Un ministère au service des vocations
Ellen Snee, r.s.c.j.
N°1987-2 • Mars 1987
| P. 100-112 |
Une religieuse américaine, qui exerce depuis quelques années le « ministère » du service des vocations, nous fait part de sa manière de concevoir cette tâche et nous livre les réflexions que son expérience lui a suggérées. Bien que cette fonction doive être confiée à une personne libérée dans ce but, on perçoit clairement qu’il s’agit d’un « ministère » qui concerne tous et chacun dans la congrégation et dans le Peuple de Dieu tout entier.
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Être au service des vocations ne consiste pas simplement à se soucier du nombre d’hommes ou de femmes qui entrent chaque année dans une congrégation religieuse. Il s’agit plutôt de voir quelle signification nous donnons à notre vocation personnelle - comment ressentons-nous l’appel qui nous a été fait et quel désir avons-nous de correspondre à la mission qui nous a été confiée ? La réponse à cette question dira si nous sommes aptes à en attirer et ou à en inviter d’autres à se joindre à nous dans notre mission et à partager un mode de vie qui veut favoriser notre réponse, personnelle et communautaire, à l’appel de Dieu.
L’objectif primordial de ce « ministère [1] » n’est donc pas de maintenir en vie une congrégation mais de contribuer à approfondir l’appel reçu et l’avenir de notre mission - aussi bien chez les membres actuels de la congrégation que chez ceux qui demanderaient à y entrer.
Dans cet article j’exposerai une philosophie de la pastorale des vocations, j’en décrirai une théologie et je conclurai par quelques réflexions sur ce que m’a appris l’expérience faite pendant quatre années comme responsable de ce ministère. Il est important de se rappeler que cet article a pour thème le service des vocations et non les vocations.
Philosophie du ministère au service des vocations
Ma philosophie de la pastorale des vocations peut se résumer en trois points. Ces trois convictions fondamentales peuvent servir de base à tous les efforts à faire dans ce type de ministère.
- Le service des vocations est un ministère de plein droit et comme tel il doit être pris en charge.
- Tout en ayant un objectif, une orientation et des tâches qui lui sont propres, le ministère au service des vocations a des répercussions dans chacun des aspects de la vie d’une congrégation religieuse.
- Le ministère au service des vocations doit, en même temps, être en contact permanent avec l’Église et avec le monde, ce qui requiert évidemment qu’on les apprécie et les comprenne dans leur réalité actuelle.
Un ministère de plein droit
Avant tout le service des vocations est un ministère de plein droit et comme tel il doit être pris en charge. Sans méconnaître le fait que la vocation est un don de Dieu, je suis fermement convaincue qu’il nous appartient d’encourager les vocations par nos efforts. Aujourd’hui plus que jamais il s’agit de redécouvrir sans cesse comment faire. Je crois que c’est possible, mais cela exigera des personnes, des ressources et du temps pour arriver à un résultat. Une personne responsable des vocations et un programme adéquat sont indispensables aujourd’hui pour faciliter et orchestrer la participation à ce ministère de tous les membres de la Congrégation.
S’engager au service des vocations demande avant tout d’établir et d’entretenir des relations. Les vocations pour telle congrégation ou tel diocèse ne naissent pas dans le vide. Elles se développent grâce à des contacts personnels avec des religieux, des communautés locales ou des paroisses. La fidélité à maintenir les contacts avec des anciens élèves, des collègues, avec tous ceux que nous rencontrons dans notre ministère, est la clef qui permet à des vocations de s’épanouir. Ceci demande de l’ouverture et de la disponibilité - il faut accepter de partager sa vie, sa maison, sa prière avec les autres. Sinon nous verrons se réduire sans cesse le nombre des vocations à la vie religieuse apostolique. Ce qui ne prouve pas nécessairement qu’en soi le nombre des vocations diminue.
Le prix à payer peut être élevé. Cela exige du temps, des efforts et de l’énergie pour rester fidèle à de nombreuses relations. Être au service des vocations demande la confiance et exige la foi. Garder l’initiative dans le domaine des relations et y rester fidèle malgré le silence ou les hauts et les bas de la vie d’autrui, est un grand mais coûteux investissement pour l’avenir.
C’est un défi audacieux : avec un personnel déjà réduit, où choisissons-nous de placer ces membres d’une congrégation qui sont les plus aptes à ce ministère fondé sur la relation et qui peuvent s’y consacrer ? En définitive, c’est le « lieu » où nous travaillerons, vivrons et exercerons un ministère dans la vie de l’Église qui déterminera, jusqu’à un certain point, quel genre de personne sera attiré vers notre congrégation. Avons-nous cela à l’esprit quand nous faisons le choix d’un ministère ou d’une demeure ? Pouvons-nous en tenir compte au moins pour le bien futur de notre mission - sinon pour l’avenir de notre congrégation ?
Ces contacts avec des femmes ou des hommes qui envisagent un choix de vie peuvent être aidés par du matériel ou des programmes adéquats. Cependant, ces supports sur le plan concret ne peuvent, seuls, nourrir des vocations. Ou plutôt, ils ne seront efficaces que comme moyens mis à la disposition des religieux engagés au service des vocations. Les prospectus peuvent fournir une entrée en matière pour proposer à quelqu’un d’envisager la vie religieuse comme une option possible. Les brochures pourraient servir de base à une réflexion ou à une discussion plutôt que de première présentation d’une communauté à une personne.
Trop souvent les principaux efforts pour aider les vocations sont limités à la rédaction d’une brochure ou à la planification de week-ends. Quand il ne se trouve personne à qui donner la brochure ou l’invitation au week-end, le découragement grandit. Peut-être vaudrait-il mieux commencer par réfléchir au type de personnes qui pourraient être attirées par le style de vie de la communauté et fixer alors quel programme et quel matériel pourraient faciliter les contacts avec elles. Il faudrait insister sur la nécessité d’élaborer des programmes et du matériel utiles à des contacts déjà créés.
Les résultats de ces efforts dépassent de loin une congrégation religieuse déterminée. Le ministère au service des vocations atteint tout le Peuple de Dieu, dès lors tous doivent y investir leur temps, leur personne, leurs ressources ; cet investissement est nécessaire pour notre avenir à tous. La prière, tant personnelle que communautaire, le discernement et l’ouverture aux signes des temps sont des composantes essentielles de tout programme d’un ministère au service des vocations. Tous sont invités à prier, réfléchir et éventuellement faire un choix si cela se présente. Toutefois cette prière, qui est le fondement de la pastorale des vocations, n’est pas orientée vers un accroissement du nombre des vocations, ou aux intentions de ces hommes ou femmes qui discernent s’ils sont appelés. Nous devons prier aussi pour nous-mêmes, pour que nous soyons attentifs à l’Esprit, pour entendre comment il nous faut être disponibles aux autres aujourd’hui.
Un ministère aux répercussions multiples
Ma deuxième conviction est que ce ministère au service des vocations n’est pas centré sur lui-même mais est en connexion avec chacun des aspects de la vie religieuse. Ceci nous pose des questions au sujet de notre disponibilité, de notre crédibilité, de notre visibilité. L’investissement en temps, en personnel et en argent ne portera des fruits dans le domaine des vocations que dans la mesure où existent ces ressources. La décision de les consacrer à ce ministère sera prise à la lumière des autres engagements. S’il doit être efficace, le ministère au service des vocations ne peut être réduit à se contenter de ce qui reste comme ressources. Le choix d’un responsable de ce ministère qui soit à plein temps et dispose d’un budget adéquat a une grande importance. C’est même d’une importance capitale si l’on veut rester centré sur l’avenir. Si, aujourd’hui, des ressources en personnel et en argent sont consacrées au service des vocations, même au détriment d’autres œuvres apostoliques valables, il y a plus de chances que, dans l’avenir, d’autres personnes viennent partager la responsabilité de la mission de la communauté. Si nous voulons que d’autres se joignent à nous demain dans notre mission, nous devons accepter de donner aujourd’hui des personnes de valeur à la pastorale des vocations.
Le ministère au service des vocations sera crédible dans la mesure où nous pratiquerons ce que nous prêchons. Notre manière de vivre, l’espérance et la joie de nos vies (ou leur absence) auront un profond retentissement sur nos efforts dans la pastorale des vocations. Si des femmes et des hommes sont invités à venir et à voir comment nous vivons, il doit y avoir une conformité entre ce vers quoi ils se sentent attirés et ce que nous vivons. La manière dont nous réagissons devant l’accueil, le changement, les gens et les expériences qui sont différents de ce que nous voudrions, disent plus clairement ce que nous sommes que ne l’exprimerait un prospectus.
Si nous souhaitons pouvoir dire à d’autres « venez et voyez », nous devons être visibles. Non seulement notre manière de vivre, mais le lieu où nous vivons ont un impact sur notre possibilité de nouer des relations avec des personnes susceptibles d’être attirées à la vie religieuse. Aujourd’hui, les religieux et les religieuses ne sont pas visibles. Il est important de réfléchir à la question de savoir comment nous pourrions devenir plus visibles et plus accessibles. Des réponses créatives ne demanderont pas nécessairement des changements radicaux ou des déménagements mais elles peuvent nous montrer comment permettre que notre vie soit mieux perçue.
En plus des défis dont nous venons de parler, l’influence qu’a le service des vocations sur chacun des aspects de nos vies religieuses permet à ce ministère de toucher les cordes les plus sensibles de l’histoire personnelle de chacune de nos vocations, et ceci fait naître un sentiment de reconnaissance pour le passé et d’espoir pour l’avenir. Cet écho perçu quand deux âmes qui partagent le même charisme se rencontrent est une très profonde expérience de foi pour le religieux comme pour le jeune qui cherche à discerner un appel à la vie religieuse. C’est une expérience qui ravive l’énergie en remettant en mémoire, chez l’un, son appel initial et, chez l’autre, un désir de répondre à cet appel. En même temps, c’est une source d’espoir pour l’avenir puisque aujourd’hui un autre fait l’expérience de la même invitation divine. Prendre part au « rude combat avec Dieu » d’un autre peut être une expérience d’humilité et de respect. Attendre et observer cette remise de soi à Dieu d’une autre personne, à la fois unique et semblable à la sienne, est une expérience qui est source d’inspiration et de réconfort.
Un ministère en contact permanent avec l’Église et le monde
Ma troisième conviction est que le ministère au service des vocations doit être en relation constante avec l’Église et avec le monde et qu’il requiert dès lors une connaissance et une compréhension de ces réalités dans leur existence actuelle. C’est indispensable si ce ministère fait authentiquement partie de la vie de l’Église dans le monde moderne.
Il faut envisager trois points pour comprendre le monde contemporain sur le plan qui nous occupe :
- les réalités de ce monde où ont grandi les candidats ;
- les réalités de ce monde d’où ils viennent aujourd’hui ;
- les différences entre ces réalités et celles qu’ont connues les membres actuels de la congrégation.
Quelles sont les caractéristiques du monde où le candidat a vécu ses années de formation ? La jeunesse actuelle a été élevée dans la peur d’un holocauste nucléaire. La possibilité du contrôle des naissances et la révolution sexuelle qui en résulte ont eu une énorme influence sur le type de relations des jeunes. La technologie, le matérialisme ambiant et la pression exercée sur l’individu ont contribué à façonner une attitude morale inconnue des générations précédentes. L’impact de ces éléments ainsi que d’autres facteurs historiques doit rester présent à l’esprit pour qui se veut au service des vocations au sein de cette génération.
À quoi ressemble le monde d’où sont issus les jeunes qui se sentent appelés à la vie religieuse aujourd’hui ? L’actuelle désintégration de la vie de famille, l’abus de la drogue qui prend les proportions d’une épidémie, l’impact toujours plus grand des mouvements féministes et homosexuels sont quelques-unes des forces à l’œuvre aujourd’hui dans la vie des jeunes. Il faut les prendre en considération quand on étudie les motivations et les obstacles qui entrent en ligne de compte dans le choix de vivre aujourd’hui dans une congrégation religieuse.
Le monde dont le candidat a l’expérience est très différent de celui qu’ont connu la plupart des membres de la congrégation. Le contraste qui existe entre les différentes expériences faites avant d’entrer est particulièrement marqué. Ces différences doivent être reconnues (pas nécessairement jugées) et il faut prendre des dispositions pour que, dans le processus d’incorporation, les membres de la congrégation et les candidats s’éduquent mutuellement.
La vie actuelle de l’Église doit être comprise avec la même largeur et la même profondeur que celle de la culture contemporaine. Un des points les plus délicats sera une exacte compréhension de l’appel universel à la sainteté mis en relief par Vatican II. Ce message prophétique a débouché sur une appréciation plus grande de la vocation du laïcat. Le ministère du service des vocations doit s’exercer dans ce contexte et cela demande un juste équilibre. Nous devons sans cesse nous rappeler que la vie religieuse n’est qu’une possibilité, parmi bien d’autres, de mener une vie de prière, de service, de vie en communauté dans l’Église d’aujourd’hui. Mais en même temps, nous ne devons pas oublier qu’elle est, en fait, une de ces options. La gageure consiste à maintenir ces deux réalités dans un constant état de tension créatrice.
Un second fruit de Vatican II a été le profond renouveau de la vie religieuse. Il est né d’une compréhension plus profonde de l’esprit fondateur et du charisme de chaque congrégation. C’est avec une diversité pleine de richesse qu’ont été mis en valeur chacun des aspects de la vie religieuse y compris le ministère au service des vocations.
La façon dont chaque congrégation se situe dans l’Église aura un impact sur le service des vocations, puisque les différences qui en seront le résultat permettront à ceux et celles qui étudient les communautés religieuses de trouver là un autre point de comparaison.
Le ministère au service des vocations peut être plus efficace encore quand naît, dans une même région, une collaboration entre les différentes congrégations et le clergé diocésain. Les différences ainsi mises en valeur et partagées sont une force dans l’Église et cela permet d’éviter le triste spectacle d’une rivalité entre les congrégations.
La théologie du ministère au service des vocations
Si les trois principes de ce ministère sont : c’est à faire, cela influence tous les aspects de la vie d’une congrégation, c’est en interaction constante avec l’Église et avec le monde, quelle est alors une théologie du ministère au service des vocations ?
Les rapports entre la grâce et la liberté humaine
En premier lieu, une solide théologie des rapports entre la grâce et la liberté humaine sera capitale pour que ce ministère soit assumé de façon responsable. Le service des vocations est de l’ordre du faire, l’origine d’une vocation à la vie religieuse et la liberté de répondre à cet appel sont d’un tout autre ordre. Il est essentiel de se rappeler que, par sa nature, une vocation vient de Dieu dans la ligne de l’orientation reçue au baptême. La réponse à l’appel de Dieu dépend d’un libre choix de l’homme. Alors que la communauté chrétienne donne le temps, l’attention et l’encouragement nécessaires pour aider quelqu’un en ce moment du « oui » en réponse à l’appel de Dieu, l’invitation divine et la réponse sont du domaine de la grâce et de la liberté.
Une compréhension correcte de la volonté de Dieu
Dans le ministère au service des vocations, une deuxième considération théologique, liée à la première, est une compréhension correcte de la volonté de Dieu. La manière dont est perçue la relation entre la volonté de Dieu et notre liberté humaine aura une très grande portée sur le discernement de la vocation. « Qui peut comprendre la pensée de Dieu ? » et « comment la comprendre ? » sont des questions importantes et qu’il faut creuser. Cette compréhension de la « pensée de Dieu » peut donner lieu à des confusions considérables et à des interprétations erronées. Il incombe à ceux et celles qui sont engagés au service des vocations de s’efforcer de clarifier sans cesse ces concepts pour eux-mêmes et pour les autres qui sont engagés dans un processus de discernement.
Un travail d’Église reconnu par la communauté
Le ministère au service des vocations est aussi un travail d’Église. Il aide des individus à trouver leur place dans l’Église, leur manière de la servir, qu’ils s’engagent ou non dans le sacerdoce ou la vie religieuse. En tant que ministère ecclésial, la pastorale des vocations est au service de tout le peuple de Dieu. Ceux qui sont déçus, se sentent rejetés, sont aidés à expérimenter l’attention et la compassion de Jésus tandis que ceux qui sont doués de talents qui les rendent aptes au ministère sont encouragés à voir comment ils pourront servir le prochain.
Il est important aussi de reconnaître qu’un appel à la vie religieuse et à un ministère doit recevoir une confirmation de la communauté chrétienne. Il peut y avoir des difficultés quand quelqu’un déclare avoir une vocation à s’engager dans ce qui semble être un vide. Une vocation religieuse n’est pas une affaire privée. L’évidence de l’appel de Dieu doit être claire pour le groupe aussi bien que pour l’individu. Le langage théologique seul, quel que soit son énoncé, n’est pas le fondement d’une vocation. L’appel que l’on dit avoir reçu se prouve par l’expérience vécue, visible, de la vie de la personne.
Les atteintes du péché
Chaque aspect de la vie est atteint par le péché, il en est de même chez ceux qui œuvrent au service des vocations. La présence de la faiblesse humaine sur ce terrain peut être envisagée de deux manières. En premier lieu, ceux qui sont appelés sont toujours libres de dire « non » à Dieu. Les tentations omniprésentes dans le monde d’aujourd’hui font qu’il est facile à un homme ou à une femme de se détourner de l’appel de Dieu.
En deuxième lieu, les occasions de péché guettent aussi ceux qui sont engagés au service des vocations. Elles sont parfois subtiles mais n’en sont pas moins réelles. Le désir, par exemple, d’avoir un nombre important de recrues pour la vie religieuse peut rendre aveugle quant aux limites des candidats. Les difficultés rencontrées pour confronter une personne ou une situation avec la vérité peuvent conduire à une décision facile mais peu valable. Accepter une personne pour qu’une minorité (peu importe laquelle) soit représentée est toujours un choix injustifiable. Le processus qui conduit à la décision doit être clair, juste, et garantir un discernement suffisant, Le candidat doit être éclairé sur la congrégation d’une manière honnête et franche. Agir autrement serait une injustice pour tous ceux qui sont impliqués.
Enfin, on peut être tenté de jouer le rôle de Dieu, et cela de bien des manières, la moindre n’étant pas de prendre sur soi, en tant que responsable des vocations, de décider de la présence ou de l’absence d’un appel de Dieu.
Surabondance de la grâce
Où abonde le péché, la grâce surabonde ! Un appel à la vie religieuse ou au sacerdoce est une grâce profonde de la part de Dieu. L’action de la grâce peut être perçue et discernée. Les règles pour le discernement des esprits sont très utiles ici. D’abord, comme nous le dit l’Écriture : « Vous les connaîtrez à leurs fruits ». La présence de l’appel et de l’action de Dieu dans une vie est marquée par une profonde paix, même si la surface connaît des remous. Ensuite, la grâce bâtit toujours sur la nature. Si nous croyons que Dieu n’œuvre pas dans le malentendu, nous pouvons être sûrs qu’il n’appellera pas quelqu’un à un genre de vie pour lequel il manque des bases humaines qui lui permettraient de l’assumer. Ce qu’on attend aujourd’hui de la vie religieuse apostolique comporte la capacité d’être co-responsable en communauté, de partager sa foi, de discerner avec d’autres et d’assumer une responsabilité dans un ministère. Les candidats devront montrer qu’ils possèdent – au moins en puissance – les qualités requises pour ces exigences. Le recours à des tests psychologiques, l’invitation à partager une expérience de vie avant d’être admis et d’autres démarches du même genre suggérées par les sciences humaines sont des pistes pour déceler de façon responsable la présence des dons naturels requis pour s’engager dans une vie au service des autres.
Ce que j’ai appris
Au début de cet article, j’ai promis de conclure par quelques réflexions sur ce que m’avait appris mon expérience de quatre années passées à la tête d’un service des vocations. Comme la philosophie et la théologie d’une pastorale des vocations découlent de cette expérience, ce qui suit consistera en observations concrètes et plus spécifiques sur ce qui se fait aujourd’hui dans ce genre de ministère. J’aimerais suggérer dix points.
S’il faut prendre en charge le ministère au service des vocations, celui ou celle qui en est chargé doit y être préparé. Il serait juste de dire que ce genre de ministère présuppose certaines qualités fondamentales et des dispositions pour ce genre d’apostolat. Il faut être capable d’avoir de bonnes relations avec des milieux très variés, avoir le don de communiquer, l’esprit de discernement et des qualités de chef (leadership). Mais quels que soient les dons qu’une personne apporte, ils peuvent toujours être complétés par le développement de certains talents. Il est possible d’acquérir une formation qui permette d’apprécier les candidats, en particulier par des interviews en profondeur. Une formation de base dans des domaines tels que la théologie, l’Écriture, la psychologie, la dynamique psychosexuelle et le discernement des esprits devrait être considérée comme capitale pour quelqu’un qui débute dans le ministère au service des vocations.
Si le service des vocations est un ministère de plein droit, il faut qu’il soit reconnu comme tel. Il est important de définir quels sont ses rapports avec d’autres aspects de la formation initiale et de l’administration de la province. Le sentiment de se trouver isolé et comme déconnecté est un danger très réel pour qui exerce ce ministère. Il faut tout faire pour que les intuitions et les défis qui surgissent dans ce contexte soient confrontés à la vie de toute la congrégation, que ce soit de façon formelle ou informelle.
Si la pastorale des vocations a des moyens, une orientation et un but qui lui sont propres, elle peut être programmée, exécutée et évaluée. Il n’y a rien de magique ni de mystique. Fixer des objectifs, s’assurer le concours d’autrui, déléguer des tâches, organiser des programmes sont aussi importants ici que dans n’importe quel autre ministère. L’aide d’un secrétariat, la possibilité de faire les voyages requis, des structures qui épaulent et le fait de devoir rendre compte sont des points essentiels. Les détails concrets seront fixés de la meilleure manière en tenant compte de la dimension, de l’expansion géographique et des besoins de chaque congrégation.
Le développement d’une pastorale des vocations dans la vie d’une congrégation ou d’une communauté est un processus qui demande du temps. Cela requiert de la patience et de la force d’âme. L’absence de résultats immédiats, soit parce qu’il n’y a pas de candidat, soit par le manque de compréhension de la communauté, peut être décourageant. Il est parfois plus réaliste de se fixer des objectifs à long terme pour éviter le piège des déceptions à court terme et ceci pour la personne chargée des vocations aussi bien que pour les membres de sa congrégation.
Former les membres à leur responsabilité envers les vocations est d’une importance capitale pour tout ce qui touche à la pastorale des vocations. Ceci ne peut se faire que dans la mesure du possible et par un certain nombre de moyens. On peut écrire aux communautés et aux régions pour leur demander de l’aide, les inviter à proposer le nom de personnes qui pourraient aider. Annoncer les visites prévues de la personne responsable de la pastorale des vocations peut parfois donner à la communauté locale l’occasion d’inviter quelqu’un qui souhaiterait en savoir plus sur la vie religieuse. Des bulletins d’information avec des articles qui instruisent ou informent peuvent faire prendre conscience des questions qui demanderaient une réflexion plus poussée. Envoyer à chaque membre de la congrégation une carte lui demandant de prier pour les vocations peut être une manière effective de donner à chaque personne la possibilité de faire quelque chose pour les vocations.
La personne responsable de la pastorale des vocations doit sans cesse trouver le moyen de s’assurer le concours d’autres personnes. Au fur et à mesure de l’évolution de ce ministère, il y aura plus de travail que n’en peut assumer une seule personne. La personne responsable peut choisir d’avoir, dans les différentes régions, une aide qui lui serve de contact. Une commission peut aider à planifier et organiser des activités, prendre en charge leur exécution ; cela impliquera d’autres membres dans une participation active. Il peut être bon de choisir une religieuse au niveau local pour réfléchir chaque mois avec une personne intéressée par la vocation religieuse. Non seulement ce sera un moyen de partager la responsabilité de la décision à prendre, mais cela aidera à élargir un processus de discernement. De plus, cela ouvrira une perspective plus large à l’éventuel candidat.
L’espérance suscite l’espérance. Une attitude positive quant à la possibilité d’avoir des vocations peut devenir comme l’accomplissement d’une signe prophétique. S’encourager mutuellement dans notre effort de prière pour les vocations peut mener à des résultats étonnants. Accepter volontiers d’inviter quelqu’un qui souhaite voir de plus près la vie religieuse est contagieux une fois que le pli a été pris. Après ces quatre années au service des vocations, c’est devenu une expérience passionnante et fréquente d’avoir quelqu’un (et c’est parfois la personne à laquelle on s’attend le moins) qui m’explique qu’elle aimerait me voir rencontrer une personne qu’elle connaît et que la vie religieuse intéresse.
À mesure que prend forme le programme pour le service des vocations, des distinctions à faire surgissent. Il est important d’y réfléchir et de prendre concrètement les décisions quant à la manière de distinguer les différents secteurs de responsabilité.
– L’évaluation des candidats n’est pas l’accompagnement spirituel. Une chose est d’encourager quelqu’un qui commence à réfléchir à la vocation, c’en est une autre de décider si cette candidature répond aux critères d’admission de la congrégation concernée.
– Une pédagogie de la vocation est différente d’une invitation à réfléchir à la vocation. Une pédagogie de la vocation reste nécessaire à toutes les étapes de la vie, paroissiale, scolaire, parmi les jeunes et les moins jeunes, les gens mariés ou les célibataires. Une approche plus directe se traduira par une invitation faite à ces hommes et femmes qui sont des candidats possibles à la vie religieuse. Des choix doivent être faits ici pour voir qui fera quoi.
– L’histoire d’une vocation a des accents différents selon l’âge et la culture de la personne. Il faut savoir écouter les différentes voix qui se font entendre dans le récit d’une vocation selon qu’il s’agit d’une femme de 20, 30 ou 40 ans. Il en sera de même pour les accents qui différeront selon les contextes culturels.
Avant d’être apte à déterminer les critères qui permettent d’accepter une vocation, vous devez pouvoir répondre vous-même à la question : « Qui cherchez-vous ? » Alors seulement, vous saurez honnêtement quand il faudra dire « non » à quelqu’un qui s’informe ou pose sa candidature.
Le ministère au service des vocations peut être un travail terriblement épuisant et éreintant pour les personnes qui y sont impliquées. C’est au niveau des personnes employées au service des vocations et à la formation initiale que les changements d’emplois sont proportionnellement les plus élevés parmi tous les ministères confiés à des religieux ou à des religieuses aux États-Unis. Les raisons dépassent les limites de cet article. Qu’il suffise de dire que l’attention donnée à la santé physique, spirituelle et psychologique de la personne qui assume ce genre de ministère doit être prioritaire.
Pour conclure, permettez-moi de reprendre ce que je disais en commençant. Je suis profondément convaincue que le service des vocations est un ministère qui doit être pris en charge. Et, comme le dit le cliché, « Tout ce qui vaut la peine d’être fait, mérite d’être bien fait ». Cette prise en charge demandera du temps, de l’énergie, du personnel et des ressources. Les choix à faire auront un profond retentissement sur la vie de toute la congrégation et sur celle de tout le Peuple de Dieu. Le prix à payer peut être élevé. Mais mon expérience m’a appris que le résultat obtenu est bien supérieur au prix que l’on a payé !
541 S. Mason Rd.
ST. LOUIS, MO 63141, U.S.A.
[1] Faute d’un équivalent français exact de « ministry », nous l’avons traduit par « ministère » (N.D. T.).