Théologie de la vie religieuse
Chronique bibliographique
Léon Renwart, s.j.
N°1991-1 • Janvier 1991
| P. 49-62 |
Les ouvrages reçus cette année se divisent en deux groupes : le premier traite de la vie consacrée sous son aspect doctrinal ; le second la considère dans sa mise en pratique, collective ou individuelle.
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I
« Il existe un malaise largement ressenti face au célibat religieux » (7), constate Laurent Boisvert dans Le célibat religieux [1]. Ce livre s’efforce de le dissiper. L’auteur précise d’abord que tout être humain est sexué : tout au long de son existence, c’est comme homme ou comme femme qu’il s’implique dans toutes ses activités. Aussi « le domaine des relations sexuées s’étend bien au-delà des relations sexuelles et connaît d’autres langages que l’échange génital » (11). Chez un être où pulsions agressives et pulsions sexuelles s’entremêlent, la chasteté concerne ces dernières ; « elle les contrôle et les met au service de la liberté humaine, de l’authenticité des relations, de la vérité de l’amour » (22). En conséquence, les divers célibats, qu’ils résultent de structures imposées ou d’un choix délibéré commandé par des projets terrestres ou par une option religieuse, doivent être situés dans la réalité globale avec laquelle ils font corps, et appréciés en conséquence. Dans une structure directement et immédiatement polarisée par le Christ et son règne, ce qui constitue la motivation déterminante de l’engagement et de la fidélité dans la vie religieuse, le vœu de chasteté est l’engagement à « pratiquer la chasteté chrétienne d’une manière conforme à cet état, ce qui inclut la continence permanente » (42), le renoncement au lien amoureux et l’acceptation du type de solitude qui y correspond.
Faudrait-il continuer à penser et à dire que « les célibataires consacrés, en raison même de leur célibat, sont unis à Dieu d’une façon particulière... le mariage (représentant) une forme inférieure de vie chrétienne » (55) ? Dans la lancée de Vatican II, qui ne fait en cela que reprendre les affirmations de l’Évangile, l’auteur montre que « quel que soit leur état de vie, tous les chrétiens ont à répondre à l’amour de Dieu par un amour total, préférentiel et exclusif » (63), lequel « en lui-même... n’exclut pas le mariage et n’inclut pas le célibat » (65).
Que penser alors, pour les religieux, de relations privilégiées entre partenaires de même sexe ou de sexe différent ? Question bien actuelle, que l’auteur examine avec soin ; il conclut : « cette amitié n’est pas l’unique chemin de l’épanouissement, la seule voie de la croissance personnelle. Il ne convient donc pas de la rechercher, mais seulement de l’accueillir quand elle se présente, si on se croit capable de la vivre » (73) et il donne un certain nombre de critères pour aider à percevoir les situations et leur évolution avec réalisme et courage.
La communauté religieuse n’est pas la seule voie ouverte au célibat pour le Christ et son règne ; elle est en premier lieu une manière de vivre la communauté chrétienne, mais elle joue aussi un rôle important dans le soutien du célibat, car elle offre à ses membres un lieu de relations vraies et d’amour fraternel, gratuit, universel et miséricordieux, tâche jamais terminée.
Quelle place la vie religieuse comme ensemble tient-elle en conséquence dans la mission essentielle de l’Église, qui est d’évangéliser ? Sa participation à celle-ci « n’est pas de l’ordre de l’exemplarité ou du modèle, mais de l’ordre du signe » (102). Certes, il ne s’agit pas de « se faire voir, mais de faire voir », d’être une forme de vie qui « par son existence même proclame les valeurs évangéliques » (103), non pas en montrant « ce que sera la vie future », mais en étant « signe du déjà du Royaume dans l’histoire » (104), « mémoire évangélique de l’Église » (J.-Cl. Guy) (105). Pour jouer son rôle de signe dans le projet religieux, le célibat doit donc y être authentique, choisi avec responsabilité, intégré au projet global, enraciné dans la foi, vécu devant Dieu, harmonisé avec la personne et incarné dans un milieu. « Le rôle premier de la vie religieuse dans l’Église est d’être signe des réalités de la foi... est évangélique le célibat qui s’enracine dans l’amour et y conduit » (132). Telle est la conclusion de ces pages, qui ont cherché « un nouveau langage qui traduise mieux notre expérience du célibat » (8). Elles constituent une belle réussite, même si l’on peut souhaiter çà et là nuances ou approfondissements.
On aurait désiré toutefois que l’auteur mette mieux en lumière la vraie grandeur de toute vocation et le sens, dans l’appel à la vie religieuse, du célibat pour le Royaume. Il le dit certes, et souvent fort bien, mais l’abondance des remarques fait que « les arbres cachent la forêt », ce qui est dommage.
Les novices du début de ce siècle, surtout s’ils étaient de formation jésuite, se seraient sans doute étonnés d’entendre parler de Formation à la liberté au noviciat [2]. Ne lisaient-ils pas dans la lettre de saint Ignace sur l’obéissance l’histoire de ce moine « qui, ayant reçu l’ordre d’aller prendre une lionne et de l’amener à son supérieur, la prit et la lui amena » (n° 18) ? Certes, l’humour ecclésiastique avait complété le récit : la lionne n’eut rien de plus pressé que de dévorer le supérieur..., ce qui apprend aux religieux à toujours obéir et aux supérieurs à commander avec prudence ! Telle quelle, cette « suite » traduit bien la mentalité courante de l’époque et la « répartition des tâches » qui semblait la règle. La décision libre du candidat ou de la candidate était certes vérifiée avec soin et à plusieurs reprises (le Droit canon l’exigeait), mais elle apparaissait comme la renonciation à la liberté propre entre les mains du supérieur, désormais chargé de déclarer la volonté de Dieu. Cette vue prêtait le flanc à des déviations (infantilisme, autoritarisme) qui n’ont pas toujours été évitées ; les publications récentes en ce domaine s’en sont faites l’écho. Le problème, comme en tout redressement, est d’éviter que le balancier ne passe à l’autre extrême. C’est dire l’utilité, mais aussi les difficultés de la recherche entreprise à cette session.
Un premier rapport (Fr. Marneffe, o.p.) les relève et décrit le parcours offert aux participants. Françoise Greffe, r.s.c.j., présente le noviciat comme lieu de proposition du charisme de l’institut et invitation à y entrer librement. É. de Clermont-Tonnerre, o.p., décrit cette étape comme un lieu de liberté évangélique et un chemin de libération spirituelle dans une communauté. Cl. Flipo, s.j., aborde le problème du rapport entre la liberté apostolique et l’obéissance religieuse ; il esquisse le rôle du noviciat sur ce point. J.-P. Marchand, de la Mission de France, voit dans le noviciat le lieu de la découverte d’un nouveau rapport au monde pour y témoigner de l’expérience de Dieu. Il y eut sans doute des échanges entre les participants ; on regrette que ces pages n’en disent rien. Malgré leur brièveté, elles ouvrent des pistes intéressantes « pour aller plus loin », comme É. de Clermont-Tonnerre y invite dans la conclusion. Nous avons particulièrement apprécié la contribution de Cl. Flipo sur l’approfondissement du sens de l’obéissance, « recherche active du vouloir du Seigneur, (où) le supérieur et l’inférieur, quand l’un commande et l’autre obéit, ont tous deux à se soumettre à l’obéissance... à une même Parole qui les dépasse » (52-53).
La vie fraternelle en commun dans la vie religieuse, du Concile au Code [3], de Gabrielle Geeroms, s.p., est une thèse de droit canon : l’auteur y tente une approche de la dimension communautaire de la vie religieuse. Elle le fait avec grand soin, en se basant sur une large information. Le ch. I, consacré à Vatican II, centre sa recherche sur le n° 15 du décret Perfectae caritatis : histoire du texte et contenu de sa rédaction définitive, éclairés par le recours aux commentateurs directs du document. Un second chapitre présente l’enseignement de Paul VI et de Jean-Paul II. Un troisième (omis ici pour des raisons d’ordre pratique) pousse la recherche chez les théologiens et les auteurs spirituels qui ont écrit entre le Concile et le Code. Un dernier chapitre étudie, dans leur histoire, leur formulation et leur contexte, les canons 602 (vie fraternelle) et 608 (résidences constituées) du Code de 1983. L’auteur conclut : « Pour exprimer des réalités profondes, il faut souvent recourir aux images » (173) et elle propose celle de la spirale, qui met bien en lumière la force du noyau central, l’amplitude de son déploiement et son ouverture vers de nouveaux développements. Ce noyau est la koinonia ; il se déploie dans la vita in communi prolongée par la vita communis ; cette communion « implique per se la mission, par analogie à la Trinité, koinonia et mission parfaites, et à l’Église, son image vivante » (174). À la suite du P. Jean Beyer, l’auteur distingue en effet vie commune et vie en commun : « la vie commune comprend la cohabitation et la communion des biens étroites et continues engendrant l’uniformité conventuelle et rituelle dans la discipline et la résidence dans la maison.... La vie en commun est (celle) qui est acceptée comme règle de vie lors de la profession. Elle sera telle que, dans certains cas, elle puisse être vécue par tous les membres d’un institut même s’ils demeurent seuls » (45 ; souligné par l’auteur). Grâce à ces distinctions, l’auteur pense pouvoir conclure que : « le Code nouveau, en déployant ainsi la vita fraterna comme communio principalement et substantiellement d’abord, puis comme vita in communi en tant qu’élément intégrant, et ensuite seulement... la vita communis au sens matériel, a non seulement réussi à clarifier les distinctions si mal repérées autrefois mais aussi à les apprécier selon leur réelle échelle de valeurs » (174). Ceci l’amène à se poser une question laissée ouverte par les textes : la vie fraternelle peut-elle être considérée comme un conseil évangélique susceptible de fournir la matière d’un vœu ou d’un autre lien sacré ? L’amour fraternel est-il un précepte ou un conseil ? « Dans l’enseignement du Christ, il n’(est) pas facile de délimiter la frontière entre les deux » (176). Faisant remarquer que tous les éléments canonisés depuis des siècles comme conseils évangéliques sont aussi des préceptes, elle note :« Ce qui, en vie consacrée, fait que ces préceptes deviennent conseils, c’est qu’ils sont conçus comme une sequela du Christ plus proche, plus permanente, plus radicale et plus perceptible » (177). « Cette concentration sur la radicalité constitue l’objet d’un choix libre assumé par quelques-uns seulement, sans toutefois remettre en cause l’obligation qui incombe à tout chrétien »(178 ; souligné par l’auteur). Aussi conclut-elle : « Plaçant dans tout ce contexte la vie fraternelle, le Code nouveau a, sans le dire explicitement, vu celle-ci comme un conseil » (179). La même conclusion s’applique à la vision communautaire de la vie fraternelle en vie consacrée (cf. ibid.).
On le voit, cette affirmation se situe dans l’optique qui distingue entre préceptes, donnés à tous, et conseils, invitant librement à une forme plus intense de suite du Christ (cf. 177). Même si cette manière de voir peut trouver des points d’appui à Vatican II, s’inscrit-elle bien dans la ligne de l’affirmation majeure de ce Concile sur l’appel de tous les chrétiens à être parfaits comme le Père céleste est parfait, chacun dans sa vocation et par le moyen de celle-ci (cf. LG 39-42) ? Comme l’ont laissé apparaître les cita n’est pas question de la virginité de Joseph, ni même de celle de Jésus" (19) ?
Pour distinguer la virginité consacrée vécue dans le monde des autres formes de vie consacrée, Janine Hourcade fait appel à des considérations qui ne nous paraissent guère concluantes (63). Elle recourt à un argument qu’elle croit trouver chez René Metz. La remarque de celui-ci « concerne le sens de la consécration des vierges et ses relations avec l’acte de la profession religieuse, car il semble bien que depuis le XVe siècle l’orientation en a été faussée. En ce domaine, l’élément humain a pris le dessus sur l’élément divin... Dans l’acte qui marque l’entrée dans la vie religieuse, tout a été centré sur la personne qui fait don d’elle-même….. C’est à la personne humaine que l’on demande de prendre ses responsabilités ; Dieu n’intervient plus qu’à titre accessoire [4]". Sauf erreur, c’est une déviation que Metz stigmatise, non une caractéristique de l’engagement religieux qu’il propose. Que la restauration de la consécration des vierges ait remis en lumière le primat de l’activité divine est une chose excellente et un réel service rendu à la vie religieuse, aidée par là à retrouver sa véritable orientation. Comme Vatican II l’a rappelé à maintes reprises, toute vocation est d’abord initiative divine, mais elle est aussi invitation à l’engagement humain correspondant.
Celui-ci fournirait-il le critère permettant de spécifier la virginité vécue dans le monde ? Nous craignons que l’auteur, ici encore, ait été victime des ambiguïtés du vocabulaire. Il y a en effet une énorme différence entre les actes par lesquels je donne (ou promets) à Dieu des choses ou des actions déterminées (une somme d’argent, un pèlerinage,...) et ceux par lesquels je fais don à Dieu de tout mon être. De ce point de vue, on doit, nous semble-t-il, mettre dans la même catégorie tous les actes publics qui engagent la totalité de la vie chrétienne : le baptême (avec sa « profession de foi », que la liturgie rénovée nous invite à renouveler chaque année à la Vigile pascale), les vœux de religion, les liens sacrés des membres d’institut séculier, la profession émise par les ermites et la consécration des vierges vivant dans le siècle. Dans chaque cas, à une initiative divine, qui est première, répond un engagement humain qui concerne la totalité de la vie, selon les modalités propres à chaque appel divin. Les diverses vocations se distinguent à ce niveau secondaire. Vu sous cet angle, si heureusement remis en lumière par Vatican II, le problème fondamental n’est pas de savoir si les vierges consacrées dans le monde font un « vœu » ou émettent un « saint propos » ; il n’est pas non plus de se demander si les religieux font trois ou quatre vœux. C’est de voir que, dans toutes ces réponses à l’appel divin authentifié par l’Église, se trouve signifié le don total de soi à Dieu selon les modalités incluses dans cette forme de vocation.
On pourrait encore se demander si la virginité consacrée dans le monde constitue « le véritable ministère de la femme » (58), même « si l’on prend ce mot dans le sens large de service d’Église » (97). L’examen de ce point, que les remous autour de l’ordination des femmes n’ont pas peu contribué à obscurcir, risquerait de nous entraîner trop loin ; on nous permettra donc d’arrêter ici la recension de ce livre stimulant par les questions qu’il soulève, les documents qu’il apporte et les réponses qu’il invite à chercher.
Vie religieuse et communautés nouvelles [5] rassemble les textes des interventions et quelques échos des carrefours et rencontres de la quatrième Session nationale française des Vicaires épiscopaux pour la vie religieuse (27-30 novembre 1989). Trois exposés de G. Lepoutre, s.j., décrivent la genèse des communautés nouvelles, les intuitions spirituelles et apostoliques qui leur sont communes, les questions que cela pose à la vie religieuse. Après une présentation de la vie monastique par J.-M. Thévenet, abbé de Tamié, Marie-Aleth Trapet émet d’intéressantes réflexions sur le statut canonique des nouvelles communautés ; elle estime dangereux de vouloir une reconnaissance juridique dans les cadres actuels, qui les « piège », si elles sont de type religieux. Il faudra inventer des formes nouvelles, avec des repères religieux, car on ne peut vivre sans structures (cf. 79). La place des communautés nouvelles dans l’Église diocésaine est étudiée par Mgr Vingt-Trois (Paris) et par P. Dory (Sens), tandis qu’une réflexion à plusieurs voix examine l’interrogation que ces communautés adressent à l’Église.
Il n’est pas possible de détailler les richesses contenues dans ces pages ; elles nous ont paru spécialement éclairantes pour une approche « en profondeur » des nouvelles communautés, dans le large éventail de leurs origines et de leurs orientations. Cela aide à distinguer chez elles le conjoncturel et le fondamental et à mieux comprendre l’interpellation qu’elles adressent, du seul fait déjà de leur existence, aux communautés religieuses et à leurs charismes, toujours valables : « Les nouveaux venus renvoient les anciens charismes à eux-mêmes pour qu’ils trouvent leur expression moderne dans le monde d’aujourd’hui comme Dieu le veut » (G. Lepoutre, 27). Ces communautés estiment que le renouveau dans l’Esprit ne se situe pas directement dans la ligne des dons du Saint-Esprit, qui visent à la sanctification intime de l’âme, mais plutôt « dans les perspectives de Luc,... comme une puissance qui nous fera témoins jusqu’au bout du monde » (Id., 33). Leur « conviction de fond (est) ce sentiment très fort que nous sommes dans un monde où il n’y a plus de tissu chrétien, qu’il faut refaire des petits espaces de convivialité... et que c’est là qu’on peut entendre la parole » (Id., 38). Concernant la « double appartenance » à un institut religieux et à un groupe nouveau, il est très important, précise le même auteur, que les choses soient claires : « Il y a un appel primordial du Seigneur qui fait que la communauté première c’est celle de l’appel, de ses vœux... (la) Congrégation d’origine » (49).
Puissent ces quelques notations inciter à la lecture de ces pages enrichissantes.
Le tome V de Jean-Paul II Aux religieuses et religieux [6] couvre les années 1987 & 1988. Il est conçu sur le même plan que les précédents (cf. Vie consacrée 1982, 125 ; 1984, 384 ; 1988, 389) et fournit, comme eux, un recueil de consultation aisée qui « fait voir l’importance qu’ont pour le Souverain Pontife la fidélité des instituts religieux à leur charisme, l’activité apostolique des religieuses et religieux, frères et prêtres » (Préface).
II
Les Cahiers Eudistes [7] consacrent leur numéro annuel de 1989 à La grande famille. Œuvre des Pères J.Arragain et H. Lopera, ces pages sont une présentation de saint Jean Eudes et des institutions qui se rattachent à son œuvre de fondateur. Il fut personnellement à l’origine de quatre d’entre elles ; dix autres s’inscrivent dans son sillage, du fait de membres de la branche masculine (Eudistes) et féminine (Société du Cœur de la Mère Admirable). Pour chacune, les auteurs présentent brièvement les fondateurs et fondatrices ; ils donnent un aperçu de l’histoire de l’œuvre et de ses perspectives d’avenir ainsi qu’une bibliographie qui sera fort utile pour des recherches ultérieures.
Du point de vue de notre chronique, l’intérêt particulier de ces pages est de laisser pressentir la richesse d’un charisme qui s’est traduit par une grande variété de réalisations. On y trouve une société de vie apostolique (les Eudistes), un ordre féminin qui connut les vœux solennels, plusieurs congrégations diocésaines ou pontificales (dont les Petites Sœurs des Pauvres), un institut séculier (les Fieles Siervas de Jesùs), une association de fidèles (jadis archiconfrérie) et une institution qui, de l’avis des auteurs, « n’est ni un tiers-ordre, ni une confrérie, ni, ce semble, un institut séculier au sens moderne du mot, car elle ne comporte pas de liens sacrés » (cf. 62). On relèvera avec intérêt une autre précision : « la caractéristique essentielle des sociétés de vie apostolique est que le moyen offert à leurs membres pour parvenir à la perfection de la charité est la seule pratique de l’œuvre apostolique de la société »06).
Cette variété d’engagements révèle, derrière les questions canoniques, un problème théologique plus profond. Ne faudrait-il pas, comme nous l’avons noté ci-dessus (56), distinguer plus nettement les engagements à faire ou à donner quelque chose (un pèlerinage, une somme d’argent, etc.) de ceux qui orientent l’existence dans sa totalité, à commencer par le baptême ? On mettrait de la sorte en lumière une spiritualité baptismale, foncièrement identique pour tous les chrétiens, nuancée par les obligations spéciales de chaque état.
Jeanne-Marguerite de Montmorency [8] est l’histoire d’une « sorte de princesse, belle, riche et douée, promise à toutes les gloires » (11), que Dieu appela sur une voie en dehors du commun. Cela débute comme un roman, par la fuite, à quinze ans, de celle qui se sent attirée à la vie érémitique. Il lui faudra près de trente ans pour y parvenir. Dans l’entretemps, elle sert un menuisier, puis une vieille comtesse acariâtre, mais elle découvre aussi le confesseur qui sera son guide, le Père Luc de Bray. Entre eux, grâce aux bons services d’un voiturier, s’établit un échange de lettres, qui sont pratiquement la seule source de renseignements sur la vie de l’ermite. Car celle-ci aura soigneusement préservé le secret de son refuge. Sa mort gardera la même discrétion : partie en pèlerinage pour Rome à l’occasion du jubilé de 1700, elle meurt en route, Dieu seul sait où.
S’inspirant du petit livre de Madeleine d’Ernemont [9], Joseph Sigward témoigne d’un réel talent d’écrivain. Mais son information soulève un point d’interrogation. Alors que les Lettres ont fait l’objet, entre 1841 et 1862, d’au moins quatre éditions différentes, il semble ne les connaître qu’« au travers des extraits relevés par (son) amie, Mère Rose de Sainte-Marie, grâce à l’obligeance fraternelle de la communauté cistercienne de l’Abbaye d’Aiguebelle » (249). Tout autant qu’Ernemont, il ignore les doutes soulevés dès 1910, sur l’authenticité de ces écrits. Au jugement de Raymond Darricau, « le caractère apocryphe du récit et de la correspondance... semble aujourd’hui démontré. Dans l’état actuel de la recherche, on pense qu’il s’agit de l’œuvre d’un groupe anti-quiétiste [10]« . Dans les citations de Sigward, nous n’avons cependant pas retrouvé les passages dénoncés par Henri Bremond [11]. Ceux-ci feraient-ils partie des falsifications jansénistes signalées par Ernemont (op. cit., 122) ou Mère Rose de Sainte-Marie n’aurait-elle remis à son correspondant que des extraits choisis ? Nous l’ignorons. Notons toutefois que, dans l’ensemble, Sigward présente avec sobriété la démarche spirituelle de Jeanne-Marguerite et met en lumière son humilité et son bon sens au cours des phénomènes extraordinaires qui jalonnèrent sa route.
Historique ou non, ce récit soulève sans doute une question qu’il ne faut pas rougir de poser : « À quoi bon ce gaspillage de talents humains enfouis dans un secret farouchement gardé ? » À une époque où l’on parle beaucoup de signe - non qu’il soit demandé de « faire signe », mais bien d’être signe - une telle vie ne serait-elle pas, pour tous les chrétiens, le rappel que le commandement « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » est seulement le second, semblable mais non identique au premier : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme » ?
Philippe Ferlay consacre La force de la foi [12] à la fondatrice des Oblates du Cœur de Jésus. Divers indices, glanés en cours de lecture, laissent pressentir qu’il s’agit d’une suite de méditations, sans doute prêchées au cours d’une retraite. Ceci explique bien le point de vue adopté : ces pages ne sont ni une biographie, ni une étude critique, mais la présentation d’un itinéraire spirituel éclairant pour notre vie. Le livre se divise en trois parties : « les profondeurs de la foi » décrivent les thèmes majeurs de la spiritualité de Louise-Thérèse de Montaignac (1820-1885) ; « l’esquisse d’un portrait » dégage les traits caractéristiques de sa physionomie religieuse ; « les chemins de la vie » montrent en elle un modèle pour les chrétiens de notre temps.
L’auteur s’appuie sur la correspondance et les Souvenirs de la Bienheureuse. Il les cite fort à propos, mais n’hésite pas à donner son avis sur les limites de certaines tendances spirituelles du XIXe siècle. Il le fait généralement avec grand discernement. Certes, chercher le fondement de l’oblation « dans le sacrifice éternel du Père et du Fils l’un à l’autre » (123) ne nous éclaire guère : ne faut-il pas plutôt le situer dans la réponse humaine du Verbe incarné à l’amour du Père ? Mais on appréciera la manière dont l’auteur dégage l’essentiel de la dévotion au Sacré Cœur ; chose plus remarquable encore, il le fait à partir des écrits de Louise-Thérèse, pour qui : « Aimer l’amour, faire aimer l’amour, voilà la dévotion au Sacré Cœur » (92). Avec l’auteur, terminons par cette confidence pleine d’humour et de sagesse : « Que j’aime donc peu la mousse dans les œuvres de Dieu ! »(136).
C’est à quatorze ans que Faustino écrit dans son journal intime « Et si Dieu me parlait... [13] », qui sert de titre au récit de sa courte vie. C’était un garçon plein de gaieté, aimant jouer au football, faire du camping, nager en mer, sortir en groupe, lire un roman, voir un film, mais c’était surtout un garçon serviable avec discrétion, « sans être pour autant une bonne poire », comme le note un de ses compagnons. Le 22 octobre 1960, lors d’une retraite, il acquiert la conviction que Dieu l’appelle à être marianiste. Et il se met en route à grands pas vers la sainteté, car il pressent que peu de temps lui reste avant que la maladie de Hodgkin ne l’emporte, après qu’il ait été reçu sur son lit de mort comme novice et autorisé à prononcer ses vœux de religion.
Fort bien et très simplement écrites, ces pages sont le récit par le P. José-Maria Salaverri, s.m., son directeur spirituel, de la montée vers Dieu de ce jeune garçon, dont la cause de béatification vient d’être introduite.
Rue de Bruxelles 61
B-5000 NAMUR, Belgique
[1] L. Boisvert. Le célibat religieux. Coll. Perspectives de vie religieuse. Paris, Éd. du Cerf, 1990, 20 x 14, 134 p., 70 FRF.
[2] Formation à la liberté au noviciat. Session C.S.M.-C.S.M.F. pour responsables de novices. Francheville V, 19-24 février 1990. Paris, C.S.M., 1990, 23 x 16, 79 p.
[3] G. Geeroms, s.p. La vie fraternelle en commun dans la vie religieuse, du Concile au Code. Bruxelles, Servantes des Pauvres, 1989, 24 x 16, 212-VIII p., 595 BEF.
[4] R. Metz. »La consécration des vierges ? Vie consacrée, 1969, 5.
[5] Vie religieuse et communautés nouvelles. Quelles questions ? Session nationale des Vicaires épiscopaux pour les instituts de religieux et de religieuses. Francheville, 27-30 nov.1989. Périgueux, Commission épiscopale de l’état religieux, 1990, 23 x 16, 127 p.
[6] Jean-Paul II, Aux religieuses et religieux. T. V. Saint Pern, Maison-Mère des Petites Sœurs des Pauvres, 1990, 19 x 12, 221 p.
[7] J. Arragain, c.j.m., et H. Lofera, c.j.m. La grande famille. Cahiers Eudistes n° 12. Roma, Eudistes, 1989, 23 x13, 118 p.
[8] J. Sigward. Jeanne-Marguerite de Montmorency. 1646-1700. Une mystique oubliée. Paris, Nouvelle Cité, 1989, 22 x 15, 256 p., 125 FRF.
[9] M. d’Ernemont. Jeanne-Marguerite de Montmorency (La solitaire des Pyrénées. 1646-1700 ?). Coll Femmes de France, 27. Paris, Lethielleux, 1929.
[10] R. Darricau. Art. »Montmorency (Jeanne-Marguerite de)’’. Dictionnaire de Spiritualité. T. X, col. 1690. Paris, Beauchesne, 1980.
[11] H. Bremond. »Un complot contre Fénelon : La Solitaire des Rochers". Le Correspondant, 238 (1910), 663-690 (repris en abrégé dans Divertissements devant l’Arche, Paris, Grasset, 1930, 194-227).
[12] Ph. Ferlay. La force de la foi. Itinéraire spirituel de Louise-Thérèse de Montaignac. Paris, Médiaspaul, 1990, 18 x 14, 158 p., 69 FRF.
[13] J.-M. Salaverri, s.m. Et si Dieu me parlait ! Faustino Pérez-Manglano. Coll. Témoins de la lumière. Paris Le Sarment/Fayard, 1989, 18 x 11, 124 p., 45 FRF.