Le service de l’autorité religieuse (I)
Mary Linscott, s.n.d.
N°1983-6 • Novembre 1983
| P. 360-368 |
L’autorité religieuse passe par un moment de crise, l’expérience de ces dernières années en fait foi. L’auteur, qui a été longtemps supérieure générale des Sœurs de Notre-Dame de Namur, a vécu au cœur de ces difficultés. Dans les pages qui suivent, elle montre à quelle lumière on peut espérer renouveler la vigueur de l’autorité religieuse et donc aussi de l’obéissance. Dans une première étape, elle jette un regard sur l’autorité religieuse elle-même, telle que nous la découvrons en Jésus, dans l’Église et dans les Instituts religieux. Les étapes suivantes, que nous publierons dans le prochain numéro de la revue (1984, n° 1), aborderont d’abord le service de l’autorité dans le gouvernement religieux. Sœur Linscott en rappellera le modèle, Jésus, Fils et Serviteur ; elle analysera également les structures et les styles de l’autorité religieuse ainsi que son expression constitutionnelle. La troisième étape approfondira quelques-uns des aspects positifs, des confusions et des questions que révèle le service de l’autorité tel qu’il est vécu aujourd’hui.
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L’expérience de ces dernières années suggère nettement que, comme beaucoup d’autres éléments, l’autorité religieuse passe par un moment de crise. L’occasion immédiate de celle-ci a souvent été une réaction compréhensible, mais par trop vigoureuse, contre certaines anciennes manières de procéder. D’autres causes ont néanmoins contribué, elles aussi, à faire naître cette situation : l’apparition, dans certaines régions, d’une vive conscience culturelle, l’introduction de nouvelles procédures et de nouveaux modèles, qu’on les ait présentés comme favorables ou nuisibles ou simplement comme un changement par rapport au passé, l’évolution des idées sur la vie religieuse et sur l’Église et même le simple fait d’avoir vécu, depuis la fin des années 60, un temps d’expériences où, la plupart du temps, l’exercice de l’autorité n’était pas clairement prévu. En dernier ressort, la crise affecte des valeurs fondamentales de la vie religieuse : son identité, son efficacité apostolique, la nature et l’importance de la consécration, la forme que prendra demain la vie religieuse. En raison de ses conséquences potentiellement graves, cette crise ne peut pas être ignorée.
Effectivement, beaucoup d’instituts lui font face avec grande loyauté. Certes, les réponses sont diverses. Dans un petit nombre de cas, on imite l’autruche et l’on semble admettre que cette situation disparaîtra d’elle-même pourvu qu’on ne lui accorde pas trop d’attention. Ailleurs, on se porte aux solutions extrêmes : maintien du statu quo comme si rien ne s’était produit ou, à l’opposé, saut dans l’inconnu et adoption d’un « modèle » qui implique virtuellement la disparition de toute autorité réelle ou, du moins, son non-exercice. Certains s’efforcent de conserver le contenu de l’autorité, mais l’habillent d’un autre langage, souvent emprunté au monde des affaires ou de la politique. D’autres enfin gardent verbalement le concept, mais lui infusent virtuellement un contenu différent : il s’agira fréquemment de participation, de communication, de consensus, de « leadership ». Aucun de ces essais ne répond vraiment au problème, mais chacun montre à sa façon que l’on a pris conscience de se trouver devant une situation qui doit être regardée en face.
Des lignes de développement plus récentes révèlent une perception croissante de la nécessité qu’il y a de voir l’autorité religieuse dans son rapport à l’obéissance religieuse et de rattacher l’une et l’autre à la dimension ecclésiale de la vie consacrée. Les sœurs commencent à se rendre compte que l’on ne peut traiter adéquatement la question de l’autorité sans se placer au niveau de la foi et de la relation à l’Église ; elles s’efforcent de trouver des expressions qui, tout ensemble, reflètent la foi, nourrissent la vie et ses valeurs, rencontrent la réalité actuelle et soient en harmonie aussi bien avec la loi de l’Église qu’avec les meilleures traditions de leur institut.
L’une des lignes de ce développement prend sa source dans une meilleure appréciation du service rendu par l’autorité. Fréquemment, ces essais aboutissent à des expressions contradictoires ; cela vient de ce qu’on estime que le « service de l’autorité » signifie ou bien « autorité et service » ou bien « autorité comme service », sans que les conclusions que l’on en tire soient pleinement cohérentes avec l’une ou l’autre de ces vues. Mais, si l’autorité est par elle-même service, c’est-à-dire s’il lui suffit d’être elle-même pour servir nécessairement et de façon fructueuse la vie religieuse, nous avons mis le doigt sur une ligne de recherche riche en virtualités.
J’espère explorer quelque peu ce domaine mais, avant de le faire, je pense que certaines précisions s’indiquent.
D’abord, ce n’est pas de l’autorité en général que je parlerai, mais seulement de l’autorité religieuse, à savoir celle qui est exercée dans une congrégation religieuse précisément en vertu de la reconnaissance de celle-ci par l’Église. En second lieu, étant donné que sans autorité il n’y aurait pas à proprement parler de congrégation religieuse, je considérerai comme admis que l’autorité religieuse elle-même n’est pas mise en question, mais que la crise porte principalement sur l’évolution des structures et la recherche de styles adaptés dans l’exercice de l’autorité. Troisièmement, je limiterai ma réflexion à l’expérience vécue par les sœurs de vie apostolique. Ceci, en partie parce que c’est chez elles que les problèmes d’autorité et de gouvernement se manifestent de façon aiguë, en partie aussi parce que ma propre expérience concerne surtout ce milieu et que mes réflexions dépendent en bonne partie de mes contacts avec ces religieuses.
Ces réflexions se développent en trois grandes étapes : un regard sur l’autorité religieuse elle-même telle que nous la découvrons en Jésus, dans l’Église et dans les instituts religieux ; le service de l’autorité dans le gouvernement religieux ; enfin, quelques-uns des aspects positifs, des confusions et des questions que révèle le service de l’autorité tel qu’il est vécu aujourd’hui.
L’autorité religieuse
En Jésus
Sans doute, l’épisode évangélique que l’on associe le plus couramment avec l’autorité de Jésus est celui que rapporte la finale de saint Matthieu (Mt 28,19-20). Marie de Magdala et l’autre Marie ont reçu de l’ange près du tombeau (28,7), puis du Seigneur lui-même (28,10), l’ordre d’aller dire aux disciples, « ses frères », de se rendre en Galilée. C’est une convocation solennelle « à la montagne que leur avait fixée Jésus ». Là, devant l’adoration des uns et l’hésitation de certains autres, Jésus rappelle avec assurance le pouvoir qui est le sien, donne ses derniers ordres et fait une ultime promesse, dans un cadre qui, pour Matthieu, rappelle la loi ancienne du Sinaï et la loi nouvelle des Béatitudes. L’affirmation est absolue : « Tout pouvoir au ciel et sur la terre m’a été donné » (Mt 28,19) et, pour en assurer l’effet, il promet aux disciples qu’il sera avec eux jusqu’à la fin des temps (Mt 28,20). En conséquence, dans l’œuvre de l’évangélisation –prêcher, baptiser, enseigner, porter la parole de Dieu partout et à toutes les générations –, la force intérieure, l’impulsion et le pouvoir seront toujours ceux du Christ lui-même, auquel tout pouvoir a été donné.
Pour les disciples, cela n’a guère dû paraître surprenant. La plupart d’entre eux connaissaient Jésus comme celui qui a l’autorité et l’exerce. Il parlait avec autorité, à la différence des scribes et des pharisiens (Mt 7,29) ; il interprétait la Loi sans s’appuyer sur une autre autorité que la sienne (Mt 5,21 sv.) ; il ordonnait aux esprits mauvais de sortir et ceux-ci s’en allaient (Mt 8,32) ; il commandait aux vents et à la mer et ceux-ci lui obéissaient (Mt 8,26-27) ; il guérissait malades (Mt 8,14-15), aveugles (Mt 9,27-30), sourds (Mc 7,32-35), muets (Mt 9,32-33), boiteux (Mt 15, 30), paralysés (Mc 2,3-11) ; il avait autorité sur le péché (Mc 2,10) et sur la mort elle-même (Lc 7,14-15). L’autorité qu’il exerçait sur ses disciples était hors de question.
Il en allait de même pour le fait qu’il pouvait, quand il choisissait de le faire, communiquer à d’autres des pouvoirs analogues. Parfois, ce pouvoir leur était remis pour une brève période, comme lorsque les apôtres, après s’être réjouis avec exubérance d’en avoir disposé durant leur première mission (Mc 6,7.30 ; cf. Lc 9,17), se rendirent compte qu’ils ne l’avaient plus lorsque, au pied du Thabor, ils s’efforcèrent de guérir l’enfant possédé (Mc 9,18). Parfois, ce pouvoir leur fut promis pour l’avenir : ce fut le cas de Pierre après sa confession de foi (Mt 16,18-20) : au bord du lac de Tibériade, il lui fut donné de façon définitive (Jn 21,15-17). Jésus était Seigneur et maître, pasteur et docteur, roi (sans que sa royauté soit de ce monde), maître du sabbat, Messie et Fils de Dieu. Son autorité n’a jamais été mise en doute par ses disciples.
D’après son propre témoignage toutefois, cette autorité il ne se l’était pas arrogée, il ne l’avait pas obtenue par acclamation, elle lui était donnée. Pas plus que son sacerdoce, elle n’était une chose que Jésus s’accordait à lui-même ou prenait de sa propre initiative (cf. He 5,4) ; il ne l’acceptait pas non plus des acclamations de disciples émerveillés et voulant le proclamer roi (Jn 6,15). Comme il le déclarait lui-même, son autorité lui était « donnée », donnée par le Père.
Pour cette raison, elle ne ressemblait à aucune autre. Intimement liée à sa personne de Fils et à sa mission de rédempteur, elle était au service d’un projet qui était l’affaire du Père (cf. Jn 14,31), la « volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 5,30). Elle s’étendait à tout, au ciel et sur la terre. Dans son exercice, elle se distinguait clairement de l’autorité des « chefs des nations, qui leur commandent en maîtres » (Mt 20,25) ; elle servait à donner la vie (Jn 10,10), à guérir (Mt 8,16), à enseigner (Mt 7,29), à sauver (Jn 12,47), à pardonner (Mt 9,6), à sanctifier (Jn 1,12), à unir (Jn 17,21), à lier et délier dans les cieux (Mt 18,18), à envoyer en mission d’évangélisation (Mt 28,18), à fonder l’Église (Mt 16,18).
L’autorité dans l’Église
Telle est l’autorité, exercée dans le même but et de façon semblable, que le Christ assure dans son Église jusqu’à la fin des temps. Le pouvoir fut donné à Pierre comme un objet de foi : c’était l’autorité du Christ dont il était investi. Il le savait lorsqu’il déclarait au paralytique de la Belle Porte : « Au nom de Jésus-Christ le Nazaréen, lève-toi et marche » (Ac 3,7). Il en avait conscience lorsqu’il aida à rédiger la décision du « concile » de Jérusalem : « Il a paru bon au Saint-Esprit et à nous... » (Ac 15,28). Il l’éprouva dans le renversement intérieur des valeurs qu’il dut opérer pour accueillir le centurion Corneille (Ac 10,34-47) et pour rompre avec les judaïsants d’Antioche (Ga 2,11-14). Exerçant le pouvoir de lier et de délier que le Christ lui avait confié à un titre unique (Mt 16,19) et confiant dans la prière du Seigneur pour lui (Lc 22,32), Pierre confirma ses frères avec une autorité dont il savait qu’elle était un pur don. Elle était au service de la mission du Christ. Pour être fructueuse, elle dépendait d’une relation personnelle d’intimité et d’une obéissance aimante envers le Maître qui la lui avait conférée ; elle fut exercée en vue des objectifs du Christ et à sa manière, jusque et y compris par l’union avec lui dans le martyre.
Les mêmes caractéristiques se retrouvent dans l’exercice de l’autorité par Paul : « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ » (1 Co 416 - Vulgate). Tels sont les termes, d’une densité mystérieuse, par lesquels il décrit la place qu’il occupe par rapport au Christ, qui est sa vie (Ph 1,21), et aux nouveaux convertis, dont il est responsable. Il pouvait faire appel – et il ne s’en priva pas – à l’autorité morale qui découle de la valeur d’une vie baptismale. Mais il possédait aussi un autre type d’autorité, celle que Dieu lui avait personnellement confiée pour son apostolat au milieu des païens. Grâce à celle-ci, en union avec Pierre, il était capable d’inspirer, d’instruire, d’encourager, de corriger, de juger et d’organiser les Églises qu’il fondait, en vue de les mener à la plénitude du Christ. Dans l’usage de ce pouvoir, il distinguait soigneusement ce qui était enseignement commun « provenant du Seigneur », selon sa propre expression, et ce qui constituait une opinion personnelle (1 Co 7,10-12). Il veillait scrupuleusement à ne tirer aucun profit pour lui-même de l’exercice de ce pouvoir (2 Th 3,8-9 ; 1 Co 9,15) et il se préoccupait d’en assurer la continuation dans ses jeunes Églises (2 Tm 1,6 ; 2,1-2). Aussi le trouvons-nous sans cesse en train d’instruire, de corriger les erreurs, qu’elles soient de doctrine en Galatie ou de mœurs à Corinthe, de développer, dans les Églises locales, le bon ordre dans la liturgie (1 Co 11), l’organisation (Tt 2,1-15), les relations interpersonnelles (Ph 4,2). Quand besoin en était, il faisait appel à une aide matérielle de leur part (1 Co 16,1-4 ; Rm 15,25-26). Tout ceci s’accompagnait de souffrances, comme le montre clairement la seconde Lettre aux Corinthiens. L’autorité du Christ était exercée à la manière du Christ, à travers la passion et la résurrection ; l’expérience de Paul était pascale.
Chez Pierre comme chez Paul, l’autorité religieuse était le pouvoir reçu du Christ, agissant à travers eux pour le but eu vue duquel l’Église avait été instituée. Depuis lors, c’est fondamentalement la même autorité que l’on retrouve dans l’Église. Sa tâche est de sauver, de sanctifier, d’unir, de réconcilier avec le Père et de répandre concrètement la bonne nouvelle de Jésus-Christ chez tous les peuples et jusqu’à la fin des temps. Selon la belle expression de Vatican II, l’Église est « le sacrement du salut ». Sa mission est donc de diriger, juger et enseigner avec une autorité qui ne peut venir de ses membres et qu’elle est incapable de se donner à elle-même : c’est l’autorité du Christ dont elle est la présence visible. Son union intime et son identification avec lui garantissent que c’est bien l’autorité même du Seigneur qui est exercée dans et par elle.
Néanmoins, ceci ne la met pas à l’abri de faiblesses humaines dans la manière de l’exercer. Cela n’avait pas non plus préservé Pierre de commettre des erreurs ni Paul de payer les conséquences de la vivacité de son tempérament. Au cours de l’histoire, sont intervenus de nombreux facteurs qui ont marqué les structures de l’Église d’une manière qui appelait des redressements ultérieurs. À ce niveau, l’Église s’est trouvée impliquée, à certaines époques, dans des manières d’user et d’abuser de l’autorité qui avaient vraiment peu à voir avec l’autorité du Christ. Mais la vérité essentielle demeure : ce qui est strictement propre à l’Église, c’est une autorité religieuse – celle du Christ lui-même – en vue de sauver, de faire des disciples, de prêcher l’Évangile, d’amener au Père tous les hommes, en tout lieu et en tout temps.
Telle est l’autorité qu’exerce l’Église lorsqu’elle reconnaît les instituts religieux comme des microcosmes de sa propre réalité. Ceux-ci se réfèrent à cette autorité et c’est elle qui leur donne la leur.
L’autorité dans les instituts religieux
Dans un institut religieux, il y a un certain nombre de données qui requièrent que l’autorité soit de type ecclésial ou religieux et ne soit pas seulement celle qui répondrait aux nécessités d’une quelconque fondation ou de l’organisation du groupe ainsi fondé. Ces données touchent à la nature même de la vie religieuse. Ce n’est pas d’eux-mêmes que les instituts religieux tirent leur origine ; leur continuation dans l’existence n’est pas uniquement le résultat de leurs efforts et de leurs plans. Ils résultent d’un don de Dieu et dépendent de lui aussi bien pour leur naissance que pour leur durée. Leur raison d’être fondamentale est de suivre le Christ : pour eux, tout doit découler de là, tout doit lui être rapporté. En outre, ils sont, d’une façon spéciale, un don de Dieu à son Église. Leur genre de vie n’a de sens qu’au niveau de la foi ; ils témoignent de réalités et de valeurs absolues qu’on ne peut ni voir ni toucher et ce n’est qu’en vertu de leur reconnaissance et de leur approbation par l’Église qu’ils existent. Leur but est celui du Christ et de l’Église. De tels instituts requièrent une autorité qui agisse au niveau de la foi, du Christ et de l’Église, une autorité qui corresponde à l’obéissance librement vouée par les membres à cause de leur désir de suivre de plus près celui qui, par amour, s’est fait obéissant jusqu’à la mort.
Sous l’action de Dieu, qui continuait à intervenir dans leur vie, toutes les fondatrices ont pris conscience de la nécessité de ce type d’autorité. Des circonstances providentielles variées peuvent amener des chrétiens à se rassembler en vue d’un bien à procurer (Pax Christi, les « Christian Social Volunteers », la « Cafod », les associations de femmes catholiques en sont quelques exemples pris au hasard) ; pour faire du bon travail et atteindre leurs objectifs, les membres de ces groupements n’ont besoin que de l’autorité qui découle de leur propre organisation. Ils se donnent mutuellement toute l’autorité requise pour le bon fonctionnement de leur œuvre. Leur rattachement à l’Église n’est pas essentiel, il ne résulte pas de la nature de l’autorité qui s’exerce dans le groupe, il provient de la reconnaissance du projet commun et de l’engagement baptismal de chacun des membres. Des instituts religieux ont parfois débuté sous cette forme. À un certain moment de leur développement, toutefois, ils réalisèrent qu’ils aspiraient à plus que ce qu’un simple groupe de chrétiens, si bien intentionné soit-il, pouvait leur donner. Le désir d’un engagement envers Dieu qui soit total, public et officiellement reçu, le besoin ressenti de vœux perpétuels, l’appel à suivre le Christ dans son obéissance, comme individus et comme groupe, telles ont pu être quelques-unes des raisons qui ont poussé fondateurs ou fondatrices à prier l’Église d’exercer son autorité propre et de reconnaître l’institut comme famille religieuse. Car seule l’Église peut, au nom du Christ, établir un institut religieux, recevoir des engagements qui soient des vœux de religion, donner mission ecclésiale et conférer cette autorité religieuse spécifique en vertu de laquelle un institut religieux peut requérir de ses membres de vivre et de travailler de telle sorte qu’ils atteignent le but pour lequel l’institut a été érigé.
Cette autorité, que j’appellerai l’autorité religieuse, se rapporte spécialement à la consécration, à la vie vouée, à la mission et au gouvernement. Elle est spécifique des instituts religieux ; c’est autre chose que l’organisation, la responsabilité, le pouvoir, le « leadership ». Donnée par l’Église, cette autorité implique une responsabilité ecclésiale.
De plus, l’autorité religieuse n’est jamais un pouvoir absolu. En sont investies des personnes nommément désignées mais qui, dans la plupart des cas, ne peuvent agir isolément. Cette autorité s’exerce à l’intérieur de structures, habituellement mises au point par la fondatrice en dialogue avec l’Église, qui traduisent le charisme, la nature, l’esprit et le but de l’institut : ces structures sont approuvées dans les constitutions. Une pareille autorité rend possible une vie d’obéissance vouée. Qui plus est, elle lui est nécessaire.
Bien sûr, il est vrai que les structures dans lesquelles se coule l’exercice de l’autorité religieuse peuvent être démodées. Elles peuvent s’atrophier, être mal employées ou être manipulées, perdre contact avec le réel ou cesser de fonctionner. Elles peuvent atteindre un palier où elles ne correspondent plus aux valeurs qu’elles sont censées promouvoir : elles ne les expriment plus. À ce moment, elles ont besoin d’être revues et renouvelées. Pour ce processus, il est de la dernière importance d’avoir en tête la nature, le but et la source de l’autorité religieuse, étant donné que des modèles convenant pour d’autres types d’organisation ne sont pas nécessairement appropriés aux structures de l’autorité dans la vie religieuse. Il est nécessaire aussi de se rappeler et de respecter la structure fermement ecclésiale de l’autorité religieuse, car ceci entraîne que tout renouveau dans les structures de cette autorité est toujours matière d’un dialogue avec le Saint-Siège ; ce n’est jamais l’initiative unilatérale de l’institut. Il nous faut encore saisir clairement le rapport de l’autorité au charisme et à la vie de l’institut tel qu’il s’exprime dans les saines traditions qui lui sont propres : ces traditions indiquent en effet la meilleure direction pratique à suivre pour des structures qui réaffirmeront l’identité de l’institut dans la fidélité créatrice, la continuité et l’ouverture.
Là où le renouvellement des structures s’opère de la sorte, l’autorité sert de façon fructueuse les buts pour lesquels la vie religieuse existe. Elle rend témoignage à celui qui est venu non pour être servi mais pour servir et qui a mis son autorité au service du Royaume. Mais lorsque le renouveau des structures néglige, d’une façon ou de l’autre, de faire attention à la nature spécifique, à la dimension ecclésiale et à la continuité charismatique de l’autorité religieuse au niveau de la foi, il peut en fin de compte en arriver à trahir la vie religieuse elle-même en sécularisant, au sens péjoratif du terme, ce qui lui est fondamental. Les diverses crises actuelles de l’autorité se situent entre les deux possibilités que nous venons d’évoquer ci-dessus.
À suivre dans Vie Consacrée 1984-1
Largo Giovanni Berchet 4
I-00152 ROMA, Italie