Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Femme debout

Françoise Soury-Lavergne, o.d.n.

N°1990-1 Janvier 1990

| P. 30-39 |

Œuvrer en faveur de l’éducation de la femme en groupant des femmes qui formeraient un corps apostolique semblable à la Compagnie de Jésus : tel est le paradoxe que soutint, il y a plus de 350 ans, sainte Jeanne de Lestonnac, veuve, mère de famille et fondatrice de la Compagnie de Marie Notre-Dame. Une figure (parmi d’autres, certes) qui peut encore nous éclairer, en un temps où l’affirmation féministe ne fait pas toujours pièce au désarroi de l’action féminine.

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

Tandis que la publicité met bien souvent en scène une femme utilisée, une femme tantôt revendicative et tantôt complaisante à l’excès, certains restent à la recherche d’exemples historiques ayant su faire l’analyse de la complexité féminine afin de lui donner sa place dans la société.

À ce titre, l’expérience fondatrice de Jeanne de Lestonnac (1556-1640) présente un indéniable intérêt. Il s’agissait pour elle de réunir un groupe de femmes décidées à œuvrer en faveur de la femme. Ce groupe devint la Compagnie de Marie Notre-Dame, approuvée par le Pape Paul V en 1607, et chargée d’une mission éducative dont le but pourrait se résumer par ces mots : mettre la femme debout. À quelle nécessité apostolique cela répondait-il ? Quelle image de la femme présidait à pareille entreprise ? Et quelles valeurs s’en trouvaient privilégiées ?

Nécessité apostolique

À l’époque des commencements que Jeanne de Lestonnac mena à Bordeaux, on trouvait des façons bien différentes de traiter les filles. Certaines étaient confiées à des monastères. C’est ainsi que les princesses de Bourbon-Vendôme avaient été élevées à l’abbaye de Fontevrault. Louise de Marillac avait connu l’abbaye de Poissy, et Flandrine de Nassau, née à Anvers et future abbesse de Sainte-Croix à Poitiers, était passée de l’abbaye du Paraclet en Picardie à la célèbre abbaye de Jouarre. C’était une éducation exceptionnelle et réservée le plus souvent à des filles de haut lignage.

La situation la plus générale était celle d’une enfance passée dans la maison familiale, hormis les toutes premières années où l’enfant était parfois confiée à une nourrice. Très vite on demandait à la petite fille d’aider, de s’occuper d’à peu près tout ce que fait une femme dans la maison. Elle restait très dépendante des adultes jusqu’au jour où on lui trouvait l’époux qui se chargerait d’elle.

Tout au long de cet itinéraire, rares étaient les jeunes filles qui avaient acquis suffisamment d’instruction pour avoir leur mot à dire sur des questions culturelles. Comme le dira Molière dans Les Femmes Savantes, l’opinion courante était du genre :

Il n’est pas bien honnête et pour beaucoup de causes
Qu’une femme étudie et sache tant de choses.

Mais avec le bouillonnement des idées de la Réforme, de nouvelles interventions se manifestaient dans le domaine des connaissances religieuses : « Tandis que les hommes renversaient ce qu’il y avait de plus sacré, les femmes tenaient des Conciles et s’érigeaient en Oracles sur tous les points de controverse [1] ». Jeanne de Lestonnac avait baigné, pendant sa jeunesse, dans l’atmosphère des guerres de religion, et, tout en gardant la foi catholique héritée de son père, elle avait approché le calvinisme à travers sa mère. La place faite à la femme chez les protestants avait attiré son attention. Elle avait vu en effet les Dames réformées, disciples de Calvin, se dépenser avec flamme pour répandre leur doctrine. C’est pourquoi elle envisagea de former des personnalités féminines pour soutenir le combat de la foi. Non seulement la tâche lui paraissait utile, mais surtout elle croyait la femme appelée à jouer un rôle de premier plan dans l’Église.

Veuve du Baron de Monferrant-Landiras et parvenue à l’âge de 50 ans, Jeanne de Lestonnac possédait une expérience qui pesait lourd, celle d’avoir élevé cinq enfants, deux garçons et trois filles. Ce qu’elle avait vécu coïncidait avec les conclusions de ceux qui soutinrent son projet, comme le raconte le secrétaire du Cardinal François de Sourdis, archevêque de Bordeaux :

Je tiens de personnes de qualité que Monsieur le Cardinal, au commencement de sa résidence, se sentait grandement heureux de n’avoir trouvé qu’un monastère de religieuses en son diocèse. Mais quand il eut bien considéré le défaut d’instruction des jeunes filles en la doctrine chrétienne, dévotion, piété et bonnes mœurs, et que cette dévotion et bon régime chrétien et catholique qui se trouvait dans quelques maisons, venait, sans doute, de la prudence, instruction et sainte économie des dames sans laquelle toutes bonnes mœurs se corrompaient, les hommes étant emportés aux affaires, et d’ailleurs peu affectionnés à ce particulier souci, il changea bien de sentiment et commença bien à souhaiter que, comme il croyait le Collège des Pères de la Société de Jésus instiller en la jeunesse de leur sexe la piété chrétienne avec les lettres humaines, aussi peut-il avoir dans sa ville et dans son diocèse des Collèges de religieuses et filles qui fissent le semblable envers la jeunesse du leur.

La portée familiale et sociale d’une action éducative sur la femme n’échappait donc pas à l’observateur attentif, et c’est pourquoi Jeanne de Lestonnac put facilement élaborer un projet destiné à créer un Institut ayant une telle visée. Dans le document dénommé « l’Abrégé », les éducatrices de la Compagnie de Marie Notre-Dame sont présentées à la suite des grandes Saintes que Dieu a suscitées aux heures cruciales de l’histoire de l’Église :

Dieu a envoyé jadis sainte Scholastique, sainte Claire, sainte Catherine de Sienne ; et de notre temps la sainte Mère Thérèse de Jésus (...) or il semble que le même Dieu ait voulu faire quelque chose semblable en ce dernier et déplorable temps auquel on remarque qu’en plusieurs bonnes villes de ce Royaume de France et particulièrement dans Bordeaux, capitale de Guyenne, plusieurs filles catholiques sont contraintes d’aller aux écoles des maîtresses hérétiques.

Face à une situation d’urgence, il convenait de former un corps apostolique sensible aux carences de l’époque et fermement décidé à valoriser une éducation adaptée à la femme. Car c’est bien une adaptation qui s’imposait : non pas la vie sur-protégée du monastère, mais l’école, séparée de l’habitation des religieuses ; non pas le practico-pratique de la formation ménagère, mais l’éveil de l’intelligence et du cœur aux richesses communiquées par l’instruction et le dialogue de maîtresse à disciple.

Telles sont les perspectives qui s’ouvraient à Jeanne de Lestonnac et qui donnaient à son œuvre une motivation essentiellement apostolique et rénovatrice, afin de préparer des générations de femmes clairvoyantes et convaincues dans leur foi.

Nouvelle image de la femme

Si l’on en croit certains écrits de la fin du XVI. siècle, et, en particulier quelques pages de Michel de Montaigne, oncle de la fondatrice, l’impression qui s’en dégage n’est guère favorable à la femme debout. La femme est plutôt la compagne nécessaire à la continuité de la famille, on la confine dans le cadre domestique et on l’ignore dans les débats. C’était si vrai qu’à l’heure de jauger les qualités de sa nièce Jeanne de Lestonnac, Montaigne n’aurait pas caché son heureuse surprise devant un bilan des plus positifs :

Monsieur de Montaigne son oncle, assez connu par ses Essays, et capable de porter bon jugement des bonnes choses, ne pouvait se lasser de regarder cette jeune fille et admirer les rares qualitez que Dieu avait donné à son esprit ; après avoir souvent sondé le fond de son jugement, et ouy la vivacité de ses réponses, était contraint de dire qu’elle ne sentait rien de la fille.

Autrement dit, quiconque possédait certaines capacités intellectuelles se trouvait en rupture avec l’identité féminine. Que pouvait-on en attendre dans une entreprise socialement importante comme celle de l’éducation ? Pour ce qui nous occupe et en vue d’une courageuse proclamation de l’Évangile au lendemain des guerres de religion, c’était sans doute le moment de faire sauter des contraintes forgées par l’habitude. Conseiller de la Fondatrice, le Jésuite Jean de Bordes n’hésita pas à accentuer l’audace dont il fallait faire preuve :

Il est vrai, disait-il, que saint Paul défend aux femmes de parler dans l’Église de Dieu ; mais la divine grâce qui forme les cœurs comme il lui plaît vous dispense de cette loi, et vous met au rang de ces premières Vierges, de ces femmes illustres qui annoncèrent la foi, et la défendirent dans les premiers siècles de l’Église (...) Vous êtes choisies pour renouveler l’Église que ces illustres héroïnes ont fondée avec les Apôtres.

Jeanne de Lestonnac partageait pleinement cette volonté de prendre la parole, de saisir énergiquement une situation difficile et d’y faire pénétrer une action mûrement pensée. Toute la formation à donner aux éducatrices est dictée par cette intention. On y voit l’importance du contact et des relations humaines, la recherche d’un solide contenu doctrinal, et le sens des responsabilités. Celle qui ne peut manquer d’incarner ces valeurs est la Supérieure dite « Mère Première ». Un texte fameux des Constitutions de la Compagnie de Marie Notre-Dame esquisse les traits de la réussite escomptée :

Son titre de Révérende Mère Première de Nostre Dame luy remette toujours en mémoire ce qu’elle doit estre et avoir en vérité. 1. Celuy de Révérende (...). 2. Celuy de Mère ; de faire recognoistre en soy un amour tendre et maternel avec un don affectueux de ses filles, et en leur commandant avec modestie et circonspection, se rendre si aimable que toutes puissent recourir à elle comme à leur Mère avec toute liberté et confiance, attendu qu’elles ont quitté des Mères et personnes qui les aymaient chèrement, pour se jetter entre les bras de Nostre Dame et les siens, et que son gouvernement comme de Mère doit estre plus doux que le paternel, tant s’en faut qu’il puisse estre despotique et seigneurial, et tel que ceux qui commandent en Maistre ou Roys des nations, comme Nostre Seigneur et S. Pierre advertissent. 3. Celuy de Première (...). 4. Bref celuy de Nostre Dame : d’imiter en son gouvernement, la charité, douceur et façon de gouverner de cette Mère de Dieu, de miséricorde et de dilection ; dressant ses sujettes à la perfection, plutost par bon exemple et par amour, que par belles paroles et par rudesse quoy que parfois en temps et lieu, il s’en faille servir la meslant avec la douceur.

Si la citation est un peu longue, c’est qu’elle fait un tout, et qu’au-delà du plan moral, elle présente une image féminine à la fois basée sur un fondement scripturaire et fortement harmonisée par la présence vivante du modèle marial. Il y rayonne le charme d’une figure aimante et douce. La femme y apparaît avec tous ses trésors de tendresse, de compréhension et de proximité attentive. Sa sensibilité vibrante est tout entière tournée vers les autres, vers celles dont elle a la charge et qu’elle accueille avec réalisme, en se souvenant qu’elles viennent d’une autre famille également belle, mais combien différente ! La femme en tant que personne doit être ainsi en toute vérité, c’est-à-dire qu’elle n’a pas à prendre des airs de supérieure, ni à plaquer des attitudes jugées opportunes ; non, cela doit jaillir du cœur afin qu’on puisse en voir la manifestation à l’extérieur. Ce qui la guide c’est son intuition, sa capacité de communiquer sans parole, tout simplement en se rendant « aimable » dans des conditions qui suscitent la confiance.

Mais ce n’est pas tout, voilà cette femme investie d’une fonction, celle de gouverner sa maison. D’où l’occasion de distinguer deux manières possibles d’exercer cette responsabilité : la manière paternelle et la manière maternelle. Le signe du gouvernement féminin est la douceur et la douceur d’une mère. Se maintenant dans la simplicité, elle est bien loin des modèles seigneuriaux (et rappelons ici que Jeanne de Lestonnac fut pourtant l’épouse heureuse de « haut et puissant seigneur, le Baron de Monferrant Landiras »). La femme ici présentée ne fait point peser son pouvoir, elle dirige surtout par sa modestie et sa « circonspection ». Au lieu de suivre l’exemple du despote aveuglé par sa haute position, cette femme regarde Notre-Dame en qui elle voit la « Mère de Miséricorde et de dilection ». En elle, c’est encore douceur et charité qu’elle cherche à imiter.

Ces traits ne sont certes pas en opposition avec ceux de la femme éternelle, et bien des traditions s’y trouveraient confortées, mais la pointe du message semble résider dans le développement simultané des capacités d’aimer et des capacités d’agir. C’est l’équilibre entre les deux qui donne une image particulièrement riche dans le domaine de l’éducation, du service des autres et de l’engagement ecclésial.

La personnalité de Jeanne de Lestonnac marqua dans ce sens les commencements de l’œuvre. L’analyse graphologique effectuée en 1982 à partir de quelques-uns de ses autographes a révélé cette double tendance :

Impression générale de fermeté, d’intelligence autant que de cœur (...) La pensée est forte, d’une remarquable cohérence ; elle allie un constant renouvellement des idées à une originalité sobre, une rigueur logique à une forte souplesse de conception ; Madame de Lestonnac porte son attention sur toutes choses et ne se démet jamais de cette discipline intellectuelle qui accompagne toute action importante non plus que de cette chaleur de cœur qui anime l’énergie (...) C’est une femme de tête qui n’est pas une cérébrale au sens spéculatif et abstrait du terme, mais qui ne perd pas de vue le but à atteindre, par-delà les obstacles, les contingences matérielles.

Celle qui dressa les plans de la Compagnie de Marie Notre-Dame était donc naturellement dotée d’un important bagage intellectuel et actif aussi bien qu’affectif. Après un cheminement spirituel chargé d’épreuves et de profondes découvertes, Jeanne de Lestonnac pouvait transmettre les fruits d’une expérience assez complète. Elle y avait acquis un dynamisme pascal, capable d’une part de traverser les réalités de la vie en y faisant croître les vertus solides, et d’autre part assez affiné pour savoir apprécier les joies de l’Esprit dans la réceptivité d’un cœur ouvert. L’approfondissement de la spiritualité ignatienne et du caractère marial de l’Institut sont là pour permettre de prolonger cette double puissance de l’expérience fondatrice bien vécue au féminin et tout à fait en rapport avec les diverses facettes de la personne debout.

Valeurs à privilégier

Élevée dans un milieu très en contact avec les humanistes de la fin du XVI. siècle, Jeanne de Lestonnac hérita d’une vision optimiste de la personne humaine. Elle prit à son compte, en l’appliquant à la femme, une certaine tendance à accueillir et à faire valoir les diverses manifestations de la nature. C’est ce qui lui fit écrire dans le livre des « Règles et Constitutions » publié en 1638 :

Comme les naturels (...), les éducations et les grâces sont de diverse sorte, et que la sainte prudence et discrétion requièrent qu’on y ait égard pour mener mieux les âmes selon Dieu, où la bonne disposition et inclination non vicieuse les conduit et mène ; aussi convient-il (...) remontrer (...) que toutes ne se chaussent pas à un pied.

Consciente de devoir laisser grandir en chaque être le meilleur de ce qu’il possède, la fondatrice optait pour la confiance à faire à celles dont elle était chargée, comme éducatrice, maîtresse des novices ou supérieure. De là des manières de faire bien humaines, à côté des exigences rigoureuses de formation :

Elle avait une autre façon d’agir qui facilitait la pratique de la vertu, rendait le joug de la religion aisé, et était d’une grande utilité pour la Communauté. Quand elle était assurée de la vertu de quelque religieuse, elle la mettait dans les offices et dans les occasions qui étaient de son goût, comptant sur elle comme sur une personne qui ferait avec perfection ce qu’elle ferait avec plaisir.

Cette recherche du plaisir légitime était alors une condition de l’harmonie à laquelle la Supérieure recevait l’obligation de veiller pour toutes : « tâchant de les tenir joyeuses et allègres (...) afin qu’on serve Dieu en allégresse, selon le Psalmiste, puisqu’il aime et chérit (...) un donneur joyeux et allègre [2] ».

L’accent mis sur la création d’une atmosphère de joie s’accompagne de procédés pédagogiques tels que l’utilisation de la musique, « la poésie et les beaux airs » comme disent les textes, et cela pour agir avec plus de « facilité ». L’attitude de confiance et d’ouverture se manifeste encore par l’absence de mises en garde fréquentes à l’époque dans l’éducation des petites filles. On ne trouve pas chez Jeanne de Lestonnac la crainte de voir altérer ce qu’on appelait alors le trésor de l’innocence. En femme d’expérience, qui avait été épouse et mère de famille, elle n’avait aucune obsession de la pureté pour elle-même. C’est le contenu spirituel qui l’intéressait. Elle se démarquait ainsi d’un courant naissant qui, dans ses expressions extrémistes, devait connaître la déviation des Religieuses de Port-Royal, « pures comme des anges, mais orgueilleuses comme des démons ».

À l’encontre de cette mode, Jeanne de Lestonnac disait à ses filles : « qu’une religieuse qui s’excuse, et qui croit avoir toutes les lumières sur sa conduite, n’obtiendra jamais l’humilité, et qu’une veuve humble vaut plus qu’une vierge orgueilleuse [3] ».

En résumé, tout est à juger au niveau des dispositions positives du cœur, tandis que ce qui se manifeste au-dehors peut cacher de profondes malices.

D’un point de départ qui, globalement, s’affirmait comme une vision optimiste de la personne, on en arrive à la nécessité d’une connaissance des cœurs et des dispositions de chacune. En ce domaine, Jeanne de Lestonnac n’a négligé aucune observation afin de pouvoir aider davantage à mettre la femme debout. Pour elle, il y a bien des écueils à éviter. Elle sait que les indéniables richesses de l’affectivité peuvent conduire à être « un peu solitaire ou scrupuleuse », c’est-à-dire au repli sur soi et au sentimentalisme. Elle dénonce chez les petites filles la « curiosité » qui pousse à s’immiscer dans les affaires des autres. Elle considère la vie de groupe comme une occasion de laisser monter des « jalousies », voire des signes d’ambition. Et voici les défauts qu’elle juge les plus graves chez une candidate à écarter :

Elle est arrogante et impérieuse, (...) sévère, violente, altière et rigoureuse (...), elle cherche en tout et partout ses commodités, jusqu’à se rendre importune à demander tout ce de quoi elle a envie.... Elle est notablement opiniâtre....

Ce serait en effet un grand obstacle à l’éducabilité ; tandis que les filles simples et ouvertes auront un avenir plus prometteur :

Elles sont douces, paisibles, gaies, traitables, modestes et respectueuses, point opiniâtres, mélancoliques, libertines, affectées ni effrontées (...) afin d’avoir plus de créance en nos fonctions, et y être mieux dressées pour la gloire de Dieu.

Sans rien exagérer, ni des défauts cités, ni des qualités à acquérir, Jeanne de Lestonnac sait pertinemment que les uns sont souvent l’envers des autres. Et comme la vie réelle comporte tour à tour l’entraînement à supporter ce qui ne peut changer et le doigté nécessaire pour gérer les conflits, l’animatrice s’appliquera à percevoir avec acuité le donné humain dont elle doit tirer parti. Connaissance de soi, connaissance des autres, réflexion sur des faits de vie seront indispensables dans l’accomplissement de l’action éducative.

C’est là qu’un troisième aspect prendra son importance : l’anti-mollesse ou la formation au courage. L’exemple de la fondatrice est éloquent sous ce rapport :

Le courage qu’elle avait à faire beaucoup de choses généreuses n’était pas seulement d’entreprendre les choses, ce que plusieurs savent faire, mais à les poursuivre et achever (...) ne désistant de la poursuite que lorsque l’affaire était du tout impossible.

Une ambiance tonique de travail inspire cet élan, l’esprit d’organisation soutient cette persévérance et surtout la présentation d’un but élevé stimule les énergies. Jouant sur ces trois facteurs, Jeanne de Lestonnac pouvait se permettre de brèves interpellations qui éclairaient les perspectives du combat :

Je vous prie, écrit-elle à Marguerite de Poyferré, d’éviter de paraître immortifiée en ce qui regarde vos besoins, vous avez dit à votre arrivée des paroles qui donnaient lieu de penser que vous vous recherchez un peu vous-même.
En disant seulement « courage, ma fille », c’était assez pour mettre le calme dans les âmes, si puissant et si efficace était le parler de la fondatrice.

Il s’agit bien d’une force intérieure à entretenir, un désir de remplir « de mieux en mieux » la fonction de l’Institut « pour la plus grande gloire de Dieu, le bien du public et le salut des âmes », comme disent les textes.

En résumé, confiance et joie, lucidité quant à la complexité féminine, courage fait d’une vigoureuse intériorité, telles sont les valeurs à privilégier, afin de mettre en action le meilleur dont la femme est porteuse.

Cette œuvre en faveur de la femme n’est pas un plaidoyer ajoutant quelques discours aux nombreuses paroles féministes prononcées en notre temps. C’est bien davantage un programme d’action destiné à faire surgir en pleine pâte humaine des générations féminines plus compétentes, plus résolues à faire face à leurs responsabilités et à en partager l’exercice dans la mesure de leurs capacités propres. Sans tomber dans la double tentation de défendre la femme-victime ou d’idéaliser la femme-sauveur, l’expérience fondatrice évoquée ici met en lumière tout simplement la femme debout, consciente de sa dignité et présente par sa qualité d’être.

Collège privé
N.D. de Bon Accueil
49 Montée Bon Accueil
F-38200 VIENNE, France.

[1Histoire de l’Ordre des Religieuses Filles de Notre-Dame, Poitiers, chez la Veuve de J.B. Braud, 1697, cité désormais Histoire.

[2Règles, 112, R. 54.

[3François de Toulouse, deuxième biographe de Jeanne de Lestonnac, 221.

Mots-clés

Dans le même numéro