Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La révolution tranquille

David Clark

N°1984-6 Novembre 1984

| P. 377-382 |

Évocation d’une réalité chrétienne et œcuménique qui se développe sans bruit un peu partout dans le monde : les communautés chrétiennes de base.

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Dans un faubourg de Liverpool, une haute maison de style victorien bouillonne de vie lorsque ses habitants, des personnes handicapées mentales (dont beaucoup ont été travailler au-dehors) et des assistants, se rassemblent pour le repas du soir.

Un groupe d’enfants de Belfast, catholiques et protestants, sont réunis pour un feu de camp sur la côte au nord d’Antrim, ce qui constitue une partie de leur semaine de vacances loin de la haine et de la peur qui règne dans une cité profondément divisée.

Un petit groupe de femmes se rencontrent pour leur office quotidien dans une modeste demeure du Surrey et se vouent à prier et travailler pour l’unité de l’Église dans cette région et à travers le monde.

Dans le sud de Londres, un groupe de six familles, avec leurs enfants, se sont engagées à se rencontrer régulièrement pour partager leur vie au plan social et spirituel, dans le but d’apprendre davantage à « être chrétiens ensemble ».

Au cœur de Birmingham, dans une maison en terrasse, deux femmes presbytériennes, venant l’une d’Irlande, l’autre de l’Inde, accomplissent leur ministère d’assistance parmi les membres de la communauté Gujerati qui entoure leur logis.

Le tout premier hospice pour enfants mortellement atteints ou gravement malades s’est ouvert il y a peu dans la propriété d’un couvent anglican d’Oxford.

Qu’y a-t-il de commun entre ces personnes ? Avec des milliers d’autres, elles font partie d’une révolution tranquille qui se développe aujourd’hui parmi les chrétiens de Grande-Bretagne. C’est une révolution que la presse, profane ou ecclésiastique, ne mentionne même pas, car bien rares sont ceux qui, dans le voisinage ou la paroisse, se rendent compte de ce qui est en train de se produire. Ce n’est pas une « nouvelle » parce qu’un rassemblement de deux ou trois personnes ne mérite pas les gros titre qu’on réserve aux grandes conférences et aux rassemblements nombreux.

Mais la révolution qui se produit est non seulement tranquille, elle est profonde. Elle englobe des chrétiens de tout âge, de toute condition et de nombreuses confessions. Elle embrasse ceux qui s’intéressent à l’environnement et ceux qui se préoccupent du sort de la nation. Elle renferme en elle de quoi réunir évangéliques, charismatiques, libéraux et radicaux dans la reconnaissance que, si le nom de chrétiens ne peut pas faire notre unité dans le service de nos semblables, nous ferions mieux de plier bagages et de partir à la recherche d’une autre croyance.

Révolutions dans le passé

Des révolutions réalisées par de petites communautés de croyants ont toujours existé depuis qu’est née l’Église. En fait, c’est ainsi qu’elle a commencé. C’est, tout au long des âges, l’histoire du peuple de Dieu se libérant de la captivité des institutions, des formules et des pratiques qui avaient perdu leur sens et leur valeur humaine.

Ce sont les fils d’Israël qui ont commencé en laissant derrière eux l’esclavage de l’Égypte ; Jésus a continué cette histoire avec les Douze, se déplaçant sur les grand-routes et les sentiers de Palestine. Et tout au long de l’histoire – que ce soit le monachisme primitif, les religieux menant une vie rude et se faisant les défenseurs de la cause des pauvres ou les petites assemblées des « protestataires » au moment de la Réforme – les chrétiens ont utilisé les petits groupes comme leur moyen d’assurer la révolution et le renouveau.

La réapparition de communautés chrétiennes de base, comme on les appelle de nos jours, est un signe que Dieu aiguillonne à nouveau son peuple pour qu’il se mette en mouvement. Notre tâche est d’être attentifs à ce que l’Esprit dit aux Églises à travers cette pléthore de petits groupes chrétiens. Nous ne saisissons pas encore pleinement le message, mais il y a déjà assez de signes pour nous permettre de comprendre quelque peu le sens des nombreuses paraboles qui se jouent au milieu de nous.

Une révolution laïque

Dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, le mouvement des communautés de base est d’abord et principalement une révolution du laïcat, emprisonné depuis des siècles dans une Église qui avait failli à sa mission de le reconnaître comme le peuple de Dieu et non comme les citoyens de seconde zone d’un royaume dirigé par les prêtres et les ministres. Le mouvement des communautés de base concerne un laïcat dont la vie et l’activité chrétiennes dans le monde sont d’une suprême importance, ceux dont le ministère à l’école, à l’usine, à l’hôpital, au bureau, à la maison, ceux dont l’apostolat envers les personnes handicapées, les malades, les persécutés, les chômeurs, les sans-logis ont des conséquences immenses pour l’avenir de notre société et de notre monde. Les communautés de base sont concernées par une compréhension et une appréciation tout à fait neuves de la place centrale du ministère laïc.

Les communautés de base s’intéressent aussi à la mise sur pied de communautés grâce auxquelles les laïcs pourront être éduqués et soutenus d’une manière qui prévienne l’isolement et la solitude que tant de gens ressentent aujourd’hui, alors qu’ils doivent se battre avec les crises qui menacent non seulement leur foi et leur projet de vie, mais aussi la survie et la continuation de la race humaine.

Les communautés de base ont le monde pour paroisse. Si leurs soucis quotidiens sont souvent à petite échelle, elles agissent avec un profonde conscience des besoins globaux du « grand village » dans lequel nous avons tous à vivre aujourd’hui. Elles sont un défi lancé à toutes les formes de christianisme qui prétendent lui appartenir en faisant de la paroisse leur univers. Dans ce sens, le mouvement des communautés de base est pleinement œcuménique : il accepte l’ordre divin d’un seul monde dans le Christ. Pour lui, une Église divisée est un contresens : les ressources de chaque confession doivent être partagées d’une façon ou d’une autre, et partagées maintenant, si les chrétiens veulent répondre de façon effective aux défis du monde moderne.

Signes de révolution

Le mouvement des communautés de base débuta en Grande-Bretagne dans les années 60. Malgré toutes ses excentricités, cette décennie fut marquée par une explosion d’énergie, dans la vie civile et la vie religieuse, qui fit s’écrouler des vieilles traditions et des valeurs acceptées jusque-là. Apparue dans les années 70, la revue Community [1] a publié depuis lors plus d’une centaine de témoignages sur les communautés de base de ce pays. Ces articles, écrits par des membres de ces groupes, forment une incroyable mosaïque de lumière et de couleurs. Ce sont des récits sur des gens ordinaires faisant de grandes choses pour le Christ : partager leurs biens, s’occuper des pauvres, lutter pour la défense des droits humains, s’efforcer d’aider des races différentes à bien vivre ensemble, chercher de nouvelles formes de prière et de spiritualité adaptées à notre époque. En 1980, se réunit à Birmingham un congrès auquel prirent part les représentants de 150 communautés de base (y compris des religieux catholiques et anglicans [2]). De ces cinq jours de réunions et d’échanges se dégagea avec une évidence définitive que, dans toutes les parties de la Grande-Bretagne, Dieu se mettait à insuffler une nouvelle vie dans les ossements de son Église, vétustes, sinon quasi morts. Il y eut beaucoup de questions et peu de réponses, mais une chose devint évidente : une révolution tranquille était en route.

Le congrès de 1980 décida d’apporter son aide à la constitution d’un centre destiné à transmettre l’information sur les communautés chrétiennes de base et à faciliter l’échange des expériences, des idées et des préoccupations. Ce fut le National Centre for Christian Communities and Networks [3] ou NACCAN. Ce n’est néanmoins qu’un moyen d’aider et d’encourager le mouvement des communautés de base. Celui-ci croît d’une manière surprenante. Ce sont les semences d’un nouveau printemps, se développant surtout à l’intérieur des communautés, qui donnent au Centre sa raison d’être. S’il n’en allait pas ainsi, rien de ce que le Centre pourrait faire ne serait de quelque utilité.

Routes d’avenir

Le mouvement des communautés de base est en train d’acquérir de l’importance. Dans ce processus, trois points deviennent de plus en plus clairs en ce qui concerne leur marche en avant.

D’abord, les communautés de base réalisent qu’elles ont besoin d’être en étroit contact les unes avec les autres. C’est pourquoi le « réseau » progresse rapidement, grâce aux groupes qui tiennent des rassemblements régionaux et qui participent à des manifestations communes. Des groupes ont aussi noué des liens plus étroits et se sont associés depuis tout un temps déjà. Sont ainsi apparues, par exemple, en 1980, les « Organisations chrétiennes pour le changement social, politique et économique » et, en 1981, la « Coalition évangélique pour la mission urbaine ».

En deuxième lieu, on a reconnu que les communautés de base ne peuvent pas tout faire pour tout le monde. Un de leurs objectifs principaux est donc de devenir des « catalyseurs » amenant les laïcs chrétiens, quel que soit leur genre de vie, à se rendre compte que de nouveaux types de ministères et de communautés chrétiennes sont d’une suprême importance dans le monde où nous vivons. Que si tous les laïcs n’ont pas le temps ou la possibilité de rejoindre une communauté de base comme telle, ces dernières sont néanmoins là pour les stimuler, les encourager et les aider dans leur travail plus individuel et parfois fort isolé dans les institutions de notre société.

En troisième lieu, on s’est rendu compte que la Grande-Bretagne n’est en aucune manière un cas isolé dans ce processus de révolution et de renouveau. Au Brésil, aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Italie, au Malawi, en Tanzanie, dans les Philippines, pour ne citer que quelques pays, des mouvements similaires se sont manifestés, pionniers de cet avenir inconnu. Chaque mouvement de communautés de base est marqué par l’histoire, la culture et la vie politique de son propre pays. Mais ce que tous ont en commun est de loin plus significatif que ce qui les sépare. Une profonde révolution silencieuse est en train de se produire.

Westhill College
Weoley Park Road
Selly Oak, BIRMINGHAM B29 6LL, Grande-Bretagne

[1L’abonnement (trois numéros) est de £ 3 par an (même adresse que l’auteur de l’article). Celui-ci a publié, en 1977, Basic Communities. Toward an Alternative Society (Communautés de base. Vers une société alternative), London, SPCK, £ 5.50, où il décrit ce mouvement vers une société plus humaine et plus accueillante.

[2Les liens entre les communautés chrétiennes de base et les religieux se sont multipliés et renforcés depuis 1977, date à laquelle des religieux catholiques romains et anglicans furent pour la première fois présents à une conférence des communautés chrétiennes de base dans le Suffolk. Des membres de groupes laïcs et des religieux se rencontrent fréquemment lors de réunions régionales (en janvier 1983, par exemple, sur une cinquantaine de personnes présentes à une réunion en Irlande du Nord, une vingtaine étaient des religieux). Dans certains cas, les groupes laïcs et les religieux cherchent à exercer un apostolat commun pour l’organisation de centres de conférence, le travail dans les agglomérations urbaines, le ministère auprès des minorités ethniques, le mouvement pour la paix, etc. Une centaine de religieux, catholiques romains et anglicans, prirent part au Congrès de 1980. Deux membres d’instituts catholiques romains et deux autres d’instituts anglicans travaillent au comité directeur du National Centre for Christian Communities and Networks. Sont actuellement inscrits à ce Centre comme « groupes associés » vingt et une communautés anglicanes et vingt-deux instituts catholiques romains. Dans l’Annuaire 1984 du Centre, 132 instituts religieux choisirent d’être mentionnés, sur un total d’environ 400 communautés et groupes recensés. Au fur et à mesure des armées, les liens continuent à se renforcer de plus en plus. – On trouvera plus de détails sur la place occupée par les religieux dans le mouvement (et sur le mouvement lui-même) dans : David Clark, The Liberation of the Church : the role of basic Christian groups in a new re-formation (La libération de l’Église : le rôle des communautés chrétiennes de base dans une nouvelle ré-forme), NACCAN, 1984, £ 3.95.

[3Pour plus de renseignements sur ce « Centre national pour les communautés chrétiennes et leur mise en relation » (Networks signifie littéralement : « réseaux ») s’adresser au Centre (même adresse que l’auteur de l’article).

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