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Les Instituts séculiers dans le nouveau code de droit canon

Armando Oberti

N°1983-3-4 Mai 1983

| P. 201-212 |

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Un Code entièrement renouvelé

Le Code de Droit Canon promulgué par Jean-Paul II le 25 janvier 1983 se présente comme franchement renouvelé par rapport au Code de 1917, qu’il abroge.

Les experts en la matière n’ont pas manqué de signaler immédiatement les aspects techniques de ce renouveau, en soulignant les différences que la comparaison entre les deux textes fait apparaître. Mais les non-experts, eux aussi, peuvent facilement se rendre compte des innovations introduites dans le Code. Ces innovations ne concernent pas seulement la présentation, mais également des éléments fondamentaux de la vie de l’Église et la manière elle-même de comprendre la législation canonique.

À la base de ce renouveau du Code se trouve – et il ne pouvait en être autrement – Vatican II avec l’aggiornamento qu’il a représenté pour l’Église considérée en elle-même et dans ses rapports au monde, à l’intérieur duquel elle se situe.

En promulguant le nouveau Code par la Constitution apostolique Sacrae disciplinae leges, Jean-Paul II n’a pas manqué de souligner explicitement la chose. En effet, il affirme que « la nouveauté essentielle du Concile Vatican II, dans la continuité avec la tradition législative de l’Église, surtout en ce qui concerne l’ecclésiologie, constitue également la nouveauté du nouveau Code ». Le Pape met aussi en évidence les traits qui caractérisent l’ecclésiologie du Concile. En particulier, Jean-Paul II indique « la doctrine qui montre l’Église comme une « communion » et qui, par conséquent, indique quelles sortes de relations doivent exister entre les Églises particulières et l’Église universelle..., la doctrine selon laquelle tous les membres du Peuple de Dieu, chacun selon sa modalité, participent à la triple fonction du Christ : sacerdotale, prophétique et royale. A cette doctrine se rattache aussi celle concernant les droits et devoirs des fidèles et, en particulier, des laïcs ; et, enfin, l’engagement de l’Église dans l’œcuménisme ».

En ce qui concerne la manière de comprendre la législation canonique, il suffira de citer et de comparer les phrases qui concluent pratiquement les Constitutions apostoliques par lesquelles ont été promulgués les deux Codes.

En 1917, Providentissima mater Ecclesia affirme : « Si quelqu’un a la présomption de porter atteinte à ces normes, qu’il sache qu’il encourt l’indignation du Dieu Tout-Puissant et des Bienheureux Pierre et Paul, ses apôtres ».

« J’exhorte tous les fidèles, conclut par contre Jean-Paul II, à bien vouloir observer les normes proposées d’un cœur sincère et avec bonne volonté dans l’espérance que refleurisse dans l’Église une discipline renouvelée, afin de promouvoir de plus en plus... le salut des âmes ».

Mais si le Code de 1983 est nouveau, puisqu’il dépend directement de l’ecclésiologie rénovée de Vatican II, les membres des Instituts séculiers remarquent plus vivement que d’autres cette nouveauté, puisque celle-ci les regarde directement et touche le cœur même du charisme et de la vocation qui leur sont propres.

Les Instituts séculiers : une nouveauté qui innove

La sensibilité à cette nouveauté est, par ailleurs, particulièrement vive chez les membres des Instituts séculiers et ceci pour une série de raisons que peuvent facilement comprendre ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont au courant de leur histoire.

Il suffira de rappeler que les groupes de laïcs et de prêtres consacrés, qui seront ensuite appelés Instituts séculiers, n’avaient pas encore trouvé place dans le Code de 1917 : leur expérience était encore trop récente, mais surtout la vocation et la manière de vivre qui en découle et que leurs pionniers et leurs fondateurs exprimaient et dont ils témoignaient en rassemblant d’autres personnes autour d’eux étaient par trop neuves. Pareille nouveauté ne pouvait même pas être prise en considération par l’ecclésiologie reçue et la théologie des états de vie qui en découlait ; or c’étaient elles qui informaient alors la codification canonique.

En effet, le Code de Pie x et de Benoît XV avait sanctionné, en conformité avec l’ecclésiologie alors dominante, l’existence dans l’Église de trois catégories de personnes : les clercs, les religieux et les laïcs. Dans ce Code, aux canons 107 et 948, étaient considérés comme laïcs les « non-clercs » (même s’ils étaient religieux), alors que, dans la Troisième Partie, consacrée aux laïcs, étaient compris sous cette dénomination ceux qui n’étaient ni clercs ni religieux. Le Code de 1917 s’occupait aussi des différents types d’associations de laïcs, mais la profession des conseils évangéliques et, en conséquence, la consécration à Dieu restaient la propriété exclusive des religieux, les distinguant nettement des laïcs.

Partant, cette codification constituait un obstacle presque insurmontable à la compréhension et à la reconnaissance d’associations de laïcs voulant se consacrer en restant laïcs. Les deux termes laïcité et consécration finissaient par s’exclure mutuellement, au lieu de fusionner dans l’unité, comme le prétendaient ceux qui avaient été à l’origine du phénomène que l’on définira ensuite comme « Instituts séculiers ». En conséquence, durant de nombreuses années, la vocation des Instituts séculiers et de leurs membres et le genre de vie correspondant ne seront pas ecclésialement reconnus comme possibles, parce que le Code ne prévoyait rien de tel.

Mais on doit aussi se rappeler que, jusqu’aux années 70, les Instituts séculiers et leurs membres, nonobstant leur reconnaissance officielle, ont fréquemment été considérés et compris d’une manière différente de ce qu’eux-mêmes affirmaient et voulaient être (ceci provenait, entre autres, d’une certaine ambiguïté encore présente dans les documents officiels). La source de ces ambiguïtés restait une vision et une définition des états de vie dans l’Église se fondant encore sur une certaine ecclésiologie et la codification canonique qui la mettait en œuvre.

Par contre, le nouveau Code a admis l’existence des Instituts séculiers en leur accordant une place significative, même quantitativement : il en traite en 21 canons différents. Telle est donc la première constatation, la plus immédiate, même si elle est un peu sommaire, que l’on peut faire en parcourant simplement la table des matières du nouveau Code.

Mais les réflexions que suggère déjà une simple lecture des principaux canons du Titre consacré aux Instituts séculiers sont beaucoup plus parlantes. Avant tout et fondamentalement, une réalité s’en dégage : les Instituts séculiers, précisément parce qu’ils sont une nouveauté introduite dans le Code et une nouveauté substantiellement acceptée comme telle au plan de l’ecclésiologie et des états de vie, se présentent comme un élément plein d’un dynamisme novateur au niveau ecclésiologique et canonique.

Cette constatation conduit à une réflexion qui est loin d’être marginale : le nouveau Code s’est montré capable de recueillir, jusque dans la formulation de ses normes canoniques, des attentes spécifiques manifestées à plusieurs reprises par les Instituts séculiers et leurs membres. Ces attentes se rattachent intimement à une réalité suscitée par l’Esprit ; celle-ci, vécue par eux dans son noyau le plus intime et le plus caractéristique, est appelée à jouer un rôle d’anticipation pour la prise de conscience de la nature séculière de l’Église et du rôle dévolu au laïcat au sein d’une Église qui est dans le monde : cette réalité est donc appelée à devenir un « laboratoire expérimental » de cette présence lumineuse, savoureuse et agissante dans le monde, avec le monde et pour le monde.

Les attentes des Instituts séculiers

Au cours des années durant lesquelles a été réalisé le travail d’élaboration du nouveau Code, les Instituts séculiers, à plusieurs reprises et en diverses occasions, ont présenté leurs souhaits à la Commission instituée pour assurer la révision du texte de 1917. De plus, le groupe spécialement chargé d’élaborer et de formuler les canons traitant de cette forme de vie a pu compter sur quelques consulteurs experts en la matière ainsi que sur quelques fondateurs d’instituts. De cette façon, l’information mise à la disposition de la Commission a été abondante et de première main.

La composition du groupe de travail et de la Commission ainsi que la procédure adoptée pour l’élaboration du Code ont permis tout d’abord de mieux structurer le Titre consacré aux Instituts séculiers. Surtout, elles ont rendu possibles une exacte saisie et la ratification sous forme normative de leur charisme et de leur vocation. De la sorte, on recueillit les éléments fondamentaux mis en lumière, dans une classification typologique, par Vatican II et le magistère pontifical après lui, en accordant plus d’attention à la réalité vécue et au témoignage des personnes qu’aux schèmes théologiques préexistants.

Les désirs exprimés à plusieurs reprises par les Instituts séculiers ne concernaient plus guère leur introduction dans le nouveau Code : la chose allait de soi après les documents pontificaux qui avaient reconnu et fondé leur existence, après Perfectae caritatis 11 et après l’activité magistérielle de Paul VI et de Jean-Paul II en la matière. Leur attente portait surtout sur la nécessité de tirer au clair certaines questions cruciales.

Ceci requérait, en particulier, l’adoption d’une perspective ecclésiologique dans laquelle trouverait son juste relief le discours, ancien et actuellement repris de manière neuve, sur les charismes. En effet, il ne s’agissait pas de les opposer au groupe des religieux, si justement cher à l’Église. Il s’agissait plutôt d’un effort de fidélité à un don particulier, car l’on pensait que l’Église et le monde d’aujourd’hui pourraient en bénéficier plus largement.

En effet, cette réflexion sur les charismes amène, dans le cas précis des Instituts séculiers, à unir consécration et sécularité, à moduler et à préciser les rapports entre elles, à situer comme il convient ces communautés de personnes qui trouvent dans la consécration à Dieu, vécue en plein monde, à partir du monde et par le moyen du monde, ce qui leur permet de sanctifier ce monde ; ils le font comme laïcs unissant leurs efforts à ceux des autres baptisés ou comme prêtres travaillant avec leurs confrères au sein du même presbytérium.

Par ailleurs, la nouveauté des Instituts séculiers avait été reconnue, non sans peine, par Vatican II. Dans le cours des travaux conciliaires, en effet, on retenait d’une part que l’on ne pouvait plus ignorer les Instituts séculiers : ceux-ci s’inscrivaient notamment de façon remarquable dans la perspective adoptée pour le rapport Église-monde. Ce rapport apparaissait comme celui d’une Église plus profondément consciente de sa nature et se renouvelant en conséquence, Église qui se rendait sans cesse plus capable d’apporter le salut au monde à la manière d’un ferment en pleine pâte. D’autre part, on réservait à ces Instituts une place dans le décret Perfectae caritatis (sur le renouveau de la vie religieuse) ; si le paragraphe qui les concernait soulignait les deux caractéristiques fondamentales de ces Instituts (la consécration et la sécularité), cette localisation ne pouvait que soulever de sérieuses inquiétudes pour la signification que le contexte où ils figuraient risquait de leur donner.

En effet, malgré les intentions de ceux qui avaient collaboré à la rédaction du document, cela aboutissait à entretenir le soupçon que les Instituts séculiers ne seraient peut-être qu’une modalité, sans doute la plus récente, de la vie religieuse. Lorsque le projet fut connu, il donna lieu à diverses initiatives : on demanda un changement de titre du schéma lui-même et l’attribution, au paragraphe sur les Instituts séculiers, d’une place qui rende explicite leur différence d’avec les diverses formes de la vie religieuse. Toutefois, à cette phase d’élaboration du texte conciliaire, les modalités de procédure fixées par le règlement n’autorisaient plus ni interventions dans l’aula, ni votes iuxta modum : il n’y avait donc plus moyen d’attirer l’attention des Pères conciliaires sur les préoccupations nées de la situation que nous avons brièvement exposée ci-dessus.

Le texte semblait désormais destiné à passer tel quel, avec sa localisation ambiguë, dans le schéma sur la rénovation adaptée de la vie religieuse, s’il n’y avait pas eu une intervention de Paul VI sur ce point précis. Il fit introduire une incise au début du paragraphe en question et celui-ci devint : « Bien qu’ils ne soient pas des Instituts religieux, les Instituts séculiers comportent cependant une profession véritable et complète des conseils évangéliques dans le monde, reconnue comme telle par l’Église ». L’insertion des termes soulignés ci-dessus aboutissait à garantir le vrai sens des différents Instituts, qu’ils soient religieux ou séculiers.

Du reste, si l’on jette un regard sur la littérature concernant les Instituts séculiers, de leur naissance aux années 70, on voit sans peine que le plus grand nombre des études s’intéresse moins à la réalité théologique, ecclésiologique, spirituelle et pastorale des nouveaux Instituts qu’au problème juridico-canonique qu’ils posent. Dans tout cela, il s’agissait seulement d’expliciter, dans les termes du droit, ce qui, en définitive, était déjà clair dans la conscience, la réalité vécue et le comportement des membres des Instituts séculiers : ceux-ci sont et restent des laïcs ou des prêtres séculiers ; la consécration ne change ni leur condition canonique ni leur forme de vie ; au contraire, elle la renforce, la rend plus radicale, puisque la sécularité en devient consacrée pour qu’elle soit plus strictement vécue comme telle et que l’engagement dans le monde, avec le monde et pour lui qu’elle implique soit permanent et total.

Les études publiées lorsque commença la révision du Code semblaient ne pas accepter cette conviction profonde des membres des Instituts séculiers. D’où, chez ceux-ci, de vives préoccupations concernant le travail confié, dans la commission pour la révision du Code, au groupe chargé de cette question. On craignait que les clarifications désormais acquises, même au niveau du magistère pontifical, ne pèsent pas suffisamment dans la balance quand il s’agirait de donner aux Instituts séculiers la place qui leur revenait en vertu de leur nature particulière et originale. A ce moment toutefois, fut lancée une large consultation de l’Épiscopat et des milieux ecclésiaux intéressés et les Instituts séculiers purent y joindre, par l’intermédiaire de leur Conférence mondiale, leurs propres observations.

Éléments spécifiques admis par le nouveau Code

Quand on veut mettre en évidence les éléments spécifiques des Instituts séculiers admis par le nouveau Code, sans pour cela entrer dans des discussions canoniques relevant des spécialistes, on peut immédiatement faire une constatation de caractère tout à fait général. Elle concerne la ligne adoptée, jusque dans le vocabulaire utilisé, pour traiter des Instituts séculiers. Apparue, non sans peine, à Vatican II, cette ligne fut précisée, en diverses occasions, avec un sens aigu des réalités, une grande capacité de discernement spirituel et de précision doctrinale, par Paul VI ; elle fut ensuite reprise par Jean-Paul II.

Comme preuve de cette affirmation, fruit d’une constatation élémentaire, il suffira d’examiner quelques points qui nous paraissent avoir une portée générale considérable.

Une définition positive de l’Institut séculier

Le nouveau Code distingue nettement les Instituts religieux des Instituts séculiers. En effet, aux premiers est consacré le Titre II (c. 607-709) ; aux seconds, le Titre suivant, le troisième (c. 710-730). Il ne s’agit évidemment pas d’un classement !

En effet, on ne peut pas oublier que le Livre II, auquel appartiennent les canons relatifs tant aux Instituts religieux qu’aux Instituts séculiers, a pour titre d’ensemble « Le Peuple de Dieu ». On y adopte et propose une ecclésiologie centrée non sur une structure hiérarchique, mais bien sur la participation de tous les baptisés à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ et sur l’égale dignité et la mission commune de tous les fidèles, sans pour autant nier en rien la diversité fonctionnelle de chaque vocation et de chaque charisme dans l’édification du Corps du Christ.

La distinction mise par le Code entre les Instituts religieux et les Instituts séculiers constitue par conséquent une affirmation sans ambiguïté de la diversité qui existe quant à la vocation et au charisme et donc quant au rôle fonctionnel dans l’Église entre les membres des uns et des autres.

C’est proprement cette distinction nette et précise qui rend possible le premier canon consacré aux Instituts séculiers :

L’Institut séculier est un institut de vie consacrée dans lequel des fidèles vivant dans le monde tendent à la perfection de la charité et s’adonnent à la sanctification du monde, en y travaillant surtout de l’intérieur de celui-ci (c. 710).

Si l’on compare cette définition de l’Institut séculier avec celle de l’Institut religieux, la diversité de nature et de fonction apparaît avec grande clarté. Ainsi le nouveau Code précise de façon positive ce que Vatican II, par suite des circonstances rappelées ci-dessus, avait exprimé de façon négative. Perfectae caritatis, en effet, signalait que les Instituts séculiers, nonobstant leur collocation dans le décret, n’étaient pas des religieux. Le nouveau Code, lui, assume l’existence des Instituts séculiers en tant que tels, comme distincts des Instituts religieux, et, de ce fait, les reconnaît positivement.

La consécration ne modifie pas la condition canonique

Les deux canons suivants (c. 711-712) contiennent une affirmation d’une grande portée, capable, à elle seule, de déblayer le terrain d’une infinité de positions adoptées jadis par des théologiens et des canonistes tenant que la sécularité des membres des Instituts séculiers était phénoménologique. En effet, le canon 711 porte :

Du fait de sa consécration, un membre d’institut séculier ne modifie pas sa propre condition canonique, laïque ou cléricale, au sein du Peuple de Dieu.

Et le canon 712 souligne le fait que les Constitutions de chacun des Instituts, en fixant les liens par lesquels sont assumés les conseils évangéliques et en définissant les obligations qui en découlent et qui peuvent être diverses d’institut à Institut dans le respect d’un sain pluralisme, doivent cependant avoir une caractéristique commune et indispensable : assurer toujours « dans le genre de vie, la sécularité » comme note distinctive de l’Institut lui-même.

On a donc ici l’affirmation en termes de codification canonique que la consécration, tout en étant réelle et en comportant l’adoption des conseils évangéliques, ne change pas la condition canonique de celui qui se consacre et qui, en conséquence, reste laïc s’il était laïc ou prêtre séculier s’il était prêtre séculier. Se consacrer de la sorte ne signifie donc pas assumer l’état et le rôle d’un religieux.

Valeur apostolique de la sécularité laïque

Le Code n’hésite pas à affirmer que la sécularité laïque, qui définit et révèle la nature même des Instituts séculiers laïcs, a une valeur apostolique propre, particulière et profonde. Sur ce sujet, le texte du Code est très clair et extrêmement riche pour qui le lit attentivement, car il rappelle et synthétise en quelques lignes près de cinquante années du cheminement de la théologie du laïcat. Voici ce que dit le Code :

Les membres laïcs, dans le monde et à partir de lui, participent à la fonction évangélisatrice de l’Église, soit par le moyen du témoignage de leur vie chrétienne et de leur fidélité à leur propre consécration, soit à travers l’aide qu’ils apportent pour que les réalités temporelles soient ordonnées selon Dieu et que le monde soit vivifié par la force de l’Évangile. Ils offrent en outre leur propre collaboration pour le service de la communauté ecclésiale, selon le style de vie séculière qui leur est propre (c. 713, § 2).

Pour les raisons que nous venons de donner, ce paragraphe mériterait un long commentaire. Ici, l’on se contentera d’une première et brève considération de quelques points.

Pour définir la sécularité laïque, le Code utilise une formule synthétique d’une grande efficacité et d’une extraordinaire fécondité : in saeculo et ex saeculo (dans le monde et à partir de lui). C’est la formule qui, on se le rappelle, se trouvait dans le Mémoire que le Père Gemelli présenta en 1938 pour définir la condition non simplement phénoménologique et sociologique, mais proprement théologique de ces laïcs qui formaient les nouvelles associations de consacrés : leurs membres, en vertu même de leur consécration et non malgré elle, vivaient leur être au monde comme présence dans leur milieu propre et particulier, pour y agir avec les moyens mêmes du monde.

Cette formule synthétique, créée pour définir la sécularité des laïcs consacrés, a été reprise par Vatican II comme étant capable de définir théologiquement – non sans modalités typologiques toutefois – la nature propre et particulière de tous les laïcs. Ceci apparaît avec une extrême clarté quand on lit les deux textes fondamentaux sur ce sujet : Lumen gentium 31 et Apostolicam actuositatem 2. C’est par-dessus tout sur cette base que peut être affirmé le rôle d’avant-garde que les Instituts séculiers laïcs ont joué dans le cheminement du laïcat catholique durant ce siècle.

On peut encore vérifier ici la fécondité d’un processus par lequel une heureuse et profonde intuition, destinée à déterminer théologiquement la nature des laïcs consacrés dans les Instituts séculiers, a été adoptée pour définir, toujours théologiquement, la nature du laïcat tout entier, puis revient maintenant, sans rien perdre de sa richesse ni de sa fécondité, pour fixer canoniquement le caractère essentiel des membres des Instituts séculiers laïcs. Et ce retour, précisément parce qu’il a d’abord été assumé par l’autorité du magistère conciliaire, enrichit et valorise la définition de la nature théologique et canonique des laïcs consacrés. Qui plus est, parce qu’une seule et même définition sanctionne la nature des laïcs et celle des laïcs consacrés, on a, d’une part, la confirmation par les faits que la consécration ne change pas la condition canonique des laïcs appartenant à un Institut et, d’autre part, que ces laïcs consacrés, pour une définition plus ample de leurs droits et de leurs devoirs, doivent se rapporter à cette partie du Code qui traite des laïcs (c. 224-231). On aura là une confirmation ultérieure de la richesse impliquée dans ce canon sur les Instituts séculiers : cette partie du Peuple de Dieu est appelée, par vocation propre, à :

imprégner d’esprit évangélique l’ordre des réalités temporelles et à le parfaire et à rendre ainsi témoignage au Christ tout spécialement dans le maniement de ces réalités et l’exercice des tâches séculières (c. 225, § 2).

Quand les canons relatifs à l’apostolat laïc (c. 225, § 2) et à celui des membres des Instituts séculiers laïcs (c. 713, § 2) traitent de leur mission particulière au sein de l’unique mission évangélique du Peuple de Dieu, ils utilisent les termes mêmes d’ Evangelii nuntiandi, 70 (qui reprend, avec le même vocabulaire, ce qui est contenu dans Lumen gentium 31). C’est un texte particulièrement significatif pour les membres des Instituts séculiers, puisque Paul VI, s’adressant à eux dans son mémorable discours du 25 août 1976, faisait remarquer que ce texte devait être considéré comme « leur étant spécialement adressé ».

Ici une réflexion s’indique : les membres des Instituts séculiers n’ont pas seulement joué un rôle de précurseurs dans la définition théologique du laïcat, mais ils sont aussi appelés à être, par leur témoignage dans l’Église et dans le monde, des exemples de ce qu’implique le fait d’être totalement et radicalement des laïcs vivant, dans l’histoire, les exigences de la consécration baptismale.

Les Instituts séculiers sacerdotaux

Quant aux Instituts séculiers sacerdotaux, qui, eux aussi sont reconnus par le Code à la lumière des documents précédents du Magistère, il est intéressant de relever la perspective dans laquelle la nouvelle codification canonique souligne leur mission :

Les membres prêtres de ces Instituts, par le témoignage de leur vie consacrée, surtout dans le presbytérium, aident leurs confrères avec une particulière charité apostolique et travaillent, dans le Peuple de Dieu, à la sanctification du monde par leur saint ministère (c. 713, § 3).

Par ailleurs, il vaut la peine d’observer ceci : à propos des Instituts séculiers sacerdotaux, le Code (c’est bien clair) ne tranche pas la question restée ouverte depuis plusieurs années : celui de la « sécularité » de leurs membres. En effet, d’une part, le Code range laïcs et prêtres sous l’unique dénomination d’instituts séculiers ; d’autre part, il distingue, en les plaçant dans des paragraphes différents, les missions propres des uns et des autres. Ceci ne manquera pas de provoquer des discussions, puisque, s’il est évident que tout membre du Peuple de Dieu a, comme l’Église elle-même, un caractère séculier, chacun cependant, précisément parce qu’il est tel par un charisme particulier et une vocation tout aussi particulière, est appelé à vivre cette sécularité, cet être dans le monde d’une manière non moins particulière.

D’autre part, il n’était pas possible d’éviter ce problème ou de lui trouver une solution du point de vue de la définition canonique, puisque, aujourd’hui encore, le thème, bien que débattu, n’a pas encore trouvé de solution vraiment satisfaisante. En définitive, le Code a rencontré le débat à un moment où celui-ci n’avait pas encore abouti à des conclusions rendant possibles des solutions. Le rôle d’un Code, en effet, n’est pas tant de créer la vie que de la servir.

Autres normes

Aux articles cités, qui sont ceux qui traitent les points fondamentaux, font suite des normes qui regardent, toujours avec un large renvoi aux déterminations des Constitutions de chaque Institut, les conditions de vie (c. 714), l’incardination des prêtres (c. 715), la participation à la vie de l’Institut (c. 716), le gouvernement de celui-ci (c. 71), la vie de piété (avec la notation intéressante relevant le rôle de direction spirituelle reconnu aux responsables - c. 719), les normes d’admission (c. 720-721), la formation initiale (c. 722), l’incorporation dans l’Institut et l’engagement aux conseils évangéliques (c. 723-724), les membres au « sens large » (c. 725) et les renvois (c. 726-730).

Pour terminer, s’il est possible de conclure en quelques mots cette première approche du thème des Instituts séculiers dans le nouveau Code, on peut dire que, précisément sur les aspects fondamentaux qui atteignent le cœur même de la réalité constitutive du charisme de la sécularité consacrée, ce Code fait justice de toutes les interprétations qui, sans doute par fidélité à certains schèmes de pensée, étaient incapables de déchiffrer la nouvelle réalité ecclésiale suscitée par l’Esprit pour que l’Église soit stimulée à être dans le monde, avec le monde et pour le monde, dans un dialogue cordial et ouvert et dans un partage profond en vertu de la nature propre et de la condition séculières.

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