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La direction spirituelle dans la sollicitude pastorale de l’Église

Albert Chapelle, s.j.

N°1990-3 Mai 1990

| P. 162-179 |

Quelle est la tâche propre de la direction spirituelle, au regard de la vie ecclésiale ? Quel est son rapport à l’ordre sacramentel ? Comment décrire la figure du directeur spirituel ? Qui donne, à qui, comment, ce témoignage de l’Esprit ? La réflexion du théologien et du pasteur apporte à ces questions délicates les suggestions d’une pratique inspirée de la tradition ignatienne et située dans l’ecclésiologie de Vatican II.

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Dans cette note, nous voudrions proposer quelques réflexions, surtout pratiques, quant à la nature et à l’exercice de la direction spirituelle elle-même située dans l’ensemble de la sollicitude pastorale de l’Église pour ses fidèles. Après avoir esquissé le lien particulier que la direction spirituelle entretient avec le sacrement de réconciliation, nous évoquerons en quoi elle s’enracine principalement dans la tâche prophétique et surtout pastorale que le Christ confie à son Église ; puis nous développerons plus largement son contenu, en détaillant son objet, ses acteurs et sa « manière de faire ».

Son rapport à l’ordre sacramentel

Il importe, pour commencer, de dégager, dans l’unité, la distinction entre la direction spirituelle et le sacrement de réconciliation et de pénitence. L’unité est évidente : dans l’un et l’autre, Dieu se sert des enfants des hommes pour conduire à lui. Les différences sont tout autant à souligner. Le sacrement est un geste du Christ-Prêtre, qui conjoint à son acte, au mystère de sa Croix : c’est le Christ lui-même qui efface les péchés. Toute autre pratique chrétienne est un geste des chrétiens, inspiré par l’Esprit de Jésus Christ. La direction spirituelle se passe entre des personnes humaines. Elle ne concerne pas d’abord les péchés mais l’être humain tout entier, dans sa croissance spirituelle. Cette ampleur plus grande de la direction spirituelle doit être mise en corrélation avec ce qu’a d’unique, d’irréductible, le geste du Christ dans le sacrement de pénitence autant que dans le sacrement de l’Eucharistie.

Les liens sont évidents. Quand les fidèles demandent le sacrement de pénitence, souvent quelque direction spirituelle est donnée, sous forme de conseil ou d’exhortation, en même temps que l’absolution : il faut aider l’homme à marcher vers Dieu. De soi, l’absolution ne demande pas une exhortation, mais, si on opère les discernements nécessaires, il est normal qu’à l’intérieur du sacrement une direction spirituelle puisse être esquissée. Par ailleurs, la direction spirituelle s’appuie aussi, de manière directe ou indirecte, sur le sacrement. La direction prend en compte la réalité de l’homme pécheur, elle renvoie au sacrement du pardon. Du point de vue de celui qui reçoit comme de celui qui donne une direction spirituelle, le geste sacramentel, souvent posé hors de celle-ci, est comme un sceau mis sur les échanges. La vérité à laquelle accède, par la présence et le geste du Christ, l’aveu sacramentel, dans l’acte du pénitent, est plus radicale et plus profonde que toute conversation humaine, si ouverte soit-elle. Il y a une différence considérable entre le récit d’une faute, entrecoupé de l’évocation des motivations, des faiblesses, des résistances, des excuses aussi, et l’aveu de la vérité face à Dieu et dans le Christ. C’est une richesse incommensurable pour la direction spirituelle (pour celui qui la reçoit et pour celui qui la donne) de pouvoir connaître ces moments de vérité.

Quelques indications pratiques sont utiles pour clarifier (autant que faire se peut) le lien posé par celui qui demande une direction spirituelle avec le sacrement de pénitence. Lie-t-il direction et confession, habituellement ou exceptionnellement ? Qui propose le sacrement ? À quel moment ? Dans quel lieu est-il célébré ? Le conseil ici donné est de préciser ces points, de mesurer les enjeux pour chaque personne en direction spirituelle. Il n’est pas toujours possible de les clarifier d’emblée. Il y faut parfois beaucoup de temps.

La figure du directeur spirituel

Ce qu’il n’est pas

Le directeur spirituel n’est pas un thérapeute au sens psychologique, encore moins psychiatrique, du terme. La direction spirituelle est une tâche qui inscrit l’être humain à l’intérieur de l’économie du Salut. Il ne s’agit pas d’aider la personne à se trouver bien avec elle-même, à prendre la mesure de ses conflits internes et psychiques ou à mûrir sa propre expérience humaine, mais de l’aider à se situer (surnaturellement) devant le Christ, devant Dieu.

Le directeur spirituel n’est pas identiquement un confesseur. La direction spirituelle comme telle ne relève pas de la charge sacerdotale propre au Christ et aux pasteurs de l’Église. La célébration de tout sacrement est un geste d’offrande par lequel le Christ conjoint à son sacrifice, à son union à Dieu. En ce sens, la direction spirituelle n’est pas un geste spécifiquement sacrificiel ou sacerdotal bien qu’il s’enracine dans l’ordre sacramentel, nous allons le dire.

Le directeur spirituel n’est pas un supérieur. La charge de supérieur concerne le bien commun et porte sur l’ordination des actes d’une personne à la mission de l’Église. Le supérieur donne un « status », une mission. Il demande une tâche ; il donne une règle, il impose un ordre du jour et des lignes de conduite.

Le directeur spirituel n’a pas cette tâche. La direction spirituelle n’est pas un acte de gouvernement lié au pouvoir d’ordre ou de juridiction ; elle n’est pas immédiatement un geste qui atteste la royauté du Christ ou qui symbolise la paternité de Dieu.

Ce à quoi il participe

Le directeur spirituel participe à la tâche prophétique du Christ. Il parle au nom de l’Esprit, il est son porte-parole, son porte-voix. Il guide, il discerne, il reconnaît, il témoigne, il atteste, il console, il fortifie, il prépare, il confirme, il dispose. Lisons les hymnes liturgiques au Saint-Esprit et nous comprendrons mieux la mission du directeur spirituel. Certes, il n’a pas à donner un enseignement comme professeur, même si la direction comporte une part d’enseignement plus ou moins grande d’après les âges de la vie. Sa tâche n’est pas d’abord celle de docteur.

Le directeur spirituel participe à la sollicitude pastorale du Christ : il lui faut guider le Peuple de Dieu. Même si quelque juridiction, dans l’Église, est donnée aux supérieurs et supérieures en dehors du pouvoir d’ordre, c’est le sacrement de l’ordre qui institue les pasteurs de l’Église : évêques, prêtres, diacres. Sans doute, et il faut le noter clairement, comme l’atteste la pratique séculaire de l’Église, la grâce de la direction et de la guidance spirituelle est donnée à bien d’autres dans l’Église. Cependant, c’est d’abord aux pasteurs de l’Église à guider les personnes singulières autant que les communautés qu’elles constituent. Le mot « pasteur » est donc ici à entendre au sens ecclésiologique précis de Lumen gentium, où « pasteurs » (évêques, prêtres, diacres) se distingue de « fidèles ».

Nous proposons donc ici de considérer que la direction spirituelle en un sens strict est une responsabilité qui incombe primordialement - non pas exclusivement - aux pasteurs. Les autres formes de guidance spirituelle et elles sont variées, se référeront donc, d’une manière ou d’une autre, à leur foyer ecclésial : l’évêque et ses coopérateurs. L’inclusion mutuelle des deux principes, « hiérarchique » et « charismatique », de la constitution de l’Église doit toujours être respectée. Même si un mandat n’est pas nécessaire, il y aura pourtant toujours une mission intérieure à toute pratique de l’accompagnement spirituel structuré et régulier.

La tâche de la direction spirituelle

Ce qu’elle est

Pour caractériser son objet, on peut employer les termes de saint Ignace : « Chercher et trouver la volonté de Dieu », en se rappelant que Dieu gouverne toutes choses par amour et que la volonté de Dieu est pleine de sagesse. Le Père manifeste une volonté toujours aimante, elle repose dans le Verbe incarné, et l’Esprit Saint en donne le secret. « Chercher et trouver la volonté de Dieu » c’est aussi aider et disposer à l’accomplir. Les PP. Barry et Connolly notent : « L’objet de la direction spirituelle, c’est l’expérience personnelle, réelle de la relation à Dieu ». « Son objet est proprement religieux. » Dans La pratique de la direction spirituelle ils écrivent encore : « Il faut se rendre attentif à Dieu d’une part et de l’autre, il faut aider à choisir une réponse à Dieu [1] ».

Il ne suffit pas d’invoquer la volonté de Dieu, il faut encore la pratiquer. La réponse vient en second lieu ; elle n’est pas moins importante, mais l’objet de la direction spirituelle est d’abord la découverte de la volonté de Dieu. C’est une erreur, dans la direction spirituelle, de se faire exhortatif ou pressant comme si l’accomplissement libre de la volonté divine dépendait tellement du zèle du directeur spirituel. Non. Il doit aider l’homme à chercher et à trouver la volonté de Dieu. Il laisse à l’âme la responsabilité de l’accomplir.

« Chercher et trouver la volonté de Dieu » concerne proprement le sujet personnel dans sa relation à Dieu. Le mystère de la personne y demeure distinct de ses actes en leur expression visible ou suivant leur référence au bien d’autrui. La relation de la personne à Dieu ne peut se réduire aux paroles et aux gestes qui l’expriment « extérieurement ». Elle indique le sanctuaire où l’être humain est visité de Dieu et se réfère à lui (Gaudium et spes 16). Ici, point d’obéissance à un être humain : la direction spirituelle aide à discerner et reconnaître la volonté et la bonté de Dieu dont la voix même se fait entendre. La relation de la personne à Dieu et à sa sainte volonté est plus intime que tout acte posé et que toute relation aux autres où doit s’établir davantage le for externe.

Le « matériau » sur lequel travailler est la conversation avec ce qu’elle comporte de paroles et de silences : il s’agit d’ écouter... de répondre... de converser.

La vie fraternelle suppose l’aide et le bon exemple mutuels pour s’édifier dans la foi. Il n’est donc pas défendu au directeur spirituel d’être édifiant. Sa tâche n’est pas cependant d’abord de donner le bon exemple, mais d’aider à reconnaître la volonté de Dieu. Lui-même se rend compte que, dans sa propre vie, il n’observe pas bien la volonté de Dieu. Ce n’est pas une raison pour cesser d’aider les autres à la trouver. Plus les autres découvriront et accompliront la volonté de Dieu, plus il se découvrira pécheur. Cela ne doit pas l’empêcher de donner une direction spirituelle. Il la donne parce qu’il en reçoit la mission. Chacun des prophètes dit : « Je ne sais pas parler ». Le Seigneur lui répond : « Va, écoute, parle ».

J’ai parlé de conversation pour mettre l’accent sur les paroles et non sur les gestes. Indépendamment de questions affectives ou sexuelles, il est important de le percevoir. Une vie commune se construit notamment par les gestes et les services rendus ; la direction spirituelle déconseille plutôt de rendre service à ceux que l’on doit guider. Le désintéressement apparaît ainsi dans une plus grande transparence et une plus parfaite gratuité. Certes, aucun adolescent ne se laissera accompagner spirituellement s’il ne trouve pas une aide, un service, une bonté, un cœur qui l’écoute. Cela fait partie de la pédagogie humaine. Mais aider quelqu’un à « chercher et à trouver la volonté de Dieu » vaut par soi et n’a pas besoin de se faire valoriser ou créditer par ailleurs, même si l’affection humaine peut aider en ces choses. Cette manière abrupte de s’exprimer marque l’exigence spécifique de la tâche.

« Écouter » puis « répondre ». La direction spirituelle n’est pas une prédication. Écouter suppose que celui qui, implicitement ou explicitement, demande une direction spirituelle, parle. Il faut parfois aider à parler en parlant. Pour susciter quelque confidence d’un garçon de quinze ans, il faut parfois écouter longuement des propos en apparence étrangers à la direction spirituelle, mais nécessaires pour qu’il puisse se dire en sa vérité personnelle. La priorité donnée à la parole de qui demande la direction spirituelle est capitale : elle commande l’attitude de disponibilité de celui qui est témoin de l’Esprit car la direction spirituelle, c’est d’être témoin à neuf de l’action de Dieu dans une âme, telle qu’elle se confie dans la parole. Il n’y a pas à souffler des paroles édifiantes, constructives ou même illuminatrices ; il faut discerner, dans ce que le « dirigé » peut confier de lui-même, ce qui le conduit à Dieu ou le détourne de Dieu.

« Écouter » puis répondre. La réponse donnée à une question posée en direction spirituelle renvoie toujours au-delà d’elle-même. Non qu’il faille dire : « Je ne sais pas, vois toi-même, je te renvoie à ta conscience ». Il faut parfois rappeler une loi, la vérité du dogme, le bon sens élémentaire. Mais ce que dit le directeur spirituel n’est jamais seulement (ni adéquatement) réponse à la question posée. La parole confiée par celui qui demande la direction spirituelle vient de plus loin que lui ; la parole donnée en réponse conduit plus loin que l’un et l’autre ; la direction spirituelle est, dans l’Esprit Saint, toujours un acte de foi. C’est dire la contemplation et la prière, la confiance ici demandées.

Préparer... confirmer

L’aspect de préparation est important. S’y mêle une part de pédagogie humaine, un apprentissage de l’ascèse chrétienne et un enseignement de la doctrine spirituelle. Nous l’avons dit, la direction spirituelle ne trouve pas sa spécificité propre dans une tâche doctrinale. Celle-ci en est plutôt une préparation ou un présupposé indispensable. Car il y a une doctrine de la vie spirituelle, et elle doit être communiquée. La direction spirituelle n’est pas l’instrument adéquat de cette transmission. Mais elle prend, de ce point de vue, deux allures différentes. Elle peut être formation, éducation du Christ en l’autre, révélation de ce que le Christ est en lui et de ce qu’il est pour le Christ. Ultérieurement, la direction spirituelle accueille et éclaire la manifestation de la gloire du Christ en celui qui est devenu spirituellement mûr, à la merci de Dieu.

S’il s’agit de quelqu’un de confirmé en âge, en responsabilité et en expérience, lui donner une direction spirituelle, ce n’est pas l’exhorter aux vertus ; ce n’est pas l’instruire ; c’est le confirmer : « Pour autant que cela dépend de moi, oui, je suis d’accord ». Les personnes peuvent savoir mieux que celui qui donne la direction spirituelle ce qui est en question. L’expérience et la compétence n’interdisent, ni ne dispensent, de demander une confirmation spirituelle. Le directeur spirituel demeure alors le témoin, au nom de l’Esprit, dans l’Église, de ce qui vient ou ne vient pas de Dieu, de ce qui conduit ou ne conduit pas à Dieu. Confirmer, c’est aussi « consoler » au sens où saint Ignace emploie le terme : croissance dans la foi, l’espérance et la charité, dans la joie et l’allégresse.

Prière. Appels. Charité. Abnégation

Ces quatre termes peuvent symboliser les matières de la direction spirituelle.

La prière englobe, certes, les exercices spirituels, mais aussi tout ce qui touche à l’union à Dieu, ce qui fait grandir l’âme dans l’amour de Dieu, toute l’expérience religieuse.

Par appels, j’entends non seulement les appels concernant la vocation, ou le choix d’un état de vie, mais tous les appels inscrits par Dieu dans nos vies pour manifester chaque jour sa volonté. Plus l’âme est ouverte, plus souvent Dieu l’appelle au long d’une journée ; plus elle est refermée sur elle-même, plus elle se figure que Dieu n’a rien à lui dire. Le directeur spirituel rend attentif aux appels, aide à les reconnaître et à y répondre. Le terme de « prière » représente souvent le mouvement de l’âme vers Dieu, même si c’est l’Esprit Saint qui suscite ce mouvement. « Appel » marque l’initiative de Dieu. Ces appels peuvent être de partir en mission, de se sacrifier en telle circonstance, de prendre telle responsabilité : ils sont infiniment diversifiés, et tous signifient la volonté de Dieu sur une personne.

La charité dit ici le don de soi à Dieu, le don de soi aux autres. On n’imagine pas que Dieu puisse travailler une âme, aimer quelqu’un, sans l’amener à se donner, sans lui donner d’aimer, de pratiquer la charité. Ceci concerne les commandements et les vertus, les pratiques ou les engagements, les responsabilités, les faits et les gestes ; si la direction spirituelle a pour tâche de chercher à découvrir les appels de Dieu, elle doit aussi aider à discerner les appels de la charité.

L’abnégation est le complément nécessaire à la charité : pas de don de soi sans passage par la croix, sans pratique de l’abnégation, appelée encore renoncement ou mortification.

Ces quatre points doivent toujours être l’objet de la direction spirituelle. Ils n’ont pas à être évoqués dans chaque conversation ; mais si l’un ou l’autre d’entre eux n’est jamais traité, quelque chose manque certainement à la direction spirituelle. Celle-ci n’aide que de manière partielle à « chercher et à trouver la volonté de Dieu » ; elle doit alors être amendée. C’est une question de tact que de pouvoir amener la conversation sur un de ces thèmes. Parfois, pour toutes sortes de motifs humains, souvent légitimes, un domaine n’est pas évoqué. D’après la confiance faite, l’expérience, la liberté éprouvée, la prière vécue, il faut voir comment aborder ces points. D’autres seraient ici directifs et diraient : il faut parler de prière et de vocation, il faut parler de charité et de mortification. En dehors de situations précises (comme celle d’un noviciat) il importe de mettre l’accent sur la liberté spirituelle de celui qui doit évoquer lui-même ces divers sujets. Il faut cependant pouvoir sortir de l’ornière une direction spirituelle qui s’enlise quand tout un pan de vie n’est jamais évoqué.

Qui donne la direction spirituelle ?

Nous l’avons déjà évoqué, d’abord les pasteurs de l’Église. C’est ainsi une tâche épiscopale, même si souvent les évêques sont empêchés de la remplir. Présentement, le Saint-Siège nomme des évêques auxiliaires dans les grandes métropoles urbaines de façon à ce que les prêtres aient comme interlocuteurs non seulement d’autres prêtres, mais des évêques. L’évêque, en fonction de sa paternité spirituelle, doit pouvoir donner ce témoignage personnel aux prêtres, lesquels sont, en ceci également, les collaborateurs ordinaires des évêques. En vertu de leur participation au ministère hiérarchique, ils guident ordinairement les âmes vers Dieu.

Il reste que les fidèles peuvent et doivent aussi exercer une certaine direction spirituelle, dans l’accompagnement spirituel, par exemple. Mais nous pensons qu’il y a réel profit à pouvoir distinguer ce qui relève de la direction spirituelle donnée par un prêtre et ce qui relève de la guidance spirituelle donnée par un non-prêtre [2].

Dans la vie religieuse, existent à ce propos des conflits inévitables. Ce ne sont pas nécessairement des questions de personnes. Mais la difficulté subsiste de tirer au clair ce qui relève immédiatement de la relation de la personne avec Dieu et ce qui relève, par ailleurs, des faits et gestes du comportement quotidien. Ainsi une supérieure peut connaître mieux une religieuse que le directeur spirituel, parce qu’elle est une femme, parce qu’elle vit avec sa consœur et qu’elle initie à la vie de communauté. Mais l’irréductibilité de la personne à ses actes demeure toujours devant Dieu. Il convient aux supérieurs religieux de reconnaître dans l’Église ce mystère, irréductible à toute affection, à toute confiance, à toute fraternité. Dans les instituts masculins, ces distinctions sont plus facilement vécues, encore que les conflits ne soient pas rares. Les différences d’avis entre père spirituel et supérieur sont choses habituelles. Cela ne veut pas dire que l’un se trompe et que l’autre a raison. Chacun parle au nom de la grâce reçue. Chacun doit obéir à ce qui lui est demandé. Le rôle du père spirituel est de montrer le caractère raisonnable de l’ordre du supérieur, d’aider ainsi le dirigé à l’accepter. Mais aussi, son rôle est plus encore de montrer ce que la décision prise peut comporter de saintement irréductible à toute justification. La divergence d’avis entre directeur spirituel et supérieur n’est une catastrophe pour personne. Cela fait partie du mystère de l’obéissance et de la vie dans l’Esprit.

À qui donner la direction spirituelle ?

À des personnes, c’est-à-dire à des êtres humains dans leur relation à Dieu. Je rappelle un seul point : il convient de suivre le rythme du temps, de la vie. La direction spirituelle est souvent liée à un certain âge de croissance : adolescence, jeunesse, temps de formation. Cependant, l’enfant peut, très jeune, recevoir une direction spirituelle. Les paroles dites à l’âge de trois, quatre ou cinq ans peuvent orienter sa vie. Et il n’y a pas d’âge où la direction spirituelle devient inutile. Il est bon de garder, durant toute la vie, une référence, quelqu’un à qui demander conseil pour « chercher et trouver la volonté de Dieu ». Qui n’appréciera la confirmation donnée, la consolation à recevoir de l’Église, un témoignage que l’Esprit inspire pour nous fortifier ?

Comment donner une direction spirituelle ?

Prière

Le temps de la direction spirituelle est un temps de prière, en tout cas pour celui qui la donne. Pour celui qui la reçoit, l’attention donnée aux paroles peut légitimement le prendre plus entièrement. Mais écouter quelqu’un sans écouter Dieu, c’est manquer la profondeur de ce qui se passe. Parler sans demander la lumière de l’Esprit est un peu court. Certains conseillent de prier ensemble. En conformité avec ce qui a été souligné, je suggère de laisser l’initiative à celui qui demande une direction spirituelle. S’il désire prier avec nous, prions avec lui. Hésitons avant d’imposer une demande de prière. Prions pour celui qui nous est confié. Prier, ce n’est pas nécessairement penser beaucoup à lui, c’est souvent le contraire. Tout un travail de purification est nécessaire pour ne pas être accroché par les confidences reçues ou par les soucis partagés. La compassion ne consiste pas à se laisser engloutir dans les peines confiées, mais à les offrir à Dieu et à demander à Dieu pour chacun force, grâce et lumière.

Désintéressement

Il s’agit d’abord du désintéressement quant à l’argent par lequel je symbolise tous les biens matériels, tous les avantages. Si quelqu’un est en direction spirituelle chez vous, c’est une raison de plus pour ne pas lui demander de services. « Ce que vous avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement. » S’il s’agit de Dieu, comment y mêler notre avantage personnel ? Il semble aller de soi qu’il ne faut pas se faire payer. Il ne faudrait pas non plus y chercher d’autres avantages matériels.

Désintéressement encore quant à l’affection. Une affection naît toujours, parfois forte et profonde. C’est une affection où se mêlent nécessairement transfert et contre-transfert. Il n’y a là ni pathologie, ni dérèglement, ni immoralité. Mais cet ensemble de projections, d’affinités, ne font pas la direction spirituelle. Cela peut-être un obstacle ou cela peut devenir un « matériau » qui aide à la confiance, à la compréhension, à l’intelligence en commun de la volonté de Dieu. On voit mal - quoique cela soit parfois indispensable, et nécessaire dans la vie religieuse - comment se confier à quelqu’un envers qui on n’éprouve aucun sentiment de confiance, ni aucune sympathie.

Désintéressement enfin par rapport à l’influence. C’est là un point difficile et important. Si l’on enseigne, on veut ouvrir les esprits à la vérité telle qu’on croit la connaître. Enseigner, c’est exercer une influence. Le but de la direction spirituelle n’est pas le prosélytisme en faveur de pensées et de convictions (aussi saintes et aussi pieuses qu’elles soient). Il s’agit encore moins de militer pour des engagements humains, intellectuels ou sociaux. Que Dieu conduise quelqu’un à ce qui nous paraît bon ou à ce que nous ne souhaitons pas pour lui, c’est aussi bien. Il faut être « indifférent » (cf. Exercices spirituels n°15). Ce point est difficile aussi bien au niveau intellectuel qu’au niveau de l’engagement et de l’action.

Docilité

Elle concerne avant tout celui qui donne la direction spirituelle. Il doit pratiquer cette docilité s’il veut l’enseigner. La docilité, la patience et l’abandon à la parole de l’autre. Rien de plus étranger à la direction spirituelle que le policier qui vérifie. Quand on donne une direction spirituelle, beaucoup de choses nous sont tues. Mais pourquoi fallait-il nous les dire ?

Il ne convient pas de faire parler, même s’il s’agit de choses très graves. Laissons parler. Si le père spirituel a le sentiment de se trouver devant quelqu’un qui ne lui dit qu’une part de vérité, en dissimule une autre, qu’il se laisse tout de même conduire. Ce cas est extrême. Mais il est toujours difficile de se fier sans vérifier. Entendre quelqu’un sur sa parole et non pas sur celle d’un tiers, est un exercice d’ascèse. La simplicité de l’attitude est celle de la docilité, à la limite aveugle, à celui que l’on a charge d’aider. Le père spirituel doit ordonner à Dieu la parole qui lui est proposée. C’est tout. Qu’il aide la personne à se confier mieux pour aller plus droitement, plus sincèrement à Dieu. C’est assez.

Discrétion

Elle regarde d’abord, vis-à-vis de lui-même, celui qui donne la direction spirituelle. Cela représente un travail sérieux et important. C’est purification de l’esprit et abandon de la foi que de ne pas se laisser impressionner, affecter par les péchés confiés, par les confidences reçues. Indépendamment même de toute réaction affective ou sexuelle, il ne faut pas rêver à ce qu’on imagine bon ou mauvais pour tel ou tel. Ne pas rêver. Réfléchir parfois. Prier.

La discrétion à l’égard de celui qui reçoit la direction spirituelle est aussi nécessaire. « Tu as dit il y a trois mois ceci, tu dis le contraire aujourd’hui ». Relever ainsi les contradictions ou faire état de propos antérieurs est délicat. Il faut respecter la personne au présent de sa relation avec Dieu, dans l’Esprit.

Discrétion enfin vis-à-vis des tiers, cela va de soi. Avec cette réserve importante (en dehors de la confession) que chacun, y compris le directeur spirituel, a le droit et parfois le devoir de demander conseil. Demander à quelqu’un une direction spirituelle, c’est lui donner le droit de consulter à votre propos, même sans vous en parler. Il peut le faire, mais sans indiquer de qui il s’agit. « Telle est la question posée, telle situation a été exposée, que dire ? que penser ? » La demande de conseil à propos d’une direction spirituelle est toujours un droit et même un devoir. À tout âge de la vie, on a besoin de conseils en certaines circonstances. En dehors de cela, il faut se taire, y compris sur les choses publiques. Si elles nous ont été confiées, gardons-les.

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B-1040 BRUXELLES, Belgique

[1W.A. Barry et W.J. Connolly, La pratique de la Direction spirituelle, coll. « Christus », 66, Paris, Desclée de Brouwer, 1988, p.68. Cf. toujours le beau livre de J. Laplace, La direction de conscience ou le dialogue spirituel, Paris, Marne, 1965.

[2Cette distinction n’est pas seulement sociologique ou fonctionnelle. Il y va de l’acte même de la direction spirituelle qui participe de l’autorité avec laquelle l’Église hiérarchique sert la communion de ses fidèles, dans leurs réponses à l’Esprit de sainteté. On le voit : si l’accompagnement spirituel manifeste plus directement la fraternité en Christ, la direction spirituelle relève déjà du rôle du Christ comme Tête de son Église à qui il donne l’autorité de « paître les brebis ». Cette autorité n’est pas formellement réservée au sacerdoce ordonné mais elle lui convient sans doute-avec les formations requises - en vertu du lien particulier entre direction spirituelle et sacrement de réconciliation, d’une part, mais aussi en ce que la direction spirituelle trouve une autre part de sa tâche dans la confirmation de ce que l’Esprit dit aux Églises, tâche que la seule « compétence » ne fonde pas. Ce lien particulier au sacrement de réconciliation et cette mission de confirmation peuvent et doivent être honorés dans l’accompagnement spirituel donné par des fidèles non prêtres : les Pères du désert, tout le monachisme aussi bien oriental qu’occidental, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse d’Avila, etc. attestent que, lorsqu’il en va ainsi, la maternité de l’Église et la paternité divine s’accordent à fortifier chacun comme, toutes proportions gardées, le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce hiérarchique se symbolisent mutuellement.

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