Théologie de la vie religieuse
Chronique bibliographique
Léon Renwart, s.j.
N°1990-1 • Janvier 1990
| P. 53-65 |
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En présentant cette édition anglaise de Vocation for Mission [1]. Mary Milligan, r.s.h.m., remarque qu’« un des besoins de notre temps est de bâtir des ponts, de créer des espaces de dialogue, d’assurer l’interconnexion entre diverses réalités » (XI). Elle nous semble avoir bien caractérisé par là ce qui fait la valeur de ces pages. Le P. Marcel Azevedo, s.j., y présente la vie apostolique et les diverses situations qui s’y rencontrent en les replaçant dans un contexte plus large. Il le fait de deux façons complémentaires. Tout d’abord, pour chacun de ces points, il met en lumière la disposition profonde qui, dans chaque cas, correspond à une attitude radicalement demandée à tout croyant, voire à tout être humain, ainsi que la manière spécifiquement distincte dont la vie religieuse est appelée à la vivre. Mais il ne se borne pas à l’énoncé des principes, même si ceux-ci sont indispensables pour une orientation fondamentale correcte. Il dégage les grandes lignes qui en découlent. Il suggère les domaines où des changements de perspective et de pratique sont requis pour que la vie consacrée retrouve le caractère qualitatif de présence qui est sa raison d’être dans l’Église et pour le monde. Éclairons ceci par quelques exemples.
Pour se situer correctement par rapport à toute forme de richesse (biens, pouvoir, savoir), il faut prendre conscience de sa pauvreté radicale au niveau de l’être et de la personne et se rendre compte par là même que, si Dieu nous crée et nous maintient dans l’être, c’est parce qu’il nous aime et nous appelle à l’aimer. Face à la tendance innée à se protéger contre cette pauvreté radicale en accaparant des « avoirs », la vie religieuse ne donnera son témoignage que si elle est, individuellement et communautairement, détachée de toute richesse, matérielle ou intellectuelle. Il n’y aura pas de vraie option préférentielle pour les pauvres sans l’abandon d’un point de vue paternaliste ni sans « l’effort sérieux pour regarder le monde, la société, l’Église elle-même et l’ensemble de l’humanité dans la perspective qui est celle des pauvres » (42).
En ce qui concerne la chasteté, l’auteur constate : « Les recherches récentes ont abouti à établir de façon indiscutable que l’amour et la sexualité sont les axes absolument centraux qui embrassent la personne humaine dans sa totalité, du début à la fin de sa vie » (47). Aussi la chasteté, qui présuppose toujours la pureté, mais la dépasse, car elle est essentiellement de l’ordre de la charité, est à la fois radicalement commune à tout état de vie et, en même temps, spécifiquement distincte en chacun d’eux. Celle qui est propre à la vie consacrée suppose un appel de Dieu, discerné et librement accepté dans la foi. Elle n’est pas commandée d’abord par son utilité apostolique et la mobilité qu’elle permet ; elle est essentiellement réponse à un appel divin invitant à un amour tel qu’il puisse se passer du besoin impératif d’une médiation humaine. C’est en relativisant de la sorte l’amour humain que la profession religieuse lui dévoile sa grandeur et l’oriente vers son propre épanouissement eschatologique (cf. 61).
Le Christ est venu sur terre pour accomplir la volonté de son Père. Le suivre, c’est donc, pour tout chrétien, continuer à accomplir cette même volonté. Dans la vie religieuse, ceci se spécifie dans une option qui, comme toute décision libre, est à la fois une affirmation de soi et une limitation acceptée par rapport à d’autres possibilités. Mais faire de la recherche de la volonté de Dieu l’affaire du seul supérieur, comme le prônait une certaine présentation « verticale » de l’obéissance, c’est oublier deux aspects théologiques fondamentaux : l’un est la présence active et constante du Saint-Esprit en chacun de nous, l’autre est la coresponsabilité envers le bien commun qui en découle pour chacun. La négligence, théorique ou pratique, de ces points rend impossible un discernement spirituel communautaire digne de ce nom.
Pour comprendre la place et le rôle de la vocation féminine, il faut partir du plan de Dieu qui a créé l’humanité selon deux types distincts et complémentaires, fondamentalement égaux, parce qu’ils sont l’un et l’autre appelés à partager l’amour de la Trinité. Il faut bien reconnaître qu’en pratique « l’Église et ses membres masculins ont traité et continuent souvent de traiter les religieuses comme des êtres inférieurs » (139). Changer ceci, dans les textes et plus encore dans les mentalités, n’ira pas sans une conversion qui nous concerne tous : « Nous pouvons affirmer que le renouveau effectif (de la vie religieuse féminine) est strictement lié à l’évolution des religieuses elles-mêmes comme femmes » (162), en évitant toute « masculinisation » (166), mais cela n’ira pas « sans une libération parallèle des hommes par rapport à leurs prétentions dominatrices et hégémoniques ». Et l’auteur ajoute : « C’est donc une tâche commune aux uns et aux autres, qui ne peut être accomplie que de façon intégrée et jamais en termes de conflit ni de revendication » (ibid.).
Nous ne pouvons songer à tout mentionner dans cet ouvrage remarquable, où la solidité doctrinale s’allie à un profond sens religieux. Relevons cependant encore une prise de position très éclairante : « En rigueur de termes, il n’existe pas de vocation qui, comme telle, serait plus ou moins parfaite... Chacun est invité à répondre, dans ce qu’il a d’unique, à l’appel concret de Dieu... De ce point de vue, toute vocation est un chemin vers Dieu et une route de sainteté... Notre vocation religieuse s’efforce d’affirmer et de vivre communautairement l’absolu, la gratuité et la priorité totale de Dieu... À cause de cette vision fondamentale sur la vie religieuse, nous voyons son inspiration originelle non dans tel ou tel passage spécifique de l’Évangile, mais dans le dynamisme irréversible de l’Évangile pris comme un tout » (150-151).
La dix-septième Assemblée générale de la Conférence Religieuse Canadienne [2] se proposait, « à un moment décisif de l’histoire de la vie religieuse au Canada », de faire naître une nouvelle espérance et une nouvelle vision pour l’avenir. Pour que cette réflexion soit profondément enracinée dans le réel, trois thèmes y lurent abordés : l’Église, la vie religieuse, le leadership.
Rémi Parent, c.s.s.r., constate que, pour beaucoup de non-croyants et même de croyants, l’Église ne signifie plus rien. Pour sortir de cette méconnaissance, il propose deux réflexions. La première est la prise de conscience de la dignité ecclésiale de tous et chacun des baptisés et baptisées. Tous, nous sommes devenus fils ou filles de Dieu par le baptême ; cette filiation divine atteint le sujet concret que, moi, je suis ; il le fait aujourd’hui ; il fait de chacun de nous un fils ou une fille de Dieu dans tout son être, sans rien en excepter. En conséquence, « rien ni personne dans l’Église ne peut se situer au-dessus ou à côté de la condition baptismale » (27). Cette filiation divine, que nous recevons tous et toutes, fonde nécessairement notre fraternité universelle et elle définit l’Église « communauté de tous ceux et de toutes celles qui, se reconnaissant en Jésus-Christ fils et filles de Dieu, se reconnaissent comme frères et sœurs les uns des autres » (30). La deuxième réflexion porte sur la triple responsabilité qui en découle. Chacun est d’abord responsable de s’aimer lui-même, car il est devenu, en Jésus-Christ, l’objet de la tendresse aimante de Dieu pour l’être concret qu’il est (pas pour l’image qu’il s’en fait !). Chacun est donc responsable aussi d’aimer chrétiennement les autres, tels qu’ils sont différents de lui et tels que Dieu les aime. Chacun est enfin responsable de Dieu lui-même, qu’il a mission de révéler : « Si nous n’atteignons pas humainement la pleine mesure de ce que nous pouvons atteindre, il y a une parole de Dieu qui ne sera pas dite dans l’histoire » (34).
De son côté, Monique Thériault, s.n.j.m., situe d’abord le contexte culturel dans lequel évolue la vie religieuse canadienne, puis elle énonce sa conviction : « Il me semble que, comme religieux d’ici, nous aurons de la difficulté à passer la rampe de l’avenir si certains changements radicaux et profonds ne se produisent pas, à la fois dans la vie interne de nos instituts et surtout dans notre relation au monde » (54). Dans une vie religieuse qui n’avait guère contesté la mentalité ambiante et entrait « de plain-pied dans la civilisation de consommation » (55), le Concile et les bouleversements culturels ont conduit à des remises en question substantielles, qu’il s’agisse de l’Église servante et pauvre, de son effort pour renoncer réellement à la puissance ou d’une nouvelle approche de la sexualité, de la pauvreté et de l’obéissance avec sa conséquence dans le vécu des vœux, pour n’en donner que quelques exemples. Cela fait apparaître un double défi : celui de l’incarnation dans le monde d’aujourd’hui : il « s’agit de sortir l’Église du ghetto de la société chrétienne en position de défense en face de la culture moderne » (Gilles Raymond, 61) ; celui d’une créativité fidèle au charisme fondateur, grâce à l’apparition de nouveaux noyaux de fermentation, qui reprennent en sous-main le travail des fondateurs (cf. 66, allusion à Raymond Hostie).
Katherine McKeough, c.s.j. présente le leadership dans la vie religieuse : elle montre en Jésus le modèle du leader, en déduit une spiritualité du leader et ses conséquences pour la mission et pour l’avenir. Son exposé, basé sur son expérience, touche des problèmes intéressants et fait des réflexions suggestives. Toutefois, il nous laisse sur un point d’interrogation : faute sans doute de percevoir le sens précis qu’elle donne au leadership, nous avons peine à saisir le rapport de celui-ci à l’autorité et la différence, essentielle à notre avis, entre les qualités du « meneur » (richesse que l’on ne peut négliger) et le rôle spécifique du supérieur en matière d’obéissance religieuse.
Dans cet ensemble très suggestif, que nous recommandons vivement, signalons encore, sans pouvoir en dire davantage, des réflexions d’un grand réalisme du P. Parent lors de la table ronde de clôture.
Storia della Vita Religiosa [3] est le fruit de la collaboration de trois religieux clarétins, sous les auspices de l’Institut de théologie de la vie religieuse « Claretianum » (Rome). La première partie est l’œuvre de Matias Augé. Elle couvre la période des origines, des premiers ermites et moines d’Orient, au Père des moines d’Occident, saint Benoît. Dans un exposé très intéressant, l’auteur campe les protagonistes, s’efforce de dégager les données historiques certaines des développements ultérieurs et caractérise les orientations. On est frappé par la diversité des approches de ces « chercheurs de Dieu » : ils s’efforcent de le trouver, les uns dans la solitude, d’autres dans une ascèse qui va parfois jusqu’à l’étrangeté, d’autres enfin dans une vie qui prend exemple sur la première communauté de Jérusalem. Des orientations différentes se font jour et laisseront des traces dans l’histoire : pour les uns, la vie d’anachorète représente le niveau suprême, couronnement d’une longue préparation cénobitique ; pour d’autres, la vie en groupe apparaît préférable, car elle fournit plus d’occasions de vivre la charité et préserve de nombreuses bizarreries. Il y a aussi des moines « gyrovagues », par principe ou par tempérament.
Pour traiter la seconde partie, Eutimio Sastre Santos adopte le critère géographique ; il étudie en effet l’expansion du monachisme en Occident durant la période où se prépare, naît et se solidifie la « chrétienté » médiévale. C’est surtout l’histoire des fondations, de leur expansion ou de leur recul selon les pays, les mentalités et la situation politique de ces régions. On est frappé par l’importance de l’aspect politique de ces développements : il n’est pas rare que l’évêque ou le monastère soit responsable de la vie civile et politique de la région, lorsqu’un autre pouvoir y est pratiquement inexistant ; la petite histoire a même retenu le cas de soldats des monastères expulsant les représentants de l’épiscopat à un Concile local. Autre point digne d’être remarqué : les documents de l’époque connaissent trois « ordres » : celui des moines, celui des chanoines et celui des ermites ; de plus, il n’est pas rare de trouver, dans les textes, la mention des laïcs et l’intérêt pour leur sanctification. Aux femmes, cette époque offre trois formes de vie « consacrée » : moniales et chanoinesses dans leurs couvents, vierges dans le monde et veuves dans leurs maisons, recluses près d’une église ou d’un monastère.
La troisième partie, œuvre de Luigi Borriello, s’étend de la naissance des Ordres mendiants à nos jours ; c’est une époque relativement longue, remplie d’événements qui affectent la vie de l’Église et en font craquer les cadres purement européens. L’auteur a fait un choix dans cette vaste matière : il ne parle guère de la Réforme protestante et de son impact sur la vie religieuse, il traite fort brièvement de la Révolution française ; sauf erreur, il ne mentionne pas l’expansion coloniale et missionnaire ni son influence sur la naissance, dans nos pays, de nombreux instituts voués à cet apostolat ; ne sont pas signalées non plus les conséquences « niveleuses » des décrets de 1905 sur les Congrégations à vœux simples ni celles du Code de 1917 ; le rappel par Vatican II de la vocation de tout chrétien à la perfection, chacun dans son état, et sa conséquence sur ce que l’on a nommé la « crise d’identité » de la vie religieuse ne sont pas examinés ; la baisse des vocations et les départs massifs de religieux et religieuses dans les pays du Vieux Monde vers les années 60 ne sont ni mentionnés ni analysés dans leurs causes et leurs conséquences (pour autant que l’on commence à les percevoir). Par contre, les Ordres mendiants, les Clercs réguliers, plusieurs fondations des XIXe et Xe. siècles sont présentés avec bonheur, souvent à travers la biographie de leurs fondateurs et fondatrices. Il a aussi un bref chapitre, qui ne manque pas d’intérêt, sur « le difficile chemin de la vie religieuse féminine ». On sera intéressé par le fait que l’auteur étend sa description entre autres aux Petites Sœurs des Pauvres, à deux Instituts séculiers, à l’Opus Dei, à Taizé et à la communauté œcuménique de Bose ; ceci élargit passablement – qui le regrettera ? – la notion classique de la vie religieuse.
Cet ouvrage se présente comme un manuel offert aux religieux et religieuses qui n’ont pas la possibilité ou le loisir de remonter directement aux sources, mais cherchent un exposé clair, solide et bien documenté sur l’histoire de la vie religieuse, des débuts à nos jours. Ce que les auteurs nous offrent n’a pas d’équivalent dans les publications actuelles et réalise de façon remarquable le but visé. Ajoutons que des notes et des bibliographies permettront à ceux et celles qui le souhaitent de pousser leurs recherches ; plus d’une piste intéressante se découvre au long de ces pages. On eût souhaité que des tables permettent une consultation plus facile de cette mine de renseignements. Espérons qu’une prochaine édition ou une traduction en d’autres langues fourniront ce très utile complément à ce beau travail.
Le R.P. José Maria Salaverri, Supérieur Général, présente le Dictionnaire de la Règle de Vie Marianiste [4] en ces termes : « Il ne prétend pas dire la dernière parole sur la Règle de Vie de 1983. Ce n’est pas non plus une interprétation officielle... Il a certainement des points faibles... mais vous verrez qu’il est plein de richesses... » (V-VI). Relevons-en l’une ou l’autre, faute de pouvoir les signaler toutes.
Parmi les articles consacrés à la Société de Marie, trois d’entre eux décrivent des aspects moins connus : sa « composition mixte (n° 13), réunissant dans une même famille des religieux prêtres et des religieux laïques... il n’y a qu’une seule vocation marianiste » ; l’organisation de l’Institut, à tous les échelons, selon trois « Offices » (n° 34) et la méthode des « Vertus » (n° 49). Comme il est normal dans une Société vouée à la Vierge, Marie est présente à toutes les pages ; la doctrine et la pratique qui s’en dégagent nous ont paru remarquables par leur solidité, leur équilibre et leur profondeur. Les membres émettent un voeu de « stabilité marianiste » (n° 47) : la raison canonique pour laquelle la consécration à Marie dans l’Institut a pris cette forme est le fait que le droit ecclésiastique de l’époque ne reconnaissait pas comme irrévocables les vœux simples des congrégations religieuses.
C’est surtout au point de vue doctrinal et spirituel que les exposés offrent une grande richesse et une certaine variété dans les opinions. Relevons une présentation nuancée de l’amitié, des distinctions éclairantes sur l’autorité, une étude fouillée sur le charisme et sur le « virage à cent quatre-vingts degrés » que l’Église a pris en se définissant comme Peuple de Dieu. Décrivant la chasteté, dans laquelle il voit « la raison ultime de la vie religieuse », M. Cortes relève la complémentarité du mariage et du célibat consacré ; il note que « ce n’est pas parce qu’elle donne au religieux une plus grande disponibilité pour le service ecclésial... mais à cause de ce que signifie sa réalité même comme témoignage prophétique... (que) la chasteté pour le Royaume est un élément essentiel de la mission et du ministère de l’Église » (165). Il a enfin cette jolie formule : il s’agit de vivre la chasteté pour le Royaume « comme un ‘oui’ qui exige beaucoup de ‘non’ » (174).
On trouve, dans plusieurs contributions, des pages éclairantes sur l’oraison et sur l’équilibre délicat, perpétuellement compromis, entre intériorité et activité : il ne faut ni s’immerger dans le travail pour le Seigneur au point d’en oublier le Seigneur du travail, ni se dérober à l’activité sous prétexte de préserver l’intériorité (cf. 619). Ceux qui doivent préparer l’homélie seront heureux des conseils pratiques empreints d’une grande sagesse donnés p. 647.
Ce qui est dit de la pauvreté appelle un jugement plus nuancé. On découvre d’excellentes réflexions dans l’article « Pauvreté » et dans la section du « Témoignage » consacrée, sous cet angle, à la pauvreté individuelle et communautaire. À propos de cette dernière, épinglons la remarque : « On donne et on partage de plus en plus ce qui nous reste, il ne semble pas cependant qu’on remette en question les niveaux de vie acquis » (844). Mais nous craignons un manque de clarté dans la distinction entre la pauvreté sociologique et l’attitude des « pauvres de Yahvé » (cf. 679). Il n’y a pas de « sacrement du pauvre ». Si le Dieu de la Bible se présente comme le libérateur de l’opprimé, c’est en vertu de l’injustice dont celui-ci est victime et non à cause des qualités morales engendrées par son état. Ceci laisse donc entière la nécessité de convertir aussi les démunis et les opprimés à l’attitude de pauvreté évangélique, condition nécessaire d’ouverture au salut.
Dans l’article « Église », F. Onetto écrit : « L’Église catholique est l’unique Église du Christ, comme le dit Lumen gentium au n° 8 ». C’est passer sous silence une nuance importante du texte conciliaire : « Comme société constituée et organisée en ce monde, cette Église subsiste (subsistit) dans l’Église catholique ». La suite du texte et les discussions conciliaires à ce sujet le montrent, l’expression a été délibérément choisie pour son ouverture œcuménique sur les autres Églises et communautés chrétiennes. Nous n’avons guère perçu cette attention dans l’article en question.
Dans l’exposé sur la « Sainteté » (n° 45), J.M. Salaverri décrit bien le danger de pousser à l’extrême une vision optimiste de la « sainteté ontologique » de la créature (794). Mais tient-il un compte suffisant de l’affirmation de Lumen gentium : « Le Père éternel, par la disposition absolument libre et mystérieuse de sa sagesse et de sa bonté, a créé l’univers ; il a voulu élever les hommes à la communion de sa vie divine ; devenus pécheurs en Adam, il ne les a pas abandonnés... » (2) ? Loin d’évacuer la faute, cette doctrine, fondement de l’optimisme chrétien, montre que « le péché n’existe en nous et n’existe pour Dieu qu’en fonction d’un amour infini qui vise d’abord à nous unir à Dieu sous le signe du Fils » (G. Martelet, s.j.). L’ascèse que requiert cette vue n’est pas moins exigeante – sans mort au péché, pas de résurrection avec le Christ – mais elle sera vécue comme un « oui » qui exige beaucoup de « non » (pour lui appliquer l’heureuse expression de M. Cortes à propos de la chasteté).
On sera reconnaissant aux Marianistes d’avoir, dans ces pages, mis à la disposition d’un large public les richesses de leur tradition.
Dans Vivre avec le Christ [5]. le P. Jean Galot, s.j., se propose de répondre à la question : « (La) vie consacrée a-t-elle été instituée par Jésus lui-même, ou provient-elle simplement de l’initiative de certains chrétiens qui ont voulu vivre plus à fond les exigences de l’Évangile ? » (7). Sa réponse est sans ambiguïté : « Ce projet, dans sa consistance essentielle, avec ses éléments propres de célibat et de pauvreté, vient de Jésus lui-même » (8, note 3). Il a d’abord recruté ses premiers disciples, puis manifesté, par le miracle de Cana, son intention de sanctifier le mariage ; de la sorte « il a fondé cet état (qui consiste à le suivre) avant de reconnaître celui du mariage... Ainsi, dès le début, Jésus pose la distinction des deux états de vie par lesquels se développera son Église : l’état de vie consacrée et l’état du mariage » (10). Le premier groupe est constitué par ceux et celles que Jésus appelle personnellement à le suivre, les « disciples » au sens précis que ce terme a dans les évangiles, ainsi que les femmes qui, « comme les douze, suivaient Jésus. On doit supposer (nous soulignons) qu’elles le faisaient en vertu d’une volonté expresse de Jésus, car elles n’auraient pu lui tenir compagnie en dehors de cette volonté, qui comportait en même temps un appel » (11). Ayant ainsi établi son point de départ, l’auteur présente ensuite les exigences adressées en conséquence à ces quelques-uns. Quatre chapitres sont consacrés au célibat : nature de l’engagement, renoncement à la femme et aux enfants, éloge du célibat volontaire (les « eunuques pour le Royaume »), doctrine de Paul sur la virginité. Deux autres examinent l’engagement à la pauvreté (« l’appel du riche ») et le sens de cette invitation au dépouillement. L’engagement à l’obéissance fait l’objet du chapitre suivant. Puis viennent trois brefs chapitres consacrés à l’exigence évangélique de renoncement au métier, à l’engagement à l’union au Christ et à la prière, à l’engagement à l’amour fraternel en communauté.
Sur tous ces points, comme dans ses autres ouvrages, l’auteur a des réflexions éclairantes. Sur la thèse fondamentale du livre, il faudrait être exégète de métier (ce n’est pas notre cas) pour apprécier la très riche récolte de données scripturaires rassemblées par lui et la cohérence du tableau qu’il en tire. Signalons simplement que Mgr A. Descamps conclut à partir des mêmes textes : « Du vivant de Jésus, les disciples à part entière... sont nettement distingués de la foule et ne préfigurent guère les chrétiens ordinaires, mais bien les ministres » et il montre que les exigences radicales de cet appel (abandon des biens, de la famille, etc.) découlent directement du fait que s’attacher à Jésus durant sa vie publique, « c’est concrètement suivre un prédicateur itinérant » (« Aux origines du ministère », Revue Théologique de Louvain, 1971, 25 et 31).
Le point de vue adopté par la session pluridisciplinaire Vie religieuse, communion et mission [6] est précisé avec bonheur par ces mots : « Il est toujours possible d’évangéliser en fonction de l’époque qui précède, mais en général ce n’est pas ce que demande l’Esprit de Dieu, et ce n’est donc pas ainsi que les choses peuvent avancer sur le plan de la mission. Au contraire, les grands fondateurs ont perçu l’esprit d’une époque et l’ont ressenti suffisamment fortement pour essayer de réfléchir à une vie religieuse qui soit relativement performante par rapport aux défis de cette époque » (5). Pour nous, qui sommes leurs héritiers, comment faire pour agir de même ? La première condition est de prendre conscience des nouveaux défis qui caractérisent notre époque. Le P. Henri Madelin, s.j. en relève six : les perspectives démographiques, l’inégale répartition de la richesse dans le monde, l’évolution des catégories socio-professionnelles (notamment à cause du travail des femmes), la présence des étrangers, la naissance d’un quart monde dans les pays riches, la généralisation de l’indifférence en matière religieuse. À propos de l’inégale répartition des richesses, il relève que le défi lancé aux pays matériellement privilégiés est certes d’aider les pays pauvres, mais qu’il est aussi de comprendre la force des raisons qui font vivre ces populations, devenues en cela nos maîtres par la force, le dynamisme et même la joie de vivre qui les caractérisent (cf. 15-16).
Michelle Barrot, p.s.a., décrit la manière dont sa Congrégation s’est efforcée de répondre aux défis actuels et le nouveau rapport à Dieu et au monde qui en découle. Claude Viard, s.j. consacre son exposé à l’analyse du lien entre communion et mission. Une première approche notionnelle tend à privilégier la communion et à penser la mission en quelque sorte à l’intérieur et en dépendance de la communion. Si l’on part de l’histoire des fondations, il apparaît que la communion est première (un groupe se constitue), mais que son contenu a, dès l’origine, un rapport essentiel à la mission (on se groupe pour un but qui inclut toujours un dynamisme missionnaire). Parce qu’un Institut doit vivre « en état permanent de vocation » (J.-Cl. Guy), la « conversion au monde » que requiert la fidélité à la mission réagit nécessairement sur la manière de vivre la communion. Ce devenir toutefois ne va pas sans résistances, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Institut, ni sans tensions, provenant de l’intuition missionnaire, des requêtes élevées au nom de « projets personnels » et du retentissement à l’intérieur des Instituts du pluralisme de la société ambiante. En deux exposés, Michel Rondet, s.j. montre que communion et mission renvoient au mystère de l’Église et de sa vocation dans le monde, car elles sont fondées sur le mystère de Dieu dans sa Trinité, tel que nous le révèle son dessein sur chacun de nous et sur l’univers tout entier. À propos du foisonnement des nouvelles communautés, il y voit, pour les Instituts plus anciens, un appel à se rénover comme communautés de vie apostolique.
On ne peut mieux conclure ce riche ensemble que par une citation empruntée par Claude Viard à Leonardo Boff : « La racine de tout renouveau authentique réside dans une nouvelle et profonde expérience de Dieu, articulée à l’intérieur d’une nouvelle expérience du monde » (87).
Vocations : un guide pour choisir [7]. de Gérard Muchery, est la seconde édition de son livre Différents chemins pour suivre Jésus-Christ (cf. Vie consacrée, 1983, 51). L’essentiel de ces pages simples et fortes a été conservé, avec quelques retouches destinées à le rendre plus pratique encore. « Pour le plus grand nombre, sans choix de vie particulier, le chemin de la sainteté est celui de la vie ordinaire, dans sa simplicité » (27). Il était bon que la chose soit clairement rappelée au début de ces pages consacrées aux « vocations » au sens plus restreint que l’usage donne à ce terme. Sans être voués par là à une sainteté supérieure, certains, dans l’unité organique du Corps mystique, sont appelés par Dieu à structurer l’Église par les ministères ordonnés (l’auteur leur consacre quelques pages) tandis que d’autres sont invités à des formes de vie qui mettent en lumière tel ou tel aspect de l’Évangile : vie contemplative, vie religieuse active, consécration dans le monde, nouvelles communautés, etc. Dans l’exploration de ce vaste domaine, toujours en développement – car l’Esprit ne cesse de vivifier l’Église –, ce livre trace quelques grandes allées : il présente les formes les plus typiques, esquisse l’esprit des familles spirituelles et donne des suggestions à ceux qui pensent y être appelés par Dieu pour discerner leur voie et s’y engager. Fondées sur la théologie de la vocation universelle à la sainteté opportunément remise en lumière par Vatican II, ces pages sont de nature à rendre de bons services à tous les chrétiens.
Maturité humaine et vie spirituelle [8] fut le thème d’une session pluridisciplinaire tenue en 1988 au département Spiritualité du Centre Sèvres. « Dépasser les illusions de la liberté, consentir au réel, accéder à une relation vraie, voilà trois défis de la maturité pour le développement d’une vie selon l’esprit » (10). Claude Flipo, s.j., introduit de la sorte la session par une réflexion sur la dynamique de la vie spirituelle. Michel Guillot fait porter sa recherche sur la vie dans la société civile avec ses « collectifs » : il marque la difficulté qui s’y présente de nouer des relations vraies avec des personnes dont on ne connaîtra jamais les noms. Jeannine Marrouche, conseillère conjugale, se demande comment aimer, vivre seul, vivre à deux ; elle suggère le processus d’évolution que cela requiert. Yves Hellé donne le point de vue d’un laïc engagé sur le processus de croissance et sur l’expérience professionnelle avec ses exigences de discernement et de pardon. Henri Madelin, s.j., examine la décision et les conditions pour qu’elle soit possible et fructueuse ; il insiste sur la nécessité d’avoir finalement le courage de se décider. Marie-Luce Brun, Aux., présente son expérience : accompagner demande l’accueil de la personne avec toute son humanité ; son but est d’arriver à révéler à chacun sa voie propre ; elle conclut par quelques réflexions sur le type de relation qui en résulte.
Dans cet ensemble riche et varié, une chose nous a frappé : le souci de réalisme de tous les intervenants. Cl. Flipo note : « Si l’on considère cette vie dans l’Esprit comme un exode intérieur vers Dieu, qui ferait sortir de ce monde et échapper à ses exigences, alors les questions concernant la maturité humaine n’ont qu’une importance très relative... (mais) si la vie spirituelle est une animation, sous l’action transformante de l’Esprit du Christ, de toute la vie humaine, une intégration de l’humain et du divin, alors l’appel à la maturité adulte... c’est d’abord l’appel de Dieu créateur » (4). De même H. Madelin dénonce « ce qui guette le chrétien : c’est... une forme d’idéalisme qui consiste à sauter par-dessus l’obstacle, en croyant ainsi être fidèle à Dieu. Nier le monde et ses contraintes, ce serait évacuer Dieu en croyant l’adorer » (47). Que l’on nous permette de relever encore cette conclusion de Cl. Flipo : la première des notions clés pour aujourd’hui c’est « la promesse, parce que la conscience chrétienne doit d’abord se structurer sur le don, et non pas sur l’interdit. La liberté ne grandit que par le désir spirituel qui l’habite... Dieu promet... et l’homme est attiré » (11).
Rue de Bruxelles 61
B-5000 NAMUR, Belgique
[1] M. Azevedo, S.J. Vocation for mission. The Challenge of Religious Life Today, New York/Mahwah, Paulist Press, 1989, 23 x 15, XVI-188 p., $ 10.95.
[2] Un avenir à bâtir. Vision et mission de la vie religieuse dans l’Église. XVIIe Assemblée générale de la Conférence Religieuse Canadienne. Coll. Donum Dei, 33. Ottawa, Conférence Religieuse Canadienne, 1988, 223 x 15, 131 p., CAD 14.50.
[3] M. Augé, R. Santos, L. Borriello. Storia della vita religiosa. Brescia, Ed. Queriniana, 1988, 24 x 17, 508 p., ITL 60.000.
[4] Dictionnaire de la Règle de Vie Marianiste (DRM). Sous la direction d’A. Albano, s.m.. Roma, Publ. CEMAR, 1988, 21 x 15, XIV-980 p.
[5] J. Galot, S.J. Vivre avec le Christ. La vie consacrée selon l’Évangile. Louvain, Ed. Sursum, 1986, 21 x 13, 236 p., 665 BEF.
[6] Cl. Viard e.a. Vie religieuse, communion et mission. Coll. Travaux et conférences du Centre Sèvres, 15. Paris, Médiasèvres, 1988, 30 x 21, 105 p., 45 FRF.
[7] G. Muchery. Vocations : un guide pour choisir. Paris, Éd. du Centurion, 1989, 21 x 14, 164 p. 75 FRF.
[8] C. Flipo, S.J. e.a., Maturité humaine et vie spirituelle. Paris, Médiasèvres, 1988, 30 x 21, 69 p.