Le service de l’homme aujourd’hui
Regards sur les nouvelles constitutions des instituts religieux féminins de vie apostolique
Michel Dortel-Claudot, s.j.
N°1986-1 • Janvier 1986
| P. 20-30 |
Comment les nouvelles constitutions des instituts religieux féminins de vie apostolique conçoivent-elles le service de l’homme aujourd’hui ? Personne n’est mieux placé que l’auteur pour nous donner réponse à cette question. Il a, en effet, été associé de près au travail d’élaboration des nouvelles constitutions d’un bon nombre d’instituts de religieuses et de religieux. Ainsi qu’il aime à le dire, ces nouvelles constitutions sont comme un « lieu théologique » qu’il importe d’exploiter. Les pages du Père Dortel-Claudot permettent de prendre conscience des forces et des faiblesses, des richesses et des lacunes du moment présent et aident ainsi à préparer l’avenir.
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Pour cet article, nous avons d’abord fait appel à notre expérience de cette dernière décennie, au cours de laquelle nous avons été associé de près au travail d’élaboration des nouvelles constitutions d’un bon nombre d’instituts de religieux et de religieuses. Afin d’être plus précis et de donner à ces pages l’allure d’une enquête, quoique très modeste, nous avons également relu et étudié de près un lot de 77 nouvelles constitutions, retirées d’un ensemble plus vaste, mais choisies de telle façon qu’elles représentent des formes variées de charisme et d’activité apostolique. Pour plus d’homogénéité, nous avons analysé le texte voté en chapitre général constituant entre 1978 et 1984, et non celui édité plus tard, une fois obtenue l’approbation de l’Église : en effet, quelques-uns de ces instituts n’ont pas encore reçu une telle approbation ; d’autres l’ont reçue, mais leur texte définitif n’est pas achevé d’imprimer à l’heure qu’il est [1].
Ces 77 nouvelles constitutions sont celles d’instituts féminins de vie apostolique, ayant tous rédigé en français le texte original de leur Règle de vie. On ne compte parmi eux aucune congrégation exclusivement destinée aux pays dits de mission ad gentes ; nous avons fait ce choix à dessein, pour plus d’homogénéité [2].
Quelques aspects plus extérieurs
Ces nouvelles constitutions définissent d’abord le type de service apostolique de l’institut. Nous en retenons ici seulement quelques aspects.
Les textes disent en premier lieu vers quel type d’homme, de population, à quelles situations humaines, la congrégation est prioritairement envoyée. Si nous traduisons cela au moyen des catégories « classiques » et en usage, on obtient le résultat suivant : 49 instituts peuvent être dits « polyvalents [3] » ; 13 sont exclusivement dans le monde de la santé, compris au sens large ; 10 sont uniquement voués à l’éducation des jeunes ; 3 sont spécialisés dans la catéchèse, l’accompagnement spirituel des personnes et des groupes, les Exercices spirituels ; un est très prioritairement en monde ouvrier ; un autre est franchement inclassable.
52 nouvelles constitutions, soit environ 68 % des textes étudiés, parlent explicitement de la promotion humaine, de la justice sociale, de la dignité de l’homme à faire respecter, de l’urgente nécessité de construire un monde plus juste, de travailler au développement de tout l’homme. Les mots utilisés pour le dire, l’importance accordée à cet objectif, peuvent varier d’un institut à l’autre (présenter ces variantes n’est pas possible ici), mais finalement les nouvelles constitutions, dans leur grande majorité, ont repris ce thème, assez habituel dans le contexte actuel, ecclésial et social ; ne le rencontrer que rarement eût été surprenant.
Toutes ces nouvelles constitutions, sauf deux, affirment vouloir servir les pauvres, ou du moins, chacune dans sa ligne propre, donner la préférence aux pauvres. Cette convergence est frappante. Mais, d’un autre côté, la pauvreté est habituellement définie d’une manière si large qu’elle embrasse toutes sortes de situations économiques et sociales que le langage ordinaire ne tient pas pour des situations de pauvreté. Passons rapidement en revue les termes et expressions relevés dans les textes eux-mêmes. Nous avons tenté de les regrouper par tonalité, tenant compte de ce que les mots évoquent naturellement :
- Pour beaucoup d’instituts, les pauvres, ce sont les gens simples, les milieux modestes, les humbles, les petits, les faibles, les démunis (ou les plus démunis), les défavorisés (ou les plus défavorisés), les plus pauvres, les plus délaissés, les plus abandonnés, ceux qui sont dans la détresse, les « pauvres d’argent, d’amour, de santé, d’espérance ».
- Pour les instituts particulièrement sensibles aux situations sociales, à la place des individus dans les divers groupes et au sein de la société, les pauvres, ce sont les marginaux, les déracinés, les personnes déplacées, les prisonniers, les rejetés, les exclus. Ce sont également ceux dont personne ne s’occupe, les sans-voix, ceux qui sont privés de recours dans la défense de leurs droits, et n’ont que le silence pour se faire entendre. Ce sont enfin les humiliés, les opprimés, ceux qui souffrent de l’injustice, que l’on écrase, ceux dont la dignité humaine n’est ni reconnue, ni respectée.
- Pour les instituts peut-être plus attentifs à la personne en tant que telle, à son mystère, à sa vie intime, à sa vocation d’enfant de Dieu, les pauvres, ce sont les personnes en quête de raisons de vivre, qui cherchent un sens à leur vie. Ce sont ceux qui peinent, n’ont plus d’espérance, sont cantonnés dans leur isolement, les mal-aimés, ceux qui sont blessés dans leur corps, leur esprit ou leur personnalité, ceux qui vivent une détresse morale, intellectuelle, spirituelle, ceux qui ne peuvent plus vivre, comme homme et fils de Dieu, selon le dessein du Père.
Toutes les expressions rapportées ci-dessus, rappelons-le, sont extraites telles quelles d’une ou plusieurs nouvelles constitutions.
Servir l’homme, mais en vue de quoi ?
Les nouvelles constitutions ne se contentent pas de définir la mission de l’institut et de dire dans quel esprit il faut la vivre. Elles donnent également un horizon théologique à tout cela. Il ne saurait être question, dans les limites de ce simple article, de décrire ces divers horizons théologiques, qui sont finalement d’une grande richesse et reflètent, on peut l’espérer, l’esprit propre de chaque famille religieuse. Nous pouvons tout de même tenter d’indiquer à grands traits en quels termes les nouvelles constitutions expriment ce qui est finalement le but visé par l’institut.
– Nous trouvons, en premier lieu, des affirmations très générales qui sont celles de toujours et qui expriment les choses de manière simple et compréhensible. Elles sont venues de manière toute naturelle dans le texte. Les religieuses de l’institut, dit-on, consacrent toutes leurs forces au service du Royaume, sont appelées à travailler par toute leur vie à étendre le règne du Christ, à participer à sa mission, à la croissance de son corps mystique ; elles participent à la mission universelle de l’Église, à sa mission d’enseignement ; elles collaborent à l’œuvre de Dieu et de l’Église : le salut de l’homme réalisé en Jésus-Christ. De telles affirmations, toutes extraites d’une ou plusieurs nouvelles constitutions, se rencontrent couramment dans les textes et souvent à plusieurs reprises. Elles font tellement corps avec le discours chrétien, sont une expression tellement normale de notre foi, que ne pas les rencontrer dans les nouvelles constitutions est plutôt mauvais signe.
– Une fois sur quatre environ, les nouvelles constitutions utilisent le mot évangélisation pour définir le terme ultime du service de l’homme dans l’institut. En ce domaine, l’exhortation apostolique de Paul VI sur l’évangélisation dans le monde moderne, Evangelii nuntiandi, du 8 décembre 1975, a eu une influence déterminante ; des passages en sont souvent cités dans les nouvelles constitutions ou indiqués dans les références placées en marge. Il est courant de rencontrer des affirmations telles que celles-ci : « Nous participons à l’œuvre d’évangélisation » ; « participer à la mission d’évangélisation de l’Église » ; « travailler à l’évangélisation du monde » ; « collaborer à l’évangélisation des communautés humaines dans lesquelles nous sommes envoyées » ; « notre action doit rester primordialement une œuvre d’évangélisation » ; « nos tâches et nos situations, dans leur diversité, sont toutes ordonnées à l’évangélisation ».
– Dire l’amour de Dieu, en être témoins, le révéler : au moins une fois sur deux, on rencontre cela dans les nouvelles constitutions à propos de ce qui donne sens à notre service de l’homme.
- Il y a d’abord les textes qui tournent autour du thème : dire l’amour de Dieu. Les mots utilisés peuvent varier, mais l’idée demeure la même : « La bonne nouvelle que nous avons reçue doit être communiquée » ; « Dieu nous habite... C’est une nouvelle merveilleuse qui éclaire et transforme nos vies et nous voulons la communiquer à tous nos frères » ; « Nous voulons dire à d’autres cet amour infini du Père qui donne un sens nouveau à l’existence » ; « Dire cet amour avec audace et assurance, à ceux qui ne le connaissent pas, est une exigence fondamentale de notre institut » ; « Rappeler aux hommes que Dieu les aime » ; « Consacrées à reconnaître l’amour du Cœur de Jésus et à le rappeler sans cesse aux hommes » ; « Présentes au cœur du monde, avec le désir d’y annoncer l’amour de Dieu pour tous les hommes ».
- Il y a ensuite les textes, très nombreux, qui utilisent les mots : témoins ou témoigner. Comme il s’agit de mots couramment utilisés dans le vocabulaire chrétien moderne, les rencontrer dans les nouvelles constitutions à propos de la mission n’est guère surprenant. On ne compte donc pas celles qui parlent de l’obligation d’être témoins de l’amour de Dieu, de la bonté du Père ; qui parlent de la nécessité de témoigner de la présence vivante et agissante du Christ. Ces expressions ou d’autres équivalentes sont courantes quand on parle de la mission de l’institut.
- Il y a enfin, toujours dans la même ligne, les textes qui manient les termes : rendre visible, manifester, être signe de, révéler. En voici quelques-uns choisis parmi une bonne quinzaine d’assez voisins : « Là où nous sommes envoyées, nous cherchons à rendre visible l’amour de Dieu qui en Jésus-Christ a visité son peuple » ; « Nous sommes envoyées dans un service apostolique pour y être signe et parole d’espérance pour le monde » ; « Révèle au monde la bonté du Père manifestée en son Fils, Dieu a besoin de nos visages pour se faire connaître ».
- Le texte que voici, plus étoffé que les trop brèves citations que nous venons de faire, rend assez bien compte de ce que veulent exprimer les nouvelles constitutions quand elles parlent de dire l’amour de Dieu, d’en être témoin et de le révéler : « Notre mission s’exprime aujourd’hui dans notre projet commun d’évangélisation : par notre adhésion totale à Jésus-Christ, révéler qu’il est vivant ; par la cordialité et la simplicité de notre accueil, témoigner qu’il est proche ; par notre disponibilité envers tous, annoncer que son amour est universel ».
– Quand les nouvelles constitutions décrivent la mission de l’institut, son service de l’homme, elles font tout naturellement appel à certains aspects du mystère chrétien de préférence à d’autres. Les aspects davantage évoqués, plus souvent développés, me semblent être les suivants : l’incarnation du Verbe fait chair ; le dessein de Dieu sur le monde ; l’homme blessé par le péché ; être fils de Dieu ; la tendresse du Père. La manière dont le mystère de l’incarnation est présenté dans les nouvelles constitutions demanderait à elle seule tout un développement ; nous la laisserons donc de côté, d’autant plus qu’elle concerne tous les aspects de la vie religieuse et non point la seule mission apostolique de l’institut. Nous nous contenterons des autres aspects cités, en illustrant cela par l’un ou l’autre texte :
– Le dessein de Dieu. Il est bien normal que les nouvelles constitutions en parlent. Certaines le font de manière générale. D’autres, et cela est plus intéressant à relever, soulignent seulement la dimension du dessein de Dieu qui correspond le mieux au type de service apostolique de l’institut, ce qui est d’ailleurs légitime et compréhensible. Voici, à titre d’exemple, deux textes : le premier émane d’un institut dans le genre très engagé, le second d’un institut de type plus classique :
Nous nous efforçons... de faire évoluer nos sociétés selon le dessein de Dieu pour le monde, vers plus de justice, de vérité, de fraternité et de paix.
Le charisme... nous fait contempler et servir un aspect particulier du mystérieux dessein d’amour du Père en faveur des hommes : la valeur de la vie, de l’amour humain, de la sexualité, du mariage et de la famille.
– Le mot péché se rencontre rarement dans les chapitres des nouvelles constitutions consacrés à la mission. Si c’est le cas, il ne s’agit pratiquement jamais du péché en tant qu’offense à Dieu, mais plutôt des conséquences du péché dans l’homme ; ceci est bien un trait de la sensibilité contemporaine. Comme le dit une Règle de vie :
Nous sommes de plus en plus conscientes des souffrances de nos frères, de celles de peuples entiers brimés dans leurs droits ; de formes d’organisation politique et économique déshumanisantes... Au regard de notre foi, cette offense à la dignité humaine est péché.
Une autre Règle, à l’horizon plus théologique, parle de « réparer, de restaurer en l’homme blessé par le péché l’image de Dieu qu’il porte en lui ».
– Œuvrer pour que l’homme « grandisse jusqu’à sa pleine dimension de fils de Dieu », « pour qu’il accède progressivement à la vie de fils de Dieu », pour que tous les êtres humains « puissent découvrir leur dignité de fils de Dieu » : tel est le but ultime du service de l’homme, selon les nouvelles constitutions de plusieurs instituts.
– La tendresse est une attitude de Dieu à laquelle les instituts ont été particulièrement sensibles lorsqu’ils ont rédigé leurs nouvelles constitutions. Manifester, révéler, rendre visible, dire la tendresse de Dieu, et spécialement du Père, est un projet rencontré dans les textes d’un institut sur cinq. Quelquefois la tendresse n’apparaîtra pas seule ; elle est associée à d’autres attributs de Dieu : la miséricorde, l’amour, la compassion.
– Refaire les gestes de Jésus. Dans un bon nombre d’instituts au service des malades et des pauvres, la mission est mise en relation, de manière très appuyée, avec la personne même du Christ de l’Évangile. Ce sont les gestes du Christ qui donnent alors leur véritable sens au service de l’homme assuré par l’institut. Il y a là une authentique intuition spirituelle exprimée, par exemple, dans les textes suivants :
En disciples de Jésus, nous désirons continuer son œuvre de guérison.
Nous avons toujours pour mission de rendre visible l’amour de Dieu en réinventant dans notre monde les gestes de Jésus-Christ Sauveur qui parcourait les villes et les bourgades en faisant du bien à tout le monde.
Tu es invitée à entrer dans le ministère de compassion de Jésus Sauveur.
La congrégation porte en elle la responsabilité de traduire de manière permanente un trait du visage du Seigneur, celui où il nous apparaît guérissant toute langueur et toute infirmité.
Quelques nouvelles constitutions ont une manière assez concrète d’exprimer le lien entre la mission de l’institut et les gestes de Jésus : elles rapportent sobrement une scène d’Évangile ou une parabole comme une manière de rendre présentes aujourd’hui cette scène ou cette parabole. Par exemple ces deux textes :
Comme le Bon Samaritain de la parabole s’approche du voyageur blessé et le soigne, ainsi fait Jésus pour l’humanité : il en a compassion, il s’approche d’elle, bande ses plaies... il nous dit : va et fais de même.
Sous des formes multiples, nous mettons en pratique le commandement du Seigneur lavant les pieds de ses disciples, les aimant jusqu’à la fin. Jésus-Christ sert à travers nous les pauvres.
Annoncer la parole de façon explicite : oui ou non ?
La religieuse de vie apostolique annonce le Christ en premier lieu par le témoignage de sa vie, personnelle et communautaire. De cela, tous les instituts sont profondément convaincus, et ils le proclament haut et fort dans leurs nouvelles constitutions. La chose va tellement de soi qu’il semble inutile de nous y attarder. Citer des textes pour démontrer une conviction aussi générale et aussi bien ancrée, pour illustrer un principe aussi universellement admis, ne serait d’aucun profit.
Un institut sur deux, avons-nous vu plus haut, affirme vouloir dire l’amour de Dieu, en être témoin, le manifester, le révéler. Un sur quatre déclare participer, à sa manière, à l’évangélisation du monde. Oui, mais comment ?
Nous venons de constater que pour un bon nombre d’instituts au service des malades et des pauvres, la mission consiste à refaire les gestes de Jésus. Prenant les choses par un autre bout, nous posons maintenant la question : quelle part les instituts accordent-ils dans leurs nouvelles constitutions à l’annonce explicite de Jésus-Christ par la parole ?
L’annonce explicite ne remplace pas l’annonce implicite par le témoignage de vie, obligatoire en toute occasion et pour tout institut ; cela reste bien entendu. Annoncer explicitement la Bonne Nouvelle ne dispense pas du témoignage, mais c’est d’un autre ordre. En bref, tous les instituts sans exception veulent témoigner de Jésus-Christ par leur vie, celle de leurs membres et celle de leurs communautés. Mais parmi eux, il y a ceux qui veulent en plus oser une parole sur Dieu, et il y a ceux qui ne le veulent pas. Cette diversité est légitime, mais elle n’est pas neutre et purement contingente ; elle est un aspect capital de la mission. C’est pourquoi, nous l’avons constaté, la plupart des instituts ont abordé dans leurs nouvelles constitutions cette question de l’annonce explicite de Jésus-Christ par la parole. En ce domaine, les nouvelles constitutions ont adopté des attitudes diverses, conformes au charisme de l’institut, qui peuvent, en simplifiant un peu, se ramener à trois :
Première attitude par rapport à l’annonce explicite
Le souci prioritaire est celui de l’annonce explicite de Jésus-Christ à tout prix, de l’éveil à la foi chrétienne, de l’éducation de la foi. Ceci ne demande pas que toutes les Sœurs de l’institut parlent de l’Évangile toute la journée (celles des services communautaires ne le peuvent pas). Mais ceci demande que le projet apostolique de toutes les communautés en activité donne la priorité à cette annonce explicite de Jésus-Christ, sous une forme ou sous une autre : catéchèse, accompagnement spirituel des personnes et des groupes, prise en charge directement pastorale des communautés chrétiennes, éducation chrétienne organisée de telle façon que la proposition de la foi soit réellement faite à tous les jeunes, etc.
Sur les 77 nouvelles constitutions analysées de plus près, nous en avons trouvé dix (soit treize pour cent) correspondant nettement à ce souci pressant d’annoncer le Royaume au moyen d’une parole proférée. Trois sont celles d’instituts plutôt polyvalents du point de vue des activités apostoliques ; trois sont celles d’instituts orientés très prioritairement vers l’éveil de la foi, la catéchèse, les Exercices spirituels, l’accompagnement des personnes, l’animation spirituelle des groupes ; quatre enfin sont celles d’instituts voués à l’éducation chrétienne des jeunes, principalement au moyen de l’école catholique.
Tout ceci suppose évidemment des choix clairs. Comme l’écrit un de ces dix instituts : « Nous n’acceptons pas d’apostolat qui ne nous permette pas l’annonce explicite de Jésus-Christ ».
Deuxième attitude par rapport à l’annonce explicite
Elle est l’inverse de la précédente. Bâtir un monde plus juste, apporter la santé aux malades, aider les pauvres, est fait à cause de Jésus-Christ. Mais on estimera que la mission de l’institut est accomplie jusqu’au bout même si, dans aucune de ses communautés, aucune parole explicite n’a été dite sur Jésus-Christ.
Sur les 77 nouvelles constitutions examinées, nous en avons trouvé sept (soit neuf pour cent) d’où l’annonce explicite est totalement absente. La possibilité de dire un jour une parole sur Jésus-Christ n’y est même pas évoquée.
Sept instituts sur 77, c’est finalement peu. Trois sont des congrégations dans le monde de la santé ; trois des instituts sont traditionnellement polyvalents ; le dernier est une congrégation exclusivement enseignante avant le Concile et qui s’est entièrement orientée depuis dans la lutte pour la justice. Sur ces sept instituts, il n’y en a aucun qui soit à l’heure actuelle une congrégation au service de l’éducation des jeunes. Dans les nouvelles constitutions des trois instituts polyvalents cités, c’est l’urgence absolue de la « transformation du monde », de la « promotion intégrale de l’homme », de sa libération, qui occupe tout le champ de la conscience, au point que le souci, même lointain, d’une annonce explicite du Royaume ne fait plus partie de la mission.
Troisième attitude par rapport à l’annonce explicite
Elle combine la première et la deuxième : on soigne les malades, on éduque les jeunes, on est au service du pauvre, mais, si le contexte ne l’interdit pas, on prolonge tout cela par une parole, discrète et respectueuse mais explicite, sur Jésus-Christ. Aller jusqu’à prononcer une telle parole, fût-ce très occasionnellement, fait partie de la mission de l’institut. Ceci ne veut d’ailleurs nullement dire que toutes les Sœurs sans exception iront jusqu’à oser une parole sur Jésus-Christ : certaines, en dépit de leur bonne volonté, ne le pourront pas. Mais parler du Royaume est une préoccupation habitant le cœur de chacune, en raison même du charisme de l’institut.
Sur les 77 nouvelles constitutions nous ayant davantage servi pour cet article, 60 relèvent plutôt de cette troisième attitude. Ceci est très net chez 32 d’entre elles : 16 reprennent à leur compte l’expression annonce explicite, qui leur a sans doute été inspirée par l’exhortation de Paul VI, Evangelii nuntiandi (22) ; seize autres utilisent des formules très voisines mais non moins claires, telles que : « annoncer le Christ par la parole », « éveiller à la foi », « éveiller à la question de Dieu », etc. Dans les 28 autres nouvelles constitutions, le souci de l’annonce explicite est présent, bien qu’exprimé de manière indirecte ou plus voilée : les textes, mais aussi les travaux capitulaires à l’origine de ceux-ci, nous autorisent à l’affirmer.
Illustrons cette troisième attitude, la plus fréquente, par quelques passages significatifs de ces 60 nouvelles constitutions :
Quelle que soit notre activité, nous gardons le souci, toutes les fois où nous le pouvons, de faire connaître Jésus-Christ par la parole et de témoigner de notre foi dans le mystère eucharistique.
Présence, proximité, insertion, nous conduisent... à rendre compte de notre foi, en risquant une parole dans les événements, dans les situations, en allant jusqu’à l’annonce explicite de Jésus-Christ.
Nous avons le souci de prolonger le plus possible notre service, quelle qu’en soit la forme, par une annonce explicite de la Bonne Nouvelle : nous essayons de témoigner de Jésus-Christ non seulement par notre vie, mais par notre parole, chaque fois que cela est possible, et toujours dans le respect et la discrétion.
Pour nous, comme pour le Père Fondateur, la présence au monde reste axée vers une annonce explicite de Jésus-Christ, même si dans bien des cas cette annonce ne peut pas se réaliser immédiatement. Parfois elle ne pourra arriver qu’au bout d’un long chemin d’évangélisation fait de témoignage silencieux, de respect des personnes, d’écoute et de partage. Parfois elle n’arrivera pas, mais nous garderons foi en l’œuvre de salut.
Sur les 60 instituts ayant adopté cette troisième attitude, 43 sont des instituts polyvalents, 10 des congrégations exclusivement dans le monde de la santé, 6 sont uniquement pour l’éducation des jeunes, un institut enfin est prioritairement en monde ouvrier.
Si nous faisons maintenant le total des trois attitudes, on a les résultats suivants : parmi nos 13 instituts exclusivement dans le monde de la santé, 3 ont pris la deuxième attitude, et 10 la troisième ; aucun la première, ce qui est bien normal. Parmi nos 10 instituts uniquement au service de l’éducation des jeunes, 4 ont adopté la première attitude et 6 la troisième ; aucun n’a pris la deuxième. Parmi nos 49 congrégations polyvalentes, 3 ont adopté la première attitude, 3 la deuxième, et 43 la troisième.
20 rue Sala
F-69002 LYON, France
[1] Afin de nous limiter et d’aller à l’essentiel, nous n’avons pas pris en compte dans cette enquête les affirmations des « Livres complémentaires », « Directoires », « Actes et décrets capitulaires », etc., de ces instituts.
[2] 62 instituts ont leur maison généralice en France, 8 à Rome, 3 en Suisse, 2 en Belgique, 1 au Canada, 1 au Liban. Leurs effectifs actuels vont de 50 à 5.000 membres.
[3] Nous employons ce mot un peu désuet pour faire bref. Parmi ces 49 instituts, une vingtaine ont, selon leurs nouvelles constitutions, deux pôles d’activité prédominants : le monde de la santé et les jeunes. Une trentaine ont un éventail plus large et se disent prêts à assumer, selon les circonstances et les appels, toutes sortes de services et de formes de présence.