Formation à la vie religieuse
Axes et priorités (I)
Simon Decloux, s.j.
N°1988-1 • Janvier 1988
| P. 7-17 |
Réfléchissant à la formation initiale des religieux en Europe aujourd’hui, l’auteur dégage les axes et priorités propres à rencontrer les difficultés actuelles : l’axe théologal, au-delà des générosités et des faiblesses humaines, l’axe sacramentel, où s’identifient le cheminement intérieur et l’appartenance à l’Église, et l’axe de la consécration, qui s’exprime de manière renouvelée dans chacun des trois vœux. On remarquera également le rôle que le P. Decloux attribue, tout au long de ces pages, à la direction spirituelle, ainsi qu’au discernement des supérieurs. La deuxième partie de l’article sera publiée dans le prochain numéro.
Il s’agit d’un résumé, revu par l’auteur, d’une conférence donnée à un groupe de Supérieures majeures.
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Le sujet de cet exposé concerne la formation à la vie religieuse aujourd’hui en Europe ; selon le sous-titre, il s’efforce d’en dégager les « axes » et les « priorités ».
Précisons dès l’abord à quoi renvoient ces deux termes. Un axe est ce autour de quoi une roue peut tourner ; il s’agit donc ici de points de référence tellement constitutifs de la vie religieuse que celle-ci puisse « tourner » autour d’eux. En laissant de côté d’autres questions, y compris des questions de grande importance, nous ne traiterons donc que des « problèmes » essentiels, des axes porteurs de la vie religieuse, et ainsi de la formation à celle-ci aujourd’hui. Quant au terme « priorités », il suggère que certains aspects sont à privilégier dans la formation, qu’il y a de nos jours certaines urgences auxquelles il faut être davantage attentifs.
L’axe théologal
On ne peut s’y tromper : ce qui doit être au cœur de la vie religieuse, et donc de la formation, c’est avant tout le sens de Dieu, la dimension proprement théologale de cette vie.
Pour le comprendre, réfléchissons à ce qui se passe dans l’esprit d’un jeune qui se présente au noviciat. Son désir est de se donner à Dieu, sinon il aurait facilement trouvé d’autres portes où frapper. Il y a donc en lui une orientation théologale, y compris au cœur de son désir explicite. Néanmoins, malgré ce que manifeste sa démarche, celle-ci peut contenir aussi d’autres aspects auxquels il convient de prêter attention.
Générosité humaine
Il y a eu – et il y a peut-être encore çà et là – des vocations qui ont germé avant tout sur le terreau de la générosité. Certes, la générosité qui se développe en climat chrétien n’est pas simplement humaine ; c’est aussi pourquoi elle cherche son débouché dans un service ecclésial.
Mais si, à l’origine de son engagement, un jeune est mû surtout par la générosité, il pourra arriver que la référence aux autres, ou encore le désir de faire de sa vie quelque chose qui en vaille vraiment la peine, occupent une place trop centrale, voire déterminante. La vie religieuse, dans ce cas, apparaîtra comme une possibilité de réaliser quelque chose de grand, ou de se mettre au service de la justice ou d’une « charité » plus ou moins philanthropique.
Faiblesse humaine
Il y a eu – il y a peut-être encore – des entrées dans la vie religieuse fondées, au moins de manière prépondérante, sur l’expérience de la faiblesse humaine. La conscience de sa faiblesse n’est pas étrangère au christianisme : le chrétien sait qu’il ne se suffit pas à lui-même et que seul Dieu le sauve. Mais l’entrée dans la vie religieuse (plus habituellement en ces cas dans la vie contemplative) en fonction d’une perception de sa propre faiblesse peut correspondre à la recherche d’une certaine assurance, d’une certaine paix avec Dieu, avec les autres et avec soi-même, en dehors des tourments qui déchirent le monde. Le Dieu ainsi reconnu n’est cependant pas encore le vrai Dieu, car il correspond à une recherche encore trop centrée sur le moi, Dieu apparaissant comme celui qui donne paix, consolation, sécurité.
Un accent plus moral que religieux
D’autres encore se sont présentés – ou se présentent encore – à la vie religieuse, poussés par un sentiment moral plus que religieux. Il s’agit pour eux d’obéir à un devoir, de chercher une pleine réalisation du moi fondée sur le désir de la perfection. Dans l’invitation de Jésus : « « Si tu veux être parfait... », ce qui est alors entendu, c’est essentiellement l’appel à la perfection, et celle-ci est conçue comme un devoir auquel on ne peut se soustraire. Dans bien des cas d’ailleurs, la recherche de perfection, la soumission à un devoir moral, s’accompagnent ici d’un sentiment de culpabilité : « Si je ne fais pas cela, je suis coupable, je suis perdu... » Au contraire, l’appel proprement religieux opère dès l’abord un décentrement de la personne. C’est le : « Viens, suis-moi » qui apparaît désormais le vrai moteur : le sujet se découvre avant tout interpellé et guidé par Dieu comme par un autre auquel il est heureux de répondre.
Dieu personnellement rencontré
Les motivations que nous venons d’évoquer ne se présentent pas seulement à l’entrée dans la vie religieuse ; elles peuvent parfois, sans être toutefois déterminantes, rester assez fortement présentes dans le cheminement de jeunes par ailleurs vraiment appelés à la vie religieuse et qui ont réellement découvert le Christ. Aussi faut-il en tenir compte afin de réserver à la relation théologale toute la place qui doit être la sienne. Sinon la relation à Dieu risque d’être inhibée par d’autres motivations qui n’ont pas été suffisamment tirées au clair. Répondre à l’appel de Dieu, ce n’est donc plus d’abord exprimer toutes ses réserves de générosité, c’est avant tout découvrir Dieu et l’aimer ; ce n’est pas d’abord obéir à une recherche de paix et de sécurité, mais vivre la rencontre avec un Dieu qui nous « dérange » ; il ne s’agit pas de l’accomplissement d’un devoir et de la traduction privilégiée d’un désir de perfection, mais bien plutôt du développement d’une expérience ouverte personnellement à Dieu, et comme perdue en lui.
L’appel à la vie religieuse est de la sorte un appel à un décentrement (de soi, de ses sécurités, de sa perfection propre, et des œuvres à réaliser) et à un recentrement sur Dieu, qui relativise tout le reste et le met à sa juste place. Il faut donc que, dès le départ, Dieu puisse prendre pleinement dans le cœur du jeune religieux la place première, fondamentale et fondatrice. La vie religieuse n’a pas de sens s’il n’y a pas d’abord Dieu, et si la relation à Dieu comme fondement et centre n’est pas ce qui définit cette vie. Et le Dieu, bien sûr, vers lequel se porte cet élan contemplatif n’est pas une quelconque divinité, mais c’est le Dieu qui s’est révélé à nous en Jésus-Christ.
Ce qui est et doit être au cœur de la vie religieuse, c’est donc un Dieu personnellement rencontré, personnellement reconnu, un Dieu par qui la personne se sait aimée et à qui elle est appelée à répondre en aimant à son tour. Telle est la révélation chrétienne : Dieu nous aime le premier et il nous aime tellement qu’il nous rend capables d’aimer. Ce mouvement de réciprocité dans l’amour à l’égard de Dieu est le fondement même de la vie religieuse – et de toute vie chrétienne d’ailleurs. Aussi le religieux ne peut-il échapper à cette question ; il doit reconnaître que l’amour de Dieu l’appelle à centrer toute sa vie, toutes ses puissances affectives sur lui dans une relation directe, immédiate ; et il lui faut faire l’expérience que pareille relation peut unifier toute sa personne.
Priorités
Il en résulte dans la formation certaines priorités et certaines exigences concrètes.
Initiation à une vie de prière personnelle
La toute première place dans la formation du jeune religieux doit être donnée à l’initiation à une vie de prière personnelle, car le religieux, même dans la prière communautaire et liturgique, ne peut laisser se déployer jusqu’au bout sa réponse au mouvement d’amour de Dieu qui l’a rejoint.
Quelle que soit l’importance de la prière communautaire et liturgique, celle-ci ne peut donc suffire. Dans le développement de l’homme intérieur, la prière personnelle garde un rôle irremplaçable. Une prière, certes, non seulement rationnelle ni sentimentale, mais capable d’ouverture radicale à Dieu. La prière n’est-elle pas le lieu par excellence où l’homme accepte que Dieu soit Dieu pour lui, fût-ce à travers la sécheresse des sentiments et le vide des idées ?
Il faut donc offrir au jeune novice une initiation à la vie de prière qui lui permette d’exprimer son désir croissant d’accueillir le Dieu d’amour et de s’offrir à lui dans un mouvement totalement désintéressé. Ainsi la prière exercera-t-elle aussi son emprise sur la vie concrète, loin d’être une réalité isolée, hors de la vie.
Une initiation à la lecture de l’Évangile et du message révélé
La formation première doit aussi intégrer une initiation à la lecture de l’Évangile et, à partir de celui-ci, à l’ensemble du message révélé. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle initiation ; celle-ci ne peut se réduire au seul ordre de la compréhension, comme le serait une approche exégétique purement technique – le noviciat n’est pas le moment le mieux indiqué pour ce genre de travail. Il s’agit plutôt d’introduire à une lecture savoureuse de l’Écriture, à une lecture faite avec le cœur, impliquant la découverte plus précise d’une personne vivante, l’accueil de sa parole et de son message porteur de vie. Il semble important que soit offerte aujourd’hui, dès le début de la formation, une approche concrète de Dieu à travers le contact direct avec l’Évangile.
On ajoute parfois, à bon droit, la nécessité d’un certain enseignement religieux qui propose une première organisation du mystère chrétien autour de ses pôles fondamentaux. Pourquoi marquer, de nos jour plus spécialement, le besoin de certains « cours de théologie » ? Parce que les jeunes qui se présentent au noviciat peuvent parfois manifester une plus grande ignorance du donné chrétien. Cela ne veut pas dire qu’ils n’aient pas rencontré Jésus ni entendu son invitation à lui offrir toute leur vie, mais l’authentique relation personnelle qu’ils ont commencé à vivre avec lui peut être vécue sur le fond d’une certaine ignorance théorique. Il convient que ce vide soit comblé, d’une manière ou d’une autre, dès les débuts de la vie religieuse. Mais, il faut le souligner ici à nouveau, le but de cette présentation plus systématique n’est pas d’ordre spéculatif ; il s’agit d’une exposition « savoureuse » du donné chrétien, capable de nourrir l’élan d’une liberté désireuse d’aimer, en lui offrant une connaissance plus précise du mystère révélé.
Dans un monde sécularisé
Tel est donc le premier axe : l’axe théologique. Certes, la chose est par trop claire, à aucune époque la vie religieuse n’a pu se vivre sinon sur la base d’une relation d’amour envers Dieu. Mais l’exigence d’une formation proprement théologale est particulièrement forte aujourd’hui. Nous vivons en effet dans le contexte d’un monde sécularisé, où cette dimension est menacée d’étouffement, où elle est considérée par certains comme inexistante ou, à tout le moins, banale et insignifiante.
Le développement de la sécularisation, on le sait, a permis à différents secteurs de la vie humaine de trouver davantage leur autonomie et leur organisation propres. Il y a en effet une autonomie des valeurs économiques, du monde politique, de la société, de l’art, etc. Et il y a aussi la consistance propre au monde religieux. Or le « sécularisme », qui est souvent engendré par le mouvement de sécularisation, consiste à « raplatir » la réalité religieuse au niveau des autres dimensions de l’homme. À ses yeux il y a différentes valeurs humaines entre lesquelles il est possible de choisir. Mais, s’il y a différentes valeurs, il n’y a plus de hiérarchie entre elles, et aucune ne se réfère explicitement au fondement dernier de la vie humaine.
La relation à Dieu perd ainsi sa valeur fondatrice de l’existence humaine dans sa totalité. Elle peut donc être facilement réduite ou même évacuée par ceux qui désirent s’en passer.
Or il est temps de nous rendre compte que le monde que nous appelons déchristianisé est tel parce qu’il est entré dans l’optique du sécularisme. On a souligné à bon droit comment seul le christianisme, comme religion de la création, de l’incarnation et de la rédemption, a rendu possible la sécularisation : tel n’est pas ici notre sujet. Mais on peut et on doit souligner aussi combien la perte de la référence à Dieu « aplatit » le monde et l’existence humaine. Il s’ensuit une possibilité plus fréquente d’indifférence religieuse et une certaine forme de cécité à la présence de Dieu, ainsi qu’à l’absolu de son action et de son amour.
En prenant l’homme comme point de départ, le sécularisme voit dans toutes les valeurs, y compris religieuses, des modes divers pour l’homme d’exprimer ses potentialités propres. D’où le risque de mesurer Dieu aux sentiments, aux goûts et aux choix personnels, ainsi qu’aux difficultés et obstacles rencontrés. Par là, Dieu peut perdre, y compris dans la recherche qu’on fait de lui, sa vraie nature de Dieu.
Or ce monde est en bonne partie le nôtre, celui dans lequel les jeunes religieux ont grandi et vont devoir vivre et travailler. Pareil monde peut facilement balayer, réduire ou banaliser la réalité de Dieu et la relation de l’homme à Dieu. Il y a donc un travail important à faire auprès des jeunes religieux pour qu’ils centrent en vérité leur vie sur le Dieu vivant, aimé par-dessus tout, au-delà même des épreuves de silence apparent, de sécheresse, d’insatisfaction ou de désarroi qu’ils peuvent avoir à traverser.
Outre l’aide donnée en commun au groupe des novices par des cours d’initiation à l’Écriture et à la théologie, la découverte que chacun est appelé à faire de Dieu requiert plus encore un accompagnement personnel. Il s’agit de vérifier avec chacun les étapes de sa croissance intérieure, la découverte progressive qu’il fait de la prière vraie, ainsi que les difficultés concrètes à dépasser. Je pense qu’aujourd’hui, plus qu’auparavant, la formation spirituelle des jeunes religieux requiert un contact très régulier, ouvert, confiant, docile de chacun avec le formateur qui les prend en charge. Leur progrès spirituel, y compris dans la relation théologale à Dieu lui-même, peut être grandement conditionné par cet accompagnement personnel.
L’axe sacramentel
Si l’axe théologal est fondamental dans la formation, celui que nous abordons maintenant lui est évidemment lié. Souligner la dimension sacramentelle de la vie religieuse, c’est d’abord mettre en lumière une manière de se situer à l’intérieur de l’Église du Christ : car la vie religieuse surgit dans l’Église en réponse à une initiative de Dieu qui la fonde. Dieu, voulant entrer en alliance avec les hommes, a conclu cette alliance en Jésus et par la communication de son Esprit à ceux qui croient en lui. Il poursuit aujourd’hui cette alliance avec ceux qui sont ainsi devenus le corps du Christ, à savoir avec les membres de l’Église animée par l’Esprit. C’est l’action concrète de ce Dieu-là qui nous rejoint. Il faut le rappeler, car la chose n’est sans doute pas évidente à la mentalité contemporaine.
Un besoin d’expérience spirituelle
On se réjouit parfois, et, jusqu’à un certain point, on a raison de le faire, de constater l’existence aujourd’hui d’un certain besoin et d’une certaine recherche d’expérience spirituelle. Mais toute recherche de ce genre n’est pas nécessairement guidée par l’Esprit ; elle peut parfois se limiter à exprimer un besoin subjectif de personnes qui étouffent dans un univers par trop matérialiste. Combien de jeunes Occidentaux ont cherché et cherchent encore une relation à Dieu à travers des techniques de concentration ou un silence purement intimiste ? Or le christianisme nous dit que la relation à Dieu se fait, pour nous, concrète, tangible, reconnaissable en Jésus et qu’elle se poursuit aujourd’hui au cœur de son Église.
La réduction de l’Église à une société parmi d’autres
Une autre difficulté existe aujourd’hui à ce sujet, à savoir la réduction fréquente de l’Église à n’être plus en fait qu’une société parmi d’autres. Ne peut-on en lire et en interpréter l’histoire en utilisant les mêmes structures d’analyse et de compréhension qui servent à lire l’histoire des sociétés humaines ? Ou encore, et cela provient de la même manière de regarder l’Église, n’est-on pas tenté de séparer, voire parfois d’opposer l’Église-communion (mystère de vie avec Dieu) et l’Église-institution (société hiérarchiquement organisée) ? Ainsi sembleraient aller jusqu’à s’opposer le Peuple de Dieu et son organisation hiérarchique.
La réponse sacramentelle
Ces difficultés, surtout chez les jeunes, font obstacle à une identification entre leur cheminement intérieur et l’appartenance à l’Église du Seigneur. C’est qu’il existe aujourd’hui une manière de comprendre et de parler qui semble opposer le mystère intérieur de l’Église à son corps visible. Or ces deux aspects, précisément, coïncident dans les sacrements. Voilà pourquoi il me semble utile de développer l’axe sacramentel de la vie religieuse.
Dans les sacrements, en effet, on ne peut pas opposer l’intérieur et l’extérieur. Car les gestes qui les constituent et qui sont officiellement reconnus et déterminés sont immédiatement expressifs de la grâce de Dieu et donc du mystère le plus profond de l’Église. Une réflexion suffisamment approfondie sur les sacrements conduit donc à réconcilier le mystère de communion qu’est l’Église et l’institution qu’elle est également. Pour que la découverte et l’expérience de Dieu faite par les jeunes qui se présentent à nous soit pleinement chrétienne, elles doivent être vécues à partir des sacrements de l’Église et se célébrer en eux. Parmi les sacrements, toutefois, deux surtout peuvent servir de pôles lumineux dans la prise de conscience dont nous parlons.
Le baptême
Comme l’a rappelé Vatican II, la vie religieuse doit se comprendre dans la ligne de la grâce baptismale. Par le baptême, en effet, la vocation à la sainteté est inscrite dans le cœur et l’esprit de tout chrétien. Et celui qui entre dans la vie religieuse porte en lui l’exigence de totaliser sa vie dans la perspective ainsi ouverte. Il est important pour les jeunes religieux de réaliser que la route qu’ils suivent est un chemin sur lequel Dieu les a déjà orientés, les a déjà rejoints et même précédés. Il est entré dans leur vie par le baptême et il les conduit maintenant à la vie religieuse. Dès lors, il s’agit pour eux, en entrant dans la vie religieuse, de laisser se déployer pleinement la grâce déjà reçue au baptême. Ainsi, conformément à la logique propre de la grâce baptismale, s’agit-il pour les religieux d’accueillir ensemble en Église l’adoption divine offerte par Jésus.
Le jeune religieux est invité à percevoir la cohérence significative de cette logique du baptême, en entrant dans un genre de vie dont la forme structurante est exclusivement filiale et fraternelle. Entrer dans la vie religieuse, c’est dire en effet : je renonce pour toujours à être époux et père ; ainsi ma vie tout entière manifestera-t-elle la grâce propre au sacrement de baptême : grâce filiale et fraternelle. En vivant de la sorte son option, le jeune religieux ne risque pas, dès lors, de l’identifier à un choix qui viendrait d’abord de lui, ou à un renoncement qui mutilerait sa nature. Car ce dont il s’agit, c’est de recevoir pleinement la grâce que Dieu lui a donnée au baptême et de la laisser simplement s’épanouir, y compris dans les renoncements qu’elle implique.
L’eucharistie
Quant à l’eucharistie, bien qu’elle appartienne à tout le peuple de Dieu, elle peut être à son tour éclairante dans une réflexion sur la vocation religieuse.
Comment se fait-il, demande-t-on parfois, que la vie religieuse ne soit pas consacrée par un nouveau sacrement, alors que c’est le cas pour le mariage ? On peut répondre que la vie religieuse n’a pas « besoin » d’un autre sacrement parce que l’amour qui s’y exprime est déjà totalement « consacré » par le baptême – nous venons de le voir – et qu’il est aussi totalement signifié et actualisé dans la vie quotidienne par le sacrement de l’eucharistie.
Précisons ceci très simplement. Le mariage est le début d’une vie où la liberté et l’affectivité de l’homme vont s’exprimer désormais sous des formes nouvelles, à savoir dans la relation entre époux et dans celle de paternité/maternité. Telle n’est pas la situation du jeune religieux. Celui-ci, en effet, restera pour la vie simplement fils et frère, anticipant par là en quelque sorte la situation « définitive » de tous les hommes. « Au ciel on ne se marie pas. » Telle est bien la dimension eschatologique de la vie religieuse.
Ce que dès lors le religieux a à vivre chaque jour, ce n’est pas autre chose que ce que l’eucharistie célèbre lorsqu’elle rassemble la communauté des croyants autour de Jésus son Seigneur, pour rendre avec lui grâce à Dieu le Père et renouveler en lui la communion fraternelle ouverte à tous. Aussi les religieux voient-ils directement symbolisée dans l’eucharistie la réalité concrète de tout ce qu’ils ont à vivre.
Priorité : l’eucharistie, « foyer » de la vie religieuse
Ceci m’amène à dégager une autre priorité pour la formation des jeunes.
Pour les époux et parents, existe le foyer, centre où se vit plus intensément, pourrait-on dire, la grâce du mariage, où l’amour se recrée et se reçoit continuellement de Dieu et des êtres aimés.
Le « foyer » auquel se nourrit constamment la vie religieuse n’est autre que l’eucharistie de Jésus et sa célébration quotidienne. Le centre de la communauté religieuse, c’est la présence sacramentelle de Jésus dans son eucharistie. On a parfois mis en doute le sens et l’importance de l’existence d’une chapelle dans toute maison religieuse. Je pense qu’on cesse ainsi de percevoir la vie religieuse à partir des sacrements de l’Église.
Pour les jeunes en formation, il convient donc de les introduire à la fois dans une compréhension profonde de la logique du baptême, et dans l’intimité radicale avec l’eucharistie de Jésus : liturgie, prière à la chapelle, adoration du Seigneur présent au milieu de nous, célébration quotidienne de son mystère d’amour.
(À suivre dans Vie Consacrée 1988-2)
Borgo S. Spirito, 5
I-00193 ROMA, Italie