Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Le Synode, une révolution tranquille

Quelques réflexions

Jean Vanier

N°1988-1 Janvier 1988

| P. 18-36 |

Nous sommes heureux d’offrir à nos lecteurs ce témoignage de première main au sujet du récent Synode. Invité par le Pape, Jean Vanier nous rapporte ici l’expérience de communion ecclésiale qu’il a vécue au fil des jours, mais aussi ses questions sur la méthode suivie, la place effective des plus petits et des jeunes, l’effacement du visage mystique de l’Église et de sa recherche œcuménique. Tensions et déceptions sont certes apparues, notamment autour des mouvements, de la place de la femme, des mass médias et des célébrations. Mais chacun se trouve encore appelé à vivre des deux trésors de l’Église que sont l’Eucharistie et les pauvres, comme à découvrir plus profondément le don que laïcs et prêtres demeurent les uns pour les autres, dans la communion des saints.
Note de la rédaction (mai 2021) : la publication de cet article est évidemment antérieure aux révélations concernant la personne de Jean Vanier communiquées par l’Arche en février 2020. La rédaction renvoie le lecteur au communiqué officiel publié sur le site de l’Arche en France à la même époque.

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Introduction

C’est un devoir pour moi d’écrire mes réflexions sur l’Église dans notre monde moderne à l’occasion du Synode. Tant de choses ont été dites à ce sujet dans la presse qui, me semble-t-il, étaient incomplètes. N’est-il pas bon qu’un laïc, qui a vécu tout le Synode, écrive ce qu’il a vécu, ce qu’il a entendu et ce qu’il espère ? Cet événement est trop important pour qu’il en soit rendu compte de façon inexacte ou tendancieuse.

Je remercie profondément Jean-Paul II de m’avoir invité au Synode et je rends grâces à Dieu d’avoir pu y participer. C’est une expérience qui a marqué mon cœur et mon intelligence.

J’avais très peu d’attentes en allant au Synode. Je n’avais pas pensé que j’y serais invité ; c’est à la mi-août que le Délégué Apostolique du Canada m’a transmis l’invitation du Saint-Père. La vie quotidienne ne m’a guère laissé de temps pour y penser et je suis donc arrivé au Synode le cœur et l’esprit ouverts, comme un enfant prêt à recevoir ce que Dieu voulait me donner et à donner ce qu’il voulait que je donne. Il ne s’agissait pas pour moi de mener un combat ou de promouvoir des réformes, si ce n’est l’accueil des plus pauvres et en particulier des personnes handicapées au cœur de l’Église. D’une façon générale notre mouvement est bien accepté dans l’Église. L’Arche et Foi et Lumière sont des communautés de laïcs, nous avons appris à travailler avec nos évêques et nos prêtres. Dans nos communautés, prêtres et laïcs font partie d’un même corps, une « église domestique ». C’est en pensant spécialement à tous les pauvres, à tous les petits de notre monde qui n’ont pas de voix que je suis allé au Synode. C’est toujours dans cette optique que j’écoutais les interventions des pères. Pour moi, les laïcs qui sont au cœur de l’Église ce sont avant tout les plus pauvres. Cet article est donc écrit à partir de cette vision de l’Église qui m’a été donnée par vocation et par mission. D’autres écriront au sujet du Synode à partir de leur situation particulière : la situation de la femme, les ministères, la famille, etc. Ma vision est peut-être limitée, mais c’est celle que je vis.

Une expérience de communion ecclésiale

Le plus enrichissant pour moi a été de vivre une expérience de communion ecclésiale, de me sentir pleinement accepté par les pères du Synode, d’être membre du même Corps. Certes, les laïcs n’avaient pas le droit de voter ou de demander la parole dans l’Assemblée générale, mais nous y étions comme des collaborateurs, comme des frères et des sœurs.

Pendant la première quinzaine, nous avons écouté les interventions des pères : d’une durée de huit minutes, parfois d’ordre théologique ou pastoral, elles traitaient de la vocation et de la mission des laïcs, ou de la situation d’un pays. Je les ai écoutées avec un grand intérêt, particulièrement celles des évêques du Viêt-Nam, des pays de l’Est, du Moyen Orient, de l’Amérique Centrale, du Sri Lanka, des Philippines, etc. Chaque père était porteur des souffrances et des espérances de son peuple.

En les écoutant, je voyais l’Église universelle : une Église persécutée, une Église qui souffre, qui lutte pour les droits fondamentaux de chaque personne humaine, une Église qui hésite parfois avant de savoir quelle route prendre, une Église confrontée à des structures et à des valeurs qui font obstacle à sa mission. J’ai revu ainsi en un mois toute ma théologie dans le contexte actuel de notre monde.

Après ces quinze premiers jours, nous avons été répartis en petits groupes pour répondre aux questions qui nous avaient été posées. J’ai fait partie d’un groupe de langue anglaise composé de vingt-deux évêques représentant dix-sept pays (d’Asie et d’Océanie principalement), et de huit laïcs originaires de sept pays différents. J’ai apprécié la collaboration et la communion qui régnaient entre nous. Les laïcs avaient toute liberté de s’exprimer et les propositions étaient rédigées par les évêques et les laïcs. La simplicité et la qualité de réflexion dans la foi des évêques africains m’ont particulièrement frappé.

La « pause-café », de 10h30 à 11h, était un fructueux moment de rencontre, les rapports étaient simples et l’accueil chaleureux.

Aux assemblées générales comme aux célébrations eucharistiques d’ouverture et de clôture, nous étions tous réunis autour de Jean-Paul II. L’essentiel du Synode était bien cette expérience de communion fraternelle et ecclésiale : laïcs – hommes et femmes –, prêtres, évêques, cardinaux, pape, tous désireux de suivre Jésus et d’annoncer une bonne nouvelle à notre monde souffrant.

Le thème central

Le thème central était la vocation et la mission des laïcs dans l’Église. Sur le plan théologique, il n’y a peut-être pas grand-chose à ajouter aux textes de Vatican II : Lumen Gentium, Gaudium et Spes, et le décret sur l’apostolat des laïcs. Ces textes reprennent avec force la Parole de Dieu, exprimée surtout dans le Nouveau Testament : l’Église est un Corps. Nous avons tous une place dans ce corps. Chaque membre du corps est unique, il est une personne à part entière et est donc important. Par le baptême, chacun a reçu l’Esprit Saint. Nous appartenons à un peuple de prêtres, de prophètes et de rois. Nous sommes tous appelés à la sainteté. Nous sommes tous des amis de Jésus, ses disciples. Nous sommes donc tous responsables de la mission de l’Église. Il n’y a pas, dans l’Église, des citoyens de première et de deuxième classe. L’idée est aujourd’hui dépassée que « le sacré est pour les clercs, les religieux et les religieuses et que le profane est pour les laïcs ». Certains laïcs prendront part à la mission de l’Église par l’annonce de la bonne nouvelle et le service des pauvres, d’autres seront à l’œuvre dans le domaine temporel et politique. Mais tous, là où ils sont, font partie du Corps du Christ et sont appelés à annoncer par leur vie la bonne nouvelle, chacun selon sa grâce et son charisme. Les chrétiens haïtiens aiment chanter : « l’Église, c’est nous ; nous, c’est l’Église » ; c’était le thème de nombreuses interventions.

Comment expliquer que, malgré la doctrine si claire de Vatican II, les progrès aient été si minimes sur le plan pratique et pastoral ? Tant de laïcs, en effet, ne se sentent pas responsables de l’Église ; celle-ci est vue davantage comme une hiérarchie, non comme le Corps mystique, le Peuple de Dieu dont nous faisons tous partie.

Certains mots revenaient constamment dans les interventions : « collaboration », « participation », « coresponsabilité », « coopération ». L’importance d’avoir, à tous les niveaux, des espaces de dialogue et de coopération, tels que les conseils paroissiaux et diocésains, était soulignée.

La participation des laïcs au Synode manifestait concrètement cette coresponsabilité dans l’Église. En invitant des laïcs, Jean-Paul II accomplissait un geste prophétique, accentué encore par les interventions des dix-sept laïcs appelés à prendre la parole dans l’Assemblée générale. Chaque intervention, d’une vingtaine de minutes, fut remarquable. Madame Theresa Chooi, de Malaisie, expliqua son embarras quand on lui posait des questions sur les finances du Vatican et demanda aux pères qu’à tous les niveaux de l’Église, de l’Église locale au Saint-Siège, il y ait une parfaite transparence dans les comptes. Qu’une femme puisse dire cela si simplement à une assemblée de pères du Synode est une révolution tranquille ! Enrique Marcus, responsable d’un syndicat latino-américain de dix millions d’adhérents, parla de la souffrance du monde ouvrier. Le peu de lignes consacrées par le texte « instrumentum laboris » au travail et au monde ouvrier montrait bien, faisait-il remarquer, que le travail n’était pas une des priorités des pères. Une femme aveugle a donné son témoignage : ce qu’elle demandait aux pères ce n’était pas de la pitié ou de pieuses exhortations sur la Passion du Christ, mais des paroles qui confirment la lumière de la résurrection et les capacités de vie de tous ceux qui souffrent d’un handicap. Patricia Jones a fait une intervention remarquable sur la collaboration entre prêtres et laïcs dans le diocèse de Liverpool. Chiara Lubich a parlé d’une façon lumineuse sur la spiritualité des laïcs aujourd’hui. Toutes les interventions pourraient être citées et il est évident que la place et la parole des laïcs au Synode étaient importantes, prophétiques et appréciées par l’ensemble des pères.

Un autre geste prophétique (le Pape a un don particulier pour ces gestes prophétiques !) a été la canonisation de plusieurs laïcs pendant le mois du Synode. Jean-Paul II exprime ainsi ce qui a été dit dans le message final des pères au monde sur notre appel commun : « Nous sommes tous appelés à être saints comme le Père qui est dans les deux, selon notre vocation spécifique. De nos jours, la soif de la sainteté brûle de plus en plus au cœur des fidèles quand ils accueillent l’appel de Dieu les invitant à vivre avec le Christ et à transformer le monde ».

Autres thèmes

Liés à ce thème central, d’autres thèmes ont surgi. Pour grandir dans la sainteté, il faut appartenir à une communauté. La famille est la communauté initiale de chaque être humain, elle est une « église domestique », elle est un corps. Les pères du Synode ont parlé de la paroisse comme « le lieu ordinaire où les fidèles se rassemblent pour grandir dans la sainteté et pour participer à la mission de l’Église et vivre la communion ecclésiale ». « Nous nous réjouissons », dit le message final, « de voir que la paroisse devient une communauté des communautés, point de convergence des communautés ecclésiales de base ainsi que des autres groupes et mouvements qui la dynamisent et qui s’en nourrissent ». Cette insistance sur la vie communautaire et les communautés ecclésiales de base répond à un appel de l’Église de notre temps.

Vivre dans un corps, prendre sa place dans l’Église et dans le monde pour annoncer Jésus-Christ, ce chemin de la sainteté implique évidemment une formation et une compétence humaines et professionnelles. S’il existe encore un courant dans l’Église qui pense qu’une bonne formation théologique résoudra tous les problèmes, une évolution est pourtant en train de se faire : une formation théologique est nécessaire, mais elle doit être orientée vers la transformation dans le Christ et la vie selon les béatitudes. Cela implique, au niveau du cœur, une transformation des attitudes et des solidarités, ce qui suppose une vie communautaire, une ouverture aux pauvres, une profonde vie de prière et d’union à Jésus et un accompagnement sacerdotal et communautaire.

J’aimerais ajouter un mot sur la formation des prêtres : il semble que peu de prêtres aient été formés à la vie communautaire et à une vraie collaboration avec les laïcs. Beaucoup de prêtres que je connais se sentent seuls et deviennent alors hyper-actifs. Les tâches sont nombreuses et le nombre de prêtres diminue. Comme chacun de nous, le prêtre a besoin de faire partie d’un corps, de se sentir aimé et apprécié. La collaboration fondée sur la communion implique le soutien, le réconfort, la confirmation, mais aussi l’interpellation. Sans interpellation, on ne grandit pas. La communauté est un lieu indispensable de croissance pour tous les chrétiens.

Une question quant à la méthodologie

Un travail important a été accompli pendant ce mois de Synode, mais je crois important d’envisager la méthodologie telle que je la vois, à partir de ma perspective personnelle et de mon expérience.

Il faut commencer par rappeler que le Synode n’est pas le lieu où se prennent les décisions, il n’est pas un concile. Le but du Synode n’est pas de rédiger un document destiné à l’Église universelle. Le Synode est un lieu de conseil pour le Pape.

Le chemin à parcourir est long et ardu avant d’arriver à rédiger les propositions qui seront remises au Pape. Dans les petits groupes, on rédige un rapport sur les questions posées. Les rapports, au nombre de douze, sont lus dans l’Assemblée générale. On retourne ensuite en petits groupes pour formuler les propositions. Les secrétaires des douze groupes se retrouvent alors avec des théologiens experts pour formuler une seule liste de propositions. On retourne alors en petits groupes où on peut apporter des changements. Les secrétaires de groupes et les théologiens se retrouvent pour discuter. Les propositions sont alors données aux pères qui peuvent y apporter des amendements. La liste finale est ensuite présentée aux pères qui votent oui ou non, ou s’abstiennent.

Cette méthode peut paraître assez démocratique mais elle ne laisse guère de place au prophétique et à une vision unifiée et dynamique. Le résultat est un amalgame d’idées ou de propositions qui s’emboîtent plus ou moins bien. La méthode ne permet guère de bâtir une véritable vision. C’est pour cette raison qu’entre les rencontres en groupes, temps de partage vivant et intéressant, et le vote final des propositions peu prophétiques, il y a place pour la déception, la tristesse et l’incompréhension.

En y réfléchissant, après cette première expérience d’un Synode, il me semble dommage qu’on veuille formuler des propositions destinées à faire l’objet d’un vote ; elles sont nécessairement rédigées à la hâte et dans la fatigue. Si les réunions en groupes avaient clôturé le Synode, nous aurions vécu la communion ecclésiale et nous aurions évité ce temps consacré aux propositions que certains ont vécu douloureusement. En effet, le Pape entend tout ce qui a été dit et proposé ; a-t-il vraiment besoin de cette liste de propositions pour rédiger ensuite son exhortation qui, sur le plan pastoral, est le plus important pour l’Église ? Mais il y aurait un inconvénient : le Pape ne saurait pas exactement si tous les pères sont d’accord sur telle ou telle idée.

Les deux trésors de l’Église

Je vis depuis plus de vingt-trois ans avec des personnes qui ont un handicap mental et je suis en contact avec beaucoup d’autres personnes fragiles ou faibles et je me rends compte qu’il existe toujours un danger d’exclure ces personnes de l’Église ou de ne voir en elles qu’un objet de la charité. Ces personnes plus fragiles et pauvres ne sont pas toujours envisagées comme capables, au cœur de l’Église, de donner la vie et d’éveiller l’amour. Ce point de vue me tient très à cœur. J’éprouve toujours de la peine quand j’entends parler de la place des laïcs dans l’Église uniquement en fonction des mots de collaboration, coopération, coresponsabilité, participation, etc. Actuellement, ces mots sont fréquemment utilisés quand il s’agit de politique, de grandes industries ou d’entreprises : la participation, en effet, permet une efficacité plus grande et réduit les conflits sociaux. Si on insiste trop sur cette participation active dans l’Église, on tend alors à en supprimer le mystère propre. Saint Paul dit clairement que l’Église est un corps et que « même les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont nécessaires et ceux que nous tenons pour les moins honorables, c’est à eux que nous faisons le plus d’honneur » (1 Co 12,22-23). Jésus s’identifie au pauvre, or, dans l’Église, le pauvre ne peut assumer des responsabilités ou participer à la prise des décisions.

Si cet aspect du mystère de l’Église n’était guère perceptible dans les interventions du Synode et dans la rédaction des propositions, il était présent dans le message final qui avait un accent prophétique : « Vous, les laissés-pour-compte et les marginaux de notre société de consommation : malades, personnes handicapées, pauvres, affamés, émigrés, réfugiés, prisonniers, sans-travail, enfants abandonnés... l’Église partage votre souffrance qu’elle porte vers le Seigneur qui, vous associant à sa passion rédemptrice, vous fait vivre à la lumière de sa Résurrection. Nous comptons sur vous pour enseigner au monde ce qu’est l’amour. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que vous trouviez la place qui vous revient dans l’Église et dans la société. » Cette phrase est forte et claire ; elle souligne ce que beaucoup découvrent quand ils entrent en relation d’amitié avec des pauvres. En eux se révèle avec grande simplicité une véritable présence de Jésus, obscurcie souvent dans des personnes plus cultivées et riches. Les pauvres nous évangélisent et nous appellent à l’amour. Dans le pauvre il y a un véritable mystère que nous sommes tous appelés à vivre.

J’avais l’impression que beaucoup des interventions des pères étaient centrées sur les problèmes intérieurs de l’Église : ministères, place des femmes, tensions entre les différents mouvements ; cela nous a empêchés, peut-être, d’entendre le cri du monde et de construire une vision de l’Église source d’eau vive pour un monde souffrant et assoiffé. Le monde, et en particulier les jeunes, réclame une vision prophétique pour notre temps. Les sociétés occidentales donnent l’impression d’être en train de craquer (suis-je trop pessimiste ou est-ce que je lis les véritables signes des temps ?). Les jeunes sont atteints dans la profondeur de leur psychisme par les forces de la séduction et les puissances de la confusion. Tant de jeunes n’ont pas de racines et leur angoisse est encore accentuée par les souffrances de notre monde dominé par l’injustice et l’oppression, par le danger d’une guerre nucléaire, par la propagation du SIDA qui les touche dans un domaine très intime de leur être, par la technologie qui tend à supprimer l’humain.

Pour rejoindre les hommes et les femmes de notre temps, il faut, me semble-t-il créer des communautés d’accueil qui donnent une nouvelle famille aux personnes brisées, angoissées, isolées et marginalisées dans la société. Ces nouvelles communautés évangéliques leur permettront de trouver une nouvelle espérance. S’il est utile, pour la promotion du laïcat dans l’Église, d’encourager les chrétiens à se former, à étudier la théologie, à assumer davantage de responsabilités, il faut aussi créer un vaste mouvement d’accueil aux pauvres, et particulièrement aux nouveaux pauvres. Il est bon que l’Église appelle et encourage les disciples de Jésus à descendre l’échelle de la culture humaine pour accueillir les pauvres, à vivre avec eux, sur les pas de Jésus, dans l’esprit des béatitudes. Cet appel et la formation spécifique qu’il réclame n’ont pas trouvé place dans les interventions.

Créer de nouvelles formes de communautés pour accueillir les pauvres est particulièrement nécessaire pour ces pauvres que sont les personnes avec un handicap. Il est important que l’Église condamne la législation de l’avortement, mais il faut en même temps que les chrétiens soient appelés à accueillir les personnes pauvres, à créer de nouvelles communautés avec elles, à encourager les parents à recevoir l’enfant que Dieu leur donne. Ces nouvelles communautés chrétiennes sont appelées à vivre d’une façon très particulière ce premier temps de la vie de Jésus qu’est sa vie cachée avec Marie et Joseph et à s’inspirer de la spiritualité de Nazareth. Saint Joseph en est le modèle, lui, l’homme de prière, l’homme humble et caché qui travaille au service des autres. Comme Marie, saint Joseph est un modèle précieux pour ces communautés qui veulent vivre l’évangile.

Nous entrons dans un monde nouveau où les ruptures sont immenses au niveau des communautés naturelles et des consciences humaines. Il ne me semble pas possible d’essayer de revenir à un ordre humain et éthique traditionnel ; les traditions humano-religieuses ont été comme brisées. Il faut aujourd’hui annoncer l’évangile, le crier avec toutes ses exigences : l’adoration et la prière, le partage, la vie communautaire, la paix, la non-violence, la justice et la pauvreté. Les jeunes sont prêts à entendre cet appel, il les touche plus qu’un appel à une formation sur le plan politique et social. Il faut les appeler à marcher sur la voie des béatitudes. L’Église ne court-elle pas parfois le danger de ne pas parler assez clairement de ces exigences évangéliques, (et des malédictions aux riches) pour pouvoir préserver certaines valeurs de la civilisation chrétienne, de croire que le « laisser tout » pour suivre Jésus ne s’adresse qu’aux religieux ?

J’ai trouvé également que le visage mystique de l’Église n’était pas très présent au Synode. Croit-on que la vie intérieure est réservée aux religieux ? Notre temps, les jeunes en particulier, attend l’annonce de ce visage mystique : ils ont soif d’une expérience réelle de Dieu. C’est pour cela que beaucoup partent en Asie à la recherche de gurus ou s’affilient à une secte. Les pauvres, les malades, les personnes âgées ou celles qui ont un handicap attendent également une parole qui les encourage à boire à cette source de la vie mystique. Ils font partie de ces nouveaux contemplatifs qui, dans le Corps mystique, ont une mission d’amour pour tout le Peuple de Dieu.

Ne faut-il pas, à notre époque, mettre en évidence les deux grands trésors de l’Église : l’Eucharistie et les pauvres ? Depuis que l’Église, au moyen âge surtout, a pris conscience du trésor de l’Eucharistie, elle a créé des ministères centrés sur l’autel. Mais l’Église a trop souvent oublié l’autre trésor : les plus pauvres. Dieu a suscité des saints pour nous le rappeler : « Les pauvres sont le trésor de l’Église » (saint Laurent) ; « Les pauvres sont nos maîtres » (saint Vincent de Paul). Le christianisme ne se réduit pas à la messe dominicale. Les évangiles sont si clairs sur ce point : Jésus s’identifie au pauvre, il nous invite à vivre les béatitudes et à partager le repas avec les pauvres. Ce sont les pauvres qui viennent au banquet du Roi. C’est le pauvre Lazare qui est reçu dans le sein d’Abraham. Accueillir l’enfant, c’est accueillir Jésus. Aimer le voisin, c’est accueillir et aimer comme l’a fait le bon Samaritain. Tout ce que nous faisons au plus petit, au malade, au prisonnier, à l’étranger, c’est à Jésus que nous le faisons.

En Haïti, lors d’une homélie, Jean-Paul II a rapproché ces deux trésors en commentant l’évangile de saint Jean sur le lavement des pieds. Saint Jean ne parle pas de l’Eucharistie mais de ce service du lavement des pieds qui est le service des pauvres.

Je suis convaincu que, si les communautés chrétiennes accentuaient toujours ces deux pôles, ces deux trésors, l’Eucharistie et les pauvres, la vie mystique et la compassion, il y aurait moins de confusion autour des ministères et du rôle de la femme. Il est évident que la femme a une grâce spéciale de compassion et d’accueil pour les plus pauvres. Et pourtant cet accueil, cette vie avec le pauvre apparaît dans l’Église comme quelque chose de marginal en comparaison des ministères centrés sur l’autel.

Cette vision, bâtie autour des deux trésors de l’Église, n’implique pas que tous les chrétiens vivent en petites communautés avec les pauvres. Elle vaut aussi pour toute famille chrétienne, pour toute activité sociale et politique.

J’ai regretté que les pères aient si peu parlé de l’œcuménisme. Etait-ce qu’à ce Synode l’Église était tournée sur elle-même ? Le Synode a-t-il attaché suffisamment d’importance aux gestes prophétiques du Saint-Père lors de ses voyages, de sa visite à la Synagogue de Rome, de la rencontre d’Assise en octobre 1986 ? Or, ce sont les laïcs qui ont la place la plus importante, la plus naturelle et la plus évidente dans l’œcuménisme. Ils côtoient, dans leur vie et dans leur travail, des gens qui appartiennent à différentes traditions, églises ou religions, qui ont d’autres visions philosophiques. Il est évident que l’Esprit Saint invite toutes les Églises et toutes les personnes de bonne volonté à œuvrer pour l’unité. J’ai regretté que les pères ne se montrent pas plus sensibles à ces signes de l’Esprit dans notre monde afin de confirmer les chrétiens dans ce rôle. Cette recherche de l’unité ne doit pas se faire seulement dans le domaine de la politique ou de la recherche de la justice, elle doit se faire à un niveau plus profond.

Si on oublie que les pauvres sont un des trésors de l’Église, on cherchera à bâtir l’unité des chrétiens à partir de l’Eucharistie, qui est évidemment le point culminant de l’unité. Mais je suis convaincu que le pauvre est un chemin vers l’unité. Nous ne pouvons pas aujourd’hui manger tous ensemble autour de la même table eucharistique, mais tous nous pouvons manger autour de la même table avec les pauvres. Nous ne pouvons pas tous boire à la même coupe du sang de Jésus, mais nous pouvons tous boire à la même coupe de la souffrance et des divisions de l’humanité.

J’ai beaucoup apprécié le message au monde, il a des accents prophétiques. Mais j’aurais aimé y trouver une demande de pardon car nous ne rendons pas assez visible le visage de Jésus ; j’aurais aimé entendre dire que nous voulons suivre Jésus et faire mieux à l’avenir. Quand un prêtre, un homme ou une femme d’Église s’expriment ainsi, les cœurs sont touchés et s’ouvrent à la parole. Les gens attendent une Église humble et confiante, une Église qui n’a pas toutes les réponses, une Église qui n’a pas peur et laisse ainsi transparaître le visage de Jésus doux et humble.

La communion au cœur de l’Église

Beaucoup de pères ont souligné que le mystère propre de l’Église est la communion. Ce mot a été comme donné au Synode extraordinaire en 1985. Les Pères en ont compris toute l’importance et ont demandé un approfondissement de l’ecclésiologie de la communion. Lors de son homélie finale, Jean-Paul II a parlé de l’Église-mystère, de l’Église-communion et de l’Église-mission.

La communion est un don de l’Esprit Saint. Elle se situe au niveau le plus profond de l’être humain, là où il est temple de Dieu, là où se situe la grâce. Mais la communion n’est pas seulement une réalité théologique, un mystère de foi, elle s’enracine dans l’être humain et, par les vertus théologales, elle implique une modification profonde de la vie relationnelle. Elle rend très vulnérable, exige une vraie écoute de l’autre, une capacité de saisir en lui la lumière de Dieu. Elle suppose également que chacun a trouvé son identité profonde d’enfant de Dieu. Cette notion de communion ne doit pas être approfondie seulement sur le plan théologique, mais aussi d’une manière spirituelle, mystique même. Car cette communion découle des relations des personnes divines entre elles et nous oriente vers elles, c’est-à-dire vers cet Amour qui unit le Père et le Fils. Jésus a prié pour que ses disciples « soient un » de cette manière. C’est un grand mystère.

L’important n’est pas d’abord d’avoir une place dans l’Église, mais de vivre cette communion, et c’est particulièrement important lorsqu’il s’agit des pauvres. Un petit enfant ne collabore pas avec sa mère, il vit en communion avec elle. De même, il s’agit de vivre en communion avec les pauvres, et à travers eux, avec Jésus et avec son Père.

Cette communion implique que nous vivions vraiment de la grâce et de l’Esprit Saint, que nous soyons sous sa motion. Elle implique la sainteté. Ne sommes-nous pas appelés à vivre maintenant dans l’Église le mystère de la communion des saints ? Si nous ne tendons pas vers cette sainteté, vers cette vie dans l’Esprit Saint, nous risquons de tomber sous l’emprise de la peur et du besoin de contrôler. Au lieu d’être ouverts et aimants, nous nous replierons sur la défensive. Souvent, dans l’Église, nous avons peur de la communion parce que nous avons peur de perdre le contrôle, d’être vulnérables et c’est pour cette raison que nous cherchons à dominer l’autre.

Cette communion s’avère encore plus difficile à atteindre quand il s’agit de la relation entre hommes et femmes, à cause de la fragilité affective et sexuelle de tout être humain. Beaucoup de personnes manquent de maturité sur le plan affectif, surtout si elles ne sont pas enracinées dans la prière et dans une vie communautaire qui les porte, les soutient, les interpelle. Il me paraît évident que pour comprendre le sentiment de rejet qu’éprouve la femme dans l’Église, il faut approfondir tout ce domaine de l’affectivité et de l’intégration de la sexualité.

L’Église ne court-elle pas le risque aujourd’hui que la collaboration soit fondée sur un désir d’efficacité plutôt que sur la communion ? Quand j’ai demandé à un évêque les changements qu’entraînerait le Synode dans son diocèse, il m’a répondu qu’il allait créer de nouveaux centres de formation. C’est bien, mais je sens combien il est important de s’asseoir avec des laïcs, de prier avec eux, d’entrer en communication, en communion avec eux, de prendre des repas avec eux. C’est de là que jaillira ce que l’Esprit Saint veut inspirer. Il ne faut pas, me semble-t-il, que les évêques agissent comme s’ils étaient les PDG d’une grande entreprise, mais comme d’humbles serviteurs de la communion dans l’Esprit Saint. Ils sont appelés à annoncer la vérité intégralement, mais ils sont appelés aussi à écouter l’Esprit qui parle dans les autres et à laver les pieds.

J’ai été particulièrement frappé du sens de la communion qu’a Jean-Paul II. Présent durant tout le Synode, il écoutait avec beaucoup d’attention. J’aimais regarder sa présence aux autres pendant les Assemblées générales ; la plupart du temps, le père qui intervenait en fin de matinée ou d’après-midi n’était pas écouté ; tout le monde était en train de ranger ses papiers pour partir ; Jean-Paul II écoutait ce dernier père avec encore plus d’attention – peut-être pour réparer le manque d’attention des autres.

Il est évident que Jean-Paul II désire cette relation personnelle et cette communion. Ceci l’a amené à partager un repas avec chacun des membres du Synode. Le repas n’est-il pas le lieu de la communion ? Et je peux vous assurer que le pape veille à animer ce repas. Durant le dîner où j’étais présent avec neuf autres laïcs, il était très détendu, riait avec nous, plaisantait et s’entretenait personnellement avec chacun. De même, à la fin de la dernière séance de l’Assemblée générale, il a voulu serrer la main de chaque personne présente et lui faire cadeau d’une Bible en latin. Donner un cadeau, serrer la main sont des gestes de communion. Chacun avait la possibilité de parler personnellement au Pape. Ces gestes prophétiques de communion sont au cœur même de l’Église.

Tensions et déceptions

Mouvements anciens et mouvements nouveaux

Une tension évidente se manifestait dans les interventions des pères entre l’Action catholique et les nouvelles associations issues plus ou moins du Renouveau charismatique et les mouvements structurés comme l’Opus Dei et Comunione e Liberazione.

Quand les mouvements internationaux ne sont pas bien intégrés et reliés à l’épiscopat, cela crée évidemment des tensions. Certains évêques ressentaient ces nouveaux mouvements comme une église dans l’Église. Peut-être cette situation n’est-elle pas sans analogie avec la présence d’ordres religieux exempts dans un diocèse ?

Ces tensions et ces souffrances sont saines. L’Esprit Saint est merveilleux, toujours en train de créer du nouveau, de faire jaillir de nouvelles familles en face des nouvelles souffrances et de l’évolution du monde. Et tout ce qui est nouveau bouscule ce qui est ancien, bouscule nos projets bien établis. Dans ce qui est nouveau (comme dans ce qui est ancien), il y a des lumières et des ombres. Un long discernement est nécessaire pour saisir ce qui vient de Dieu dans ce qui est nouveau.

Ce qui se passe au niveau de l’Église universelle est ressenti également au niveau d’un diocèse, d’une paroisse ou d’une communauté. Comme il est tentant pour une communauté bien structurée, bien planifiée, d’écarter de nouveaux éléments prophétiques qui modifieront des projets déjà bien déterminés. Qui aime être bousculé ou mis en cause ? Comment discerner dans ce nouvel événement ce qui vient de Dieu ou ce qui n’est qu’un besoin de s’affirmer autre ? Saint Paul nous dit : « N’éteignez pas l’Esprit. » Il est si facile d’éteindre l’Esprit quand on a le pouvoir. L’être humain a besoin d’exercer un contrôle et prend peur devant ce qu’il ne comprend pas ou ce qu’il ne parvient pas à intégrer dans une synthèse pastorale ou doctrinale. Mais il est également facile d’affirmer que vient de Dieu ce qui est inspiré par la peur, ce qui est un projet personnel ou naît du besoin plus ou moins conscient de se mettre en avant. Il faut beaucoup de sagesse et de sainteté dans une communauté, dans l’Église diocésaine ou universelle pour discerner, puis intégrer et guider ce qui est nouveau ; il faut beaucoup de force et de patience pour attendre que la lumière se fasse, pour ne pas juger et condamner trop vite ; il faut savoir vivre avec des questions qui n’ont pas encore de réponse ; il faut savoir accompagner avec sagesse et humilité.

Pendant le Synode, j’ai rencontré un jour un évêque sur la place Saint-Pierre. Nous avons fait quelques pas ensemble. Il avait l’air fatigué et m’a dit : « Il faut être si petit. C’est toujours un danger de vouloir construire nous-mêmes l’Église au lieu de laisser l’Esprit Saint la construire. » Il n’est jamais facile, quand on a le pouvoir et la mission de confirmer les frères et sœurs dans la foi, d’entrer dans la béatitude du lavement des pieds.

La place de la femme

Il n’est pas possible de traiter rapidement et facilement une question aussi importante. Le monde change. Les communautés naturelles se disloquent. Des femmes de plus en plus nombreuses se retrouvent seules. Il n’est plus possible d’affirmer simplement que le rôle de la femme est d’être mère et que sa place est à la maison. C’est pourtant la conclusion à laquelle on risque d’aboutir si on étudie le rôle de la femme uniquement à partir de la nature humaine et non à partir de sa situation existentielle. Les femmes doivent trouver la place qui est la leur dans cette nouvelle famille qu’est l’Église.

En même temps, il est évident que seul le Magistère de l’Église, après avoir prié et demandé l’aide de l’Esprit Saint, après avoir scruté l’Écriture sainte, la tradition et les signes de l’Esprit Saint dans le monde, après avoir dialogué avec les hommes et les femmes de foi et de sagesse dans l’Église, peut décider quelle est la pensée de Jésus au sujet de l’ordination des femmes. L’Église, comme Jésus, est libre par rapport à la culture. Il ne s’agit pas de faire voter les chrétiens, il s’agit de voir ce que Jésus veut et quelle est sa vision. Et nous savons que la vision de Jésus n’est pas simplement la nôtre. Il faut toujours se rappeler les paroles de Jésus à saint Pierre : « Retire-toi ! Derrière moi Satan ! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes » (Mt 16,23).

Mise à part la question de l’ordination sacerdotale, il est nécessaire de regarder de plus près comment les femmes peuvent prendre pleinement leur place dans l’Église. Après avoir vécu plus de vingt-trois ans dans une communauté mixte, après avoir travaillé avec des responsables femmes et hommes, je vois l’extraordinaire richesse de cette complémentarité. Nous nous aidons à aller de l’avant à condition de nous écouter mutuellement. Le drame naît quand des barrières de peur ou de rivalités se dressent entre les hommes et les femmes. Je l’ai dit plus haut, quand on veut une place dans l’Église sans qu’il y ait communion, il n’est plus alors question de service mais de recherche de pouvoir. Jésus nous invite toujours à prendre la dernière place, car c’est là où, avec les pauvres, on trouve l’espérance et la vie : c’est là qu’on trouve Jésus et l’Esprit Saint. Si on écarte de l’Église son visage mystique et le visage des pauvres pour accentuer l’importance de la place et de la fonction cléricales, on déforme l’Église ; on en fait une grande entreprise internationale qui doit produire et qui veut dominer les autres. L’Église ne vit plus alors du mystère de la communion.

Évoquer Marie pour résoudre tous les problèmes de la femme peut présenter un danger. Marie a vécu pleinement des deux trésors de l’Église. Elle est d’abord la mystique, la première des mystiques. Elle nous appelle à vivre cette vie mystique, cette vie d’extase d’amour qui est au cœur de la vie évangélique. Elle nous invite à nous laisser attirer vers cette fournaise d’amour qu’est le Cœur de Jésus et la très Sainte Trinité. Mais elle est aussi la femme qui est restée debout au pied de la Croix quand son Fils était dans l’angoisse et mourait. Elle est la femme de la compassion. Elle nous invite à désirer cette place proche de ceux qui souffrent. Marie ne nous appelle pas seulement à la prière, elle est aussi une femme concrète, présente, réaliste, une femme qui a souffert, qui a connu les ténèbres de la foi, une femme qui a pleuré. Il faut que nous soyons proches d’elle sans la mettre sur un piédestal imaginaire. Il faut qu’elle soit présente dans notre vie ; elle est la plus pauvre et c’est pour cela que toutes les générations l’appelleront bienheureuse.

Mass médias

J’ai eu l’occasion de parler avec plusieurs journalistes de la presse écrite et de la télévision ; ils étaient mécontents du secret qui entourait le Synode. J’ai trouvé cela regrettable. Une équipe de télévision d’un pays européen avait, depuis des mois, parlé des préparatifs du Synode pour sensibiliser l’opinion à cet événement ; mais une fois le moment venu de parler du Synode lui-même, ils se sont heurtés à un mur de silence ; même les évêques de leur pays refusaient de parler. Il est évident que certains journalistes sont à l’affût du sensationnel, aiment le conflit, mais d’autres sont sérieux et veulent apporter au monde un message de vérité et d’espérance. Il est important, dans notre monde moderne, de travailler avec les médias. Il est trop facile de décréter le secret ; certes, tout groupe a le droit de traiter certaines questions à huis clos, la presse n’a pas besoin de tout savoir. Il me semble que, durant le Synode, le secret a été poussé trop loin ; j’ai vu trop de frustrations et de colères pour ne pas éprouver le besoin de le dire.

Certains, pendant le Synode, mus par la peur ou se croyant investis d’une mission, voulaient faire passer ce qu’ils estimaient être la vérité. Ils cherchaient alors à se servir de la presse pour manipuler l’opinion. J’en ai été la victime lors d’une interview donnée à un hebdomadaire de grand tirage lié à un nouveau mouvement. L’article a paru juste avant le vote des propositions, on m’y faisait dire que j’avais peur que le document final du Synode ne parle de l’option préférentielle pour les pauvres et l’on me faisait opposer celle-ci aux disciples de Jésus. Je n’en avais pas parlé mais le journaliste voulait me faire exprimer sa pensée ou celle de son mouvement, et cela juste avant les votes. Le procédé m’a blessé. Beaucoup de personnes allaient lire cet article et je n’avais pas les moyens de me défendre. Une telle manière de faire est scandaleuse, surtout de la part d’un journal catholique qui fait profession de chercher la vérité. Heureusement, dans la salle de presse du Vatican, quelqu’un m’a indiqué la procédure à suivre pour qu’une rectification paraisse dans le prochain numéro du journal. Mais le mal était fait. Comme il est facile, au nom de la vérité et de l’Esprit Saint, d’utiliser des procédures humaines et politiques pour « gagner » ! On est loin alors de la voie des béatitudes.

La célébration

Une autre déception pour moi fut le manque de temps consacré à des temps de célébration entre tous les participants du Synode. Je ne parle pas ici des célébrations eucharistiques, mais des temps où, comme corps, comme communauté, comme personnes unies au nom du Christ, nous pouvions célébrer cette unité, source de joie et d’espérance pour nous et pour toute l’Église. Pouvait-on dire de nous au Synode ce qu’on disait des premiers chrétiens, « Voyez comme ils s’aiment » ? La communion ecclésiale existait sans aucun doute autour de Pierre, mais comme il aurait été bon d’avoir un temps pour chanter ensemble. Jean-Paul II a le sens de la célébration : le repas pris ensemble à la fin de la dernière eucharistie, comme au terme du Synode extraordinaire en 1985, sont des gestes prophétiques qui vont en ce sens. Une célébration a failli jaillir spontanément avant un repas où des évêques de langue espagnole se sont mis à chanter. C’était très beau, très fort, les autres évêques étaient attirés par ce chant et par l’ambiance qu’il créait. Mais le repas était prêt et il a fallu s’arrêter. Malgré le bon vin et le champagne italien, le chant n’a pas repris à la fin du repas.

Chanter et célébrer ensemble exprime l’esprit de corps, nourrit et fortifie l’unité. L’Église est le Corps mystique, mais elle est aussi une réalité profondément humaine qui doit être nourrie. Jésus est devenu homme, semblable à nous en toutes choses excepté le péché. Il est dommage que le Synode ne s’exprime que par des discussions et des contacts personnels ou par des eucharisties et des prières nécessairement soumises à certains rites ; il faut découvrir comment fêter et célébrer ce corps uni de l’Église.

Conclusion

La messe de clôture a été suivie d’un dernier repas au cours duquel Jean-Paul II nous a parlé en italien, sans texte : les textes de Vatican II, nous a-t-il dit, contenaient déjà une théologie du laïcat, à nous maintenant de la mettre en pratique. N’est-ce pas là le sens du Synode ? Il ne s’agit pas de chercher une nouvelle doctrine, mais une conversion des attitudes sous l’impulsion de l’Esprit Saint. Le Pape a ajouté qu’au Synode les laïcs avaient été non seulement des auditeurs mais surtout des collaborateurs ; le Synode était ainsi un modèle de ce qui devait se faire à tous les niveaux de l’Église.

Je suis convaincu, en effet, que ce Synode a un sens prophétique, une révolution tranquille est en train de se faire. Partout dans l’Église, nous devons avancer sur ce chemin de collaboration fondée sur la communion, dans une même foi, une même espérance, un même amour ; tous nous cheminons vers la sainteté, vers une identification plus totale à Jésus doux et humble, vers un désir de le suivre sur le chemin des béatitudes. L’Église de Jésus-Christ est véritablement un corps et pour que ce corps devienne le sacrement de l’amour, il faut que chaque membre cherche à vivre sous l’emprise de l’Esprit Saint. Chacun est appelé à aimer et à respecter l’autre ; chacun est invité à vivre des deux trésors de l’Église, l’Eucharistie et les pauvres ; chacun est appelé à découvrir les dons et la mission spécifique du prêtre, de l’évêque et de Pierre, pasteur suprême et roc de la foi, serviteur des serviteurs. Les prêtres sont invités à découvrir le don et la mission de chaque chrétien et à appeler chacun à exercer ses dons avec confiance. Il ne faut pas éteindre l’Esprit ; il faut oser risquer : le monde a un urgent besoin de cette collaboration dans la communion. Oui, chaque ami de Jésus est appelé à encourager les autres à suivre Jésus jusqu’au bout, à le suivre pour annoncer la bonne nouvelle par ses paroles, par ses gestes, par toute sa vie, à le suivre en devenant le pauvre qui s’offre au Père et vit ainsi son sacerdoce royal.

La Ferme B.P. 35
F-60350 TROSLY-BREUIL, France

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