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Figure de fondateur

Jeanne-Berthe Laur, fondatrice des Missionnaires de la Paternité divine

Robert Guelluy

N°1987-2 Mars 1987

| P. 74-78 |

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Les idées fécondes ne tombent pas du ciel, ainsi que le disait le titre d’un livre qui fit quelque bruit. Il en fut ainsi pour Jeanne-Berthe Laur (1884-1975) et pour l’Institut dont elle fut, sans l’avoir immédiatement prévu, la fondatrice.

À une époque où ce genre de spiritualité n’était pas courant, elle eut, dès l’enfance, l’intuition de l’affection paternelle de Dieu, à vivre dans l’ordinaire d’une existence « en plein monde », où l’on serait simplement, mais chrétiennement, l’une d’entre tous. Elle fut, sans l’avoir cherché, amenée à concrétiser cette confiance en Dieu dans une consécration qui deviendrait, l’heure venue, celle d’un Institut séculier.

Que Dieu est amour, qu’il est Père, que sa seule raison de nous créer et notre seule façon d’être, est que nous soyons ses enfants, nous le savons. Mais une chose est de le savoir, et autre chose d’en avoir pleinement conscience et d’y trouver le rythme de sa respiration, d’en être inspiré dans son activité et sa vie spirituelle de tous les jours.

Être animé par la foi en la paternité de Dieu, universelle et fidèle, c’est être accueillant à tout événement et à toute présence ; c’est être disponible et pacifié. Croire concrètement à l’amour, c’est devenir capable d’aimer. Donc, d’accueillir, de partager, de risquer...

A l’âge de six ans, Jeanne-Berthe Laur fut émue par un sermon sur l’amour avec lequel Dieu nous voit et nous conduit. Ce premier choc éveilla chez l’enfant la confiance en la Providence et le désir de répondre à la tendresse de Dieu par de petits gestes où elle mettait déjà toute sa capacité d’aimer. Elle pensait souvent au « Bon Dieu » ; timide et de santé fragile, elle se sentait pourtant « gâtée » par lui, et elle vivait très simplement la paix de cette conviction.

Trois rencontres allaient la confirmer, à l’âge mûr, dans cette orientation spirituelle. En 1923 – elle avait alors trente-neuf ans – elle rencontra à Bricquebec (abbaye cistercienne de la Manche), le Père Abbé, Dom Vital Lehodey, dont la spiritualité du « saint abandon » rencontrait la sienne ; il resta son guide jusqu’à ce que Dieu le rappelle à lui. En 1930, elle fit, à Louvain, la connaissance du Père Louis Charlier, professeur de théologie dogmatique au couvent des Dominicains de cette ville, qui fut à la fois son disciple et son maître en donnant une formulation théologique à son intuition. En 1946, elle entretient des relations épistolaires avec Mgr Guerry, archevêque de Cambrai, dont les livres confirmèrent, eux aussi, la façon d’aller à Dieu qui était, depuis toujours, la sienne.

Mais replaçons ce cheminement spirituel dans la suite des événements qui l’ont de plus en plus concrètement précisé.

La vie très itinérante de Jeanne-Berthe Laur fut jalonnée par de multiples péripéties – accidents de santé notamment – où elle voyait le doigt de Dieu ; c’est ainsi qu’elle grandit en confiance filiale faite, disait-elle, non de sentiment, mais de certitude de foi et de vouloir d’amour.

Après qu’elle se fut dévouée comme catéchiste à Paris, où elle était née, on lui confia, dès l’âge de vingt ans, la direction d’une maison d’accueil pour jeunes filles, forme de charité qu’elle affectionnera toujours, et qu’elle continua en différents endroits où la conduisaient la diversité des besoins et les caprices d’une santé toujours chancelante.

La France catholique du premier tiers du vingtième siècle était traumatisée par la législation qui avait paralysé l’action des religieux et des religieuses. Les éducatrices avaient dû s’exiler ou renoncer à la visibilité de leur consécration, notamment en adoptant des vêtements civils. Mais tout tourne au bien, même le pire, chez ceux qui mettent leur confiance en Dieu.

Les besoins de l’éducation chrétienne amenèrent Jeanne-Berthe Laur et nombre de ses contemporaines à reprendre le travail des religieuses, puis à le prolonger sous diverses formes. Ainsi se dévouèrent, en France, des personnes et des groupes qui préparaient, dans leur style de vie, sans le savoir parfois, ce qu’on appellerait plus tard les Instituts séculiers.

Jeanne-Berthe Laur se consacra donc à l’éducation des jeunes filles et des enfants pauvres, entre autres de ceux qui habitaient ce qu’on appelait alors à Paris « la zone ». De 1914 à 1917, elle travailla dans un hôpital militaire où on avait besoin de volontaires, puis revint aux jeunes filles.

À la fin des années vingt, obéissant à un désir de vie contemplative, elle entra chez les Bénédictines. Mais sa santé ne lui permit pas d’y rester, et elle reprit sa route, avec la même confiance filiale et paisible. Elle avait compris que vie contemplative et vie apostolique peuvent se vivre en même temps et dans le monde.

Pendant l’hiver de 1930, étant au repos en Belgique, à Louvain exactement, elle se rend, pour se confesser, chez les Pères Dominicains. Le confesseur qui l’accueille est le Père Louis Charlier. Il ne la connaît pas, mais il devine en elle la personne qui réalisera la fondation à laquelle il pense depuis quelque temps. Il lui en parle. C’est le 30 janvier 1931. Elle demande l’avis de Dom Lehodey, qui l’encourage. Le chemin parcouru la prépare, estime-t-il, à cette mission. Elle prie la sainte Vierge, et elle accepte.

Au cours des années 1931-32, le projet mûrit, se concrétise. Pendant les années 1933-34, il est en voie de réalisation. Jeanne-Berthe Laur prend contact avec quelques jeunes filles, décidées à vivre une consécration dans les conditions d’existence communes à tous les chrétiens, en répondant, dans l’esprit de l’Évangile, aux nécessités sociales et spirituelles qui les sollicitent. Elles se mettent au service d’œuvres, en Belgique. En 1939 sont émises les premières « professions » perpétuelles. A celles qui s’engagent par des vœux se joignent des « auxiliaires ». Selon leurs possibilités, elles s’occupent de catéchèse, d’enseignement, d’éducation.

La guerre est proche ; elle va ralentir l’action du petit groupe : c’est sa période de « vie cachée », en exode. Les activités reprennent vigueur dès 1945 : les petites familles spirituelles que souhaitent la fondatrice et le Père Charlier se multiplient.

En 1951, Jeanne-Berthe Laur, dont la vie a été jusque-là très itinérante, se fixe au Mans puis, en 1961, à Paris.

Les années passent, les adhésions sont plus nombreuses et les activités des membres se diversifient ; les compagnes de Jeanne-Berthe Laur ont désormais des professions différentes et travaillent aussi bien dans des institutions laïques que dans des œuvres chrétiennes.

Tandis que la vie façonne ainsi et précise le projet des initiateurs, la Congrégation des Religieux (et des Instituts séculiers) reconnaît ce que Jeanne-Berthe Laur réalisait avec patience depuis 1931.

L’encyclique Provida Mater (1945), bientôt suivie de Primo feliciter, sont les premières chartes des Instituts séculiers. Le groupe de Jeanne-Berthe Laur reçoit son statut canonique, sous le nom de « Missionnaires de la Paternité divine », le 19 mars 1964. La fondatrice est la première responsable générale.

En 1970, âgée de 86 ans, elle renonce à ses fonctions. Au cours de ses dernières années, réduite à l’inactivité et voyant de jour en jour ses facultés décliner, elle reste courageusement fidèle à une confiance filiale concrétisée dans l’union à Dieu, c’est-à-dire à la voie spirituelle qu’elle avait toujours suivie, au fil des circonstances. Elle meurt le 3 janvier 1975.

L’esprit qu’elle a infusé aux premiers membres du groupe continue à animer celui-ci. Les Missionnaires de la Paternité divine s’efforcent de vivre, là où elles sont, dans le monde, comme des enfants aimés d’un Père miséricordieux ; elles veulent témoigner de cet amour paternel par leur attitude fraternelle à l’égard de ceux qu’elles côtoient.

Le discernement des appels de la grâce se fait dans la réponse à l’invitation des événements quotidiens, perçus comme « signes » de Dieu : d’une part, dans le dialogue avec une accompagnatrice, d’autre part, dans la révision de vie avec un groupe de l’institut géographiquement proche. On recourt à la responsable générale si des difficultés se présentent.

L’institut n’a ni centre ni maison de retraite. C’est un signe de pauvreté qui fait participer ses membres à la condition normale de vie de tout célibataire. Le célibat « consacré » est un signe témoignant, lui aussi, que l’amour préférentiel du Christ peut combler un cœur humain.

La communion entre les membres est assurée par des rencontres mensuelles, la retraite annuelle, les visites, une correspondance régulière, un bulletin de liaison. Les contacts évoluent nécessairement avec l’âge, le degré de maturité humaine et spirituelle et l’état de santé de chacune.

La vie de prière comporte, notamment, l’Eucharistie quotidienne, dans la mesure du possible, et l’oraison journalière.

L’essentiel reste la spiritualité simple et concrète dont Jeanne-Berthe Laur eut l’intuition. Cet esprit ne cessa de l’inspirer au cours d’une existence faite de multiples imprévus. Elle sut le transmettre à celles qui se groupèrent autour d’elle, avec le désir et l’espérance de vivre, de partager, de communiquer une confiance évangéliquement filiale. L’Institut séculier dans lequel cette spiritualité a pris forme canonique compte aujourd’hui une centaine de membres, consacrées ou associées. Il veut, par son humble rayonnement, et dans la fidélité au concret quotidien, être vraiment à l’image du nom qui lui fut donné dans l’Église.

Notre monde sécularisé met en cause la paternité de Dieu [1]. Elle est pourtant au cœur de l’Évangile. Il faut, chaque jour, la redécouvrir.

Scavée du Biéreau 14
B-1348 LOUVAIN-LA-NEUVE, Belgique

[1Voir par exemple : W.A. Visser ’t Hooft, La paternité de Dieu dans un monde émancipé, Genève, Labor et Fides, 1984.

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