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La révision de vie en communauté

Pierre Gervais, s.j.

N°1986-6 Novembre 1986

| P. 363-367 |

Un supérieur de communauté a rédigé une note pour ses frères dans le but de les aider à mieux distinguer les types de communication possibles dans une réunion communautaire. Et il précise en quoi consiste une révision de vie au niveau de la communauté.

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La révision de vie : autre chose que le « partage de vie »

Le partage de vie : dans le respect et l’écoute mutuelle, chacun fait part de sa propre expérience et de son propre « sentir » (au sens ignatien) sur des points où il se sent concerné dans sa vie de tous les jours.

Ce partage peut porter par exemple :

  • sur une période de temps (semaine, mois), chacun faisant part de ses activités, de ce qui l’a marqué ;
  • sur une matière touchant notre vie, par exemple : qui est Jésus pour moi ; ce qu’est le sacerdoce pour moi ; la place des pauvres, de la prière, de l’eucharistie dans notre vie ;
  • sur des événements qui nous affectent d’une façon ou d’une autre, par exemple : à vingt ans du concile, un problème de société.

Le partage n’est pas, comme tel, discussion d’un thème. Chacun se livre à la première personne et s’enrichit en retour de la diversité des perceptions des membres de la communauté. Dans ce partage, il ne s’agit pas d’en arriver à une position commune, ou encore de « corriger » le point de vue de l’autre, mais d’accueillir celui-ci, de s’en instruire, même lorsqu’on ne peut en tout point le faire sien. Inutile de souligner l’importance d’un tel partage dans notre vie religieuse. Il sera simple, spontané, vrai, à la mesure de la confiance que nous nous ferons jour après jour.

La révision de vie : autre chose que le « discernement apostolique communautaire »

Un discernement apostolique communautaire implique d’abord qu’il y ait matière à discernement. En outre, un discernement se fait en vue d’une élection, et donc d’une décision.

Or la communauté n’est pas constamment en instance de décision. Il y a un certain donné qui est déjà là et dans lequel s’inscrit concrètement la volonté de Dieu sur chacun de nous.

Ce donné, c’est :

  • l’obédience reçue du Provincial ;
  • la communauté dans laquelle je suis et qui ne s’est pas formée par cooptation ;
  • le style de vie de la maison dont les grandes lignes ont été définies par le supérieur.

Il n’y a donc pas ici matière à discernement. Là est le chemin déjà tracé dans lequel je dois chercher et trouver Dieu en toutes choses. De ce point de vue, une communauté religieuse n’est pas constamment à se redéfinir dans un discernement communautaire.

Mais, à l’intérieur de ce donné premier, peuvent se présenter des matières à discernement communautaire. Disons que très souvent celles-ci nous seront imposées par les événements.

  • Ainsi en est-il de ces « micro-décisions », parfois fort importantes, qui touchent notre vie de tous les jours : style de vie, pauvreté consentie, normes d’hospitalité, etc.
  • Ainsi pourrait-il en être de la préparation à certaines décisions concernant l’apostolat de la communauté ou de ses membres.

Tout discernement implique le jeu des motions et le discernement des esprits en vue d’en arriver à une décision communautaire. Il est donc inévitable que, dans son aspect communautaire, ce discernement implique lui aussi un moment « conflictuel » jusqu’à ce que, patiemment peut-être, la lumière se fasse, et que le supérieur (ou encore, à son niveau, le responsable de maison) en arrive à une décision à laquelle tous se soumettent volontiers, même si celle-ci n’est pas la simple expression d’une unanimité éprouvée dans la délibération. En effet la véritable union des esprits et des cœurs a pour nous son fondement dans l’obéissance.

La révision de vie communautaire : ce qu’elle est

Elle s’apparente à ce qu’est l’examen de conscience dans notre vie religieuse (cf ;.Ex. sp. 43) : là où, dans l’action de grâce pour les bienfaits reçus (premier point), et dans la grâce demandée pour connaître ses péchés (deuxième point), je demande compte à mon âme de ses pensées, paroles et actions (troisième point).

Elle est cet examen de conscience appliqué communautairement à la dimension communautaire de notre vie religieuse, telle que nous en sommes responsables les uns envers les autres, telle aussi qu’elle nous affecte inévitablement en bien ou en moins bien.

Cette communauté constitue un donné où s’inscrit concrètement le don de Dieu pour chacun d’entre nous. Jusqu’à quel point en répondons-nous personnellement et communautairement comme nous y sommes appelés ? Nous avons des attentes par rapport à la communauté. Celle-ci en a par rapport à nous. La communauté a ses points forts. Elle a aussi ses limites. N’en jamais parler crée souvent des silences qui paralysent l’élan de chacun et sont source de souffrances. Au fond, il s’agit tout simplement de faire un examen de conscience communautaire sur la manière dont on vit ensemble la grâce de sa vocation. Tout bonnement, en toute confiance, reconnaissant le côté positif des choses pour en rendre grâce, exprimant ce qui demeure en souffrance dans notre manière de répondre ensemble à ce que l’obéissance nous demande.

Cet examen est donc différent du partage. Dans le partage, on écoute l’autre pour ce qu’il a à nous partager. Ici, en référence à notre être communautaire, on se fait part les uns aux autres de ce qu’on aimerait voir plus tangiblement vécu par tous et chacun. On est dans l’ordre de la « correction fraternelle ».

Cet examen diffère aussi du discernement communautaire au sens strict. En effet, cette révision se veut d’abord fidélité à une volonté de Dieu déjà signifiée (la communauté) plutôt que recherche d’une volonté de Dieu non encore signifiée. De ce point de vue, c’est une composante de notre vie normale. En outre, comme il s’agit de répondre chacun selon ses forces d’une décision déjà prise (le projet de communauté, en lien avec la congrégation), et non pas d’en arriver à une décision nouvelle engageant un chacun, cette révision ne cherche pas, par le jeu des motions, à produire un nouveau consensus sur un point donné, par delà ce qui déjà nous réunit ensemble en une seule communauté.

C’est pourquoi, plus que dans un processus de discernement avec la décision qui s’ensuit, l’examen, par sa nature même, prend en compte, de façon fraternelle, les limites personnelles de chacun. Les remarques émises éventuellement ne feront pas une décision. Elles ouvrent sur le pardon mutuel (quatrième point de l’examen), et ce pardon est la condition même pour tout « ferme propos » (cinquième point de l’examen), qu’en son âme et conscience, selon ses forces et ses aptitudes, chacun peut se juger en mesure de faire. La révision de vie ouvre donc sur une grande liberté spirituelle, à l’intérieur d’une référence commune constitutive : la communauté.

Vue sous cet angle, la révision de vie communautaire répond donc à un moment spirituel tout à fait spécifique. Elle implique, dans la reconnaissance d’une fidélité foncière qui fait de tous un même corps et une même communauté, l’acceptation de notre diversité (âge, forces physiques, tempéraments, etc.). C’est pourquoi aussi elle implique ce tact spirituel qui donne de sentir ce qui peut être dit, ce qui ne peut ou ne doit pas l’être à tel moment, ce qui est silence trompeur (fait de résignation, de dérobade, de manque de confiance les uns dans les autres), et ces silences qui sont tout simplement respect de l’autre et confiance en Dieu dans une patience à travers le moment présent. C’est là un élément déterminant pour que la révision de vie communautaire se situe au plan proprement spirituel et ne tourne pas à une pression sociologique ou à une technique psychologique finalement vouées à l’échec.

Il est donc bon que de temps en temps on procède en communauté à une révision de vie au sens ci-dessus esquissé.

La question pourrait être formulée sous la forme suivante (en termes de consolations et désolations par rapport à ce qui déjà nous définit comme communauté) :

En référence à ce que notre vocation religieuse nous demande, qu’est-ce qui dans la vie communautaire me conforte dans ma suite du Seigneur jour après jour, qu’est-ce qui, par contre, me paralyse, me fait problème, me « désole » en quelque sorte ?
On s’écoute.
Chacun en son for intérieur répond de ce qu’il se sent en mesure d’améliorer dans sa manière de vivre selon son état, ses forces, ses possibilités. Éventuellement on peut faire savoir la difficulté que l’on éprouve à rencontrer tel ou tel souhait exprimé par la communauté. En définitive, chacun serait renvoyé à la fois à la dimension communautaire de sa vie et à sa propre liberté devant Dieu le point clef de la réunion n’étant pas d’en arriver à de nouvelles décisions par-delà celles qui déjà nous fondent comme communauté, mais dans l’acceptation et le pardon mutuel, d’assumer à nouveau tous ensemble une dimension de notre vie religieuse qui, quoi qu’il en soit, tient au cœur de chacun.

Il y a là, me semble-t-il, une condition préalable à tout discernement apostolique communautaire. Dans cette fidélité vécue à tout ce qui déjà nous rassemble, même dans nos faiblesses, peut se développer ce « sentir commun » qui rend capable par la suite de se rencontrer sur des « matières à élection » et des décisions qui engageront plus profondément la vie de chacun.

Inutile de dire que, tout comme dans la pratique de l’examen de conscience, ce type de révision de vie communautaire ne peut se faire que dans un climat d’accueil mutuel mûri dans la prière.

Boulevard Saint-Michel 24
B-1040 BRUXELLES, Belgique

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