Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Formation à la vie religieuse au Rwanda

Gertrude Mukangango, o.s.b.

N°1990-2 Mars 1990

| P. 96-107 |

Nous sommes heureux de publier ces pages, riches d’informations et d’expérience, sur un type de formation religieuse en Afrique. Avec les questions qu’elles posent, les réflexions sur la relation à Dieu, la solidarité sociale, l’organisation du noviciat, nous donnent de partager l’espérance d’une jeune Église qui préparera, lors de la visite prochaine de Jean-Paul II, le premier centenaire de son implantation.

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Préambule

Appelée depuis quelque temps à accompagner les jeunes dans les débuts de leur vie religieuse, j’ai l’audace et la joie d’écrire ces lignes sur la vie des jeunes religieux et religieuses au sein de notre Église du Rwanda.

Le Rwanda est un petit pays de l’Afrique centrale souvent appelé “le pays des mille collines” bien qu’elles soient plus de mille ! D’un abord difficile en raison de sa configuration montagneuse, c’est seulement en 1900 qu’il a été atteint par les premières caravanes de missionnaires ; c’est le grand Cardinal Lavigerie qui y envoya ses équipes de missionnaires d’Afrique communément appelés Pères Blancs. Dans dix ans nous fêterons le centenaire de notre évangélisation. En dépit des difficultés propres à tous les débuts, on peut dire que l’annonce de la Bonne Nouvelle a reçu au Rwanda un accueil généreux. La religion traditionnelle était strictement monothéiste, ce qui constituait pour le christianisme une importante pierre d’attente. Après cinquante ans d’évangélisation, les chrétiens formaient 25 % de la population, après soixante-quinze ans 51 %, sans compter de nombreux catéchumènes, sur une population de plus ou moins cinq millions. C’est dire que la montée du christianisme ne s’est pas ralentie ; le peuple rwandais répond encore avec ferveur à l’appel de la conversion.

Comme la plupart des pays d’Afrique, le Rwanda est habité par un peuple jeune : les moins de vingt-cinq ans forment 60 % de sa population. C’est parmi eux que doit grandir l’Église de demain ; c’est vers eux surtout que doit aller la sollicitude de l’Église ; parmi eux naissent en ce moment un très grand nombre de vocations, au sacerdoce, à la vie religieuse et au laïcat consacré. Inutile de dire que ces vocations ont besoin d’être orientées, soutenues et encadrées ; c’est pourquoi des initiatives de pastorale vocationnelle sont nées dans les diocèses du pays et cherchent actuellement à coordonner leurs activités. Le pays n’étant pas très étendu, un travail de formation d’ensemble est possible. Nous le verrons plus loin.

Avant tout nous irons aux sources en parlant de la motivation qui pousse les jeunes à se consacrer à Dieu, ensuite viendra un aperçu sur la méthode de formation qui les aide à réaliser leur idéal. Enfin nous dirons quelques mots de cette vocation spécifique qu’est la vie monastique de type contemplatif telle qu’elle est vécue ici. Elle m’est plus familière que les autres formes de vie consacrée.

Motivations

“Seigneur, tu m’as séduit et je me suis laissé séduire” (Jr 20,7). A plusieurs reprises, me trouvant avec un groupe de jeunes, j’ai été touchée par ce refrain émanant de leur cœur comme de leurs lèvres. Ne peut-on trouver là le secret de leur motivation ? C’est à travers ce chant, me semble-t-il, qu’ils expriment ce qui les habite. Voilà donc quatre-vingt-dix ans que le Rwanda a reçu la Bonne Nouvelle. Au long de ces décennies et à travers maintes épreuves, le christianisme n’a cessé de pénétrer la vie des Rwandais. Aujourd’hui plus que jamais la voix du Christ retentit dans le cœur des jeunes et y reçoit une réponse généreuse. C’est parfois à travers de grandes difficultés que ces jeunes manifestent leur générosité, leur courage et surtout leur vision très claire de la primauté du Royaume de Dieu sur toutes les valeurs terrestres. Quelquefois les parents et l’entourage acceptent difficilement que leur fils ou leur fille se consacre à Dieu, surtout quand celui-ci ou celle-ci est au travail et rapporte un salaire dont toute la famille, au sens large, bénéficie. Nous pouvons dire que l’Église “prêche”, mais “le monde” aussi le fait de son côté.

Néanmoins, bien des jeunes optent pour la vie religieuse malgré ces oppositions et vont droit leur chemin en dépit de leur milieu familial, qui considère cette vie comme privée de bonheur ou gâchée parce qu’elle ne perpétue pas la transmission de la vie dans la lignée.

Heureusement, tels ne sont pas tous les milieux : d’autres parents chrétiens laissent volontiers leurs enfants embrasser la vie religieuse et les aident même à y parvenir.

Peut-on se donner à Dieu pour s’assurer une vie tranquille, pour la sécurité du lendemain, comme on le dit souvent, ou pour poursuivre des études ? C’est très possible, mais nous remarquons que ce genre de vocation ne tient pas.

Réponse : “Me voici !”

Comment ces jeunes sont-ils orientés dans leur choix alors qu’il y a plus de vingt congrégations masculines et une cinquantaine de congrégations féminines dans le très petit pays qu’est le Rwanda, sans compter les différentes formes de vie consacrée dans le laïcat qui ont déjà un grand nombre d’adeptes ?

Cette question s’est posée avec acuité à nos évêques, aux responsables de maisons religieuses et à tous ceux qui ont des tâches pastorales. Aussi des initiatives sont nées émanant de différents milieux, privilégiant d’abord ceux de l’enseignement secondaire où se forme la classe plus intellectuelle du pays, de l’enseignement primaire ensuite et atteignant enfin toute la famille. Déjà cette pastorale vocationnelle avait été ébauchée à Butare comme dans d’autres diocèses il y a plusieurs années, principalement sous forme d’une exposition par photos, cartes, statistiques etc. Chaque famille religieuse disposant d’un panneau pour se faire connaître.

Il apparaît actuellement souhaitable de coordonner tous ces efforts en une pastorale d’ensemble à l’échelon national. Les religieux et religieuses étant les plus impliqués dans cette question, c’est l’association des formateurs (maîtres et maîtresses des novices) qui a pris l’initiative d’élire un comité vocationnel. Celui-ci doit ensuite être approuvé par l’assemblée des supérieurs (res) majeurs et finalement par la conférence épiscopale.

Pour permettre une première orientation, l’Église a mis à la disposition de tous les jeunes et de leurs conseillers un petit fascicule intitulé : “Me voici, Seigneur !”, paru en kinyarwanda, la langue du pays, et aussi en français, seconde langue nationale. Ce livret a permis à chaque congrégation ou ordre de se présenter brièvement, avec son charisme propre, sa spécificité, un aperçu de ses activités et de ses exigences pour l’admission des candidats (tes). Ainsi, bien que les contacts soient limités de région à région, un jeune du nord peut être amené à adresser sa lettre de demande à une communauté religieuse se trouvant dans le sud du pays. Chez nous, au monastère, nous recevons des lettres souvent formulées ainsi : “Je désire me donner à Dieu et j’ai lu dans Karame nyagasani (Me voici, Seigneur) que votre devise est “Prie et travaille”, c’est pourquoi je désire entrer dans votre famille religieuse”. Certaines grandes congrégations actives reçoivent jusqu’à cent cinquante-cinq lettres de demande par an. Le problème est alors de faire le discernement déjà avant l’admission.

Ces vocations viennent de toutes les catégories auxquelles les jeunes peuvent appartenir : universités, milieux de travail, fonctionnaires, enseignants (tes) etc., d’autres s’orientent en terminant les études secondaires, mais ces études étant réservées à une minorité en raison du grand nombre des moins de quinze ans, la majorité des jeunes cherchent leur voie en terminant les huit années d’école primaire ou les trois années d’études post primaires. Une caractéristique du Rwanda est la densité de sa population, la plus forte de toute l’Afrique. Certaines congrégations sont actuellement sensibilisées à la question que se posent bon nombre de jeunes : “J’ai entendu dans mon cœur l’appel de Dieu, je ne puis donc pas lui répondre parce que je ne connais pas le français.“

Pour la majorité des jeunes filles - celles mentionnées en troisième lieu ayant achevé études primaires ou post-primaires et ne pouvant avoir accès à l’école secondaire où les places sont très limitées-, un centre mis sous le patronage de sainte Bernadette, a été créé par Mgr A. Perraudin, évêque émérite de Kabgayi. Œuvrant depuis une quarantaine d’années dans le pays, il en connaît bien tous les problèmes et a voulu apporter une solution, au moins partielle, à celui des jeunes filles qui n’ont pu acquérir le niveau d’études suffisant pour profiter de la formation donnée dans les noviciats. Au Centre Sainte Bernadette, des postulantes ayant déjà donné des preuves suffisantes de sérieux et de persévérance, ou même des jeunes déjà engagées dans la vie religieuse, peuvent suivre un cycle d’études de deux années équivalant aux deux premières années du secondaire. A chaque congrégation de poursuivre ensuite la formation de ses candidates sur cette base, soit avant, soit après la formation religieuse proprement dite donnée au noviciat.

Initiatives pour la formation

Bien entendu, la première année du noviciat est consacrée, comme partout ailleurs, à former les jeunes selon l’esprit de la famille religieuse dans laquelle ils désirent s’engager, à leur inculquer le charisme particulier du fondateur et de ceux qui l’ont vécu à travers les siècles, à les préparer à le vivre à leur tour dans les circonstances de lieu et de temps où ils se trouvent. Pour cet élément de la formation, la famille religieuse qui accueille est irremplaçable : elle offre surtout l’encadrement, l’expérience et l’exemple des religieux déjà engagés, en même temps que leur enseignement. Durant ce premier temps de formation, les jeunes s’éprouvent et s’édifient, aux deux sens du mot.

Pour ce qui est d’une formation plus doctrinale, plus livresque, il est évident que les différents types de vie religieuse s’alimentent aux mêmes sources. C’est pourquoi, dans notre diocèse, est née et a été réalisée depuis une dizaine d’années, l’idée de réunir les novices de plusieurs congrégations différentes pour des cours communs : c’est l’internoviciat. A Butare, dans la maison de formation des Pères Pallottins, il réunit les novices - Frères et Sœurs - de douze maisons de formation. Cette formule a comme premier avantage de donner un meilleur choix de professeurs et d’épargner le temps et les forces de ceux-ci. Ils viennent du Grand Séminaire de Nyakibanda ou de l’Institut Catéchétique Africain de Butare, enfin des différents noviciats et savent adapter leurs cours au niveau des novices. Le second bienfait de ces cours partagés est le climat de communauté fraternelle qu’ils créent au sein de cette jeunesse venant d’horizons différents et parfois de niveaux culturels très variés. Il s’avère que cette adaptation mutuelle est également un moyen propice de formation. Au cours de deux longues matinées de quatre heures par semaine, les novices abordent ensemble le monde de la Bible, l’histoire de l’Église et celle de la spiritualité, l’Évangile bien entendu, une initiation à la prière, la théologie de la vie religieuse, la psychologie religieuse, la liturgie et la christologie etc. A la fin de chaque trimestre, ils mettent encore en commun le bienfait des cours reçus par une évaluation de ceux-ci et de la manière dont ils ont été assimilés.

Des initiatives similaires ont été prises dans d’autres diocèses, mais celui de Butare a la particularité d’avoir attiré le plus grand nombre de maisons de formations, étant le centre où sont implantés l’Université Nationale et l’Institut Catéchétique Africain. Ce dernier forme, au cours de deux années d’étude catéchétique, de futurs enseignants, religieux (ses) ou laïques, venant de tout le Rwanda et des pays limitrophes, Zaïre, Burundi et autres.

Sessions pour novices

Indépendamment des cours internoviciat organisés au diocèse de Butare, une deuxième formule de rencontre a été mise sur pied. Chaque année, c’est au niveau de tout le pays que des sessions de six jours sont organisées pour les novices - Frères et Sœurs - dans un cadre propice au recueillement tel que le Centre Christus de Remera-Kigali dirigé par les Pères Jésuites. Toutes les Congrégations n’y participent pas et cependant le nombre de novices est tel qu’il faut les répartir en quatre sessions, deux pour ceux de première année qui en 1989 étaient quatre-vingt-deux et deux pour la deuxième année, au nombre de soixante et onze. Chaque groupe est encadré par trois animateurs différents : un religieux-prêtre, un Frère et une Sœur qui représentent déjà des spiritualités parfois très diverses. La session de première année est orientée vers l’essentiel : la personne de Jésus-Christ telle que nous la manifeste l’Évangile. Ce thème conduit les jeunes à une nouvelle découverte du Christ (a-t-on jamais fini de le découvrir ?). Chacun, selon sa foi et son ouverture de cœur, approfondit sa vie d’intimité avec le Maître. L’ambiance et le climat du groupe favorisent grandement cette expérience et les mises en commun ont un impact considérable. A partir de leur rencontre avec le Christ, les novices partagent volontiers avec leur groupe l’histoire de leur vocation et leur cheminement. Au commencement de la session, chacun pensait être comme une île ; dans les partages, ils sont étonnés de découvrir leurs similitudes.

La même ambiance fraternelle règne dans la session de deuxième année. Le Christ est, bien sûr, toujours le centre de la recherche, mais celle-ci est axée principalement sur les vœux, la profession religieuse, sur laquelle débouche normalement ce temps du noviciat. Les trois vœux sont étudiés séparément au long de cette semaine, après un exposé sur la vie religieuse en général, la vie de communauté, etc. On fait ensemble une relecture de la vie du noviciat, ou plutôt chaque participant est amené à faire individuellement cette relecture pour voir où il en est et évaluer sa préparation à l’engagement des vœux.

Ajoutons qu’aucune de ces sessions n’a jamais manqué de la présence et des encouragements du Nonce Apostolique du Rwanda. Celui-ci vient apporter à ces futurs religieux et religieuses la pensée du Saint-Père sur l’état qu’ils veulent embrasser, répondre à leurs questions et les questionner à son tour et finalement célébrer avec eux l’Eucharistie puis partager simplement leur repas. Cette attention du représentant du Pape confirme les novices dans leur sentiment d’appartenir à la grande Église du Seigneur et dans leur volonté de s’engager, tant par leur vie de prière que par leurs activités apostoliques, dans une œuvre ecclésiale aux dimensions universelles.

Pour assurer un bon déroulement de ces sessions, elles sont préparées par l’ association des formateurs, qui, chaque année, met au point les modalités à suivre selon les besoins et les aspirations des jeunes qui leur sont confiés. Ces formateurs eux-mêmes assument à tour de rôle l’animation des sessions, selon les normes données plus haut.

La vie monastique

Parmi une cinquantaine de maisons de formation, sept d’entre elles forment des jeunes à la vie monastique : deux Carmels, un monastère de Pères Carmes, un de Clarisses, un de Visitandines, un de Moines Bénédictins et un de Moniales Bénédictines. Depuis le début de son implantation, comme ce fut le cas pour le christianisme et pour la vie apostolique, la vie contemplative a trouvé un bon écho au sein de notre pays. J’aurais dû mentionner plus haut que les vocations à la vie consacrée naissent surtout des groupes de prière (mouvement charismatique) ou d’autres formes d’engagement chrétien telles que Légion de Marie, Ligue du Sacré-Cœur, J.O.C., Xaveri, etc. L’initiation à la prière et à la méditation qu’on y donne éveille chez des jeunes un attrait vers la vie contemplative. A partir des groupes de prière, beaucoup de jeunes éprouvent le désir de s’engager dans une vie consacrée exclusivement à la prière continuelle.

Au sein de notre culture rwandaise se trouvaient des pierres d’attente qui ont favorisé l’insertion de la vie monastique, en particulier sous son aspect cénobitique. Dans cette culture, il y a une puissante solidarité sociale : l’accueil des hôtes est essentiel, les visites fréquentes sont de règle accompagnées de dons réciproques tels que celui d’une vache par exemple, personne n’ira chez l’autre sans recevoir un pot de bière. Cela a même été érigé en dicton : “L’amitié qui ne s’entretient pas par des visites ne persiste pas : Isuka ibagara ubucuti ni akarenge” (littéralement : le pied est la houe qui sarcle l’amitié). Ceci pour souligner que la vie communautaire, inhérente à la vie monastique, trouve sa place dans la culture rwandaise. C’est en groupe que l’on pense, comme c’est en groupe que l’on vit. Mais en cela l’égoïsme peut se glisser du fait des limites qui cantonnent les relations dans le clan et la famille au sens large. Pour la vie monastique, tout est conçu de telle manière que les membres de la communauté ne se choisissent pas et doivent vivre ensemble jusqu’à la mort. Tous s’y rencontrent grâce à l’appel qu’ils ont perçu. Il y aura donc un effort à faire pour christianiser ce sens social afin que l’union de la communauté ne soit pas menacée par des exclusions ou des discriminations. C’est la part de la “conversion des mœurs” qui fait l’objet d’un vœu dans la famille bénédictine.

Après avoir vu que le Rwandais met sa joie dans la vie sociale, on peut se demander s’il est capable d’une vie solitaire. Nous savons bien que la vie monastique ne consiste pas seulement en relations communautaires, une grande part y est réservée à la solitude.

L’assiduité à la prière, à la présence de Dieu, trouve-t-elle sa place dans cette culture ? Depuis toujours notre peuple était monothéiste, comme nous l’avons vu dans le préambule, il priait un seul Dieu et se référait à lui en toutes circonstances. Même si son sens religieux était entaché de superstitions, d’interdits et de tabous, on peut dire qu’il était spontanément croyant. Ce que l’évangélisation a apporté de nouveau, entre autres choses, c’est la dimension des relations intérieures avec la Sainte Trinité.

Dans son étude sur les valeurs et pierres d’attente de la culture rwandaise par rapport au christianisme, le Père Nothomb, p.b. [1], constate que la croyance en un seul Dieu ne semble pas avoir de lien avec la vie intérieure du Rwandais. Avant l’évangélisation, il y avait une ignorance complète de la vie vertueuse et de la sainteté de Dieu-Père. La morale était basée surtout sur la peur du malheur ou de la maladie, elle n’était pas liée à un rapport entre Dieu et le Rwandais. Il sait seulement qu’il ne doit pas fâcher Dieu de peur d’être sanctionné par d’automatiques punitions. C’est au niveau social que le Rwandais vit : là Dieu intervient, lui qui voit tout. Le Rwandais s’acquittera des exigences sociales et institutionnelles aussi fidèlement que possible, davantage par crainte d’avoir un malheur que par souci de plaire à Dieu. Il connaît Dieu, le sait tout proche de lui, mais comme un inconnu dont il ignore les secrets intimes.

Saint Benoît nous demande de “fuir l’oubli de Dieu”. C’est grâce à la lumière de l’Évangile que le Rwandais, tout en ayant cette mémoire de Dieu, est amené à l’aimer et à pardonner à son frère. Ce qui se vit dans nos maisons monastiques depuis plus de trente ans est la preuve irréfutable que ces notions ont pris racine dans notre culture : les moniales s’adonnent à la prière de façon gratuite et assidue et, de même, au travail dans le silence et le recueillement.

Quand le jeune arrive au monastère, même s’il a été initié à la prière, il trouve une tout autre structure de vie à laquelle il doit s’adapter. Ne pas parler souvent peut paraître pénible à certains tempéraments plus portés à la parole, mais on y arrive à force de s’y exercer.

Le Rwandais est un homme pieux en ce sens qu’il rapporte tout à Dieu ; dans la vie monastique nous est offerte une école de prière vraie, en esprit et en vérité. “A mesure qu’on avance dans la vie monastique et dans la foi, le cœur se dilate et, dans l’indicible douceur de l’amour, on court sur la voie des commandements de Dieu” (Prologue de la Règle de saint Benoît). C’est même en cela, croyons-nous, que consiste pour nous l’inculturation : grandir dans la foi, comprendre l’essence de la vie monastique et l’incarner dans notre culture commune.

Conclusion

Les premiers missionnaires, rejoints très tôt par les Sœurs de Notre-Dame d’Afrique ont été suivis, au cours de ces huit décennies, par un nombre important d’autres religieux et religieuses appartenant à diverses congrégations et originaires d’une grande variété de pays depuis le Canada jusqu’à l’Inde (avec les Sœurs Missionnaires de la Charité de Calcutta). Très vite aussi, ils ont été épaulés dans l’évangélisation par un clergé local et de très nombreux religieux et religieuses autochtones formant ou non leurs propres congrégations.

Les bases solides ont été ainsi posées, la foi nous a été donnée. Il revient à présent aux prêtres, aux religieux et religieuses du pays de faire monter les murs de l’édifice. L’inculturation du message de l’Évangile est d’autant plus indispensable que l’on se voit menacé par l’emprise des sectes et même par un certain retour aux pratiques ancestrales. Cela manifeste une incompréhension et donc un manque de compénétration de l’Évangile et de la culture propre à notre pays. Comment concilier celle-ci avec la foi chrétienne ? Ce doit être un souci majeur de ceux qui animent la pastorale vocationnelle et pour cela il est nécessaire d’atteindre aussi les familles. C’est au sein des familles donnant une bonne éducation chrétienne que germent et grandissent les meilleures vocations. Cette évangélisation familiale est au premier plan du rôle qui revient aux laïcs dans l’Église.

En commençant cette année 1990, l’Église du Rwanda s’apprête à recevoir la visite pastorale de SS. le Pape Jean-Paul II, les 7-8 et 9 septembre prochains. Nul doute que cette visite ne soit un précieux encouragement et un stimulant pour la chrétienté de notre pays et en particulier pour tous ceux qui œuvrent à cette tâche d’inculturation de la Bonne Nouvelle et à l’orientation de la jeunesse du pays vers un service d’Église généreux et éclairé. Parmi d’autres urgences, le Saint-Père ne cesse de souligner l’importance qu’il attache à la formation des jeunes religieux et religieuses. Le Droit Canon exhorte ceux et celles qui sont chargés de la formation des religieux à veiller à “ce que les novices aient une meilleure connaissance de la vocation divine à laquelle ils ont été appelés et telle qu’elle est vécue dans l’institut qui les reçoit, qu’ils fassent l’expérience du genre de vie de celui-ci” (canon 646, § 2). Et ailleurs il est dit que “les novices seront formés à contempler le mystère du salut, à lire et à méditer la Sainte Écriture” (canon 652).

Tel fut certainement le but des organisateurs des cours internoviciats, aussi bien que des sessions annuelles de novices inter-congrégations. Ayant le privilège de participer aux unes comme aux autres, je puis apprécier cette dimension universelle vécue de façon concrète par les novices de notre Église et remarquer que la confrontation de leur expérience personnelle avec celle d’autres jeunes, engagés dans des formes de vie parfois très différentes, enrichit et élargit leur vision de leur propre institut. Au-delà de ces rencontres de leur jeunesse, les religieux pourront mieux œuvrer ensemble au service de l’Église, dans l’unité des enfants de Dieu, selon l’Esprit du Seigneur, afin “que tous soient un”.

Monastère de Sovu
B.P. 232 BUTARE, Rwanda

[1D. Nothomb. Un humanisme africain - valeurs et pierres d’attente. Bruxelles, Ed. Lumen Vitae, 1965.

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