L’embryon est une créature de Dieu
Jean-Marie Hennaux, s.j.
N°1989-2 • Mars 1989
| P. 111-116 |
En des termes très simples, l’auteur nous rappelle l’enseignement de l’Église sur le statut théologique de l’embryon humain : connu et aimé de Dieu, créé dans le Christ, l’embryon doit être respecté comme une personne dès le premier instant de sa conception ; dans l’accueil de ce plus petit peuvent d’ailleurs se vérifier et notre foi en la création, et l’universalité de notre amour.
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Nous voudrions, dans les pages qui suivent, montrer le plus simplement possible pourquoi l’Église demande que l’embryon humain soit « absolument respecté » (Gaudium et Spes, 51, 3), c’est-à-dire respecté « comme une personne » (Donum Vitae, I, 1), dès le premier instant de son existence.
L’embryon est connu de Dieu
« Est-ce que l’on ne vend pas deux moineaux pour un sou ? Pourtant, pas un d’entre eux ne tombe à terre indépendamment de votre Père. Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez mieux que tous les moineaux du monde » (Mt10, 29-31). Les réalités les plus modestes, les plus minimes, de la création sont toutes connues de Dieu. Rien ne se passe dans l’univers à l’insu du Créateur. Mais, parmi toutes les créatures, ce qui est humain est particulièrement l’objet de la connaissance et de la sollicitude divines. Ainsi, l’embryon, alors même qu’il est peut-être encore inconnu de sa mère, est-il déjà connu de Dieu. Il est évidemment impossible que l’apparition d’une créature humaine se fasse à l’insu de Celui qui connaît tout, parce qu’il crée tout, - de la moindre herbe des champs jusqu’à l’homme.
L’embryon est créé par Dieu, voulu par Dieu, aimé par Dieu
Nous venons de le dire : si l’embryon, dès le premier instant de son existence, est connu de Dieu, c’est parce qu’il est créé par Dieu. Aucun processus ne peut se produire dans la création, aucune créature ne peut apparaître, sans l’intervention créatrice de Dieu. Que l’embryon soit ainsi créé par Dieu, cela signifie qu’il est voulu par Dieu. Bien sûr, l’embryon est le fruit d’un acte humain, celui d’un homme et d’une femme qui, dans la conception d’un nouvel être, tiennent la place de véritables causes, mais ces « causes secondes » ne peuvent agir que parce que Dieu, « la Cause première », leur donne d’agir, soutient leur acte, et donne l’être à ce qu’ils conçoivent. Dieu ne se soumet ainsi à l’activité des hommes que parce qu’il veut s’y soumettre. Il en a décidé ainsi dans son amour. En donnant l’être et la vie au fruit d’une conception humaine, Dieu n’agit donc pas parce qu’il le faut bien, Dieu ne se résigne pas à une action qui s’imposerait à lui sans qu’il la veuille pleinement. Supposer cela, ce serait méconnaître la liberté souveraine de Celui qui veut toujours librement tout ce qu’il fait. Dieu veut donc toujours l’embryon qu’il crée.
Pour que l’acte de concevoir un nouvel être humain soit posé de manière vraiment humaine, il faut qu’il soit vécu dans la liberté et dans l’amour, un amour qui ne s’adresse pas seulement au partenaire, mais qui enveloppe aussi l’enfant qui, peut-être, naîtra de l’union. Mais à supposer que l’enfant n’ait pas été désiré, il pourra toujours se dire que Dieu, Lui, l’a voulu. En effet, la liberté divine dont nous venons de parler est celle d’une Bonté créatrice et miséricordieuse, qui non seulement accomplit et achève ce que l’homme fait de manière imparfaite, mais même répare de surcroît ce qu’il fait de manière inhumaine et pécheresse.
Si Dieu crée et donne l’existence, c’est évidemment parce qu’il aime. Il aime tout ce qu’il crée. La création ne s’explique que par l’amour. Ainsi, l’embryon est-il, dès son apparition, non seulement connu de Dieu, mais voulu par Dieu, aimé par Dieu.
La Bible témoigne en de nombreux endroits de cette connaissance aimante de Dieu dont l’embryon est l’objet. Le texte le plus clair est peut-être celui du psaume 139 : « C’est Toi qui m’as formé les reins, qui m’as tissé au ventre de ma mère ; je te rends grâce pour tant de mystères : prodige que je suis, prodige que tes œuvres. Mon âme, Tu la connaissais bien, mes os n’étaient pas cachés de toi, quand je fus fait dans le secret, brodé au profond de la terre ». Concluons avec l’Instruction Donum Vitae : « La vie humaine est sacrée parce que, dès son origine, elle comporte l’action créatrice de Dieu » (DV, Introduc., 5).
Créés dans le Christ
Dans l’embryon qu’il crée, Dieu, qui est l’Éternel, voit déjà l’homme libre, capable un jour de reconnaître son Créateur et de l’aimer en retour, l’homme qui pourra répondre à l’alliance que son Dieu lui offre. Dès l’Ancien Testament, la création de l’homme par Dieu est, en effet, comprise comme une alliance interpersonnelle que le Seigneur établit entre Lui et sa créature. Cette alliance s’accomplit et se noue d’une manière définitive dans le Christ Jésus.
Rassemblant toutes ces données de la révélation, saint Paul n’hésitera pas à écrire que nous sommes créés dans le Christ (cf. Col 1,16). Quand il crée un être humain, Dieu le voit toujours dans son Fils, le Christ Jésus. Le créer, c’est, pour le Père, le destiner à devenir fils dans le Fils, c’est le vouloir dans l’alliance nouvelle et éternelle qu’il a conclue avec toute l’humanité dans le Christ. En tout embryon, Dieu contemple donc son Fils.
Au début de l’Épître aux Éphésiens, Paul insiste sur l’éternité du Dessein créateur et sauveur de Dieu : « Dieu, le Père... nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde pour que nous soyons saints et immaculés en sa présence, dans l’amour » (Ep 1,3-4).
Il faut donc comprendre la création de l’embryon humain à la lumière du dessein éternel de Dieu et à l’intérieur de cette alliance interpersonnelle dans le Christ que Dieu a en vue lorsqu’il crée un homme.
Embryon humain et personne humaine
S’il en est ainsi, lorsque Dieu crée un embryon, il voit déjà en lui la personne humaine unique avec laquelle il fait alliance dans le Christ. Il le voit comme personne dans la Personne de son Fils. Cela suffit à révéler aux chrétiens la dignité personnelle de l’embryon et à fonder le devoir de le respecter absolument dès le premier moment de son existence. Oui, il est bien digne d’être respecté comme une personne cet être qui ne peut encore montrer qu’il l’est, mais qui l’est déjà assurément dans la pensée et dans le vouloir de Dieu et qui, par conséquent, l’est aussi, nécessairement de quelque manière, dans sa réalité physique, - fût-ce d’une manière qui dépasse notre entendement.
Mais puisqu’en créant un embryon, c’est la personne que Dieu a en vue, comment ne pas penser un rapport de nécessité entre l’embryon et cette personne ? Comment, par conséquent, ne pas avoir à respecter ce rapport de nécessité posé par Dieu ? Comment ne pas reconnaître le devoir absolu de respecter l’embryon comme un personne, puisqu’il est voulu par Dieu comme une personne ?
Disons les choses encore autrement : dès qu’un embryon humain apparaît, il est le signe d’une volonté créatrice de Dieu, volonté de créer une personne, et cette volonté doit être adorée. Il est trop tard pour se demander si cet embryon doit être respecté comme une personne. A cette question, la présence même de l’embryon a déjà répondu : Dieu veut créer une personne. C’est cette personne qu’il a en vue en créant l’embryon. Il nous est impossible de devancer le Créateur, nous ne pouvons que reconnaître ses volontés éternelles.
Le statut théologique de l’embryon a donc toujours été parfaitement clair aux yeux de l’Église : l’embryon est une créature de Dieu ; il est créé par Dieu à l’intérieur d’un projet d’alliance de Personnes à personne, dans le Christ ; son appartenance à l’ordre des personnes ne fait pas de doute ; il doit par conséquent être respecté comme une personne dès le premier moment de son existence. Ce devoir moral se fonde sur la nature de l’embryon que nous venons de rappeler : créature de Dieu, créée dans le Christ, avec la destinée surnaturelle que cela comporte. (A cela s’ajoute qu’il est le fruit d’un acte humain ; à ce titre encore, en vertu de la dignité de cet acte et de ceux qui l’ont posé, il doit être respecté).
Signification religieuse et universelle du respect de l’embryon
Les personnes que nous rencontrons dans la rue peuvent en quelque sorte nous prouver qu’elles sont des personnes : elles ont une silhouette humaine, elles parlent, elles gesticulent. Les embryons, au contraire, ne peuvent pas s’exprimer pour se faire reconnaître.
Cependant, cette pauvreté extrême d’expression condense en fait une extraordinaire richesse de signification. L’embryon humain n’a pas encore de « visage » : il ne possède pas encore cette autorité naturelle de toute face humaine qui, par sa simple présence, commande le respect ; il ne peut encore exister pour nous comme parole attestant son humanité. Mais il existe d’autant mieux d’une certaine manière en tant que pure parole de Dieu. Son « être-là » nous signifie immédiatement une volonté créatrice de Dieu. Il nous dit que Dieu veut créer un homme et qu’il est en train de le créer. Cette volonté, dès qu’elle apparaît, doit être entendue et obéie. L’embryon n’existe encore « pour nous » qu’en tant que créature de Dieu, si l’on peut ainsi s’exprimer ; il ne peut encore rien dire d’autre que cela : « je suis créé par Dieu », mais précisément, cela constitue ce qu’il y a de plus important à reconnaître en toute personne humaine. Essayons de mieux le comprendre.
Nous sommes constamment tentés de réduire les autres à des objets, c’est-à-dire à ne les laisser exister que dans le cadre de nos buts, de nos intérêts, de ce qui nous convient. Or, accueillir autrui comme une personne humaine, c’est le laisser exister pour lui-même, comme une fin en soi. C’est lui reconnaître une transcendance par rapport à tous nos buts. Cette transcendance lui vient de ce qu’il ne dépend pas de nous dans son être, mais de ce qu’il reçoit cet être de Dieu. Il est une créature de Dieu. Il n’est pas notre créature. Du fait que son être lui est immédiatement communiqué par Dieu, il nous dépasse, et nous ne pouvons que le recevoir comme une créature de Dieu, c’est-à-dire comme un don.
C’est seulement dans la mesure où je le reçois ainsi comme un don, comme une créature de Dieu, que je l’aime vraiment. Autrement, je me sers de lui, je ne le révère pas, je ne l’aime pas pour ce qu’il est en vérité. Ainsi, c’est dans ma relation à autrui que je suis constamment appelé à vérifier ma foi en la création. Chaque fois que je me « sers » d’autrui, je nie en pratique ma foi en la création. Inversement, chaque fois que je ne considère pas autrui comme une créature de Dieu, comme quelqu’un qui m’est gratuitement donné, je manque à son mystère et donc à l’amour que je lui dois.
Nous ne traiterons en vérité tous ceux qui nous entourent comme des créatures de Dieu que si nous respectons ceux-là qui ne signifient parmi nous que leur être de créature ; nous voulons parler des embryons humains. Dans les autres cas, notre charité risque toujours de s’appuyer trop sur des motifs humains, sur ce que les autres expriment d’eux-mêmes. En ce qui concerne les embryons, notre amour peut être totalement désintéressé, totalement gratuit, totalement appuyé sur le fait qu’ils sont des créatures de Dieu et rien que cela.
Conclusion
Dans son enseignement sur le Jugement dernier (Mt 25), Jésus nous a enseigné que le critère de notre charité est celui de notre charité pour le plus petit. En effet, dans bien des cas, la charité n’est totalement pure. « Le plus petit » est d’une manière unique le « sacrement » de Dieu. Ainsi, l’embryon humain, sans aucune force, sans aucune parole articulée, est-il l’être vis-à-vis duquel nous pouvons, d’une manière tout à fait claire, montrer que nous considérons que tous les êtres humains sont créés par Dieu. L’assurer et ne pas respecter ceux qui n’ont pour parole que leur « être-créature », ce serait mentir. Inversément, le respect absolu des embryons humains est le critère le plus concret de notre foi ou de notre non-foi en la création.
La question du respect de l’embryon est donc une question à la fois religieuse et universelle : religieuse, elle est le lieu où se vérifie ou se renie notre foi en la création, et universelle, parce que, dans la rencontre de tout homme quel qu’il soit, ce qui est décisif, c’est de le reconnaître comme transcendant, c’est-à-dire au concret comme créé par Dieu ; prôner l’amour universel et ne pas respecter l’embryon dès ses premiers instants, c’est une contradiction. Dans la question de l’embryon, il y va de la foi en Dieu et du mystère de l’amour universel
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