L’adieu à petite sœur Magdeleine de Jésus
René Voillaume
N°1990-5 • Septembre 1990
| P. 291-295 |
L’homélie prononcée par le P. Voillaume aux funérailles de petite sœur Magdeleine de Jésus (Rome, 10 novembre 1989) nous donne de nous incliner humblement devant le mystère de la vie et de la mort d’une lumineuse figure de notre temps. En son émouvante sobriété, la méditation permet à tous d’entrevoir comment la mission d’une fondatrice ne s’achève pas à sa mort, laquelle représente pourtant le passage de son œuvre du moment constituant au temps constitué.
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Il est bien difficile, devant un événement comme celui du départ de notre petite sœur Magdeleine de Jésus pour le paradis, d’exprimer et de démêler les sentiments, parfois contradictoires, qui nous habitent en ce moment. Cependant je me dois de le faire, en mon nom et au nom de tous ceux et celles qui ont connu petite sœur Magdeleine, et en particulier au nom de ses petites sœurs.
La Providence a permis qu’elle termine cette période de sa vie terrestre, alors que la Fraternité achevait de célébrer, dans la joie et l’action de grâce, le cinquantième anniversaire de sa fondation. Les célébrations eurent lieu successivement à Aix-en-Provence, puis ici à Tre Fontane et en bien d’autres régions, en particulier au Maroc, à Casablanca, et surtout à Touggourt, dans le sud algérien, le 28 octobre dernier, au lieu même et dans les locaux de la première fraternité consacrée à une très pauvre population de nomades.
Et cependant, alors que nous célébrions l’œuvre accomplie, et la croissance du bel arbre issu de la graine semée cinquante ans plus tôt par petite sœur Magdeleine, le Seigneur achevait de purifier par la souffrance de la croix celle qui avait été, entre ses mains divines, le docile instrument de la réalisation d’un de ses desseins d’amour. Et après de longues semaines de souffrance et d’impuissance, celui qu’elle aimait tant, Jésus, lui a enfin ouvert toutes grandes les portes du paradis. Ce paradis, elle l’avait désiré avec une foi d’enfant, surtout durant ces derniers mois, consciente d’avoir achevé cette partie de la mission confiée par Dieu et qu’elle devait accomplir ici-bas. Une partie de sa mission, car nous en sommes certains, elle continue désormais du haut du ciel et avec la permission de Dieu, sa mission de fondatrice. Oui, la mort de notre petite sœur Magdeleine, de votre mère, petites sœurs, constitue un événement qui doit marquer nos vies, un peu comme la vie des apôtres fut marquée par cet événement que constitua pour eux le départ de Jésus, par son ascension. Dans le désarroi de l’absence, commençait un nouveau mode de présence et d’action au niveau des cœurs, des consciences et des libertés et ce fut alors la naissance de l’Église, Corps du Christ et règne de l’Esprit.
Le départ pour le ciel de petite sœur Magdeleine constitue un événement pour chacune de vous, petites sœurs, pour la Fraternité entière en tant que congrégation, pour nous tous et pour l’Église.
Petites sœurs, vous savez à quel point votre mère vous aimait, à quel point elle aimait et connaissait chacune de vous. Durant les longues années de collaboration intime avec petite sœur Magdeleine, j’ai toujours été frappé par la connaissance qu’elle avait de chaque petite sœur. Cette connaissance profonde était celle de l’âme. Plus d’une fois, je me suis dit qu’une telle connaissance ne pouvait être qu’un don exceptionnel de l’Esprit Saint. Même durant les dernières semaines de sa vie, alors qu’elle avait peine à respirer, elle me parla deux ou trois fois, longuement, de telle ou telle petite sœur, se souvenant de tout, de ses problèmes, de ses difficultés, comme si elle avait part au regard de Jésus sur chacune de vous. Vous savez, par expérience, à quel point une brève rencontre avec elle était pour vous un moment de grâce. Combien chacune de vous, petites sœurs, vous auriez aimé la revoir, ne fût-ce qu’un seul instant. Et Dieu sait à quel point votre mère, même épuisée, retrouvait toute sa lucidité et sa force lorsqu’elle recevait quelqu’une d’entre vous. Désormais il est en votre pouvoir, si votre foi est forte et simple comme celle d’un enfant, et avec la grâce de Jésus, de retrouver votre mère, présente en votre cœur. Vous savez à quel point petite sœur Magdeleine était exigeante pour ce qui concernait l’idéal de votre vie religieuse de petite sœur. Elle-même vous a toujours donné l’exemple d’une extrême droiture, du courage, ce courage dont le frère Charles fit preuve lui-même dans le don de sa vie à Dieu. C’est chose sérieuse de donner sa vie à Dieu. Désormais vous n’aurez plus à attendre un voyage à Tre Fontane pour la rencontrer quelques minutes. Elle n’est plus là, limitée par les murs de sa petite chambre, mais c’est elle désormais qui frappera à votre porte, attendant que vous lui ouvriez votre cœur. Elle sera présente par la mémoire que vous garderez de ses paroles, de ses enseignements, mémoire accompagnée désormais d’une grâce de force et d’amour qui vous sera accordée par l’Esprit Saint à la mesure de votre foi et, j’ose le dire, si vous priez petite sœur Magdeleine de vous l’obtenir. Dans la gloire de Jésus, sa maternité spirituelle peut désormais s’épanouir pleinement dans l’ordre mystérieux de la communion des Saints. Dieu ne donne pas une telle mission, la mission de fonder, simplement pour un temps, celui de la vie terrestre, car il est de la nature de cette mission de se poursuivre au-delà de la mort et tant que, dans les desseins de Dieu, il y aura des petites sœurs de Jésus sur la terre.
C’est pourquoi la mort de petite sœur Magdeleine est aussi un événement pour la Fraternité entière et en particulier pour celles d’entre vous qui ont reçu de l’Église la responsabilité de la diriger, de la garder.
Que petite sœur Magdeleine ait reçu de Dieu une mission particulière en vue de faire naître la Fraternité des petites sœurs de Jésus, de définir son idéal religieux et de la guider fermement dans sa croissance en fidélité à cet idéal, ce fut bientôt pour nous tous une évidence. Les nombreux signes de la présence de Dieu dans sa vie et de l’action de l’Esprit-Saint à travers elle sont là pour l’attester. Ceux et celles qui ont vécu en communion intime avec elles ont souvent été frappés par la force avec laquelle se manifestait en elle la grâce de la mission de fondatrice. Cette grâce s’imposait à elle, souvent à l’encontre de son tempérament et au prix de grandes souffrances, ce dont personne ne pouvait se douter, sauf ceux et celles qui la connaissaient intimement. De cela, je puis personnellement rendre témoignage.
L’authenticité de cette mission fut confirmée à maintes reprises par la confiance que lui témoignèrent non seulement un grand nombre d’évêques, mais les Papes, en particulier Pie XII, Paul VI, comme Jean-Paul II le rappelait récemment dans son discours aux petites sœurs, à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de leur fondation. Petite sœur Magdeleine eut l’occasion de rencontrer, avant même qu’il soit élevé à l’épiscopat, celui qui devait devenir Jean-Paul II. Et nous savons à quel point il entourait votre mère de son affection et il a tenu à être présent parmi nous en se faisant représenter par le Cardinal Martin, lui-même un ami de toujours de la Fraternité.
L’authenticité de la mission de fondatrice de petite sœur Magdeleine fut enfin reconnue également par l’approbation solennelle et définitive donnée par l’Église à la Fraternité des petites sœurs de Jésus, le 25 décembre de l’an passé. Malgré tout, l’Église ne peut définitivement reconnaître et authentifier une mission de fonder dans la personne même qui a reçu une telle grâce de Dieu, avant que la mort ait apposé définitivement son sceau à cette mission. C’est pourquoi, désormais, nous pouvons affirmer que toute la vie de petite sœur Magdeleine de Jésus, ses enseignements et sa vie nous ont été donnés comme une parole de Dieu dans la vie de l’Église. Depuis que l’Église a été fondée par Jésus sur le fondement des apôtres, l’Esprit Saint ne cesse de la guider, suscitant parfois en elle des hommes et des femmes qui deviennent ainsi des sources de vie, manifestant la vitalité de ce sacrement du Christ qu’est l’Église.
Le mystère pascal de mort et de souffrance, passage vers la Vie à la suite de Jésus et avec Lui, votre mère, petites sœurs, vient de le vivre. Elle participe désormais à ce mystère d’absence et de présence qui est celui même de la vie du Christ dans son Église. Vous n’êtes donc pas orphelines, pas plus que les apôtres ne le furent au départ de leur divin Maître.
Cette heure, petites sœurs, revêt cependant pour vous une certaine gravité, car elle est aussi l’heure d’un transfert de responsabilité. Tant que votre mère était parmi vous, la mission de fonder reposait en définitive sur elle. Désormais cette responsabilité repose sur la Fraternité entière, sur vous toutes, sur vos responsables. Ce ne sont pas seulement des liens d’affection qui vous lient à petite sœur Magdeleine, mais des liens de fidélité et d’obéissance, dans le respect dû à une Parole de Dieu s’exprimant à travers tout ce qu’elle a été. Nous devons tous prier instamment pour que par son intercession, nous puissions demeurer fidèles à son message.
Car le départ de petite sœur Magdeleine nous permet maintenant de dire à haute voix et d’affirmer ce qu’elle fut pour toute l’Église. Dieu seul sait ce que, évêques, prêtres, religieux, religieuses et laïcs, et parmi eux les plus pauvres, ont reçu d’elle, du rayonnement de son amour universel et de son message de simplicité, de pauvreté, de présence d’amour aux plus pauvres. Oui, Dieu seul le sait.
Mais le discours auquel j’ai déjà fait allusion, celui de Jean-Paul II, rappelait aux petites sœurs que leur mission auprès des plus pauvres devait exprimer et témoigner de ce respect de sa dignité que l’on doit à tout homme. Il ne m’est pas possible en quelques minutes de rappeler tous les aspects du témoignage que nous laisse petite sœur Magdeleine. Ils sont tous présents à la mémoire de votre cœur. Je voudrais seulement en terminant rappeler ici à quel point elle fut constamment habitée par une grâce insigne d’œcuménisme. Elle le fut à un degré exceptionnel à cause de l’humilité de son cœur et du don qu’elle avait de voir en toute personne, de respecter en toute personne la meilleure partie d’elle-même et la part de vérité qui était en elle. Dieu a permis que cet œcuménisme soit exprimé ici, dans notre assemblée, unie dans une même communion d’amour et de vénération pour celle qui, nous le savons, demeure plus que jamais présente et agissante parmi nous. Puissions-nous obtenir d’elle cette grâce de fidélité à son message.
Cépic
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