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Échos du Colloque Saint Bernard

André Brombart, a.a.

N°1990-6 Novembre 1990

| P. 398-402 |

Riche année que celle où l’on célèbre les anniversaires d’Ignace et de la Compagnie, de Newman et de Marguerite-Marie Alacoque, de Jean de la Croix et de Bernard de Clairvaux. Ce compte rendu du Colloque consacré au grand médiéval nous indique à souhait l’amplitude que peut revêtir une vie d’amour de Dieu.
Colloque international pour le IXe centenaire de la naissance de saint Bernard. Lyon, Cîteaux, Dijon, 5-9 juin 1990.

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1890, 1953, 1990... Les centenaires de la naissance et de la mort de saint Bernard jalonnent les travaux consacrés à l’abbé de Clairvaux et à l’Ordre cistercien qu’il a si profondément marqué. À chaque fois, de savantes rencontres sont l’occasion de faire le point sur les connaissances et de mieux cerner, s’il est possible, la figure de cet homme de Dieu, bien que, comme l’écrit Dom Jean Leclercq, l’on doive « renoncer à expliquer le génie, et ce que la grâce peut obtenir de lui ».

Le colloque du IXe centenaire de la naissance de Bernard s’est tenu du 5 au 9 juin 1990, à Lyon, Cîteaux et Dijon, avec pour objectif principal la mise au point de l’introduction générale aux œuvres complètes de saint Bernard à paraître dans les « Sources Chrétiennes ». Le P. Dominique Bertrand, directeur de l’Institut qui publie cette collection, était d’ailleurs, avec son équipe, la cheville ouvrière de ces journées, qui ont rassemblé près de trois cents participants venus de toute l’Europe et d’autres continents.

Le titre du symposium : « Bernard de Clairvaux, histoire, mentalités, spiritualité », indique une volonté de ne pas couper les investigations historiques de la dimension spirituelle qui caractérise un saint docteur de l’Église, et cela, notamment, en accordant au contexte culturel et aux mentalités toute l’attention requise.

Comme on pouvait l’attendre d’une manifestation scientifique réunissant bon nombre des meilleurs spécialistes mondiaux, le niveau des communications était particulièrement élevé, jusqu’à atteindre parfois une réelle technicité. Pas moins de vingt-cinq leçons, communications ou conférences se succédèrent à un rythme soutenu, chaque journée étant consacrée à un dossier correspondant à un chapitre de la future Introduction générale, et se clôturant par une table ronde au cours de laquelle les intervenants eurent l’occasion de répondre à quelques questions venues de l’auditoire et de confronter leurs points de vue à la lumière des apports des uns et des autres.

Impossible de passer en revue ici, même brièvement, toutes les interventions qui empliront un volume entier des « Sources Chrétiennes ». Voici seulement un bref aperçu, forcément subjectif, de quelques-unes des communications entendues.

La première journée avait pour thème : « Le milieu, l’œuvre, l’homme » et débutait par une magistrale leçon du Professeur Jean Richard, de l’Institut, qui s’attacha à situer Bernard dans son époque et dans son milieu : l’Europe du XIIe siècle. Le rôle considérable que l’abbé de Clairvaux a joué dans les affaires, non seulement ecclésiastiques, mais aussi politiques de l’Europe, et cela surtout à partir de 1130, est bien connu. Le Professeur Richard montra combien ce rôle fut avant tout celui d’un conciliateur. Même si les méthodes employées par Bernard peuvent parfois paraître discutables (surtout à nos mentalités modernes), on le voit presque toujours rechercher l’apaisement, prôner une attitude évangélique à contre-courant de la manière plutôt rude des puissants de son temps.

Au cours de cette même journée, Madame Constance Berman, de l’Université d’Iowa (U.S.A.), présenta une intéressante communication sur la place des cisterciens dans le courant économique du XIIe siècle. À partir d’une recherche de première main sur les cartulaires du Midi de la France et de la Bourgogne, elle montra que, contrairement à l’idée habituellement reçue, les cisterciens n’ont guère été des défricheurs ou des assécheurs, mais qu’ils ont surtout procédé à des remembrements de terres déjà cultivées ou mises en valeur. Par achat, par donation ou par legs, ils ont réalisé un remembrement horizontal (terres contiguës) et vertical (regroupement de droits préalablement démembrés). Ce phénomène, joint à un statut souvent privilégié (exemption des droits de marché, des redevances de passage,. etc.) et à un grand pragmatisme dans la gestion (investissement en outillage et en bétail, construction de granges et de moulins, etc.) explique pour une bonne part le succès économique de l’Ordre au XIIe siècle. L’afflux, à cette même époque, d’un grand nombre de convers, main d’œuvre peu coûteuse, achève de réaliser cet essor. Les débats de la table ronde permirent de nuancer quelque peu les conclusions de Madame Berman ; on souligna, en particulier, l’existence de notables différences dans les situations économiques et le mode d’acquisition des terres selon les régions.

Ce premier jour s’acheva en beauté par une conférence publique du P. Jean Leclercq sur « Bernard écrivain ». Celui qui reste la référence de bien des travaux sur saint Bernard traça un remarquable portrait littéraire de ce saint qui nous est connu, avant tout, par des écrits, auxquels il apporta tout le soin d’un lettré et, souvent même, la virtuosité d’un artiste.

Le « moine Bernard » était au programme de la deuxième journée du colloque. Après de savantes communications sur « La législation cistercienne et ses relectures claravalliennes » (Jean-Baptiste Auberger), sur les « Miniatures des manuscrits cisterciens » (Madame Yolanta Zaluska) et sur « La Bible de Bernard » (Guy Lobrichon et Jean Figuet), Dom André Louf donna une belle conférence sur « Bernard Abbé ». Il le décrivit, à la lumière de ses œuvres et, en particulier de ses lettres, comme « un pasteur, doué de façon peu commune pour les relations humaines, pour l’enseignement et pour l’accompagnement spirituel. Riche d’une affectivité aux multiples facettes, capable d’être père et mère à la fois – et, curieusement, souvent plus mère que père ! –, son amour, ses conseils et sa prière poursuivaient ses moines jusqu’au-delà de la tombe ».

Le thème de la troisième journée, « Bernard dans la Réforme de l’Église », permettait d’aborder les nombreuses interventions de l’abbé de Clairvaux à l’extérieur de son monastère, en particulier son rôle dans l’organisation de la deuxième croisade et celui qu’il joua dans les différends doctrinaux de son temps. Sur ce dernier sujet, Mgr Pietro Zerbi, de l’Université du Sacré-Cœur de Milan, livra le fruit d’une recherche menée depuis plus de vingt ans. Il s’attacha à reconstruire minutieusement à partir des sources – notamment épistolaires – la dynamique de la controverse avec Abélard, qui aboutit au Concile de Sens en 1140 (ou plutôt, selon les recherches de Mgr Zerbi, en 1141) et analysa également le différend qui opposa Bernard à Gilbert de la Porrée et qui fut conclu au Concile de Reims de 1148. Mgr Zerbi discerne, à l’arrière-plan de ces conflits, l’affrontement de deux systèmes culturels qui s’incarnent dans deux théologies : l’une, finissante, la théologie monastique, héritière de l’ère patristique, dans laquelle se meut Bernard, et celle, en plein essor, des écoles urbaines.

Une très intéressante communication de Jacques Verger, de l’École Normale Supérieure, vint ensuite compléter utilement les conclusions de Mgr Zerbi. Le Professeur Verger estima que si Bernard est héritier d’une tradition ancienne, il est aussi un novateur. Il est constamment en contact avec des hommes issus des écoles, dont un certain nombre entreront d’ailleurs dans ses monastères. Lui-même, adolescent, a suivi l’enseignement des chanoines de Châtillon-sur-Seine et il n’est pas interdit de penser qu’il a étudié dans les écoles durant la période de six ans précédant son entrée à Cîteaux, sur laquelle nous n’avons aucune information. Enfin, même s’il est vrai que la conception pédagogique de Bernard est très différente de celle qui a cours dans ces écoles, elle ne leur est pas étrangère, comme le révèle une analyse de son vocabulaire.

L’après-midi, le P. Casey développa les thèmes majeurs de la spiritualité bernardine : désir de Dieu, réforme et discipline, amour, vertus, unus spiritus.

Sous les titres « Saint Bernard » et « La théologie de saint Bernard », enfin, les communications des deux derniers jours étaient consacrées au Saint et au Docteur. Signalons les deux contributions les plus riches. Selon le Professeur De Leo, de l’Université de Calabre, « la postérité spirituelle de Bernard » reflète trois aspects de sa personnalité : d’abord l’ alter Benedictus de la vie monastique et avant tout de l’ordre cistercien, puis le théologien de l’union avec Dieu dans l’amour, enfin la « colonne » de l’Église et le défenseur de ses prérogatives.

Pour le P. Verdeijen, de la Ruusbroecgemeenschap, la théologie de Bernard se fonde sur deux expériences : une vision de Noël dans le château ancestral et, dans l’infirmerie de Clairvaux, une relecture de cette expérience première à la lumière du Cantique des Cantiques et de son commentaire origénien, en compagnie de son ami Guillaume de Saint-Thierry.

Le programme, pourtant déjà chargé, des travaux scientifiques du colloque était complété de manifestations culturelles et liturgiques. Outre plusieurs réceptions offertes par les autorités locales et départementales, mentionnons une visite guidée du site de la cathédrale Saint-Jean, à Lyon, un remarquable concert de musique cistercienne du XIIe siècle et une visite de l’abbaye de Cîteaux. C’est sur le site de cette abbaye que les congressistes étaient conviés à participer à la messe solennelle finale : une trentaine d’évêques, les abbés généraux de l’Ordre, un bon nombre d’abbés et d’abbesses, plus de cent cinquante prêtres, entourés d’une assemblée nombreuse et fervente, ont célébré, au nom de l’Église de France, la mémoire de Bernard, sous la présidence du Primat des Gaules, le Cardinal Decourtray.

De l’avis général, ce colloque fut une réussite, tant sur le plan scientifique que sur celui de l’organisation. Les participants en sont repartis avec une image sans doute plus riche, mais aussi plus nuancée, de ce Saint qui a su, dans une mesure exceptionnelle, se laisser animer par l’Esprit de Dieu.

Rue des Braves, 21
B-1080 BRUXELLES, Belgique

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