Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

L’institut séculier, une communauté ?

Germana Sommaruga

N°1985-6 Novembre 1985

| P. 340-346 |

Parler de communauté à propos d’un institut séculier, dont les membres vivent en « diaspora » par vocation, semble paradoxal. En des termes très simples, l’auteur met en lumière ce qui constitue profondément la communauté et ce que celle-ci requiert de chacun. Ses réflexions sont éclairantes aussi pour celles et ceux qui vivent en communauté.

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L’Église, communauté-signe pour le monde

Vatican II a rappelé à tous, qu’ils soient chrétiens ou non, la place que le Concile souhaite voir occupée par l’Église dans le monde d’aujourd’hui :

(Le Concile) n’hésite pas à... s’adresser à tous les hommes. A tous, il veut exposer comment il envisage la présence et l’action de l’Église dans le monde d’aujourd’hui... En proclamant la très noble vocation de l’homme et en affirmant qu’un germe divin est déposé en lui, ce Concile offre au genre humain la collaboration sincère de l’Église pour l’instauration d’une fraternité universelle (GS 1, § 1 et 3, § 2).

Tous les chrétiens sont donc invités à ce service en faveur de la communauté humaine : tous et chacun sont appelés à reconnaître ce qui, dans cette communauté, est bon, juste et digne ; à y promouvoir l’unité, la communion et la fraternité universelle ; ils sont aussi appelés à prendre meilleure conscience du rôle de l’Église, qui doit apparaître comme un signe de l’union avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain (cf. LG 1 ; GS 52). Ceci ne peut se réaliser que dans la charité, une charité, saint Jean nous le rappelle, qui ne se contente pas de mots, mais se traduit dans les actes, dans tout le comportement (cf. 1 Jn 3,11-18).

Les instituts séculiers

Dans Primo feliciter, Pie XII a précisé aux instituts séculiers ce qu’ils doivent être au sein du monde. Il est bon de se le rappeler :

Qu’ils soient... :

  • le sel qui ne fait pas défaut et qui, renouvelé par l’effet de la vocation, ne s’affadit pas ;
  • la lumière qui brille parmi les ténèbres du monde lui-même et qui ne s’éteint pas ;
  • le modeste mais efficace ferment qui, agissant partout et toujours et mêlé à toutes les classes de citoyens..., s’efforce de les atteindre et de les imprégner chacune, par l’exemple et de toutes façons, jusqu’à informer de telle sorte la masse entière qu’elle soit levée et transformée dans le Christ.

Sel, lumière, ferment dans le monde et pour le monde : voilà l’institut séculier. Mais n’est-ce pas une vocation d’isolés ? Peut-on vraiment affirmer que ses membres constituent une famille, une communauté, une communion au sein de la grande communauté qu’est l’Église et, plus largement encore, de la communauté humaine ?

Sans différer en rien des autres laïques

Les Papes nous ont rappelé que, dans notre vocation, chacun doit rester dans son milieu, se mêler à ses collègues, partager leur genre de vie. Nous sommes séculiers et nous devons le rester, sinon nous n’aurions plus de raison valable de nous appeler instituts « séculiers ». C’est pourquoi le problème des œuvres est, pour nous, une question cruciale En effet, avoir ses propres œuvres, si belles et si importantes soient-elles, entraîne comme conséquence presque inévitable qu’il faudra, en cas de nécessité, retirer de leur travail, de leur profession et de leur milieu les membres de l’institut requis pour le maintien de l’œuvre.

D’où vient alors la communauté ?

Ce n’est pas la vie commune, ni la mise en commun qui créent la vraie communion telle qu’elle doit exister dans un institut séculier. C’est la consécration, qui unit les membres à la vie, à la mort et au-delà de celle-ci, car le lien qu’elle noue est fondé sur l’amour, et celui-ci est une personne : Jésus-Christ.

Parce que l’on forme une famille, peu importe que l’on soit jeune ou âgée, cultivée ou non, de milieux sociaux divers ; on peut avoir des charges différentes, avec les droits et les devoirs que cela entraîne ; l’essentiel est que chacune a été appelée à aimer les autres, à les servir et réciproquement.

Et ce lien réciproque est toujours total, car il naît du fait que chacune d’entre nous s’est entièrement donnée au Christ dans l’institut. Pour nous, comme pour les compagnes qui sont devenues nos sœurs, la consécration a été une réponse totale à l’appel du Christ : nous n’avons pas été invitées à vivre l’Évangile à moitié, mais totalement.

De même, notre rapport à l’institut est total lui aussi : il est ma famille à jamais et le don perpétuel que j’ai fait ne me permet de rien retenir pour moi par égoïsme, intérêt ou paresse.

Ce n’est pas peu de chose dans un monde où chacun vit pour soi, dans un individualisme farouche : même entre voisins, on ne se connaît pas ! Dans un institut séculier au contraire, on se connaît, même si des dizaines ou des centaines de kilomètres nous séparent, même si nous appartenons à des races et des origines diverses et si nous parlons des langues différentes.

Quelques conséquences

Envers chacune des autres

De ces liens si étroits qui nous unissent découlent logiquement les devoirs de chacune envers les autres membres de l’institut (avec, naturellement, les droits correspondants) :

  • devoir de cohérence avec nos engagements ;
  • devoir de grandir dans la fidélité à ceux-ci ;
  • devoir d’aider les autres, de partager, d’éclairer autrui et d’en recevoir les éclaircissements qui peuvent nous en venir ;
  • devoir de n’ignorer ni négliger personne ;
  • devoir de collaborer avec chacune, en particulier avec les responsables ;
  • devoir d’être attentive aux jeunes et à la croissance de l’institut, d’offrir le don de la vocation à qui ne nous connaît pas encore (car Dieu aime se servir de nous pour faire entendre son appel) ;
  • devoir aussi d’être attentive aux âgées ainsi qu’à celles qui portent le poids du gouvernement de l’institut.

En un mot : attentive à toutes et à chacune !

Envers la communauté dans son ensemble

Même si un arbre grandit quand croissent ses branches, nous avons à nous intéresser à la communauté. Il nous faut intervenir, collaborer, partager, suggérer, écouter, soutenir, chercher ensemble.

C’est communautairement que nous devons grandir, chercher à mieux saisir « l’idée » qui est à l’origine de l’institut et constitue son charisme. C’est ensemble que nous devons voir comment réaliser l’esprit de l’institut, vivre son idéal, approfondir chaque mot de ses constitutions.

C’est ensemble que nous devons voir comment donner sa valeur à toute aide, d’où qu’elle nous vienne et quelle que soit sa forme (une suggestion, un exemple, une circulaire, etc.) et découvrir comment nous en servir pour nous-mêmes, pour nos collaborateurs, pour toute personne. Il faut qu’aucune miette ne se perde, car nous voulons, toutes ensemble, faire rayonner notre spiritualité d’espérance et de charité.

Hier, aujourd’hui, demain

Il y a l’institut d’hier, avec les richesses spirituelles qu’il nous a léguées ; il y a l’institut d’aujourd’hui, avec les réalisations que nous nous efforçons de mener à bien ; mais il y a aussi l’institut de demain, avec les chemins qui s’ouvrent devant lui. Nous ne pouvons pas nous braquer sur le moment présent, même en nous efforçant de le vivre de notre mieux.

Car le monde évolue rapidement, les hommes changent, la nouveauté les attire. Toutes ensemble, nous devons être à l’écoute de cette vie, de ces problèmes qui évoluent, des psychologies qui se transforment, de la technologie et de tous les changements qu’elle entraîne. Nous ne pouvons pas dire : « Cela ne concerne pas l’institut ! » Car tout ce qui touche le monde et les hommes nous intéresse : laïques consacrées dans le monde, avec les hommes et pour eux, nous partageons leurs problèmes, leurs soucis et leurs joies, les idéaux qui les font vivre, tout ce qui constitue leur vie. Ceci requiert de nous une attention continuelle, une incessante écoute dans l’amour. La communauté fournit une aide puissante pour que ce rude labeur ne tourne pas à l’individualisme, mais que l’intérêt constant de chacune s’épanouisse dans un amour fraternel.

Aussi nos rencontres au sein de l’institut ne visent-elles pas seulement notre progrès personnel dans la vie consacrée, selon l’Évangile et nos constitutions ; elles se doivent de tenir compte aussi de ce qui se vit actuellement dans le monde qui nous entoure, susciter notre intérêt et promouvoir notre humble dévouement : nous sommes au service de ce monde dans toutes ses nécessités.

Comment faire ?

Les moments de vie communautaire

Les moments de vie communautaire, avec leur ouverture réciproque, sont indispensables. Mais sont-ils toujours possibles avec la fréquence que nous souhaiterions ? Assurément, non. Mais nous devons apprendre à ne pas nous résigner passivement à ce qui paraît impossible, il nous faut chercher à nous organiser. Regardons les laïcs : ils réalisent tant de choses et en trouvent le temps, alors qu’ils ont cependant les mêmes soucis que nous et parfois en plus ceux d’une nombreuse famille !

L’amour fraternel, le sens communautaire, le désir de chercher ensemble comment mieux poursuivre notre cheminement..., tout cela nous aidera à prendre part à nos réunions, nos retraites mensuelles, trimestrielles, annuelles surtout. Nous y percevrons mieux aussi que l’institut doit être une vraie communauté et que chacune doit s’ingénier à communiquer avec celles qui n’ont pas pu venir, afin que personne ne soit privé de la « richesse » de ces rencontres.

Et lorsque de grandes réunions ne sont pas possibles, il faut en inventer de petites et aller toujours d’abord à l’essentiel, par exemple assurer ensemble des moments de partage eucharistique, même si nous ne pouvons être que trois, que deux...

Nous devons apprendre à nous sentir unies même lorsque des milliers de kilomètres nous séparent, à écouter la parole des responsables, toute simple qu’elle soit, leurs lettres, leurs circulaires...

Le sens communautaire nous amènera aussi à aller à la rencontre l’une de l’autre même quand une réunion ne nous est pas possible, parce que notre vie en diaspora ne le permet pas.

Y mettre le prix

Cela pourra nous coûter, certes, mais ce sera aussi source de joie fraternelle. Et celle-ci nous rendra inventives :

  • pour accepter les jeunes, parfois si différentes de nous ;
  • pour accompagner les âgées et les aider à rester « vivantes » jusqu’au bout ;
  • pour garder le souvenir de celles qui nous ont précédées au ciel ;
  • pour aider nos responsables : elles aussi ont droit à notre amour fraternel ;
  • pour collaborer, autant que possible, à l’activité apostolique des autres, sans jamais imposer notre manière de voir ;
  • pour accueillir la « pluralité » qui existe dans un institut répandu dans presque tous les continents : différences ethniques, sociales, culturelles, spirituelles...

Nous ne trouverons jamais étrange qu’ici l’on vive d’une manière, qu’ailleurs les problèmes soient résolus autrement, que l’interprétation de certains passages des constitutions ou même de l’Évangile puisse comporter des nuances. Dans une communauté familiale, les caractéristiques diverses ne divisent pas les membres, bien au contraire, chacun s’efforce de percevoir les richesses des autres et de s’enrichir à leur contact, au gré des circonstances, des possibilités, des capacités. Mais surtout, chacun s’efforce d’offrir tout ce qu’il est.

Nous connaître pour mieux nous entraider

Pour cela, il faut nous connaître les unes les autres. Même si nous devenions des pigeons voyageurs, il ne serait pas toujours possible de rencontrer les autres (mais, la plupart du temps, l’argent utilisé dans ce but n’est pas de l’argent mal dépensé). Il faut alors nous connaître aussi par des lectures qui nous fassent comprendre la culture et l’histoire des autres peuples, l’enseignement de leurs évêques, etc. Ne disons pas trop vite que nous n’en avons pas le temps. Le temps (et le courage) qui nous manque, n’est-ce pas celui de faire des lectures sérieuses de ce genre, alors que nous en trouvons si facilement pour des lectures superficielles qui nous distraient sans nous enrichir ? Belle occasion de nous montrer généreuses !

C’est encore l’amour qui nous pousse à offrir notre amitié à nos responsables : elles aussi peuvent en avoir besoin, car les responsabilités sont lourdes, la faiblesse et la fragilité humaines ne sont pas supprimées par le fait de devenir responsable. C’est l’amour qui nous incite à nous rendre disponible, sans prétexter : « je ne suis pas capable ». Il y a tant de petits services à rendre à la communauté, ne serait-ce qu’éviter, par exemple, d’alourdir la charge de nos responsables. Ici encore, c’est le sens communautaire qui doit nous rendre disponibles, actives, créatives.

Créativité

Je viens de parler de créativité. Pour des laïques consacrées, c’est peut-être la valeur la plus importante, celle qui nous apprendra le mieux comment vivre la foi, l’espérance et la charité ainsi que les autres valeurs que les constitutions nous présentent. La créativité nous apprendra comment être toujours attentives aux autres, à notre milieu, à tous les hommes, mais aussi à nos responsables, à notre communauté. A côté des journées de prière ou de retraite, nous « créerons » des journées d’étude, d’approfondissement, de mise au point. Chacune y apportera ce qu’elle sait et ce qu’elle est, son expérience, sa recherche, ses études personnelles.

En guise de conclusion

N’oublions pas que l’Église, en nous reconnaissant comme institut séculier, a voulu que nous soyons une « communauté-famille » de consacrées ; elle nous a confié, dans notre milieu et dans le monde, une spiritualité : le Christ espérance pour tous. Nous avons reçu une « mission », ne l’oublions pas. Que la joie d’appartenir à une communauté ecclésiale devienne un don réciproque, afin que croisse l’amour fraternel et que nos rapports s’épanouissent en communion. Car, dans un monde qui l’ignore, rien n’est plus doux ni plus fort que cette communion dont le Christ, notre espérance, est le cœur.

Via Paolo Rotta 10
1-20162 MILANO, Italie

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