Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT)
Vies Consacrées
N°1986-4 • Juillet 1986
| P. 245-250 |
La torture existe et ne peut nous laisser indifférents. C’est ce qui a décidé un groupe de chrétiens à fonder l’ACAT. Ces pages nous disent brièvement ce qu’elle est, le mal qu’elle veut combattre et ce qu’elle demande à ses adhérents.
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Le 16 juin 1974, dans la maison des diaconesses de Versailles, une quarantaine de chrétiens s’étaient réunis. Ils venaient de toutes les confessions pour parler d’un fléau mondial qui se répand de plus en plus : la torture. Ce jour-là, émus devant une telle horreur, ils fondent l’ACAT, mouvement appelé à se répandre d’abord en France, puis en bien d’autres pays. Ils pensent que nous, chrétiens, au nom de l’Évangile, nous ne pouvons pas rester inactifs et nous taire devant ce phénomène de la torture, ce serait pactiser avec le mal.
La torture, en effet, est une agression totale. Elle détruit l’homme dans son corps et dans son psychisme. Elle maintient l’homme dans la hantise de la souffrance et de la mort. Elle détruit également le tortionnaire et affecte la santé morale d’une nation. Elle est un mal qui fait honte à notre civilisation. Elle est une insulte à la dignité humaine et une violation des droits de l’homme :
« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (art. 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme).
Or la torture existe. Elle est pratiquée dans plus de la moitié des cent soixante pays du monde. Elle est même établie en système par des États ou des groupes terroristes. Systématisée et sophistiquée, la torture est, d’année en année, perfectionnée par des techniques physiques ou psychiques qui ne laissent pas de traces.
La torture est le fait de gouvernements marxistes avec les hôpitaux psychiatriques, les camps de travail ou de rééducation ; elle est aussi le fait de dictatures d’extrême-droite prônant la sécurité nationale, elle devient le moyen d’obtenir des aveux, des renseignements, des dénonciations. Elle est même une méthode de guerre où le sadisme le dispute à la bestialité. Elle se systématise là où se multiplient les crises nationales. Même en Europe de l’Ouest, la vigilance s’impose devant certains abus dont se rendent parfois coupables l’un ou l’autre membre de la police ou de l’armée.
Un torturé chilien, Eric, vingt-neuf ans, a raconté son calvaire. On répugne à en donner tous les détails, tant ils sont révoltants :
Ils ont brusquement fait irruption chez ma mère où je me trouvais avec ma sœur. Ils étaient huit. J’ai tout de suite compris que c’était la CNI. Ils n’avaient pas de mandat d’arrêt, bien sûr, mais transportaient de la dynamite... Ils ont tout renversé et ils ont mis la dynamite à mes pieds et le chef a dit qu’il m’arrêtait pour détention d’explosifs. Ils ont ensuite menacé ma sœur avec un revolver pour qu’elle signe un papier reconnaissant qu’on m’avait trouvé avec de la dynamite..., mais elle a été très courageuse et elle a refusé. Alors, ils l’ont battue.
Ensuite, ils ont emmené Eric à la prison secrète. Et là, le cauchemar a débuté.
Ils ont commencé par me rouer de coups... Ils m’ont attaché les mains et les pieds, qu’ils ont mis dans l’eau. Et ils m’ont lancé de violentes décharges électriques dans tout le corps... Cela a duré au moins huit heures... Mon corps me brûlait. C’était atroce, et pendant ce temps ils m’accablaient de questions, me demandaient si j’étais communiste, et moi je ne savais plus ce que je disais.
Dans sa jeunesse, Eric avait appartenu aux Jeunesses communistes. Mais c’était de l’histoire ancienne, mais quand la police veut faire peur, elle opère des rafles et prend des noms au hasard dans de vieux fichiers. Et Eric reprend :
Le lendemain, ils m’ont déshabillé et ils m’ont attaché par les poignets et les pieds à une barre suspendue. Et ils ont repris les tortures à l’électricité... Ils cherchent toujours à nous humilier, à nous donner honte de notre corps... et toujours les injures et les questions. Ils n’arrêtaient pas de dire des horreurs sur ma femme qui est en prison.
Et ils ont fait ce qu’on appelle la torture du téléphone : ils frappent de grands coups sur les deux oreilles en même temps. C’est comme si les tympans éclataient. Une sensation horrible.
Pour en finir, au bout de cinq jours de tortures presque ininterrompues, Eric a accepté de signer une reconnaissance de détention d’explosifs. Il a été transféré à Santiago où le tribunal militaire a porté sur son dossier : « Arrêté le 18 septembre ». « Oubliés » les cinq jours passés dans la prison secrète.
Constamment sur le qui-vive, Eric trouve difficilement le sommeil, il s’avoue habité par une peur confuse « d’être arrêté, de revivre tout cela ».
La torture comme outil de terreur fonctionne bien et c’est pour cela qu’elle existe encore, ajoute-t-il.
La torture est une insulte à la dignité humaine
Et c’est pourquoi elle doit être combattue par tout homme digne de ce nom, quelles que soient ses croyances, ses convictions, sa philosophie. Mais, pour nous chrétiens, les raisons de nous y opposer sont encore plus fortes. Comment rester hésitants devant la pratique de la torture, alors que celui qui est en cause, c’est le partenaire que Dieu s’est éternellement choisi ? Comment ne pas tout entreprendre pour protéger et faire s’épanouir ce chef-d’œuvre qu’est l’homme aimé de Dieu ? Voici comment Gilbert Cesbron s’exprimait il y a quelques années dans un article du journal Le Monde :
Comment dans un tel combat ceux qui se réclament du Christ torturé, mis à mort, ne sont-ils pas en première ligne ?
Comment évêques, prêtres et pasteurs ne sont-ils pas les premiers informés et les premiers informateurs de l’inacceptable ?
Mais surtout comment admettre que dans tel pays où la torture est devenue un moyen de gouvernement, l’Église, la hiérarchie et les fidèles puissent se taire et se terrer au lieu de prendre comme Helder Camara le risque de clamer leur indignation ?
Notre action peut les y aider, et parce qu’elle est apolitique, courtoise, multiple, elle peut – la preuve en est faite – tempérer certains gouvernements et sauver des vies humaines.
Telles sont les raisons qui ont suscité l’ACAT et devraient lui rallier ceux qui veulent vraiment conformer leur vie à l’Évangile.
L’ACAT, ce qu’elle est, le but qu’elle poursuit
L’ACAT est une organisation chrétienne œcuménique. C’est une association : la dimension collective constitue un élément fondamental de la proposition de l’ACAT. C’est en Église, en rassemblement de communautés d’Églises orthodoxes, protestantes, catholiques, etc. que nous voulons prier et agir. Réunis œcuméniquement, nous nous situons en Église, chacun en fidélité à sa communauté de foi.
Ce qu’elle veut, c’est proclamer l’incompatibilité entre la torture et le message évangélique. Son but est donc l’abolition de la torture et de la peine capitale partout dans le monde. Sans se lasser, elle fait entendre le message des droits de l’homme.
Elle invite à la prière
Prière et action sont en effet indissociables pour elle. La prière, parfois accompagnée de jeûne, est considérée comme le levier de toute cette action. D’où le nombre impressionnant de contemplatifs qui adhèrent à ce mouvement. Déjà en avril 1980, plusieurs centaines de communautés religieuses dont une cinquantaine de monastères étaient en lien avec l’ACAT.
Nous prions pour les torturés afin qu’ils aient la force de tenir et de pardonner. Nous prions aussi pour tous ceux qui torturent, qui abaissent, oppriment, font souffrir d’autres hommes, leurs frères et ainsi se dégradent eux-mêmes et qui peut-être agissent ainsi parce qu’ils n’ont jamais été regardés par personne.
L’ACAT incite à la réflexion
Les chrétiens et les non-chrétiens sont quotidiennement interpellés par des phénomènes de violence. Les faits de torture n’arrivent pas par hasard, mais ils sont issus de situations économiques, politiques, sociales qui doivent être analysées. Une réflexion religieuse s’impose également, ainsi le thème du congrès de Toulouse était : « Passion du Christ, passion des hommes ».
ACAT et Amnesty International
L’ACAT est indépendante d’autres organismes qui ont plus ou moins le même but (Ligue des Droits de l’homme, Justice et Paix, Amnesty International ou A.I., etc.). A.I. et ACAT sont parfois confondues dans l’opinion publique, A.I. a débuté en 1961, ACAT en 1974. Toutes deux veulent l’abolition de la torture. Alors, quelle différence ? A.I., tout en comptant en son sein des prêtres, des religieux, des laïcs croyants, reste neutre. ACAT s’affiche profondément chrétienne. Elle a une dimension spirituelle, un enracinement confessionnel. Elle lutte pour l’abolition de la torture et des exécutions capitales, en veillant particulièrement au respect des articles trois et cinq de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. A.I. y ajoute le respect des articles neuf, dix-huit et dix-neuf relatifs à la détention arbitraire, les libertés de conscience et d’opinion. ACAT et A.I. entretiennent d’excellentes relations. L’ACAT utilise largement les informations et les techniques d’information d’A.I., tout en gardant une indépendance entière. Des liens de coopération et de solidarité existent entre les deux associations. En échange des renseignements qu’elle reçoit d’A.I. et dont elle reconnaît la valeur, ACAT lui verse un dixième de ses rentrées. L’ACAT diffuse à ses adhérents des appels urgents dont la grande majorité émane de A.I.
Si vous adhérez à l’ACAT, à quoi vous engagez-vous ?
Les trois engagements fondamentaux sont :
- entrer dans une démarche de prière : prière d’intercession en faveur des victimes de la torture, aussi bien les bourreaux que les torturés, car le tortionnaire est aussi victime de ce système ;
- vous informer et informer autour de vous. Dans les conversations, les rencontres, vous pouvez sensibiliser votre entourage au problème de la torture. C’est un travail qui doit être mené de l’intérieur des Églises et en direction des Églises, afin qu’aucun chrétien ne puisse ignorer que la torture existe et qu’on peut faire quelque chose ;
- répondre à des demandes d’interventions urgentes, aux appels urgents. Celui qui adhère à l’ACAT reçoit des documents poly- copiés qui décrivent des cas de personnes torturées. Pour chaque cas, il y a deux ou trois lettres à écrire et à envoyer aux autorités du pays. Des suggestions de lettres sont données en même temps que les renseignements concernant l’appel urgent. Il est cependant fort recommandé de personnaliser ces lettres. Il est demandé de les signer de son nom et d’indiquer son adresse personnelle. On peut faire signer ces lettres par d’autres personnes.
Extension de l’ACAT et possibilités de contacts
L’ACAT est née en France, son centre principal se trouve à Paris : ACAT, 252, rue Saint-Jacques, F-75005 PARIS. Tél. 43 29 88 52.
Le mouvement s’est répandu dans d’autres pays. Certains ont à leur tour un centre où l’on peut demander des renseignements, s’inscrire dans l’association et s’abonner au courrier de l’ACAT.
- ACAT BELGIQUE : rue du Collège Saint-Michel, 40, 1150 BRUXELLES.
- ACAT CANADA : 4311 bd de Maisonneuve, OUEST WESTMOUNT (Québec) H3Z 1L1.
- ACAT LUXEMBOURG : 34, rue des Capucins, B.P. 175, L-2011 LUXEMBOURG.
- ACAT SUISSE (romande) : C.P. 21, CH-1212 GRAND LANCY I/GE.
Il existe une revue mensuelle : Le Courrier de l’ACAT.