Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Qu’est-ce qu’une vie consacrée ?

Sœur Emmanuelle

N°1986-4 Juillet 1986

| P. 233-234 |

Écrites après la visite faite à un bidonville du Caire et la découverte bouleversante du tragique abandon des quelque 1.500 hommes, femmes et enfants qui y vivent, ces pages n’ont rien d’une théorie, elles sont le témoignage de quelqu’un dont la vie est livrée « jusqu’au bout ».

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Qu’est-ce qu’une religieuse ? À quoi est-elle consacrée ? À qui ? Qui a-t-elle épousé pour le meilleur et pour le pire ? Où peut-elle rencontrer le Christ chaque jour pour l’aimer, le servir, essuyer son visage, lui laver les pieds, lui donner à manger, à boire, le soigner ?

Toutes nous connaissons la réponse, c’est là où un homme a faim, a soif, est nu, malade, en prison, et nous essayons, chacune, de le rencontrer dans nos frères. Notre problème, nous le savons, est d’aller jusqu’au bout, « dilexit usque ad finem ».

C’est une consécration dévorante et, chacune est obligée de se l’avouer, nous luttons souvent pour ne pas nous laisser complètement prendre, manger, dévorer par les autres, par tel ou tel autre, dans telle ou telle circonstance... et c’est notre petite phrase bien connue : « J’ai bien le droit de m’épanouir - me développer - prendre mes vacances - me reposer - ne pas me laisser écraser - me faire respecter - me défendre contre, etc. » Nous avons chacune notre petite phrase qui tranquillise notre conscience toujours prête à s’embourgeoiser en face de frères toujours prêts à dépasser les limites que nous défendons farouchement.

Il y a des moments où je sens que ma prière devient une évasion : me voilà enfin tranquille, je vais pouvoir respirer !, elle n’est plus un tremplin qui me lance à la « suite » du Christ dans la bagarre, la fatigue, le don, le dénuement spirituel et matériel de l’être mangé qui n’est plus qu’une pauvre « mule » impuissante devant le Seigneur. Oh ! l’authenticité de la prière quand on est à bout, au creux de la vague, vidé, et qu’on ne sait plus que murmurer : « des profondeurs je crie vers toi ».

C’est alors que je comprends que je dois sans cesse recommencer à me convertir, à sortir de « mon cocon » pour le laisser, lui, m’assumer, me saisir pour le service de mes frères. « Seigneur, rends-moi digne de les servir » selon Mother Teresa de Calcutta. La prière redevient alors non plus une évasion hors du temps et du lieu, mais une « remise totale et douce » entre les mains de l’époux pour qu’à travers moi il soit de nouveau « poussé », « lié » et parfois même « crucifié », « les vêtements arrachés » par les mains des autres, « en silence ». C’est terrible une consécration religieuse, « ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée » ; son amour est jaloux, il est « plus fort que la mort », il tue tout ce qui n’est pas lui, tout ce qui n’est pas don total, sur le plan physique comme sur le plan intellectuel (lire, apprendre, savoir...) ; il est difficile de trouver ce que l’époux approuve pour pouvoir atteindre plus concrètement mes frères et ce que ma vanité réclame pour être à la « page ». À quelle page me veux-tu, Seigneur ?

Vous qui me lisez, vous savez aussi bien et sans doute mieux que moi quelle est cette lave brûlante de l’amour qu’exige une vraie consécration religieuse, lave qui veut nous envahir toujours davantage. Prions beaucoup les unes pour les autres, pour que le Christ soit vainqueur de nous-mêmes, là où nous sommes, afin qu’il puisse s’incarner en nous pour aimer jusqu’à la mort.

B.P. 12, Daher Post Office
CAIRO 11563, Egypte

P.S. – Je ne crois pas que le problème soit essentiellement le service des plus pauvres, mais il s’agit de rester la « servante » prête à servir n’importe où, selon les besoins et l’appel du moment, en s’y consacrant tout entière, dans l’amour « jusqu’au bout ». Pour ma part, j’ai attendu quarante ans la permission de mes supérieures pour répondre à l’appel vers les plus pauvres qui me dévorait. Je remercie la Vierge qui m’a donné la patience d’attendre, ce qui d’ailleurs me formait à la vie assez spéciale qui m’était réservée et demandait une force que je n’aurais peut-être pas eue sans cette longue attente ; je n’ai pas, moi, la personnalité d’une Mother Teresa de Calcutta !

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