La « crise des vocations » féminines en Belgique
Évolution des perspectives (de 1945 à nos jours)
Paul Wynants
N°1985-2 • Mars 1985
| P. 111-131 |
Ce texte reproduit une communication donnée au Deuxième Congrès de l’Association des Cercles francophones d’Histoire et d’Archéologie de Belgique, en août 1984. Il offre une synthèse des travaux relatifs à la crise des vocations religieuses féminines pendant les quatre dernières décennies. C’est ainsi que l’auteur nous présente successivement le point de vue des ecclésiastiques, puis des sociologues, enfin des historiens. À lire ces pages, on perçoit mieux la nature de la crise : elle s’inscrit, semble-t-il, parmi les mouvements structurels de longue durée. L’ampleur et la gravité du défi dépassent largement ce qu’entrevoyaient les premiers diagnostics. Loin de porter au découragement, ces constatations sont une invitation à l’audace créatrice, dans la docilité à l’Esprit Saint, qui conduit et renouvelle l’Église et la vie consacrée.
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Jusqu’aux alentours de 1975, la « crise des vocations » féminines est un fait indéniable [1]. Ses conséquences sont bien connues : diminution des entrées dans les noviciats, vieillissement du personnel, baisse des effectifs, cession d’œuvres à des laïques, parfois aussi fusion de communautés proches du seuil critique. Religieux, responsables ecclésiastiques, sociologues et historiens se sont interrogés sur les causes du phénomène. Avec le temps, leur diagnostic a fortement évolué. Déroutants au premier abord, ces changements de cap témoignent sans doute d’une meilleure connaissance du dossier. Ils reflètent surtout un net élargissement des perspectives.
Telle est la dimension que nous tenterons de mettre en lumière dans la présente contribution [2]. De 1945 à nos jours, plusieurs recherches ont évoqué la « crise des vocations » en Belgique. Leurs résultats seront examinés. La démarche s’ouvrira à la problématique française, lorsque celle-ci peut marquer les travaux réalisés dans notre pays. En simplifiant à l’extrême, nous distinguerons trois stades, correspondant chacun à une méthode d’analyse : « l’impressionnisme moral », la sociologie religieuse et les premiers jalons historiques.
À première vue, la limitation de l’enquête aux seuls instituts féminins pourrait surprendre : bon nombre de flux contemporains affectent, en effet, les vocations sacerdotales et religieuses dans leur ensemble. On ne peut, toutefois, nier les spécificités. L’évolution chronologique n’est pas absolument identique pour les deux sexes [3]. Liés à la condition féminine, certains aspects sont propres aux religieuses ou plus accentués chez elles. Comme ces dernières n’ont pas accès à la prêtrise, la perception du problème est quelquefois différente. Enfin, pour des raisons qui demeurent obscures, l’historiographie belge a privilégié les congrégations de femmes par rapport aux instituts masculins. Pour empiriques qu’ils soient, ces motifs correspondent à une réalité.
« L’impressionnisme moral » (1945-1955)
La diminution du personnel congréganiste alarme l’Église au lendemain de la seconde guerre mondiale [4]. C’est alors que les premières enquêtes sont organisées. Elles prennent la forme de questionnaires ouverts, adressés à un public-cible directement concerné par la dégradation de la situation : congrégations religieuses, prêtres, militants chrétiens, parfois aussi élèves des classes terminales du secondaire. Aussitôt recueillis, ces avis font l’objet de classements, de dénombrements et de commentaires. Ils alimentent les premières réflexions d’ensemble sur la « crise des vocations » féminines.
Parfois publiés sous une forme synthétique [5], ces documents donnent une idée assez précise de la manière dont l’Église – du moins ses sphères « éclairées » – perçoit les données du problème. À l’époque, cinq causes sont mises en avant. En reprenant la terminologie de l’immédiat après-guerre, on peut les résumer comme suit :
Déchristianisation de la famille
Accaparés par les soucis matériels, les parents ne donnent pas toujours l’exemple d’une vie chrétienne féconde. La limitation volontaire des naissances accentue la propension des foyers à l’égoïsme. L’éducation s’affadit : elle plonge les enfants dans un climat de facilité et de recherche du confort. La crise de l’autorité parentale renforce les effets du laxisme ambiant.
Déchristianisation du milieu de vie
La jeunesse féminine est profondément marquée par le « néo-paganisme » contemporain. Porté au matérialisme, l’esprit du temps dévalorise l’abnégation et l’ascèse. Il favorise l’émergence de comportements peu compatibles avec les exigences de la vie consacrée : besoin tyrannique de divertissements, précocité des flirts, laisser-aller de la tenue, etc.
Mentalité des jeunes filles
Le sens de la gratuité et du don de soi, implicitement présentés comme des qualités féminines, est en net recul. L’esprit d’indépendance, la soif de liberté et la recherche de l’autonomie personnelle sont en progression constante. Défavorables à une perception positive de certaines formes de vie conventuelle, ces traits sont accentués par l’extension du travail professionnel féminin.
Concurrence de l’Action catholique
En entretenant le goût de l’apostolat, celle-ci peut favoriser l’engagement religieux. Elle remplace cependant d’anciennes œuvres pieuses, jadis fécondes en vocations. L’activisme des dirigeants les détourne souvent de la prière. Enfin, l’Action catholique contribue à la restauration théologique du laïcat et à l’exaltation du sacrement de mariage. Ces deux mouvements incitent de nombreuses jeunes filles à rechercher la sanctification en dehors de toute perspective congréganiste.
Quelques aspects rébarbatifs de la vie conventuelle
La complexité de l’habit, la rigidité des règles en matière de relations familiales, les lacunes de la formation dispensée à certaines religieuses, la vie trop « bourgeoise » de quelques autres, la persistance de comportements intéressés ou peu charitables sont rangés sous ce vocable. Les supérieures pourraient y remédier en se montrant plus strictes pour l’essentiel, plus souples pour l’accessoire.
« L’impressionnisme moral » a le mérite de poser ouvertement le problème de la « crise des vocations » féminines. Toutefois, l’historien actuel en perçoit aisément les limites. La question est envisagée sur le court terme, comme s’il s’agissait d’un phénomène récent ou passager. Ceci n’est nullement démontré. L’analyse repose exclusivement sur les impressions des personnes interrogées. Ces dernières mêlent faits et éléments d’interprétation, constats relativement objectifs et jugements de valeur très marqués. À tort ou à raison, les facteurs spirituels, idéologiques et surtout moraux sont privilégiés. En revanche, les dimensions sociales, économiques et culturelles sont réduites à la portion congrue. Or leur poids n’est pas négligeable dans le monde contemporain.
L’orientation des jugements de valeur est, de surcroît, assez unilatérale. La baisse des vocations féminines est attribuée essentiellement à la « décadence de l’Occident », déstructuré sous les coups de boutoir de la vie moderne. L’image donnée de cette dernière est fort négative et plutôt passéiste. Enfin les congrégations – présentées comme les victimes d’un processus qui leur échappe largement – sont invitées à maintenir le cap en se montrant plus vigilantes. Elles ne doivent repenser ni les finalités, ni les formes de leur apostolat. Dotées d’un visage plus avenant, elles laisseront passer l’orage en faisant le gros dos. Rien ne prouve que ce bel optimisme soit vraiment fondé.
Il serait trop simple d’incriminer la myopie des autres. Les insuffisances relevées tiennent davantage, en fait, à la position qu’ils occupent et à la fonction dévolue à leurs propos. Fort liés aux congrégations féminines, ils rapportent les vues que celles-ci exposent sur elles-mêmes. Cadres d’une Église traumatisée par cette « fin de chrétienté », ils en répercutent les craintes et les illusions. Parce qu’il est proche de son objet, le discours interne n’est pas seulement sélectif, mais aussi mobilisateur : simultanément, il doit rassurer et inciter à aller de l’avant. Extérieur au champ scientifique, il véhicule les valeurs reconnues par celles qu’il veut convaincre, hic et nunc. Après quelques années, par sa nature, il risque de paraître inadéquat ou désuet.
Dès la fin des années 1950 [6], cette démarche est remise en cause par les sociologues. Résumant leurs critiques, J. Laloux observe lucidement :
Il faut éviter de penser le problème des vocations en termes purement spirituels, comme serait par exemple d’en attribuer la baisse uniquement à une diminution de la foi des personnes et des familles ou à un manque de générosité des jeunes. Pareil jugement moral, sans jugement sociologique préalable, donne du problème une vue très courte, absolument incomplète et finalement injuste à l’égard des personnes. En outre, il ne débouche pas sur une action constructive pour remédier aux situations constatées.
À partir de 1955, « l’impressionnisme moral » commence à décliner. Désormais, la sociologie religieuse [7] occupe le devant de la scène.
L’apport de la sociologie religieuse (1955 à nos jours)
La baisse des vocations féminines retient peu à peu l’attention des sociologues [8]. Sur la base des premières enquêtes, E. Collard [9] publie, en 1958, une synthèse de méthode riche en orientations de recherche. Certaines hypothèses de travail y sont largement développées. D’autres sont simplement esquissées ou demeurent implicites. Moins importantes, quelques-unes sont omises dans le cadre belge, mais figurent dans une autre contribution du même recueil [10]. Formalisé dans la perspective qui est la nôtre, l’éventail des pistes suggérées se présente comme suit :
Taille des familles
Les vocations religieuses proviennent surtout de familles nombreuses. À terme, la contraction de la natalité et la diminution du nombre d’enfants par ménage affectent négativement les entrées dans les noviciats.
Désagrégation de la cellule familiale traditionnelle
Jadis, cette cellule était un lieu relativement clos, protégé des influences extérieures. Elle assurait un grand nombre de fonctions, dont la socialisation religieuse de ses membres. En s’ouvrant, le foyer perd une part de sa cohérence et de ses rôles. L’imprégnation religieuse qu’il donne aux enfants faiblit. Les vocations dépendent de plus en plus de décisions individuelles [11]. Corrélativement, leur nombre tend à baisser.
Évolution de la nuptialité
Le pourcentage de jeunes filles qui optent pour la vie de couple s’élève. À l’inverse, « l’excédent de célibataires », au sein duquel les religieuses se recrutent, diminue peu à peu. L’abaissement de l’âge du mariage réduit aussi les possibilités de vocations tardives.
Baisse de la vitalité religieuse
À l’échelon régional comme au plan familial, il existe un certain parallélisme entre le niveau de pratique religieuse [12] et la fécondité en vocations. Le recul du premier doit normalement s’accompagner d’une régression de la seconde.
Évolution des mentalités
Les sondages réalisés dans les années 1950 indiquent une nette désaffection pour certains types de vie consacrée. En général, les vocations contemplatives sont assez mal comprises. Dans l’enseignement, la confiance accordée aux religieuses diminue à mesure que s’élève le degré d’instruction considéré. Elle baisse surtout dans les couches jeunes de la population [13].
Transformation des structures économiques et sociales
L’industrialisation et l’urbanisation s’accompagnent généralement d’une diminution des vocations religieuses. L’extension du travail professionnel féminin, de même que le remaniement des carrières accessibles aux femmes, pourraient avoir des conséquences similaires [14]. Ces mutations plongent les jeunes filles dans des milieux plus déchristianisés. Elles renforcent souvent leur désir d’épanouissement individuel, fondé sur une indépendance accrue. À terme, elles pourraient déboucher sur une perception négative de certaines formes de vie apostolique.
Prise en charge de certains secteurs par l’État
Longtemps, l’instruction du peuple, le soin des malades, des vieillards, des pauvres et des orphelins ont été assurés en grande partie par l’initiative privée. L’importance des besoins et l’apport des religieuses étaient de nature à susciter maintes vocations. Peu à peu, le pouvoir civil intègre ces secteurs à son champ d’activités. La sécularisation [15] s’étend au personnel, où l’élément laïque devient prédominant [16]. De ce fait, les services éducatifs, médicaux et caritatifs ne brillent plus du même éclat aux yeux des catholiques. Leur force d’attraction pour d’éventuelles vocations tend, par conséquent, à diminuer.
Démocratisation de l’enseignement
La population scolaire féminine est en expansion constante, dans le secondaire comme dans le supérieur. La durée des études ne cesse de s’étendre, tandis que leur technicité s’accentue. À terme, les religieuses risquent d’apparaître comme « un groupe à standing socio-culturel inférieur ». Loin d’être assimilée à une promotion, l’entrée dans une congrégation serait identifiée à un renoncement ou à un sacrifice, soit à des réalités moins positives.
Professionnalisation des tâches
La modernisation des techniques éducatives et médicales transforme radicalement les conditions de leur exercice. La formation requise est de plus en plus spécialisée. Les installations exigent des investissements considérables. Les communautés religieuses pourraient encourir un certain discrédit lorsqu’elles ne se plient pas à ces tendances générales [17].
Plus globales, d’autres recherches consacrées aux vocations sacerdotales et religieuses posent le problème en termes de conflits de valeurs et de changements de rôles. À partir de ces deux axes, L. Dingemans [18] confirme, en 1961, l’importance de la déchristianisation, de la démocratisation de l’enseignement, de l’évolution des mœurs et de la restauration théologique du laïcat. Il établit un lien très net entre le souci d’efficacité apostolique, ancré dans des couches plus larges de l’Église, et la dévalorisation de certains types de vie consacrée : à tort ou à raison, ces derniers seraient perçus comme autant de « détournements » de vocations missionnaires. Enfin, le Père Dingemans ajoute deux nouvelles pierres à l’édifice, en évoquant d’autres facteurs :
Poids de la culture ambiante
Axée sur la technique, la culture contemporaine privilégie la création par rapport à la contemplation, l’action au détriment de la prière. Modelée par les sciences exactes et humaines, elle ne correspond guère à l’humanisme classique encore inculqué dans la plupart des noviciats. Résolument laïque, elle dissocie, puis oppose fonctions technico-sociales et fonctions religieuses. Elle prône non seulement la sécularisation d’activités profanes, comme l’enseignement, mais encore celle de nombreuses tâches apostoliques. Elle réduit ainsi le champ d’action des cadres permanents de l’Église, dont les congrégations féminines.
Modification des aptitudes psychiques
Les jeunes atteignent la maturité affective plus tard que dans le passé. Le rythme trépidant de la vie moderne les soumet à une certaine pression psychologique, qui est source d’instabilité. Pour eux, les engagements définitifs sont plus tardifs et plus difficiles [19].
Telles sont les variables relevées par la sociologie religieuse des années 1950-1960. Il aurait fallu mesurer leur poids respectif, puis établir une chronologie nuancée en multipliant les monographies. Cela n’a pas été fait. Délaissant cette problématique, la discipline s’est tournée vers d’autres horizons [20]. Ses orientations nouvelles sont moins fécondes pour le sujet qui nous intéresse. Les résultats acquis ne satisfont pas tous les sociologues. C’est pourquoi l’un d’eux écrit en 1976 :
Si l’on a parfois identifié quelques-uns des déterminants sociaux qui conduisent à s’engager dans la « carrière religieuse », a-t-on suffisamment montré d’où ils tiraient leurs effets ? S’est-on suffisamment demandé pourquoi les déterminants qui, autrefois, étaient opérants, ne le sont plus aujourd’hui ?
Bien qu’elle soit énoncée sous la forme interrogative et puisse paraître un peu sévère, la critique n’est pas dépourvue de fondement. On aurait tort, cependant, de noircir le tableau. À maints égards, la sociologie religieuse renouvelle les perspectives. Elle permet d’abord de dépasser les états d’âme de « l’impressionnisme moral », épurant le débat de ses relents nostalgiques [21]. Insérée dans le champ scientifique, la crise des vocations féminines peut désormais être étudiée de manière plus sereine et moins superficielle.
Prenant quelque distance par rapport à l’objet étudié, les sociologues mettent en lumière deux axes essentiels, qui donnent une cohérence aux observations ponctuelles : les mutations socio-économiques et les glissements culturels. Après avoir récusé les diagnostics à courte vue, ils commencent à poser le problème sur le long terme. Non sans raison, ils insistent sur la nécessité d’éviter les pièges du déterminisme : si la liberté humaine subit des influences extérieures, elle n’en demeure pas moins un élément essentiel. Enfin, leurs travaux permettent de cerner la question dans la multiplicité de ses composantes et la diversité de ses aspects. Son extrême complexité est ainsi révélée [22].
En pareille matière, il est vrai, « toutes les explications que l’on peut avancer sont – en un certain sens – historiques, même celles qui paraissent d’abord sans lien avec l’histoire » [23]. Un sociologue français, le Père Pin, l’a bien compris. Dès 1967, il analyse les mutations enregistrées au cours des deux derniers siècles, en vue de dégager leurs implications pour les instituts apostoliques [24]. Les principales ruptures qu’il relève peuvent être présentées sous la forme d’un tableau double, comparant passé et présent :
Nés pour la plupart avant l’ère technique, industrielle et démocratique, les instituts religieux sont désormais confrontés à un nouveau modèle de société, qui présente ces trois caractères. La « crise » qu’ils traversent ne se limite pas au seul plan des vocations : elle touche les différents aspects de leur organisation, de leurs activités et de leur recrutement. Loin d’être une tempête passagère, elle reflète une sorte d’inadaptation structurelle, dont les racines plongent dans un passé relativement lointain. Le défi lancé aux religieuses est, par conséquent, bien plus sérieux qu’on le pensait en 1945-1946.
Poursuivant l’analyse, S. Guillemin [25] discerne cinq autres mutations essentielles. Son raisonnement peut, lui aussi, être résumé sous la forme d’un tableau double, opposant le passé au présent :
Fonctionnant selon les anciens schèmes, bon nombre d’instituts ont peine à s’adapter aux nouvelles perspectives. Les plus conservateurs se figent sur des positions déjà minées ou se replient frileusement sur eux-mêmes. Faute d’adaptation, ils risquent de décliner inexorablement. Leurs difficultés de recrutement manifestent un malaise global.
Dans leur radicalité, ces constats renvoient la balle à l’histoire religieuse. C’est à elle, en effet, qu’il appartient d’élucider une foule de questions demeurées obscures. Si tout le contexte qui entoure les congrégations féminines s’est modifié, où et quand le processus s’est-il amorcé ? De quelle manière s’est-il diffusé, au point d’infléchir le destin d’une foule de communautés religieuses ? Et comment ces dernières ont-elles réagi ? Autant de points que l’histoire devrait éclairer.
Jadis | Aujourd’hui |
Société stable, fondée sur le primat de la tradition. Pour y garder leur influence, les groupes humains doivent avant tout assurer leur pérennité. | Société instable, fondée sur l’innovation et la libération des initiatives. Afin d’y conserver leur influence, les groupes humains doivent s’adapter en permanence, réviser sans cesse les normes de leur action. |
Société pré-scientifique, où bon nombre de compétences sont universelles. | Société scientifique, marquée par la technique, qui érige la formation spécialisée en exigence essentielle. |
Société inégalitaire, souvent dotée d’une élite héréditaire. | Société plus égalitaire, qui sécrète sa propre élite. |
Société unitaire, autoritaire, étroitement contrôlée par une hiérarchie concentrique. | Société libérale, pluraliste et démocratique, qui allie l’ancienne pyramide concentrique à divers types d’associations volontaires. |
Société à gouvernement monarchique, où l’autorité consulte ses conseillers de manière occasionnelle et individuelle. | Société dotée d’organes de gouvernement, qui mettent en œuvre une concertation collective et plus systématique. |
Société assez cloisonnée, qui laisse à ses organes centraux la prérogative d’arbitrer les requêtes de ses différentes composantes. | Société plus unifiée, qui instaure une collaboration horizontale et une certaine collégialité. |
Société qui identifie formation et assimilation de normes. L’éducation y est surtout conçue comme un processus de socialisation. | Société qui commence à envisager l’éducation comme un apprentissage de la liberté : les hommes devraient pouvoir s’autodéterminer en choisissant entre plusieurs systèmes de normes. |
Passé | Présent |
Possession. Les instituts contrôlent les œuvres au sein desquelles leurs membres exercent leur apostolat. Détenant souvent une position de monopole, ces établissements sont dotés d’un personnel homogène. | Insertion. Les communautés religieuses doivent s’intégrer dans un vaste réseau d’institutions, placé sous la tutelle publique et largement dominé par les laïcs. Y occupant une place minoritaire, elles sont en position d’infériorité numérique et financière. |
Autorité. Dans les œuvres congréganistes, tous les postes d’autorité et de surveillance sont occupés par des religieuses. Fort peu nombreux, le personnel laïc est employé à titre subalterne. | Collaboration. Dans les institutions actuelles, la législation soumet religieuses et laïcs à des règles identiques pour l’accès aux responsabilités. Les unes et les autres sont fréquemment appelés à travailler ensemble, à partager le pouvoir. |
Supériorité religieuse. Maintes congrégations adoptent une attitude « maternaliste » envers « leurs » pauvres. À leur niveau, certaines d’entre elles reproduisent parfois un comportement de « dames patronnesses ». | Fraternité. Pour conserver leur crédibilité, les religieuses doivent partager la vie de ceux auxquels s’adresse leur apostolat. En se confrontant à leurs problèmes, elles pourront faire saisir le sens évangélique de leur engagement. |
Infériorité humaine. Toute Sœur doit fuir le « monde », présenté comme mauvais et corrupteur. | Présence au monde. Les instituts de vie active doivent s’ouvrir au « monde », afin d’y porter témoignage. |
Conversion morale. L’apostolat congréganiste s’exerce dans un univers de chrétienté. Dès lors, il vise essentiellement à ramener à l’Église les « brebis égarées ». | Élan missionnaire. L’apostolat des religieuses s’adresse à une société largement déchristianisée. Il a pour but de faire découvrir Dieu à ceux qui, de plus en plus nombreux, n’ont jamais entendu son message. |
Premiers jalons historiques
Interpellés, les historiens belges gardent longtemps un silence prudent. Dans leur milieu, l’étude du passé congréganiste a, il est vrai, plutôt mauvaise presse : durant des décennies, elle a été l’apanage d’apologistes dépourvus d’esprit critique, plus soucieux d’édification que de rigueur scientifique [26]. Les destructions d’archives, l’éparpillement de la documentation conservée et l’absence de guide des sources [27] n’ont rien arrangé. À cela s’ajoute une profonde méconnaissance du sujet, parfois à l’origine de préjugés tenaces ou de généralisations abusives [28]. Pendant des années, des observateurs avertis ont beau attirer l’attention sur l’ampleur des terrae ignotae [29], rien n’y fait.
À nouveau, l’exemple est venu de France. Tour à tour, G. Cholvy [30], Ch. Molette [31] et Cl. Langlois [32] font œuvre de pionniers. En Belgique, A. Tihon est le premier [33] à leur emboîter le pas. En 1976, il publie coup sur coup une large synthèse sur le problème des vocations [34], puis une excellente étude statistique englobant l’ensemble des religieuses établies dans le pays, du XVIIIe siècle à nos jours [35]. Longtemps sans réaction, nos historiens sortent peu à peu de leur torpeur [36].
Fondée en grande partie sur le dépouillement des recensements décennaux, la chronologie proposée par A. Tihon corrobore largement les observations des contemporains. Le nombre total de religieuses belges croît, en effet, jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il atteint un sommet en 1947. Depuis 1960, il subit une baisse très nette. Le mouvement connaît, toutefois, des variations sensibles selon les régions. Compte non tenu de l’année 1910 [37], la progression se poursuit jusqu’en 1960 en Flandre occidentale, mais seulement jusqu’en 1930 à Liège et à Namur, 1920 en Hainaut et en Luxembourg. Chaque fois, le déclin s’esquisse dans les statistiques décennales ultérieures. En fin de compte, quatre provinces seulement évoluent au rythme de la moyenne nationale.
Le commentaire de l’auteur confirme, non sans nuances, l’impact de trois variables décelées précédemment par les sociologues : la vitalité religieuse, l’intervention croissante des pouvoirs publics, avec ses effets sur la professionnalisation des tâches et la sécularisation du personnel, enfin l’évolution de la nuptialité. A Tihon introduit dans l’explication un élément neuf, dont l’importance mérite d’être soulignée : la cohérence du « monde catholique » au sein d’une société fortement « pilarisée » [38]. Dans cette hypothèse, le nombre de religieuses refléterait le degré d’organisation et de développement des institutions liées à l’Église. Sa diminution serait le signe d’une déstructuration relative du pilier catholique.
Moins convaincant est le lien établi récemment, par une équipe de la Fondation Lecture et Liberté [39], entre la taille réduite des instituts de la période contemporaine et leur recul des dernières décennies. La diffusion restreinte de certaines communautés contribue sans doute à leur repli en zone déchristianisée. Elle pourrait, par contre, favoriser une meilleure résistance dans les terres de chrétienté, notamment dans certaines régions flamandes. De plus, toutes les congrégations des deux derniers siècles ne connaissent pas un rayonnement géographiquement concentré. Sous peine de confondre la partie et le tout, il faut se garder de généraliser trop vite des observations ponctuelles. L’histoire religieuse ne fait guère bon ménage avec les réflexions principautaires...
Poussant plus loin ses enquêtes antérieures, un chercheur français, Cl. Langlois, oppose les dernières décennies au « temps des congrégations », finement analysé dans sa thèse [40]. Ses conclusions semblent globalement applicables à la Belgique. Pour l’auteur, les instituts féminins régressent lorsqu’ils cessent d’apparaître comme « le modèle dominant d’organisation des élites dans l’Église » et « la forme spécifique d’action religieuse sur la société ». Cette rupture résulte elle-même de deux mutations : les bouleversements sociaux et l’évolution interne du catholicisme.
Sous le premier vocable, Cl. Langlois place la révolution industrielle, la « fin des paysans [41] », l’entrée dans la société de consommation, la scolarisation rapide des filles et la sécularisation de l’activité professionnelle féminine. Les congrégations pouvaient organiquement accompagner une société en évolution lente. Répugnant aux changements rapides, elle éprouvent beaucoup de mal à s’y adapter.
Les transformations internes du catholicisme ont d’autres conséquences. « Forme nouvelle d’encadrement de la jeunesse et des adultes », l’Action catholique spécialisée propose des alternatives à l’engagement congréganiste. L’exaltation du célibat consacré cède la place à la célébration du mariage chrétien et à la promotion de la spiritualité conjugale. Enfin, l’importance du rôle reconnu au laïcat [42] s’accompagne d’un effacement du clergé, des religieux et des religieuses. Le développement des instituts séculiers pourrait avoir des effets similaires [43].
Les recherches menées depuis 1976 par les historiens belges sont loin d’avoir atteint ce degré de maturité. Réalisées sous l’angle monographique, elles permettent, cependant, de mieux comprendre la genèse et la nature de la « crise des vocations » féminines. Sur ce plan, leur apport est double : elles incitent à nuancer la chronologie couramment admise ; elles confirment aussi certaines hypothèses énoncées précédemment par les sociologues.
Évoquons d’abord la chronologie. Au sein de grands instituts féminins voués à l’éducation populaire, la diminution du recrutement s’amorce dès la fin du XIXe siècle, au moins dans la partie francophone du pays. Il en est ainsi chez les Soeurs de la Providence de Champion, les Filles de Marie de Pesche, les Soeurs de la Doctrine Chrétienne et les Soeurs de la Providence de Gosselies [44]. Des allusions glanées dans des archives privées donnent à penser que la situation n’est pas différente dans maintes congrégations enseignantes de l’archidiocèse de Malines [45].
Limitées à 1914, d’autres études n’infirment pas ce constat. Elles enregistrent même une baisse des entrées ou un tassement des effectifs à l’approche de la première guerre mondiale [46]. Cependant des congrégations, dont les Sœurs de Zomergem [47], connaissent une évolution différente. Faute de données relatives à l’entre-deux-guerres, ces travaux ne permettent pas de formuler des conclusions définitives.
L’ouvrage consacré aux Sœurs de Champion [48] confirme quelques-unes des hypothèses avancées jadis par la sociologie religieuse. À des degrés divers selon les moments et les régions, toutes contribuent effectivement au repli congréganiste :
Mutations économiques et sociales. Dans le temps, la baisse du recrutement des instituts coïncide avec une foule de changements structurels. La fin du XIXe siècle est marquée, en effet, par les débuts de la seconde révolution industrielle, qui mène à la production et à la consommation de masse [49]. Elle se caractérise également par le développement du mouvement social [50], avec toutes les conséquences qui en résultent [51] : naissance du Parti Ouvrier Belge, émeutes de 1886, adoption des premières grandes réformes en matière de travail, constitution du Boerenbond et de la Ligue démocratique belge, expansion du syndicalisme, introduction du suffrage universel tempéré par le vote plural, etc. À leur tour, ces bouleversements en entraînent d’autres, dont la démocratisation de l’enseignement [52]. Longtemps sous-estimée par l’Église [53], la transformation de la société civile tranche avec l’immobilisme de la plupart des instituts féminins. Pour la première fois depuis 1830, ces derniers se laissent largement distancer par le monde profane. Corrélativement, leur influence commence à régresser.
Professionnalisation des tâches scolaires. Peu à peu, l’enseignement cesse d’être un don procuré par des œuvres, pour devenir un droit garanti par l’État. Le personnel qui le dispense ne doit plus seulement faire preuve d’une certaine culture générale, de disponibilité et de dévouement. Il lui faut accumuler des connaissances diversifiées, maîtriser de nouvelles méthodes d’éducation, s’initier à la pédagogie [54]. Son activité devient un métier doté de règles techniques, dont l’exercice requiert un long apprentissage. Nombreux sont les instituts qui tentent de suivre le mouvement. Ceux qui restent à la traîne encourent un réel discrédit et perdent une part de leur prestige. Quelquefois mieux formées, les institutrices laïques sont, dans l’ensemble, les principales bénéficiaires de l’évolution [55].
Fonctionnarisation de l’enseignement. Érigée en profession, l’éducation se mue en service public. Rétribuées par l’État, les institutrices se voient imposer programmes, inspection et directives. Perdant une part de son caractère bénévole, l’apostolat enseignant semble moins novateur [56]. Il cesse, par conséquent, d’être aussi attractif en termes de recrutement.
Déchristianisation des masses populaires [57]. Il s’agit là d’un autre élément essentiel. On en trouve la trace, dès les années 1870, dans deux types de localités : les agglomérations industrielles, surtout en Wallonie [58], et les communes déchirées par la lutte scolaire [59]. Désorientées, les religieuses subissent les événements sans pouvoir en infléchir le cours. Or ce dernier provoque une nette diminution des entrées dans les noviciats.
L’étude relative au cas de Champion met en lumière une dernière composante, fort peu évoquée jusqu’ici : la rigidité de l’Église en matière d’apostolat. Dès que des religieuses envisagent le retrait d’une école pour s’engager dans d’autres voies, la levée de boucliers est générale. Évêchés, curés et fidèles multiplient démarches et pressions, afin de les faire revenir sur leur décision. L’immobilisme des congrégations n’est pas seulement spontané : souvent il est imposé par les exigences convergentes des différentes franges du monde catholique. Or ce jusqu’au-boutisme paralyse inutilement les instituts, rivés à des créneaux de plus en plus instables.
Les recherches menées en Belgique négligent singulièrement les dimensions culturelles et mentales. Odile Arnold en a, cependant, montré tout l’intérêt [60]. Avec pertinence, elle oppose le rapport au corps vécu par les religieuses du XIXe siècle à celui de nos contemporains. Marquées par une spiritualité ascétique et dualiste, les premières voient leur corps comme le réceptacle de penchants mauvais. Il importe donc de le brider, voire de le nier. La persistance de telles conceptions, à une époque où le corps est valorisé comme « lieu-clé de la découverte de soi et du monde », pose nécessairement problème. Il en sera de même plus tard pour la chasteté, confrontée à une « réhabilitation » manifeste de la sexualité.
Conclusion
En quatre décennies, les travaux relatifs à la crise des vocations féminines ont singulièrement élargi les perspectives. Les changements de cap se manifestent essentiellement sur trois plans :
Le point de vue des auteurs
Les premiers articles émanent d’ecclésiastiques étroitement liés aux congrégations religieuses, dont ils reflètent les vues. Extérieure au champ scientifique, la démarche se veut à la fois rassurante et mobilisatrice. Elle déplace les responsabilités vers le monde profane, réduisant le problème à une décadence spirituelle et morale.
Soucieux d’objectiver le débat, les sociologues s’insurgent contre cet « impressionnisme ». Maintenant à distance l’objet de la recherche, ils s’efforcent d’en relever les composantes. Ils organisent ensuite l’explication autour d’hypothèses centrales, à caractère socio-culturel. L’analyse s’inscrit désormais dans le champ scientifique. Faute d’études de cas, elle paraît cependant trop générale.
Non sans hésitations, les historiens prennent le relais des sociologues. Partant des constats dressés par ceux-ci, ils établissent une chronologie de plus en plus nuancée. Dans un second temps, ils tentent de mesurer l’impact des différentes variables, en privilégiant l’approche monographique. Par contre, les conclusions, formulées a posteriori, sont moins évocatrices dans la perspective d’une action immédiate.
La nature du phénomène
La « crise des vocations » féminines n’apparaît plus aujourd’hui comme une difficulté passagère et purement conjoncturelle. Elle s’inscrit, au contraire, parmi les mouvements structurels de longue durée. Loin d’être un fait en soi, elle se trouve au confluent de mutations diverses qui, à des degrés divers, mettent en cause la place des religieuses dans l’Église et la société. L’ampleur et la gravité du défi dépassent largement celles qu’entrevoyaient les premiers diagnostics.
Les solutions à mettre en œuvre sont aussi très différentes : ce ne sont plus seulement les apparences ou les formes qu’il faut redéfinir, mais les finalités, la spiritualité, le style de vie, les orientations apostoliques, l’insertion congréganiste dans le monde contemporain. À l’image de l’Église, les instituts féminins doivent réaliser un « aggiornamento » fondamental. Elles l’ont compris et cheminent dans cette direction depuis Vatican II.
Les composantes de la crise
Les éléments à prendre en compte dans l’explication sont plus nombreux, plus divers que ceux relevés avant 1955. Toutes les grandes dimensions du passé et du présent doivent être scrutées : les changements politiques, économiques et sociaux, les glissements culturels, l’évolution des mentalités, des mœurs, des idéologies et de la religiosité, les facteurs démographiques, etc. Plus la recherche progresse et plus la question paraît complexe.
Force est de constater le retard pris par les disciplines à même d’éclairer le débat. Malgré ses limites, la sociologie religieuse a eu l’immense mérite de déblayer le terrain. Timidement, l’histoire commence à suivre son exemple. Il lui reste à vaincre bien des obstacles pour aller de l’avant, dans une perspective ouverte et résolument interdisciplinaire [61].
Rempart de la Vierge 8
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[1] Un article récent donne à penser que, depuis lors, la situation se redresse peu à peu : M. Paquay, « Pour un renouveau de la vie religieuse féminine. Questions et réflexions », Vie consacrée, 54, 1983, 20-24. L’enquête en cours, réalisée à l’initiative de l’Union des Supérieures Majeures, semble cependant démentir ce point de vue (renseignement aimablement communiqué par A. Tihon).
[2] Par nature, l’analyse historique ne peut épuiser la question. « Réalité métempirique » dont la source est « l’ensemble des relations entre Dieu et les âmes », la vocation ne s’explique pas uniquement en termes rationnels, à l’aide de concepts scientifiques. Son aspect personnel échappe largement à l’historien, a fortiori ses dimensions les plus profondes, qui ressortissent au surnaturel et à la grâce. À ce propos, cf. L. Dingemans, « Introduction », La vocation. Appel de Dieu, phénomène d’Église, Coll. Cahiers de Froidmont, 20, Rixensart, 1976, 5.
[3] Cf. les études statistiques mentionnées infra.
[4] La prise de conscience est précoce dans le diocèse de Tournai, où le visiteur des communautés religieuses, le chanoine Deharveng, promeut l’étude de la question. À son appel, le Père Plé (dominicain) groupe un petit nombre de prêtres pour examiner « le problème de la religieuse d’aujourd’hui ». Divers articles et enquêtes résultent de cette initiative. À ce propos, cf. (Père) Loret, « Vocations féminines, souci d’Église », Vocations sacerdotales et religieuses, n° 197, janvier 1957, 49.
[5] Ainsi É. Bergh, « Enquête sur les vocations féminines », Revue des communautés religieuses, 19, 1947, 1, 37-42 et 2, 33-49 (= 89-105) ; « Synthèse de l’enquête sur le problème des vocations sacerdotales et religieuses dans le diocèse de Tournai », Évangéliser, 10, 1956, 351-373. Pour la France, diagnostic similaire dans (Dom) P. Benoist d’Azy, « La crise des vocations », Vocations sacerdotales et religieuses, n° 189, janvier 1955, 97-99 et (Abbé) Courtois, « La nécessité actuelle des vocations religieuses », Recrutement sacerdotal, n° 181, janvier 1953, 175-184.
[6] Au début, les critiques demeurent prudentes. Ainsi J. Labbens, La sociologie religieuse, Paris, 1959, 13 : « On peut prétendre que Dieu a détourné sa grâce d’un peuple rebelle, que la foi manque, que les vertus chrétiennes sont déclinantes. Soit. Si de telles affirmations émanent de personnes qui ont qualité pour les poser, elles méritent d’être entendues. Mais le sociologue peut lui aussi, de son rang et sans prétendre aux honneurs de la tribune, élever modestement la voix, présenter quelques faits dont l’influence se fait sentir et, à son niveau, contribuer à expliquer le tarissement des vocations ».
[7] Sur l’état de la discipline en 1955, les espoirs et les réserves que ses travaux suscitent : R. Mols, « Croissance et limites de la sociologie religieuse », Nouvelle Revue Théologique, 88, 1955, 144-162 et 265-281.
[8] On signalera trois recherches : 1° M.-T. Mattez, Quelques aspects du contexte sociologique de la vocation religieuse, mémoire de licence U.C.L., dactyl., Louvain, 1955, publié en partie sous le titre « Les religieuses du diocèse de Tournai. Étude sociologique de leur provenance », Bulletin de l’Institut de recherches économiques et sociales, 22, 1956, 649-698.2° Un sondage d’opinion relatif aux religieuses, réalisé dans la partie francophone du pays et publié en 1954-1955 dans l’hebdomadaire multi-paroissial Dimanche.3° Un sondage, inédit mais plus rigoureux, réalisé en 1956, dans le même cadre, par le Centre d’études sociales de l’Université de Louvain.
[9] E. Collard, « L’étude sociologique des communautés religieuses féminines et de leur recrutement », Vocation de la sociologie religieuse. Sociologie des vocations. 5e Conférence internationale de sociologie religieuse, Tournai, 1958, 208-232.
[10] H. Dekkers, « Les vocations religieuses féminines aux Pays-Bas », ibid., 424-450.
[11] Il en est apparemment toujours ainsi. Le journal Le Soir (24 mars 1984) a posé à un échantillon de catholiques pratiquants la question suivante : « Que diriez-vous si votre fille voulait devenir religieuse ? » 54 % choisissent la réponse « je la laisserais faire sans l’encourager réellement ». On note que 17 % seulement adopteraient une attitude plus positive, 11 % réagiraient négativement.
[12] À l’époque, la pratique religieuse commence à faire l’objet d’enquêtes systématiques : ainsi E. Collard, Carte de la pratique dominicale en Belgique par localité, Mons, 1952, et « Commentaire de la carte de la pratique dominicale en Belgique », Lumen Vitae, 7, 1952, 644-652.
[13] Les courants d’opinion sont, il est vrai, assez fluctuants. Depuis lors, certaines de leurs composantes – surtout les préventions envers la vie contemplative – semblent avoir évolué dans un sens nettement plus favorable à l’engagement religieux.
[14] Observations identiques, pour la France, d’A. Luchini, « Le contexte social des vocations de religieuses en France », Vocation, n° 259, juillet 1972, 351.
[15] Pour une analyse plus fouillée de cet aspect, cf. F. Sebastian Aguilar, Vie religieuse, le défi de la sécularisation, Paris-Sherbrooke, 1972 et A. de Bovis, « Vie religieuse et sécularisation », Vie consacrée, 41, 1969, 257-262.
[16] Même constat dressé par S. Guillemin, « Problèmes de la vie religieuse féminine active », Vocation, n° 231, juillet 1965, 360.
[17] À juste titre, S. Guillemin, « Problèmes... », art. cit., 357, attire l’attention sur d’autres implications de la professionnalisation : « Insérée dans une profession, la religieuse en vit les exigences, doit en observer les lois et l’exercer avec toute la technicité voulue. Elle assume cette profession dans un monde socialisé et voit son action se nouer avec celle de collaborateurs nombreux et de professions collatérales. Elle se trouve en dépendance ou en relations avec de multiples organismes publics ou privés. Tout un réseau d’obligations sociales et administratives, sereinement ignorées par les œuvres d’antan, pèse sur elle ».
[18] L. Dingemans, « Le mouvement des vocations sacerdotales et religieuses en Belgique », Évangéliser, 15, 1961, 424-450.
[19] Même constat chez (Sœur) Marie-Edmond, « Qu’attendent les jeunes filles de la vie religieuse communautaire ? », Vie consacrée, 39, 1967, 46-47.
[20] Après son intégration à la Faculté des sciences économiques, sociales et politiques de Louvain, le Centre de Recherches socio-religieuses (inter-diocésain à l’origine) s’est tourné davantage vers l’étude des problèmes religieux du Tiers Monde. Voir B. Wynants, « Repères bibliographiques en sociologie religieuse », J.-E. Humblet et T. Dhanis, Église-Wallonie, 1. Chances et risques pour un peuple, Bruxelles, 1983, 216.
[21] Ces derniers n’ont pas complètement disparu sous la plume d’auteurs animés de préoccupations pastorales ou engagés dans la vie religieuse. Certains articles – dont L. Dingemans, « Le mouvement... », art. cit., – sont révélateurs d’une phase de transition entre « l’impressionnisme moral » et l’approche scientifique.
[22] En ce sens, les meilleurs travaux de sociologie religieuse sont conformes aux recommandations données jadis par G. Le Bras, « Statistique et histoire religieuse », Revue d’Histoire de l’Église de France, 17, 1931, 439.
[23] Ibid., 439.
[24] É. Pin, « Les instituts religieux apostoliques », H. Carrier et É. Pin, Essais de sociologie religieuse, Paris, 1967, 541-565.
[25] S. Guillemin, « Problèmes... », art. cit., 354-372.
[26] Et ce malgré les excellents conseils donnés, voici un demi-siècle, par P. Dudon, « Pour écrire l’histoire d’une congrégation religieuse », Revue d’Histoire de l’Église de France, 18, 1932, 361-379.
[27] À ce jour, on ne dispose que d’un aperçu préliminaire : V. de Viller-Mont, « Notes sur les archives des congrégations et ordres religieux féminins installés en Belgique pendant la période contemporaine », Colloque « Sources de l’histoire religieuse de la Belgique » (Bruxelles, 30 nov. - 2 déc. 1967). Époque contemporaine, Coll. Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 54, Louvain-Paris 1966, 124-128. On attend avec impatience les guides de sources préparés sous la direction d’A. Tihon, L. Preneel et E. Lamberts. De son côté, le groupe « Recherches », composé de religieuses, a élaboré un document de travail : Archives des congrégations religieuses, Nivelles, 1982, dactylographié.
[28] (Mère) M.-É. Hanoteau, « Les religieuses face à l’histoire », Actes de la journée d’étude, « Vie religieuse et enseignement » (Champion, 29 octobre 1983), Champion, 1984, 79-90.
[29] Par exemple R. Mols, « Plus ou moins de religieuses qu’il y a vingt ans ? », Revue des communautés religieuses, 36, 1964, 204. Plus récemment, D. Julia, « La religion - Histoire religieuse », Faire de l’histoire, t. II, Nouvelles approches, Paris, 1974, 152.
[30] G. Cholvy attire l’attention de ses collègues sur l’apport de la sociologie religieuse : « Sociologie religieuse et histoire. Des enquêtes sociographiques aux essais de sociologie religieuse », Revue d’Histoire de l’Église de France, 55, 1969, 5-28 ; « Réflexions sur l’apport de la sociologie à l’histoire religieuse », Cahiers d’Histoire, 15, 1970, 97-111.
[31] Ch. Molette se préoccupe activement des archives des instituts féminins, de leur conservation et de leur classement ; « Les archives des congrégations religieuses », Gazette des Archives, nouv. série, n° 68, 1970, 26-42 et surtout Guide des sources de l’histoire des congrégations féminines françaises de vie active, Paris, 1974. Depuis lors, il dirige également la publication du Bulletin du Groupe de recherches historiques et archivistiques des congrégations féminines (1 fasc. annuel).
[32] Avec P. Wagret, Cl. Langlois a publié Structures religieuses et célibat féminin au XIXe siècle, Coll. Centre d’Histoire du catholicisme de l’Université de Lyon, II-7, Lyon, 1971. Il est l’auteur d’un excellent article : « Les effectifs des congrégations féminines au XIXe siècle. De l’enquête statistique à l’histoire quantitative », Revue d’Histoire de l’Église de France, 60, 1974, 39-64. Nous évoquerons plus loin l’apport de sa remarquable thèse de doctorat d’État.
[33] Assez limité dans son objet, le mémoire de licence U.C.L. dactylographié de P.’t Serstevens, Le recrutement et l’origine sociale des Sœurs de Notre-Dame et des Sœurs de Sainte-Marie au XIXe siècle, Louvain, 1972, annonce une prise de conscience.
[34] A. Tihon, « Repères historiques sur les vocations sacerdotales et religieuses », La vocation. Appel de Dieu..., op. cit., 165-196.
[35] A. Tihon, « Les religieuses en Belgique du XVIIIe au XXe siècle. Approche statistique », Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 7, 1976, 1-54. Aperçu synthétique avec mise à jour publié sous le titre « Les religieuses en Belgique (fin XVIIIe-XXe siècle). Approche statistique et essai d’interprétation », Actes..., op. cit., 11-39.
[36] Désormais, la comparaison entre religieuses et religieux/prêtres peut être réalisée : voir J. Art, « De evolutie van het aantal mannelijke roepingen in België tussen 1830 en 1975. Basisgegevens en richtingen voor verder onderzoek », Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 10, 1979, 282-370 et « Belgische mannelijke roepingen 1830-1975 », Spiegel Historiael, 16, 1981, 157-162.
[37] L’arrivée massive de religieuses françaises réfugiées modifie alors les données du problème. Cf. Y. Daniel, « Quelques aspects politiques, économiques et sociaux de l’immigration de religieux français en Belgique, 1901-1904 », Contributions à l’histoire économique et sociale, 4, 1966-1967, 49-90.
[38] Depuis lors, les sociologues sont eux aussi attentifs à cet aspect de la question. Ainsi L. Voyé, Aspects de l’évolution récente du « monde catholique », Courrier hebdomadaire du C.R.I.S.P., 925-926, Bruxelles, 26 juin 1981. On notera toutefois que les statistiques citées dans ce travail sont incomplètes et parfois inexactes en ce qui concerne les religieuses. Sur la « pilarisation » en Belgique, voir notamment « Verzuiling-Pilarisation », numéro spécial de Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 13, 1982, 1, et L. Huyse, Passiviteit, pacificatie en verzuiling in de Belgische Politiek, Anvers, 1971.
[39] « Histoire de la vie religieuse féminine », Poupées reflets d’une « vie consacrée », Catalogue de l’exposition, Liège, 1984, 12-13, dactylographié.
[40] Cl. Langlois, Le catholicisme au féminin. Les congrégations françaises à supérieure générale au XIXe siècle, thèse de doctorat d’État, Paris X, 3 vol. dactyl., Paris, 1983. Voir en particulier 740-743.
[41] Sur ce phénomène, voir H. Mendras, La fin des paysans, Paris, 1967. Ses implications religieuses ont été évoquées dans de nombreux travaux, récemment encore par E. Weber, La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale 1870-1914, Paris, 1983, 489-537.
[42] Rappelons à ce propos le titre évocateur d’un ouvrage de Mgr J. Cardijn, Laïcs en premières lignes, Bruxelles-Paris, 1963. Sur l’apport de Mgr Cardijn en cette matière, voir l’excellent article de G. Thils, « Le laïcat dans l’Église et le monde : aspects théologiques », Cardijn, Un homme, un mouvement, Louvain, 1983, 67-89.
[43] Les instituts séculiers sont « des associations de clercs ou de laïques dont les membres, en vue d’atteindre la perfection chrétienne et d’exercer pleinement l’apostolat, pratiquent dans le siècle les conseils évangéliques ». Dans notre pays, leur « concurrence » ne doit pas être surestimée : deux instituts séculiers reconnus ont leur siège central en Belgique, mais plusieurs autres, nés à l’étranger, y sont aussi représentés. Voir à ce propos les notices « Instituts séculiers », publiées par M. Albertini, Dizionario degli Instituti di Perfezione, 5, Rome, 1978, col. 106-117 ; J. Beyer, Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, 7-2, Paris, 1971, col. 1806-1813 ; J.-M. Perrin, Catholicisme. Hier, aujourd’hui, demain, 5, Paris, 1962, col. 1777-1785 ; É. Jombart, Dictionnaire de droit canonique, sous la direction de R. Naz, 5, Paris, 1953, col. 1451-1461. Sur les obstacles que les instituts séculiers ont rencontrés sur leur route, cf. A. Oberti, « La vocation des instituts séculiers dans l’Église », Vie consacrée, 53, 1982, 171-180.
[44] P. Wynants, Les Soeurs de la Providence de Champion et leurs écoles 1833-1914, Coll. Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de Namur, 63, Namur, 1984, 44-46 ; T. Durvaux, Les Sœurs de la Providence de Gosselies 1830-1914, Recrutement et fondations, mémoire de licence U.C.L., Louvain-la-Neuve, 1983, dactylographié, 25-35.
[45] P. Wynants, « La Province belge des Sœurs de la Providence et de l’immaculée Conception (1830-1914) », Actes..., op. cit., 55, n° 19.
[46] Pour les Sœurs de Notre-Dame et de Sainte-Marie, P.’t Serstevens, Le recrutement..., op. cit., 80 sv. et 143 sv. Pour les religieuses du diocèse de Gand, J. Art, Kerkelijke Structuur en Pastorale Werking in het bisdom Gent tussen 1830 en 1914, Coll. Standen en landen, 71, Courtrai, 1977, 9, 360 et 398. Pour les religieuses du diocèse de Bruges, A. Jacobus, « De vrouwelijke religieuze roepingen in het bisdom Brugge 1802-1914. Evolutie en herkomst », Handelingen van het Genootschap voor geschiedenis, gesticht onder de benaming « Société d’Émulation » te Brugge, 116, 1979, 31-33.
[47] R. Mertens, « Vrouwelijke religieuze roepingen tussen 1803 en 1955. Casus : de congregatie van Zomergem en de Zomergemse vrouwelijke religieuzen », Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 9, 1978, 419-479.
[48] P. Wynants, Les Sœurs..., op. cit., 287-294.
[49] J. Gadisseur, « Le triomphe industriel », L’industrie en Belgique. Deux siècles d’évolution (1780-1980), Bruxelles, 1981, 82-95.
[50] Sur l’importance du « tournant » des années 1885-1890, voir, par exemple, J. Wynants, Ainsi naquit une industrie. La Condition Ouvrière à Verviers avant 1900, Verviers, 1984, 239-241.
[51] B.-S. Chlepner, Cent ans d’histoire sociale en Belgique, 4e éd., Bruxelles, 1972, 109-234 ; J. Neuville, Naissance et croissance du syndicalisme, 1, Bruxelles, 1979, 275-386 (Histoire du mouvement ouvrier en Belgique, 8) ; J. Puissant, « Un lent et difficile processus de démocratisation », La Wallonie, le Pays et les Hommes. Histoire, Économies, Sociétés, 2, Bruxelles, 1976, 159-189.
[52] M. de Vroede, « De weg naar algemene leerplicht in België », Tijdschrift voor Opvoedkunde, 15, 1969-1970, 321-347.
[53] P. Joye et R. Lewin, L’Église et le mouvement ouvrier en Belgique, Bruxelles, 1967, 87-172.
[54] A. Bosmans-Hermans, « De onderwijzer : opleiding in het perspectief van professionnalisering », Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 10, 1979, 83-104.
[55] Au début, il est vrai, « l’institutrice laïque doit ressembler à s’y méprendre à cette religieuse congréganiste qu’elle remplace » (D. Delhome, N. Gault et J. Gonthier, Les premières institutrices laïques, Paris, 1980, 33).
[56] P. Wynants, « Les priorités dans l’œuvre éducative d’hier et d’aujourd’hui », Rencontre des enseignants de Champion (26 novembre 1983), Namur-Champion 1984, 6-8.
[57] À ce propos, excellent article d’E. Witte, « Déchristianisation et sécularisation en Belgique », Histoire de la Laïcité, principalement en Belgique et en France, Bruxelles, 1979, 149-175.
[58] Cf. notamment L. de Saint Moulin, « Contribution à l’histoire de la déchristianisation. La pratique religieuse à Seraing depuis 1830 », Annuaire d’histoire liégeoise, 10, 1967, 33-127. La montée de l’anticléricalisme va souvent de pair avec le progrès du socialisme. À ce sujet, voir A.-H. Kittel, « Le rôle de l’anticléricalisme dans le développement de la gauche belge », Socialisme, 9, 1962, 635-646.
[59] J. Lory, « Un cas de ‘déchristianisation cléricale’ en Belgique : le fléchissement de la pratique pascale consécutif à la guerre scolaire (1879-(1879-1884) », Cahiers d’histoire, 9, 1964, 111-113.
[60] O. Arnold, Le corps et l’âme. La vie des religieuses au XIXe siècle, Coll. L’univers historique, Paris, 1984.
[61] Merci à Jean Nizet (Département de Sociologie économique des Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur) pour ses observations et ses suggestions.