Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

« Venez et goûtez comme est bon le Seigneur »

Mon histoire d’amour avec Jésus

Danielle Bourgeois

N°1990-1 Janvier 1990

| P. 46-52 |

Comment une vie brisée par l’infidélité conjugale peut-elle devenir source de réconciliation intime et même de fidélité renouvelée pour beaucoup ? Déjà connu par ailleurs, le témoignage de l’auteur peut être accueilli ici comme une bouleversante icône du mystère chrétien du mariage, mais aussi comme un signe d’espérance pour toutes les formes de la vie consacrée : au cœur même des blessures et des ruptures, l’amour s’atteste encore comme un pardon.
Reproduit avec l’aimable autorisation de la revue Prêtre et Pasteur, 4450, rue St-Hubert, Montréal, Qué. H2J 2Wq, Canada, où cet article a paru en février 1989.

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On m’a demandé d’écrire mon histoire personnelle avec Dieu et c’est dans l’action de grâce que je le fais, car il m’a revêtue de sa miséricorde. Mon histoire est une page d’évangile écrite de la main du Christ, et j’aimerais crier à tous mes frères en Église la grandeur de l’amour et de la miséricorde de notre Père, manifestée en son Fils et transmise par l’Esprit.

Enfance

Je suis née à Montréal et, dès ma petite enfance, la Providence préparait son instrument pour l’œuvre à laquelle Dieu m’appellerait un jour. Car tout est présent à Dieu. Mes parents s’aimaient énormément ; cependant il leur arrivait de se quereller assez sérieusement. Nous, les enfants, sentions qu’un jour il nous faudrait sans doute choisir entre papa et maman. Dans ces moments-là, mon cœur d’enfant était déchiré et je suppliais le bon Dieu de nous les laisser tous les deux. Dès l’âge de sept ou huit ans je comprenais qu’un enfant ne peut être heureux qu’avec ses deux parents. Alors je m’agenouillais et, à travers des ave, je suppliais Marie pour que mes parents s’aiment à nouveau. Dès ce jeune âge, j’accomplissais à mon insu mon ministère d’intercession pour l’unité des familles, en commençant par la mienne. Dieu a entendu et exaucé ma prière car mes parents ne se sont jamais séparés. Ils nous ont inculqué les valeurs réelles du sacrement du mariage, avec sa dimension de fidélité dans la souffrance.

Jeune fille

Quand j’ai eu quinze ans, mon père m’a retirée de l’école pour me prendre avec lui dans son commerce. C’était la condition pour que ma mère accepte ce commerce, car elle pensait que je serais la « garantie » de la fidélité de son mari. C’est alors que j’ai perdu mes illusions sur la fidélité et que, travaillant au milieu de douze hommes, j’y ai rencontré l’infidélité conjugale à travers des époux qui trompaient leur épouse et mon cœur en a été blessé. Je découvrais le vie dans une autre dimension. Je me souviens que, lorsqu’à la radio j’entendais des chants de maîtresses et d’amants, cela me choquait, car pour moi, le mariage était la base solide de la vie chrétienne et la fidélité était essentielle pour l’amour durable du couple.

Mariage

Je me suis mariée à dix-huit ans, en disant à mon mari : « Il n’y a qu’une seule chose que je me crois incapable de te pardonner si cela arrivait, c’est l’infidélité conjugale ». Les souffrances face aux infidélités m’avaient marquée. Dès le début de mon mariage, il y eut de telles difficultés que je ne pouvais entrevoir de solution. J’ai demandé de l’aide à un médecin, à un prêtre, et je n’ai trouvé personne pour m’aider réellement. On me disait : « Ton mari a besoin d’un psychiatre ». Mon époux a toujours refusé d’être aidé par qui que ce soit. Les années passaient. J’étais de plus en plus malheureuse. Après quatre ans, nous avons eu un fils. Je m’y suis accrochée, croyant que notre vie changerait.

Les souffrances s’accumulant, nous nous sommes séparés pour ne pas nous détruire. Je suis partie avec mon fils âgé de dix-huit mois. J’étais croyante, pratiquante mais non convertie, c’est-à-dire que ma foi était beaucoup plus une morale, une loi, qu’un amour de Dieu. Je ne connaissais pas Dieu avec mon cœur, donc je n’étais pas comblée et, face à la solitude et à l’insécurité qui m’attendaient, j’avais terriblement peur.

Nouvelle union

J’ai rencontré Maurice, un célibataire. On s’est aimé, il était bon, tendre, doux et il aimait beaucoup mon fils. Après avoir reçu de l’évêché la réponse positive sur la validité de mon mariage, j’ai été placée devant un choix à faire : la solitude dans la fidélité ou l’amour dans l’infidélité. Après bien des luttes, j’ai fini par choisir Maurice. Ne pouvant faire face à la solitude qui m’attendait, je me suis rejetée moi-même de l’Église. À cause de ma situation, je me sentais hypocrite et infidèle d’y aller, tout en ne vivant pas ce qu’elle me demandait. Après deux ans et demi, nous avons eu un fils. Nous étions heureux, nous avions les mêmes goûts et les mêmes buts... La vie passait. Mes convictions profondes sur le mariage sacramentel m’ont toujours empêchée de légaliser mon union avec Maurice. Je ne voulais pas la protection ni l’accord des hommes, mais l’accord de Dieu et je savais très bien qu’il ne pouvait bénir notre union adultère. Je dis adultère, car je n’ai jamais eu peur des mots, j’ai toujours su que j’étais dans l’erreur et je crois sincèrement que c’est une grande grâce que Dieu nous fait, de nous reconnaître pécheurs, c’est le seul moyen de vouloir s’en sortir. Oh, comme tant d’autres, j’ai tenté de me déculpabiliser en me disant : « Nous sommes du bon monde, nous aimons nos enfants, nous ne faisons de tort à personne, les enfants ont un père, c’est mieux que de ne pas en avoir, etc., etc. » Nos amis nous encourageaient dans cette ligne de pensée.

Accident qui marque ma vie

Un jour, enceinte de quelques mois, je fais une hémorragie et Maurice me transporte d’urgence à l’hôpital. On m’administre, par erreur, un sérum contraire à mon besoin, qui a pour effet de liquéfier le sang. Alors c’est la catastrophe, la mort frappe à ma porte et, durant quelques heures, j’ai vraiment lutté contre elle. N’en pouvant plus, je me retourne vers le mur, où est fixée une croix avec un Christ tout blanc. Je regarde Jésus et je lui dis : « Tu ne peux pas venir me chercher, les enfants sont trop jeunes, ils seront séparés pour retourner avec leur père respectif. Je t’en prie, accorde-moi cinq ans de vie pour m’occuper de leur avenir, et dans cinq ans, tu viendras me prendre. Je te donne ma parole d’honneur que je te suivrai sans faire d’effort comme en ce moment ». Dieu entend nos prières. Il a entendu la mienne et il l’a exaucée. Tout est rentré dans l’ordre, on a pu m’opérer et le médecin m’a dit : « Tu es allée frapper à la porte de saint Pierre, car on ne pouvait plus rien pour toi, mais, tout à coup, tout est rentré dans l’ordre, je ne comprends pas ».

Je suis sortie de l’hôpital, je me suis trouvé un emploi pour gagner de l’argent afin de préparer la sécurité de mes fils. J’ai acheté deux maisons, j’ai eu une piscine, un bateau, j’ai voyagé et je suis devenue très fière de ma personne et très matérialiste. Je voulais profiter de la vie, avant de la quitter.

Première conversion

Un soir, couchée sur mon lit, tout à coup, j’ai une lumière : « Les cinq ans sont terminés. » Mois pour mois, cinq ans plus tard, le Seigneur venait me chercher, mais à sa manière. J’ai repassé toute ma vie en cherchant ce qu’il y avait de valable à offrir à Dieu. J’y voyais beaucoup plus de folies que de bonnes actions. Je saisissais en profondeur le vrai sens de la vie. Nous sommes créés par Dieu pour retourner vers lui et la vie n’est qu’un voyage de formation pour la vie éternelle. Mon Dieu, je n’avais rien compris. Je saisissais que toutes mes richesses n’étaient que du vent, puisque je n’apporterais que mon âme et je l’avais toujours négligée. Je comprenais alors que le plus bel héritage que j’aurais dû laisser à mes fils, c’était la foi. Car l’argent procure des plaisirs, mais seuls la foi et l’amour nous procurent le bonheur véritable et la paix durable. Je ne leur avais pas parlé de Jésus, ou si peu... Quel gâchis !

J’ai pleuré en voyant que j’avais réussi dans la vie mais que j’avais raté ma vie. J’ai dit à Jésus : « Si seulement je pouvais recommencer ma vie, je t’aimerais, je te ferais connaître et je te ferais aimer, mais je n’ai plus de temps, je t’ai donné ma parole, je ne veux plus la reprendre. » C’est à cet instant que Dieu à renversé toutes mes valeurs, j’ai perdu le goût des choses du monde pour retrouver le goût de Dieu.

La Providence veille

Un jour, une personne me « traîne » à un groupe de prière. Je suis surprise de retrouver, après tant d’années, une Église aussi vivante. Je constate alors la foi vivante de ces gens et la pauvreté de la mienne. Quand tout à coup, juste devant moi, une femme infirme est guérie et elle pleure, son mari pleure et moi j’étouffe. Je suis sidérée, et je ne peux que répéter : « Tu es vivant... » À cet instant, j’ai fait ma rencontre personnelle avec Jésus Vivant, et j’ai été foudroyée par la grâce. Il agissait, il guérissait, je palpais son action. Il parlait au cœur des gens et j’expérimentais son amour avec force. Moi, la femme pécheresse, la femme adultère. Moi, Il m’aimait, je me sentais aimée de Jésus et je n’osais y croire. C’est à cet instant que j’ai connu Dieu avec mon cœur et toute ma vie en a été transformée. Jésus s’est révélé à moi, au cœur même de mes péchés, non pour me condamner, mais pour me rendre ma vraie liberté. Il s’est révélé à moi pour se faire connaître, il m’a séduite, pour se faire aimer, il m’a transformée pour refaire l’Alliance avec moi.

Là où le péché abonde, la grâce surabonde. De la femme pécheresse que j’étais, Dieu a fait une apôtre et une missionnaire de son amour et de sa miséricorde.

Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. En rencontrant Jésus, il m’a redonné les vraies valeurs : l’amour, la sainteté de mon baptême, la fidélité à mon engagement sacramentel. J’ai donc choisi de redevenir fidèle à ce Jésus qui m’aimait tant, en redevenant fidèle à mon époux, même si, dans mon cœur, l’amour conjugal semblait mort. Je sais que le lien spirituel et sacramentel demeure et je l’entretiens par la prière et la foi.

Ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu. Je suis passée de la mort à la vie, car je suis passée du péché à la grâce, et j’y ai entraîné Maurice qui, après beaucoup de luttes, a lui aussi donné sa vie à Jésus en acceptant de vivre à mes côtés chastement. Dieu a séparé nos corps pour unir nos âmes encore davantage pour son projet d’amour.

En 1980, j’ai passé une année dans une communauté nouvelle, Myriam Bethléem, où la Providence m’avait entraînée afin de me donner une formation spirituelle et communautaire, que Dieu m’appellerait à transmettre aux personnes brisées par le divorce. C’est en 1981, après un témoignage en paroisse, que des hommes et des femmes se sont regroupés autour de moi. Leur souffrance, face au drame de la séparation et du divorce, était tellement grande que je ne pouvais que compatir et prier. Que faire pour aider ceux qui souffrent ? C’est alors que j’ai crié à notre Père : « Ce sont tes enfants, ils ont mal et tu les aimes, fais quelque chose pour eux, moi je ne suis capable de rien. Toi, tu es tout-puissant. »

J’ai vu la misère de mon peuple. C’est alors que Dieu a mis dans mon cœur ce projet fou : « Rassemble-les chez toi, je les guérirai, je leur redonnerai la joie, tu en feras non plus des divorcés mais des consacrés, car je les veux pour mon Royaume. Ta maison s’appellera ‘ Solitude Myriam’, il viendra chez toi de nombreux prêtres, qui viendront puiser la force de vivre leur célibat consacré et leur solitude ». Cela semble irréel et pourtant il l’a fait.

Ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse aux yeux de Dieu. En 1982 avait lieu la consécration des dix-neuf premiers divorcés-consacrés dans l’Église. Mgr Charles Valois, évêque de Saint-Jérôme, avait accepté le projet en accueillant lui-même la consécration de ces personnes. Le 8 octobre 1988 nous serons cent vingt-six divorcés-consacrés dans l’œuvre à Solitude Myriam. Comme au oui de Marie était attaché le salut du monde, j’ai compris l’importance de chacun de nos oui au Seigneur. Aujourd’hui je peux dire à Dieu : « Le zèle de ta maison me dévore ».

Je multiplierai ta descendance comme les étoiles. De notre union charnelle, Maurice et moi avons eu un seul fils, de notre union spirituelle nous avons une grande famille. Notre joie actuelle est de pouvoir aider des frères et des sœurs à retrouver la joie de vivre, même dans la solitude, car cette souffrance est source de sanctification pour eux, leur famille et l’Église.

Je vous conduirai dans de verts pâturages. Depuis 1984 nous avons une grande maison pour accueillir tous ceux qui le désirent. Nous sommes vingt personnes à y vivre la vie communautaire, dans le partage de la prière, l’accueil et l’évangélisation. Chaque samedi soir, tous y viennent pour puiser dans la prière, les sacrements et le partage la force et l’amour pour continuer de vivre heureux, en accordant leur volonté à celle de Dieu. « Rejetés par leur conjoint(e), choisis par Dieu pour bâtir son Royaume ». « La pierre rejetée des bâtisseurs est devenue pierre d’angle ».

Père, qu’ils soient un afin que le monde croie. En Solitude Myriam, chacun fait le vœu du mariage afin de donner sa vie au Seigneur pour la sanctification de son conjoint, de ses enfants et de l’Église ; ainsi nous accomplissons tout simplement notre ministère conjugal, parental et ecclésial. Nous donnons notre vie à Dieu pour la fécondité sacerdotale des prêtres et l’unité des familles. De la mort, Dieu tire la vie ; de nos échecs, Dieu fait des réussites pour sa gloire. Nous n’avons qu’un seul désir : que notre bonheur soit contagieux.

La Providence prépare ses œuvres longtemps d’avance. Blessée par les querelles conjugales de mes parents, déçue par les infidélités conjugales dont j’étais le témoin à mon travail, brisée par l’infidélité de mon époux, je devins moi aussi infidèle durant quinze ans. Le Seigneur est venu me chercher lui-même et de toutes ces blessures il a fait une œuvre de fidélité, puisque nos vœux sont des vœux de fidélité à Dieu, au conjoint, à la famille et à l’Église. Si Dieu a permis pour moi tant de souffrances, c’est pour que je comprenne ceux qui pleurent et que je leur apporte l’amour et la consolation du Seigneur. Je n’ai qu’un souhait : qu’un jour Solitude Myriam ferme ses portes à cause du manque de divorces.

Je sais, c’est un rêve fou... Mais ne serait-ce pas le rêve de notre Père ?

11120 Route 148, Sainte-Scholastique
QUEBEC, Canada JON 1SO

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