À propos d’un ouvrage récent
Jean-Marie Hennaux, s.j.
N°1987-1 • Janvier 1987
| P. 44-46 |
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La récente mise à jour des Constitutions dans les Instituts religieux n’a fait que mettre dans une lumière plus vive l’importance d’une juste intelligence des textes fondateurs. Le livre La vie religieuse [1], après une introduction relatant l’histoire mouvementée des débuts de l’Institut des Religieuses de la Société du Sacré-Cœur, nous offre le texte (p. 29-98) et un commentaire (p. 99-360) de leurs Premières constitutions (1815).
Avec celles-ci, quelque chose de nouveau se fait jour parmi les formes de vie religieuse féminine existantes : « une manière de concilier une consécration totale au Christ avec les exigences de l’apostolat, qui remet en question la rigueur de la clôture monastique ; une conception aussi d’un ordre féminin fortement unifié sous le gouvernement d’une Supérieure générale, en vue de garantir la mobilité apostolique nécessaire » (115). Une autre particularité doit en plus être notée : Madeleine-Sophie Barat « s’efface au service d’une grâce faite à l’Église de son temps » (103) : la révélation du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie Alacoque. « Avant d’être le charisme qui fonde la Société du Sacré-Cœur, la révélation du Cœur de Jésus est un don fait à l’Église entière » (103). Impossible donc de comprendre le charisme de la Société sans expliciter théologiquement le sens universel de la dévotion au Cœur du Christ et sans élucider la signification historique des événements de Paray-le-Monial. La compréhension théologique du charisme religieux ne va pas ici sans une véritable théologie de l’histoire. Nous avons particulièrement apprécié de ce point de vue les pages 103 à 114 : « c’est dans l’intime conviction que le Cœur de Jésus est le Cœur du monde qu’a pris naissance la Société » (105). On a souvent lié la dévotion au Sacré-Cœur à une theologia crucis ; les auteurs montrent bien qu’aux yeux de Madeleine-Sophie Barat, elle ne se déploie qu’à partir d’une theologia gloriae ; tout dolorisme est ainsi éliminé. En cela aussi, le nouvel Institut était d’inspiration ignatienne.
D. Sadoux et P. Gervais ont pu intituler leur livre La Vie religieuse. Le charisme particulier qu’ils étudient apporte en effet sa contribution, originale, mais de portée universelle, à la théologie de la vie religieuse comme telle. L’ouvrage peut donc intéresser les membres de n’importe quel Institut. On en jugera par ce qui suit, écrit d’abord à propos de la Société du Sacré-Cœur. L’Eucharistie et l’adoration eucharistique tiennent dans l’existence religieuse une place absolument centrale, ce qui nous vaut des pages très éclairantes sur l’adoration de l’Eucharistie (134-144). Les trois vœux « forment un tout indivis » (145) ; la spiritualité de la Société « voit avant tout les vœux comme la triple expression d’un seul et même accord avec la personne du Christ » (145). Cette profonde unification des trois vœux provient ici de l’identification opérée entre la consécration religieuse et la consécration au Sacré-Cœur. Ce qui unifie les vœux, c’est « l’occupation intérieure » qui consiste à « contempler, étudier et connaître à fond les dispositions du Cœur de Jésus. (...) L’occupation intérieure porte donc en elle-même un acte de contemplation » (150). La pauvreté est personnifiée. « Elle est considérée à la fois comme une Épouse et comme une Mère » (162). C’est pour éclairer les sentiments du Cœur de Jésus que les Constitutions recourent ainsi à la symbolique de l’épouse et de la mère : « Le Christ a épousé la pauvreté dès sa naissance pour en faire sa fidèle compagne jusqu’à la mort » (164). La chasteté, vœu du Cœur par excellence, est mise en rapport, bien évidemment, avec le Cœur du Christ, mais aussi avec la Vierge Marie et le disciple bien-aimé. « Marie et Jean ne sont pas seulement au pied de la croix la figure originelle de l’Église. Ils sont encore, dans le lien qui les unit l’un à l’autre, la figure parfaite de la charité propre à la vie consacrée » (172).
En 1815, les mots mission et apostolat étaient réservés au prêtre. Madeleine-Sophie veut pourtant des filles apostoliques. En fondant ses fameux pensionnats pour jeunes filles, elle « mettait sur pied une œuvre originale à bien des points de vue : par sa perception du rôle de la femme dans la société en train de naître, par le type de formation qu’elle entend lui donner » (288). Le programme d’études qu’elle envisage vise une pénétration de toute la culture par la foi. Car la religieuse du Sacré-Cœur est avant tout une « éducatrice de la foi ». Dans ce projet, la fondatrice donne une place particulière à l’éducation des enfants pauvres ; « Il y a un lien inséparable entre la consécration au Cœur de Jésus et la préférence pour le pauvre et le démuni » (307). On découvre avec bonheur dans ce beau livre que la dévotion au Sacré-Cœur a inspiré toute une pédagogie (292-304 ; cf. Mt 11,29 : « Mettez-vous à mon école. Je suis doux et humble de Cœur »). En plus des écoles, les Constitutions envisagent deux autres moyens d’apostolat : l’œuvre des retraites et les conversations. On le voit : c’est tout le champ qui va de l’éveil de la foi jusqu’à son plein épanouissement spirituel que veut couvrir la vie apostolique de la Société.
La partie consacrée au gouvernement s’achève par des pages lumineuses sur la communion comme « moyen de conserver la Société » : « Cor unum et anima una in Corde Jesu » (325-360). Puisque « l’union au Cœur de Jésus fonde la Société » (359), c’est elle encore qui en fait l’unité.
Ce commentaire historique et théologique se développe selon toutes les dimensions requises par une telle entreprise : il montre l’enracinement du charisme dans l’Écriture et dans la Tradition, sa signification dans l’histoire de la spiritualité, sa place dans l’Église et dans le monde, son prophétisme, son actualité. Les auteurs profitent en particulier de leur excellente connaissance des Exercices Spirituels et des Constitutions de saint Ignace.
Le dernier Concile a demandé « que l’on mette en pleine lumière et que l’on maintienne fidèlement l’esprit des fondateurs et leurs intentions spécifiques, de même que les saines traditions, l’ensemble constituant le patrimoine de chaque institut » (PC, 2 ; cf. LG, 45). À cet égard encore, l’ouvrage de Dominique Sadoux et de Pierre Gervais est exemplaire. Souhaitons que d’autres charismes religieux fassent l’objet d’une élucidation théologique aussi profonde, aussi complète et aussi vigoureuse.
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[1] D. Sadoux, r.s.c.j. ; P. Gervais, s.j., La vie religieuse. Premières constitutions des Religieuses de la Société du Sacré-Cœur. Texte et commentaire. Paris, Beauchesne, 1986, 24 x 16, 362 p., 231 FF.