. Le mérite de ces deux femmes, parmi tant d’autres qui leur ont ressemblé, est resté dans la mémoire spirituelle des chrétiens d’Amérique. À côté de Mariana et de Rosa, on pourrait citer de nombreuses bienheureuses et vierges, également dignes d’intérêt.

Dans les témoignages rassemblés pour sa béatification, on raconte qu’à l’âge d’environ quatorze ans, saint Roque Gonzalez « avait convaincu d’autres garçons de son âge de se retirer loin de la ville pour faire pénitence comme les Pères du désert. Ils partirent donc dans les montagnes et aux déserts... [3] ». La vie des moines ne leur était donc pas inconnue. Ils la connaissaient sans doute par la lecture du Flos Sanctorum ou d’une version de la Légende dorée, arrivée dans ce lointain parage qu’était alors Asuncion.

Le chroniqueur franciscain, frère Geronimo de Mendieta nous raconte l’expérience singulière des « bienheureux de Chocaman [4] ». Un indigène appelé Balthazar, originaire de Cholula, avait rassemblé plusieurs autres convertis afin de les motiver pour un programme d’oraison et d’ascèse. Le lieu de réunion était proche du volcan Tecamachalco, dans l’endroit qu’il appela Chocaman, c’est-à-dire « lieu de pleurs et de pénitence ». Un des sept apôtres franciscains, le frère Jean de Ribas, les visitait et en prenait soin, et lorsqu’il ne put pas continuer, un clerc prit sa place ; mais finalement les bienheureux se sont dispersés.

Dès les premières décennies de la conquête, on relève la présence d’ermites, sortes de moines sans monastère. Ils n’avaient pas de statut défini dans l’ordre ecclésiastique et civil [5]. C’étaient des laïcs, sous le contrôle de l’autorité religieuse, ils vivaient isolés, et souvent leur vocation n’était pas permanente mais temporaire. Le troisième concile de Lima, en 1582, dut préciser leur discipline, ce qui permet de penser qu’ils connurent une diffusion considérable. Voici le texte conciliaire :

Quoique l’habit ne fasse pas le moine, il est convenable que chacun porte son propre habit pour se distinguer selon sa profession. C’est pourquoi que ceux qui font profession d’ermites ne portent ni le bonnet des clercs, ni le capuchon des frères, et qu’ils utilisent un vêtement noir. Si, par souci de pauvreté, ils veulent utiliser un tissu plus économique ou de la grosse toile, ils peuvent facilement le teindre en noir (Acc. III, c. 32).

La vie en solitude était donc une des manières possibles de suivre un appel contemplatif, tant pour les laïcs que pour les religieux.

Dans la Nouvelle Espagne, parmi les hommes associés à l’expédition d’Hernan Cortès, une mention spéciale s’impose pour Gregorio Lopez, « Le premier anachorète des Indes », comme on l’appelait, naquit à Madrid le 4 juillet 1542 et mourut à Santa Fe, Nouvelle Espagne, le 20 juillet 1596. En 1562 il arrive à San Juan d’Ulua d’où, peu de temps après, il se retire pour vivre dans la solitude. Il a essayé de devenir dominicain mais il n’est pas allé plus loin sur cette voie ; il retourne à la vie solitaire, près de Santa Fe. Pénitent et austère, ce fut un grand contemplatif, auteur d’un commentaire de l’Apocalypse qui le mit en relation avec la postérité spirituelle de Joachim de Flore. Pendant sa vie il fut très estimé et recherché, et on vénéra sa mémoire après sa mort. Le roi Philippe III écrivit, le 18 février 1620, à l’archevêque du Mexique pour le prier de réunir la documentation nécessaire à l’introduction de sa cause de béatification. Sa « Vie », écrite par Francisco de Losa, publiée au Mexique en 1613, eut un grand succès. Traduite en néerlandais et en allemand, elle s’est diffusée dans les cercles piétistes. Au XVIIIe siècle, John Wesley, le fondateur du méthodisme, la traduisit en anglais. Bossuet, qui a dû la connaître indirectement, parle de Grégoire comme d’« une des merveilles de nos jours [6]. » Plusieurs années après sa disparition, l’Inquisition s’intéressa à sa doctrine ; c’est pourquoi sans doute on abandonna le procès de béatification. On l’accusait, à cause de l’évolution douteuse de certains de ses prétendus disciples, de quiétisme, d’illuminisme, de non-sacramentalisme. L’intérêt que la Réforme allemande et britannique eut pour son œuvre permet de croire qu’une compréhension hétérodoxe en était possible. Ainsi s’est effacée presque entièrement la mémoire d’un insigne témoin de la vie ecclésiale américaine. Elle ne demeure que comme souvenir littéraire [7].

La dimension contemplative de la vie religieuse

La propagation des ordres mendiants en Amérique espagnole est bien connue. Dès les débuts de l’évangélisation ils ont été pratiquement les seuls admis : franciscains, dominicains, de la Merci, augustins, auxquels il faut ajouter les jésuites et, plus tard, les carmes et les capucins.

La préférence de la couronne pour les ordres mendiants est due à leurs aspects positifs, mais aussi sans doute à des aspects négatifs présents chez les moines.

Les religieux en Amérique ont bénéficié d’une forte empreinte monastique, portée par les mouvements de de réforme d’où ils procédaient [8]. À propos du Frère Martin de Valencia - franciscain et un des douze apôtres de la Nouvelle Espagne - un historien récent écrit :

Ce frère était un mystique, qui d’une part aspirait à la solitude et à la contemplation - il avait voulu être chartreux -, et d’autre part était poussé par l’Esprit de Dieu à l’apostolat parmi les gens lointains, afin d’y trouver le martyre. Peut-être a-t-il eu des difficultés à harmoniser la vie active et la vie contemplative, comme d’autres le firent à la même époque, par exemple le frère Juan de Zumarraga et le dominicain Domingo de Betanzos, qui étaient ses grands amis.

Le P. Gomez Canedo récuse un contact quelconque des franciscains réformés espagnols et de leurs missionnaires du Mexique avec les courants qui se sont inspirés de Joachim, abbé de Flore. Mais les travaux de G. Baudot semblent donner raison à ceux qui affirment cette dépendance spirituelle. Dépendance fondée sur une vision apocalyptique de l’histoire et exprimée dans la conception qui voyait la chrétienté indigène comme le moyen idéal de concrétiser le Règne de Dieu [9]. Déjà le courant de Joachim comportait une dimension contemplative, renforcée par l’esprit de la réforme franciscaine. Ceci faisait des couvents tout à la fois un lieu de mission et un laboratoire linguistique et culturel, mais aussi un centre de spiritualité austère et pénitente, d’oraison et de vie communautaire dans la pratique de la pauvreté.

La vie contemplative, en l’absence des ordres monastiques, se trouvait donc dans les couvents d’ordres mendiants ; ceux-ci l’ont transmise à toute l’Église, efficacement et généreusement.

Signalons enfin, chez les carmes et les récollets, la floraison des « déserts », couvents de plus grande solitude.

Un mot sur les évêques nommés en Amérique. Beaucoup furent des religieux, et certains venaient d’ordres monastiques : « Au XVIIIe siècle les religieux étaient encore les plus à même d’occuper la charge d’évêque dans les missions où un pasteur compétent était requis. Les plus nombreux furent les dominicains et les franciscains qui, curieusement, maintiennent des pourcentages semblables depuis 1575. Les moines, au contraire, apparaissent peu nombreux, sans doute à cause de leur vie contemplative, ce qui est évidemment normal. Leur présence dans l’évangélisation américaine fut très faible puisque telle n’était pas la finalité de leurs ordres [10] ».

Nous pouvons distinguer ici trois types de communautés féminines : les béguinages, les couvents de fondation spontanée et ceux fondés par filiation.

On appelait béguinages les communautés formées par des femmes rassemblées dans une même maison, ayant une finalité pieuse et une certaine organisation intérieure. Cette vie ne comprenait pas les obligations de l’état religieux, ni le nécessaire engagement d’un travail commun. Il s’agissait donc d’une association libre, visant un relatif éloignement du monde, où les membres conservaient une certaine indépendance.

Dans la société naissante de Rio de la Plata, les béguinages furent demandés avec insistance. Mais, instables par nature, avec peu de poids institutionnel, ils ne pouvaient durer que peu de temps. Ils ont disparu, sans laisser aucune trace de leur exis-tence.

En 1587, le général Juan Ramirez de Velasco écrivait au Roi, exposant la nécessité d’une institution religieuse dans sa juridiction de Tecuman, pour recueillir de nombreuses demoiselles déshéritées :

J’ai trouvé dans cette ville (Santiago del Estero) et aussi dans d’autres, plus de soixante demoiselles, pauvres, filles des conquérants, sans aucune ressource, si ce n’est celle de Dieu et de Votre Majesté. J’en ai marié même dix, et certaines avec deux ou trois « repartimientos ». On a obtenu deux résultats : marier ces pauvres filles et faire grandir le nombre des voisins ; on a fait ainsi d’une pierre deux coups. Je suis en train d’essayer de construire un monastère où elles puissent se recueillir,... à Salta, où je pense marier une douzaine de filles avec les soldats qui s’y trouvent, et les autres, dans la première ville habitée.

On voit qu’aux XVIe et XVIIe siècles, les béguinages remplissaient une fonction sociale, ce qui n’excluait pas la vocation contemplative de certains de leurs membres, même si cette vocation n’était pas leur ultime finalité.

À la fin du XIXe siècle on trouvait encore quelques béguinages : la maison de Bethléem, à Santiago del Estera, fondée en 1821 par Doña Ana Maria de Taboada, reliée en 1886 à la Congrégation des Esclaves du Sacré-Cœur (argentines), et les dévotes de la Mère Antonia de Paz y Figueroa, mieux connue sous le nom de Mère Atula, fondatrice de la Maison des Exercices ; elles sont devenues congrégation religieuse après quatre-vingts ans d’existence.

À un stade plus avancé d’institutionalisation religieuse et sociale, les monastères de moniales vivent presque tous sous une des Règles des ordres mendiants. La clôture était une des pierres de touche, avec la mise en commun des biens et la récitation de l’office divin en chœur, suivant le modèle des ordres monastiques. Nombre de ces monastères en Amérique jaillirent de manière spontanée, par l’initiative et la volonté d’un fondateur ecclésiastique ou laïc. D’autres furent fondés par des communautés déjà existantes, certaines riches d’une longue tradition et qui ouvraient des maisons dans le Nouveau Monde. Ainsi la vie cloîtrée a été connue et pratiquée, selon le modèle de la vie monastique. Elle porta de grands fruits de contemplation.

Voyons quelques exemples de ces fondations. Tout près de nous, les Catherines de Cordoba représentent un cas de surgissement spontané. En 1613, Dona Leonor de Fonseca, veuve du général Manuel de Fonseca, transforma un béguinage en un monastère de sainte Catherine. Lorsque l’évêque Trejo prit les moniales sous son autorité, il leur fit observer la règle de sainte Thérèse. Des conflits prolongés ont ainsi surgi : elles ne pouvaient être dominicaines d’observance thérésienne. L’évêque Tomas de Torres écrivit en 1625 : "Il y a un couvent de religieuses qui ne sait pas s’il suit l’ordre de sainte Catherine de Sienne ou celui de la sainte Mère Thérèse de Jésus. Il est divisé dans le culte à rendre à ces deux saintes : les unes suivent la première, les autres la seconde [11]. L’important, c’est que les jeunes filles pouvaient devenir moniales.

Du couvent des Catherines (finalement bien identifié) sont sorties les moniales qui fondèrent, le 7 mai 1628, le couvent de sainte Thérèse de Jésus, situé aussi à Cordoba, où la première prieure fut la Mère Catherine de Sienne, auparavant Dona Leonor de Tejada [12]. De Cordoba, en 1745, sortirent aussi les moniales qui fondèrent Buenos Aires ; dans cette même ville fut ouvert un monastère de moniales capucines en 1749, provenant de Santiago du Chili.

Nous voyons que la dévotion pour un saint ou une sainte conduisait au désir d’instituer une maison religieuse dans sa tradition et avec son nom. Cette pratique donna lieu à des situations pittoresques. À la fin du XVIIIe siècle, lors de la fondation d’un monastère du Bon Enseignement à Mendoza, par Dona Josefa de Torres y Salguero, veuve du général Bartolome de Ugalda, des moniales clarisses de Santiago du Chili suivaient la règle de sainte Jeanne de Lestonnacl [13] !

À Lima, Doña Lucrecia de Sansoles et sa fille, Dona Mencia de Vargas, fondèrent, en 1580, un monastère de l’ordre de saint Bernard, sous autorité diocésaine [14]. Ce monastère vécut très isolé de sa tradition et de son ordre, car il fut le seul à observer la règle bénédictine sur notre hémisphère. En 1966 il fut supprimé, après un essai infructueux de continuation par les moniales de sainte Scolastique de Victoria (Buenos Aires). Ce monastère-ci, à Lima, et celui des moniales de saint Jérôme au Mexique [15] sont les seuls monastères de règle effectivement monastique établis en Amérique.

Avant de passer aux fondations faites par les moines venus d’Espagne, remarquons que dans les couvents féminins des divers ordres, en majorité des ordres mendiants, il y eut une riche expression de sainteté et de spiritualité contemplative. Sur ce sujet existent des témoignages écrits, malheureusement presque tous inédits.

La vie monastique

La Conférence de Puebla (§ 272) a rappelé qu’au Moyen Âge le fait le plus important au niveau politique fut la fondation des moines bénédictins, puique leur forme de vie communautaire est devenue le grand modèle d’organisation sociale pour l’Europe naissante.

En Amérique pourtant, c’est au XXe siècle seulement, que furent fondés des monastères bénédictins et cisterciens - à l’exception du Brésil -, mais l’influence bénédictine passa à travers les traditions reçues dans l’Église espagnole, comme héritage du Moyen Âge, en particulier par les ordres religieux présents aux siècles de l’évangélisation.

Certains ont cru pouvoir conclure, des restrictions mises par le Roi au passage de moines au Nouveau Monde, à un jugement péjoratif sur la religion du monarque. Essayons de le considérer avec sérénité et objectivité.

L’intérêt positif de la Couronne pour l’envoi de missionnaires en Amérique est bien connu. Il était logique que fussent invités des frères et des clercs réguliers, puique les moines, pour leur part, n’avaient pas de tâches apostoliques, ni les moyens de s’établir en Amérique. Ils étaient plus attentifs à leurs propres affaires et, dans les cas les plus fervents, à la fidélité à l’esprit de leur ordre. Il est certain que, mis à part des essais isolés, presque tous au début de l’évangélisation, et qui, en grande partie, furent des initiatives personnelles, les ordres monastiques n’ont pas cherché à envoyer certains de leurs membres aux Indes.

On peut signaler, chez les moines de Valladolid, l’amour de leurs propres traditions de clôture et d’isolement [16] ; chez les hiéronymites, la modestie et le manque de combativité : selon leur plus éminent historien, l’ordre « n’a pas voulu franchir les bornes de l’Espagne [17] ». Sans doute, à ce moment, il n’y avait pas l’élan nécessaire pour affronter une audacieuse aventure, car les réformes monastiques étaient entrées dans un stade de stabilité qui annonçait déjà la décadence. Comme le dit G. Bodenwein : « Ils se préoccupaient avant tout d’eux-mêmes [18] ».

L’attitude de la Couronne connut une évolution : au début, elle sollicitait des moines pour accompagner les expéditions colonisatrices, ou était indifférente à la qualité des religieux qui s’embarquaient effectivement. Mais très vite elle est arrivée à donner une réponse négative aux demandes de fondations monastiques. Christophe Colomb, qui avait désiré emmener avec lui des chartreux et d’autres moines, bénédictins et hiéronymites, fut accompagné dans son deuxième voyage par le nerveux Bernai Boil, ermite de Montserrat, lié à la tradition bénédictine, même si plus tard il est intervenu dans la fondation des Minimes, avec saint François de Paule. Dans ce même voyage se trouvait le frère Ramon Pané, hiéronymite et auteur de la « Relation » bien connue ; mais aucun de ces deux moines ne représentait son ordre.

Arrêtons-nous brièvement à la présence des hiéronymites et des bénédictins.

Les moines hiéronymites furent invités à participer à l’œuvre d’ordonnance politique des nouveaux territoires par les cardinaux Cisneros et Adrien - futur pape - gouverneurs de Castille au nom de Charles Ier, roi d’Espagne (Charles-Quint). Le fils de l’Amiral, Don Diego Colon, appelé à la Péninsule par le Roi catholique, dénonça l’état des affaires de la terre en Amérique, et les gouverneurs décidèrent d’envoyer au Nouveau Monde les moines de l’ordre de saint Jérôme pour porter remède à ces maux. Ils pensèrent à eux puisqu’ils seraient au-dessus des factions et des intérêts, et pourraient ainsi s’occuper du bien des indigènes. Trois furent élus : Luis de Sevilla ou Figueroa, Alonso de Santo Domingo et Bernardino de Manzanedo. Ils arrivèrent à Saint Domingue à la Noël 1518. Ils demeurèrent dans l’île jusqu’en 1520. Leur mission n’obtint pas le succès que méritait leur zèle généreux. La situation était difficile, dure et trop étrangère à leur propre vie [19]. Pourtant, un peu plus tard, d’autres frères de saint Jérôme, quatre en tout, de la réforme de Lope de Olmedo, accompagnèrent Don Pedro de Mendoza, premier gouverneur de Rio de La Plata, dans sa malheureuse expédition. Lorsque le port fut dépeuplé, ils continuèrent jusqu’à Asuncion, lieu où habitait encore l’un d’eux en 1556, le frère Isidro de Castro [20]. De la présence hiéronymite en Amérique ne sont restés, en plus des maisons de moniales, que l’essai d’établir une procure stable au Mexique (1574-1576), et les voyages des quêteurs d’aumônes pour le sanctuaire de Gua-delupe en Estrémadure. L’un d’eux, le frère Diego de Ocana, a laissé un savoureux récit, réédité récemment.

Les bénédictins ne réussirent pas non plus à fonder de véritables monastères en Amérique espagnole ; il n’est pas certain qu’ils en aient fait l’essai. Ils ne réussirent qu’au Brésil où en 1579-1582, le frère Pedro de Saô Bento Ferraz établissait, à Salvador de Bahia, ce qui serait le premier monastère du continent. D’autre part, à la fin du XVIe siècle, Philippe II autorisa la construction à Lima d’une maison dépendante du monastère-sanctuaire de Montserrat en Catalogne, par décret royal du 9 juin 1598, exécuté le 14 octobre 1599. Le saint archevêque Toribio de Mongrovejo s’y étant opposé, les fondateurs, qui venaient d’arriver à Ciudad de los Reyes, durent rentrer en Espagne, mais revinrent plus tard avec un nouveau décret royal daté du 17 septembre 1600 et signé par Philippe III. La chapelle, érigée en 1601, fut rebâtie en 1630, et encore une fois après le tremblement de terre de 1687. Peu de moines - pas plus de six - envoyés de Montserrat, non recrutés localement, y habitèrent. Grâce aux aumônes recueillies parmi les fidèles, ils pourvoyaient à l’entretien du célèbre sanctuaire. Le 28 septembre 1826, le frère Rosendo Puga étant alors prieur, le gouvernement supprima la maison [21]. À présent le sanctuaire existe encore, rappelant plus de deux siècles de présence bénédictine.

La maison mexicaine eut un destin semblable à celui de la maison de Lima. Elle fut fondée comme une confrérie par deux anciens soldats d’Hernan Cortès, Diego Ximenez et Hernando Moreno, qui en 1586 se transportèrent de Patzcuaro à la ville de Mexico. Les moines, originaires aussi de Montserrat, arrivèrent en 1602 et ils y demeurèrent jusqu’à la sécularisation de 1821, Benito Gonzalo était alors prieur et la communauté se composait de deux prêtres et de deux frères convers. L’un d’eux, le frère Juan Cerezo, servit le temple comme chapelain jusqu’à sa mort, le 26 juillet 1838. Avec lui s’éteint la faible et pâle existence des bénédictins en Amérique espagnole [22]. L’ancien monastère, amputé d’une bonne partie de l’église et du cloître pour l’ouverture d’une avenue, subsiste encore dans la ville de Mexico où il accueille le musée de la « charrerie ».

Il fallut attendre l’arrivée des bénédictins des États-Unis - originaires de Saint-Meinrad - en Uruguay, en 1890, pour un essai pastoral qui échoua [23], puis l’implantation définitive des moines de Belloc (France) à Entre Rios, en 1899, enfin, à partir de 1914, des Espagnols de Silos dans la province de Buenos Aires et des moines de Samos au Chili, à Notre-Dame des Neiges, aujourd’hui Lliu-Lliu. Mais cette partie de l’histoire est mieux connue et a été racontée en détail par le P. Matthei [24].

Les chartreux firent ce qu’on peut considérer comme le seul essai de fonder un monastère au sens propre du terme. En 1559, Leur projet, échoua par l’opposition de Philippe II, qui craignait que leur exemple n’entraînât les autres ordres monastiques au-delà des mers [25].

Ces terres, dit le biographe de Torron, à peine conquises, avaient alors plus besoin de religieux mendiants, pour la prédication et l’administration des sacrements, que des ordres monastiques, qui n’avaient pas cette possibilité ; si on avait permis à l’ordre des chartreux de fonder, toutes les autres religions monacales auraient essayé la même chose par leurs propres moyens, ce qui ne convenait pas.

La lettre que Philippe II écrivit au Vice-roi du Mexique, Almansa, le 13 mars 1576, exprime les pensées du Roi :

Vous êtes au courant déjà qu’il a été ordonné que les monastères des religieux fondés là-bas, soient uniquement des ordres de saint François, saint Augustin et saint Dominique, et celui des Pères de la Compagnie de Jésus, et qu’aucun autre ordre ne peut fonder puisque ces premiers ont été institués pour vivre en pauvreté et dans le mépris des biens propres et temporels, et ils conviennent à la conversion, doctrine et bon exemple des indigènes de ces régions.

Soulignons, en achevant ce rapide parcours historique, qu’à l’argument pastoral s’ajoute, comme plus important, l’argument économique et patrimonial. En effet, les monastères demandent une structure différente de celle d’un couvent de frères, et l’image de grandes communautés monacales espagnoles, avec leurs riches propriétés, faisait redouter leur transplantation en Amérique où le poids de l’entretien tomberait en grande partie sur le travail des indigènes. Depuis qu’on avait perdu dans les monastères l’habitude du travail manuel, par suite de la cléricalisation des membres, c’étaient leurs serviteurs et leurs proches qui exploitaient et entretenaient les propriétés des monastères. Au moment de la Réforme protestante et de la Contre-Réforme catholique, les biens monastiques, inexploités, furent laissés à l’abandon. Plus tard, ce fut la raison alléguée par les gouvernements pour supprimer les monastères, aux XVIIIe et XIXe siècles : les terres restaient inexploitées, donc il fallait les réintégrer dans le circuit de la production. A notre avis, ces raisons économiques ont d’autant plus de poids dans les suppressions de monastères, qu’elles ont précédé la Révolution française et n’en ont pas été, comme l’irréligion, la conséquence. Dans l’Espagne du XVIe siècle, la perspective de constituer, par les monastères, de grandes masses de capital immobilier en Amérique ne pouvait sembler viable ; c’est pourquoi la prévision du Monarque fut sans doute juste. Ce point acquérait une importance déterminante au moment où s’organisait la situation patrimoniale de l’Église, où l’on débattait sur l’introduction des dîmes et des bénéfices cléricaux, dont la charge aurait pesé sur les indigènes et qui aurait coïncidé avec le repli des ordres mendiants hors des terres de mission.

En conclusion de cette première partie, disons qu’il n’y a pas eu de moines dans l’Église d’Amérique espagnole, mais bien quelques monastères de moniales ; que l’Église s’est fondée et développée sans une présence significative de contemplatifs, mais que la mentalité et les structures de la chrétienté espagnole ont véhiculé des valeurs spirituelles qui, ainsi, n’ont pas fait complètement défaut ; sans aucun doute, la considération patrimoniale a eu beaucoup de poids au moment de décider s’il fallait fonder ou non des monastères masculins.

La vie monastique dans la vie de l’Église

La vie monastique, école de civilisation évangélique

Nous ne voulons pas parler ici de la qualité intérieure de la contemplation, don très précieux, mais de la vie monastique qui l’inclut. Lorsque la contemplation se trouve intégrée dans l’ensemble harmonieux d’une discipline qui la favorise, la prolonge et la diffuse, la société peut percevoir la fonction de ces communautés de paix et de fraternité évangélique, capables de racheter les luttes du monde avec une sérénité surnaturelle, de rebâtir pour l’éternité sur les ruines de l’égoïsme et de la division, de recomposer la continuité avec la tradition vivante. Telle est la mission de la vie monastique.

Celle-ci se réalise chaque jour dans la discipline qui forme et édifie les membres de la communauté, mais aussi, par la transformation des individus, elle influe comme exemple et témoignage sur l’ensemble social, et par les voies mystérieuses de la grâce elle parcourt et féconde les veines spirituelles du peuple de Dieu.

Signalons, entre autres possibilités, trois manières de servir l’Église et les hommes à partir de la vie monastique, manières qui me semblent particulièrement importantes aujourd’hui.

La première est le soutien de la dimension contemplative, en particulier par la liturgie de louange. Celle-ci est la plus haute réponse que l’homme peut donner à son Créateur : il écoute la Parole, ébloui par la vision de ses merveilles, et en retour il conemple, il chante, il espère. Dans la tradition monastique, l’expérience de Dieu n’est pas individualiste et incommunicable. Elle est l’élément unificateur des régions de l’existence du moine. Elle le rappelle aux frères qui le savent et le pratiquent déjà, le suggère et l’apprend à ceux qui ne l’ont pas encore découvert. Pour manifester sa nature communautaire et ecclésiale, la dimension contemplative a besoin de la vie monastique. Bien que le moine soit par définition solitaire, il pratique la plus intense communion au mystère du Christ, et il montre que cette réalité, souvent méconnue, est aussi forte et plus forte que les autres liens sensibles et visibles. Sa vie se consume dans la liturgie qui est symbole de la transformation mystérieuse, de l’offrande de la création à Dieu.

En deuxième lieu, la famille monastique vit selon l’Évangile ; ce faisant elle le répand et l’enracine dans les habitudes de la société. Il en fut ainsi dans l’Europe du Moyen Âge, à Byzance, mais cela n’aurait pas été possible sans une hiérarchie des valeurs. Ainsi, l’évangélisation de la société par le monachisme se fonde, avant tout, dans l’engagement personnel et communautaire à suivre l’Évangile - sub ducatum Evangelii - ne rien préférer à l’amour du Christ, comme l’exprime saint Benoît dans sa Règle. L’apport culturel et social des moines peut seulement se comprendre de ce point de vue, comme une culture évangélisée, mise à profit pour continuer la construction de cette cité, appelée à devenir la nouvelle Jérusalem, et sans perdre de vue sa destination ultime. C’est pourquoi, finalement, l’évangélisation de la société par les moines se fait à partir de la liturgie, célébration joyeuse des mystères en communion avec le Christ ressuscité, dans l’Église-Épouse.

En troisième lieu, la tradition des moines comporte une triple expérience de communion : la communion intérieure avec Dieu et avec soi-même ; la communion entre frères, membres du même corps qui est l’Église, et dans sa version concrète et locale, la communauté monastique ; et la communion avec tous les hommes. Le péché divise, donc vaincre le péché, c’est restaurer l’unité. Communion signifie unité restaurée, consolidée. Face au monde divisé, éloigné de Dieu, face à l’homme meurtri dans son intériorité, le moine proclame qu’il est possible de vivre la communion, de refaire l’unité.

Une absence irréparable ?

Tout au long de cet exposé nous avons vu que la vie monastique n’a pas pu se rendre présente en Amérique espagnole. L’Esprit Saint suppléa cette absence par l’appel de certaines âmes à vivre le don de la contemplation. Par ce moyen il a donné à l’Église une dimension essentielle, sans laquelle elle aurait été spirituellement très pauvre. Il est vrai que dans la communion de l’Église les valeurs sont partagées : ce qui appartient à l’un, appartient à tous. Mais il n’est pas moins vrai que l’absence de la vie monastique entraîne un certain manque de solidité de la chrétienté. Malgré tout, les aspects monastiques et contemplatifs, présents dans la civilisation du Moyen Âge, incorporés au contexte de la société espagnole, purent être transplantés de manière indirecte, et, peut-on dire, tacite, dans l’Église d’Amérique. À cette époque on vivait encore l’unité de la foi, on avait conscience de l’unité chrétienne, institutionnelle et spirituelle. Ces éléments ont continué à marquer le chemin de l’Église dans le Nouveau Monde, jusqu’à ce que, faute de renouvellement, leurs virtualités commencèrent à s’épuiser, et ils subirent les impacts provoqués par l’émergence d’une nouvelle vision de l’homme : la Renaissance et le Siècle des Lumières.

Ceci a contribué à former ce que nous sommes maintenant. La première évangélisation, qui s’enracina profondément, transmettait le sens spirituel d’un univers qui ne s’était pas encore détaché du climat monastique du Moyen Âge. Ceci est évident, si on considère la spiritualité et les méthodes des missionnaires dont nous avons parlé : regroupant les indigènes dans des villages relativement isolés comme feront aussi, après eux, les jésuites au Paraguay, ils prolongeaient et adaptaient un style monastique : retrait du monde, liturgie communautaire et travail donnaient à ces villages une conformation très particulière, à partir du sacré.

Avec l’affaiblissement de la conscience chrétienne provoquée par le Siècle des Lumières et le vide des décennies révolutionnaires, les nouveaux missionnaires durent recommencer la tâche évangélisatrice, non pas en continuité avec l’esprit précédent, mais en modifiant dans une certaine mesure le style et la tradition du peuple croyant. On s’attacha généreusement à la formation doctrinale et à la pratique sacramentelle, mais ni la dimension contemplative, ni l’aspect liturgique, ni celui de la célébration ne furent approfondis dans la même mesure. L’insertion culturelle même fut faite à partir de l’immigration européenne et des courants en vigueur au XIXe siècle, siècle qui fut en réalité une transition. Nous pouvons donc nous demander si la crise de modernité qui afflige notre société chrétienne en Amérique Latine, et qui mine ses racines, n’est pas due en effet à ce qu’on ne prit pas en compte les traditions structurantes, les courants fondamentaux de toute l’Église et en particulier de notre Église américaine. De ce point de vue, et avec les réserves requises, j’ose proposer une critique du modèle d’évangélisation suivi par une certaine restauration du XIXe siècle : un christianisme qui n’a pas donné de fruits de sainteté, qui n’est pas suffisamment en communion avec la tradition précédente et avec la grande tradition de l’Église antique, dont le niveau liturgique est pauvre d’une Église qui pèse plus par ses facteurs institutionnels que par sa vigueur évangélique et spirituelle.

La religiosité populaire elle-même montre, parfois de manière incomplète ou déséquilibrée, des facteurs qui furent répandus auparavant par les premiers missionnaires et qui aujourd’hui ne sont plus cultivés ni appréciés. Cependant, cet impact évangélisateur du siècle dernier a marqué notre Église et a fait ce qu’il a pu pour maintenir vivante la foi du peuple. Seulement, il le fit sans arriver à comprendre que dans ces populations, qui lui semblaient seulement superficiellement évangélisées, vivait un christianisme qui, par certains aspects, était plus catholique, plus universel, et plus relié à la grande tradition que celui qu’il apportait. Même les ordres bénédictins qui fondèrent au siècle dernier et dans la première moitié du XXe siècle arrivèrent avec cette fausse compréhension et ils ont dû faire un long chemin intérieur pour récupérer, avec leur spécificité monastique, un rôle accordé à leur vocation dans l’Église au lieu d’une simple assistance à la pastorale.

C’est pourquoi, à la question initiale : l’absence monastique est-elle irréparable, nous répondons : non. Car l’influence du monachisme s’est exercée, médiatisée, aux racines de l’évangélisation hispanique d’Amérique, et nous sommes toujours en mesure de renouveler son influence nécessaire et de lui donner une présence en notre Église.

La tâche à accomplir

La nouvelle évangélisation à laquelle le pape Jean-Paul II nous appelle, ne peut être un élan qui ne s’appuierait pas sur un passé ; elle doit se nourrir des courants les plus authentiques de la tradition de l’Église. La dimension contemplative doit se retrouver au coeur même de l’Église en Amérique, dans la lecture de l’Écriture, dans l’écoute intérieure de la Parole, reçue au cœur de chaque croyant, de chaque pasteur, et de tout le corps ecclésial. Elle doit continuer à approfondir le mystère du Verbe incarné, offert pour nous, ressuscité et assis auprès du Père, dans la liturgie qui est un avant-goût de la liturgie éternelle. Pointer donc vers ce qui est permanent et essentiel, vers la Parole préexistante, vers la vocation à la sainteté. Les deux points, le premier et le dernier, Alpha et Oméga, se trouvent en Christ, l’homme nouveau, le premier-né d’entre les morts. La communion avec lui s’étend à partir de lui à tous les hommes : « Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt. 25, 40).

C’est un paradoxe, comme l’Église elle-même, que la nouvelle évangélisation demande la présence de la vie monastique. Tel est le sens du texte de Puebla cité plus haut. La vie monastique, assumée dans l’Église, sera une expérience profonde, partagée et édifiante, restauratrice de l’harmonie et porteuse de paix, justement à l’époque de l’activisme et du vide intérieur, lorsque domine la contradiction destructive de l’individualisme et de la massification. Les deux extrêmes sont des caricatures de la véritable vocation de l’homme, qui est de se constituer en unité, sans repli ni fractures, en communion avec tous par le lien de la foi et de la charité, en évitant l’uniformité de la masse et la chapelle de la secte.

Un magnifique passage de l’allocution prononcée par le pape Paul VI au Mont Cassin, le 24 octobre 1964, nous servira de conclusion :

Aujourd’hui encore, l’Église a besoin de cette forme de vie religieuse (la vie monastique) ; aujourd’hui encore, le monde en a besoin.... Oui, l’Église et le monde, pour des raisons différentes, mais convergentes, ont besoin que saint Benoît sorte de la communauté ecclésiale et sociale pour se retirer dans la solitude et le silence, d’où nous parviennent les accents enchanteurs de sa prière apaisée et profonde. De là il nous attire et nous appelle au seuil de son cloître pour nous offrir le cadre d’un atelier du service divin, d’une petite société idéale, où finalement règnent l’amour, l’obéissance, l’innocence, la liberté des choses et l’art d’en bien user, la prédominance de l’esprit, en un mot : la paix, l’Évangile. Que saint Benoît revienne pour nous aider à retrouver notre vie personnelle, cette vie personnelle dont nous avons soif et que le développement de la vie moderne, qui nous vaut le désir exaspéré d’être nous-mêmes, étouffe en même temps qu’il la réveille, déçoit en même temps qu’il en fait prendre conscience. C’est cette soif de vraie vie personnelle qui conserve à l’idéal monastique toute son actualité.

Abadia de San Benito de Lujàn
C.C. 207, 6700 LUJÀN (B), Argentina

[1Pour le cinquième centenaire de l’évangélisation de l’Amérique Latine. Article publié dans Cuademos Monasticos, 92 (1990)39-60, et traduit par nos soins. Nous remercions la revue et l’auteur de leur aimable autorisation.

[2Bibliographie générale : Gabriel Guarda, « La implantación del monacato en Hispanoamérica. Siglos XV-XIX ». Santiago Universidad Católica de Chile, 1973 (Anales de la Facultad de Teologia, 24, n. 1) ; Id., « El contexto histôrico latinoamericano del monaquismo, in Cuademos Monasticos (= CCMM) VII, 1972, n.22, 31-62 (extraits de l’oeuvre déjà citée) ; Mauro Matthei, »Monastères et vie contemplative en Amérique Latine”, in Rythmes du monde 9, 1961, 146-156 ; Id., « Implantación del monacato benedictino cisterciense en el Cono Sur », in CCMM XV, 1980, n.52, 21-128 ; Antonio Linage Conde, El monacato en España e Hispanoamérica, Salamanca, Inst. de Historia de la teologia espanola 1977, 619-660 : « El monacato en Hispanoamérica » ; Tomas Moral, « Labor social de los benedictinos en Hispanoamérica, in Acción social de la Orden benedictina, Madrid, Centra de estudios sociales del Valle de los Caídos, 1982, 323-352 ; Martin de Elizalde, »La spiritualitá del monachesimo sudamericano nella tradizione e nel contesto attuale", in Il monachesimo nel terzo Mondo. Roma, Éd. Paoline, 1979, 89-103.

[3Cayetano Bruno, Historia de la Iglesia en Argentina, tome II, 1600-1632. Buenos Aires, Éd. Don Bosco, 1967, 232.

[4Frère Géronimo de Mendieta, Historia eclesiástica indiana. Mexico, Éd. Porrua, 1980. 5. ed. facs., 442 ss.

[5Guarda, « La implantación... », 14 ; M. Matthei, « Noticias acerca de la vida eremítica en Hispanoamérica », in Yermo 3, 1965, 171-188.

[6Cf. Ernst Benz, »Die protestantische Thebais. Zur Nachwirkung Makarios der Aegypter im Protestantismus des 17. und 18. Jahrhunderts in Europa und Amerika« . Wiesbaden, F. Steiner, 1963.

[7Alvaro Huerga, Historia de los alumbrados III. Los alumbrados de Hispanoamérica (1570-1605). Madrid, Fundación Universitaria, Española, 1986, 509 ss.

[8Affirmé, entre autres, par Antonio Linage Conde, ’’Tentativas cartujanas en la America Española", in CCMM XXIV, 1989 n.89, 209-223 ; citation à la page 200, note 24.

[9Georges Baudot, Utopía e historia en México. Los primeros cronistas de la civilización mexicana (1520-1569). Madrid, Espasa-Calpe, 1983.

[10Paulino Castaneda Delgado, »La hiérarchie ecclésiastique dans l’Amérique des Lumières« , in L’Amérique espagnole à l’époque des Lumières. Colloque franco-espagnol. Paris, CNRS, 1987,81.

[11Bruno, Historia de la Iglesia..., 400 ss.

[12Ibid., 543 ss.

[13M. Selmira Bustos Correa, Historia del monasterio de la Compania de Maria de Mendoza..., Buenos Aires, 1939.

[14Guarda, « La implantación...”, 65.

[15Gordon Bodenwein, »Nuns of New Spam« , in The American Benedictine Review (=ABR) 15, 1964, 144-158 ; Almudena Laguna, »Las Jerónimas de la Adoracion", in Studia Hieronymiana. VI Centenario de la Orden de San Jerónimo. Madrid, 1973, tome 2, 487-508.

[16Guarda, « La implantación... », 11.

[17Frère José de Siguenza, Historia de la Orden de San Jerónimo. Madrid, Bailly-Baillière, 1909, 2e éd. Tome II, 110 ss., (Nva. Biblioteca de Autores Españoles, 12).

[18G. Bodenwein, »The Benedictines in Mexico« , in ABR 8, 1957, 197-214.

[19de Siguenza, Historia..., op. cit.

[20Martin de Elizalde, « Monjes jerónimos en el Río de la Plata”, in Yermo 5, 1967, 177-186 ; cf. en général : F. Javier Campos Y Fernandez de Sevilla, »La orden de San Jerónimo en Hispanoamérica : análisis político, religioso y socioeconómico de unas experiencias« , in Studia Monastica 30, 1988, 305-338 ; Laguna, »Las jerónimas...", op. cit.

[21Leander Hogg, « The monastic accounts of the shrine of our Lady of Monserrat in Lima », 1633-1645, in ABR 29, 1978, 247-259 ; Id., « Unos documentos de Nuestra Señora de Monserrat de Lima, in CCMM XV, 1980, n.55, 445-451 ; M. Matthei, »Apuntes históricos acerca del origen y fundación de la iglesia de N. S. de Monserrat de la ciudad de Lima", in CCMM XII, 1977, n.42, 313-318.

[22Bodenwein, « The Benedictines... » ; Augustine Denoble, « First Benedictine Monastery in Central and North America », in ABR 31, 1980, 290-300.

[23Pedro Wolcan, « Benedictinos estadounidenses en Colonia Suiza, Uruguay, en 1890-1892 », in Estudios de Ciencias y Letras. Revista de la Universidad Católica del Uruguay, n. 12-13, 1986, 49-78.

[24Matthei, « Implantación... », op. cit.

[25Ildefonso M. Gomez, « La Cartuja en España ». Salzburg, Inst. für Anglistik und Amerikanistik, 1984, 46 (Analecta Cartusiana, 114) ; Linage Conde, « Tentativas... », op. cit.

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