Droit ancien, droit nouveau
Jean Beyer, s.j.
N°1983-3-4 • Mai 1983
| P. 157-172 |
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Le Code promulgué pour l’Église latine le 25 janvier dernier entrera en vigueur le 27 novembre prochain, premier dimanche de l’Avent [1]. En vue de son application, il fera l’objet d’une étude sérieuse. Code de renouveau, il exige des attitudes nouvelles. À le juger avec une mentalité différente on risque de ne pas le comprendre, de mal l’appliquer. Code de renouveau, il est un code de communion ecclésiale, un code de liberté et de subsidiarité, un code qui, malgré tout, sera de transition ; ce code maintient l’essentiel de la tradition ecclésiale ; l’expérience le modifiera nécessairement, surtout dans les dispositions qui concernent des institutions nouvelles, qui ne fonctionnent que depuis quelques années à peine [2].
Par rapport au Code précédent, il est utile de voir ce qui a été modifié, changé ou supprimé. Comme droit nouveau, il faudra voir ce qu’il reprend du Concile, comment il répond aux vœux et dispositions conciliaires, ce qui finalement est neuf et exprime des exigences de vie ecclésiale dans le monde d’aujourd’hui.
Voyons ce qu’est le Code, examinons plus en détail certaines de ses normes, enfin tâchons de nous situer par rapport à cet ensemble législatif qui doit faire entrer le Concile dans la vie de l’Église.
Le nouveau Code
Le Code de 1917, tel qu’il fut projeté, était un code de coordination et de révision. Il devait réunir lois et décrets existants, les ramener à l’unité, y supprimer contradictions et incertitudes. Il a fallu charpenter l’édifice ecclésial à partir de Vatican I, qui avait défini la primauté pontificale et l’infaillibilité du successeur de Pierre. Le Concile de 1870 donna une base théologique ferme à tout l’ensemble.
Le Code actuel est un « code de renouveau », voulu par Jean XXIII pour mettre le Concile dans la vie. Ce Concile était d’un type nouveau, un Concile pastoral, un Concile sans définitions dogmatiques, sans condamnations et sans anathèmes. Il sera le Concile de l’Église et donnera une vision approfondie de sa vie et de ses institutions ; il déterminera également sa position dans le monde d’aujourd’hui. Mais il n’a pu tout faire ; bien des choses ont été renvoyées à la codification prévue. Le Concile n’a pas toujours été en état de répondre aux questions qu’il suscitait ; il a provoqué des recherches encore inachevées et des interprétations diverses ; il laisse des points doctrinaux en suspens. Cette situation a inévitablement ses incidences sur le Code récemment promulgué.
Code de communion ecclésiale
Qui étudie attentivement le Code voit directement que l’idée maîtresse du Concile y a trouvé son expression. L’Église est communion [3]. Elle tire son unité de l’unité même de la communion trinitaire [4]. Elle est une communauté de foi, d’espérance et de charité et tout à la fois – ces réalités sont inséparables – une société humaine organisée qui, de par la volonté divine, a une hiérarchie au service du Peuple de Dieu [5]. Les membres de ce peuple jouissent d’une égalité foncière de droits et devoirs [6], ils ont une liberté d’action, d’association [7] admettant non seulement la différence entre ministres sacrés et fidèles [8], mais également celle des « ordres de personnes », qui ont toujours eu leur position particulière, leur droit propre, leur mission spéciale [9]. Sur ce point le Code, fidèle à la tradition, ouvre des perspectives nouvelles.
Code de liberté et de subsidiarité
À le comparer avec la structure du Code de 1917, qui coordonnait la législation antérieure tout en l’adaptant déjà aux exigences nouvelles du vingtième siècle commençant, le Code actuel respecte mieux la variété des Églises particulières [10] ; il voit présents et agissants en chacune d’elles le Christ et son Église une, sainte, catholique, apostolique [11] ; il s’ouvre à l’unité des Églises et des communautés chrétiennes séparées [12] ; il laisse aux baptisés une plus grande liberté [13]. De plus, sachant que cette communion ecclésiale est une communion d’amour, le Code évitera de s’exprimer par des préceptes ou des normes obligatoires, là où le conseil, l’exhortation, la suggestion suffisent. Il est en cela fidèle aux principes directeurs de la codification approuvés par le Synode des Évêques en 1967 [14].
La même attention se porte à la diversité des dons et des charismes. Le Concile a parlé des charismes [15] ; il a mis en relief ceux de la vie consacrée [16] ; il a suscité des déterminations plus précises à ce sujet [17]. Un jour il faudra, en plus des charismes personnels et de ceux d’institutions d’origine charismatique, voir si les Églises particulières, les diocèses, et dans ceux-ci, les paroisses et les communautés diverses qui les composent, n’ont pas, eux aussi, à partir de leurs fondateurs, pasteurs remarquables et peuple fidèle, un esprit qui doit pouvoir se traduire dans l’institution et se maintenir par son droit propre. Sur ce point la référence aux documents qui traitent des Églises orientales et des Églises n’ayant pas la pleine communion avec l’Église catholique est extrêmement éclairante [18].
Un Code de transition
Le Code de 1917 n’a pas eu la vie longue. En 1959 on annonçait sa révision, en 1965 commençaient les travaux de codification, en 1983 le texte nouveau était promulgué. Si cette codification, comme la précédente, a adopté, à l’exemple du Code Napoléon, une technique juridique qui exprime les normes en des articles brefs et condensés, l’Église n’a pas envisagé, ce qui fut un temps possible, d’adapter continuellement le texte de 1917 aux décrets et documents qui suivraient sa promulgation [19]. En 1917, le principe de ces retouches avait été prévu ; il ne fut cependant pas appliqué. Et pour cause ! De 1918 à 1959 l’Église connaît un ensemble législatif imposant [20], qui suppose plus qu’un amendement de quelques canons mais demande une restructuration de certaines de ses parties. Songeons aux documents de Pie XII au sujet des instituts séculiers [21]. Il a fallu changer profondement la structure du Code pour donner à ces institutions nouvelles leur cadre propre et leur législation particulière [22]. Encore faut-il remarquer qu’à l’expérience, bien des normes se révélèrent moins adaptées, tout comme la doctrine officielle de ces documents fut nécessairement approfondie et corrigée par la vie et l’apport de ceux qui n’avaient pu s’exprimer pleinement, n’ayant pas encore eux-mêmes pleine conscience de leur don particulier, de leur mission et de leur rôle dans l’Église [23].
C’est encore un Code de transition parce que des institutions nouvelles s’y inséreront un jour, institutions naissantes comme les « mouvements ecclésiaux », pour ne citer que ceux-ci, vu leur importance grandissante [24]. En les approuvant un jour on permettra à d’autres mouvements de reprendre vie et de mieux se situer dans l’Église. Telle institution, d’abord Société de vie commune, s’est ensuite voulue Institut séculier et est reconnue aujourd’hui comme Prélature personnelle [25] ; trouvera-t-elle ainsi sa position définitive dans l’Église ? L’avenir seul le dira...
Un Code conciliaire, une ordonnance nouvelle
Il suffit de voir la structure du Code pour se rendre compte qu’elle répond à l’inspiration du Concile. Le Code de 1917 gardait une structure empruntée au droit romain : personae, res, iudicia (les personnes, les choses, les procès). Un complément était nécessaire. Un premier livre servit d’introduction, celui des normes générales ; on y traite, entre autres, de la loi (AC 8-23 ; NC 7-22), de la coutume (AC 25-30 ; NC 23-28), des privilèges ou concessions particulières (AC 63-79 ; NC 76-84), des rescrits ou réponses de l’autorité compétente concernant faveurs et permissions (AC 36-62 ; NC 59-75), de la dispense (AC 80-86 ; NC 85-93).
Le nouveau Code a maintenu une introduction ayant le même titre : Normae generales. Il y a ajouté les normes générales concernant les personnes physiques et morales (AC 87-106 ; NC 96-128), le pouvoir de gouvernement (AC 196-210 ; NC 129-144), le droit concernant les offices ecclésiastiques (AC 145-195 ; NC 145-196) et les principes régissant la prescription (AC 1508-1512 ; NC 197-203). Il traite aussi de matières négligées par la codification antérieure : ce sont les normes concernant les décrets généraux et les instructions (NC 29-34), les actes administratifs (NC 35-47), les décrets et les préceptes particuliers (NC 48-58), les statuts et règlements (NC 94-95). A ces normes viennent s’ajouter celles qui concernent l’acte juridique (NC 124-128). En 1917, cette partie du Code comprenait 86 canons ; le nouveau Code en réunit 203 au Livre I, plusieurs d’entre eux étant repris au Livre II du Code précédent.
Le Livre II du nouveau Code porte fortement l’empreinte du Concile. Son titre est révélateur : Du Peuple de Dieu, société inégale de membres fondamentalement égaux. C’est de ces derniers – les christifideles, les fidèles du Christ – qu’il traite d’abord ; il définit leurs obligations et leurs droits fondamentaux (NC 204-223). Les canons sont repris à la « Loi fondamentale [26] », dont la promulgation est au moins retardée [27]. Suit le Titre qui traite des obligations et des droits des laïcs (NC 224-231) ; vient ensuite celui des clercs. Ces derniers sont au service du Peuple de Dieu comme ministres sacrés ; on traite de leur formation [28], de leur inscription dans un diocèse ou un Institut ayant le droit d’incardination (NC 265-272), de leurs obligations et de leurs droits [29] pour finir par la perte de l’état clérical (NC 290-293). C’est à la fin de cette partie qu’a trouvé place le Titre qui traite de la prélature personnelle [30] ; elle se situe ainsi entre la législation concernant les clercs et celle qui s’occupe des associations de fidèles.
Le titre qui traite des associations de fidèles est, lui, profondément retravaillé. La distinction refusée dans la codification précédente entre association publique et association privée a été reprise. Enfin, certaines normes spéciales ont été prévues pour les associations de laïcs (NC 327-329). C’est ici qu’aurait pu trouver place une législation appropriée sur les mouvements ecclésiaux [31]. Ils peuvent être approuvés aujourd’hui par un évêque diocésain comme pieuses unions, approbation préalable à leur statut définitif. Devant cette éclosion de structures ecclésiales nouvelles, on peut s’attendre, dans l’esprit du canon 605, à ce que le Saint-Siège en vienne à les approuver selon une loi-cadre de plus en plus souhaitée et nécessaire. Mais, comme nous le disons, des institutions très récentes ont encore à faire leur expérience ; il est peut-être dangereux de codifier leur droit alors qu’elles sont encore en recherche. Certaines formes de vie ecclésiale ont connu ces tâtonnements [32]. D’où une recherche de statut canonique et des changements qui ne peuvent étonner [33].
La deuxième partie du Livre II traite de la hiérarchie. Un progrès est à noter : on n’en parle plus comme d’une partie concernant les clercs. À vrai dire, le munus regendi, la charge de gouverner, est une des trois charges du ministère apostolique ; elle appartient en propre aux évêques et à ceux qui partagent leur responsabilité pastorale. Les diacres les aident sans toutefois exercer une charge de gouvernement [34]. Ils sont, à proprement parler, des collaborateurs comme peuvent l’être des laïcs. Comme le Code traite au Livre III du munus docendi, la charge d’enseigner et, au Livre IV, de la charge de sanctifier (le munus sanctificandi), on aurait souhaité voir cette triple division reprise dans le Code, comme elle était d’ailleurs essentielle dans le projet de « Loi fondamentale » pour l’Église. Cette absence nuit à l’elegantia iuris, à la bonne harmonie du Code. Mais a prévalu l’opinion contraire. À part les munus docendi et sanctificandi, plus facilement définis et séparés, le munus regendi – charge de gouvernement – s’étend sur tout le reste du Code : les normes au sujet des lois, décrets, statuts et règlements, celles au sujet de l’exercice du pouvoir et des offices, celles également au sujet des procès et des peines. Cette position se défend, mais elle reste fragile ; on aurait pu éliminer cette triple distinction dont on ne retient explicitement que deux membres. On aurait pu intituler le Livre III De Ecclesiae magisterio, du magistère de l’Église, comme on aurait pu nommer le Livre IV De Ecclesiae cultu divino, du culte divin de l’Église. En effet, ce titre convient mieux à la matière traitée au Livre IV. On peut voir un acte de culte dans les obsèques (NC 1176-1185), on y voit plus difficilement un ministère de sanctification, quoique celui-ci n’en soit pas exclu. On peut en dire autant des cimetières (NC 1240-1243).
La triple distinction des fonctions du Christ, appliquée au Seigneur par les Pères de l’Église pour souligner sa place unique dans l’économie du salut [35], fut plus tard étendue au Peuple de Dieu qui, comme le Christ, exerce cette triple fonction [36] ; il est plus difficile d’en parler à propos des fidèles pris individuellement et de déterminer ce que peut être pour chacun d’eux cette triple fonction. De plus, ces fonctions, même distinguées, ne peuvent être séparées : qui enseigne, gouverne, qui gouverne, enseigne ; qui gouverne et enseigne, sanctifie. En effet, l’enseignement est uni aux deux autres fonctions : on ne peut gouverner sans donner un enseignement, on ne peut séparer la liturgie de la parole de la liturgie sacramentelle, surtout eucharistique...
Tout ce que le Code de 1917 réunissait sous le titre de res (choses) a trouvé dans le nouveau Code une place organique qui répond mieux à sa nature et à son rôle dans l’Église. Les trois autres Livres traitent des biens ecclésiastiques – le Code de 1917 en parlait au Livre III – des sanctions et des procès. L’ordre de ces deux derniers Livres a été inversé. On peut discuter à ce sujet sans qu’une solution s’impose nécessairement. Le Code actuel a voulu définir les délits les plus graves et réserver le plus souvent l’application des sanctions à une intervention de l’autorité, jugeant sur les faits et les intentions. Les peines latae sententiae (encourues du fait même que l’acte délictueux est posé) ont été réduites au minimum. À l’occasion de la dernière révision du texte, la réservation de certaines excommunications au Saint-Siège a été rappelée. Ces cas sont peu nombreux [37].
Le dernier grand changement apporté au texte tel qu’il avait été approuvé par la Commission des cardinaux et évêques désignés à cette fin fut la suppression des tribunaux administratifs prévus dans chaque diocèse. Certes, des litiges peuvent surgir et le Code actuel, en ce sens, se veut évangélique : des procès entre frères sont à éviter [38]. Idéalement, une procédure strictement judiciaire ne devrait pas exister dans une communion qui est charité. D’autre part, une fois définis les droits fondamentaux de l’homme, un recours doit rester possible. Un arbitrage est prévu (NC 1733 § 2-3). Il ne suffit pas toujours pour garantir la justice. Or celle-ci est le minimum de charité à assurer et à obtenir. Reste, heureusement, le recours au tribunal suprême de la Signature apostolique, qui est à la fois tribunal de cassation et tribunal administratif. En cette dernière matière, il reçoit les recours contre les décisions des Congrégations romaines. C’est d’ailleurs à ces dicastères que tout fidèle peut recourir contre les décisions et les actes administratifs de l’autorité diocésaine. On peut donc toujours s’adresser à l’autorité locale, l’évêque, à l’autorité supérieure, les dicastères romains, et, contre les décisions de ces derniers, à la Signature apostolique. Ce triple recours assure un minimum de garanties. Il n’a pas toujours été possible de le maintenir, par crainte de la négligence ou de l’incompétence de l’instance inférieure. C’est le cas pour le renvoi des religieux [39].
À tout prendre, le Code nouveau est conciliaire. Certes, il n’est pas parfait. Pendant toute son élaboration, le texte a été soumis à des influences diverses, souvent contradictoires. Cela est normal. Une plus grande unité de vue aurait été souhaitable. Parfois, les intéressés n’ont même pas compris la liberté qui leur était offerte. Dans une future codification, une plus grande subsidiarité sera peut-être possible. Pour la réaliser, il faudra pouvoir compter sur la compétence des instances concernées, leur préparation technique, leur ouverture à ces libertés nouvelles [40].
Comme nous le disions, l’ordre des Livres du Code de 1983 révèle son esprit nouveau ; comparons-les systématiquement à celui de 1917.
CODE DE 1983 | CODE DE 1917 |
I. Normes générales | I. Normes générales |
II Du peuple de Dieu | II Des personnes |
Fidèles | Clercs en général et en particulier |
Laïcs | |
Clercs | Hiérarchie |
Prélature personnelle | Religieux |
Associations de fidèles | Laïcs |
Hiérarchie | Associations de fidèles |
Vie consacrée | |
III. Des choses | |
III. De la charge d’enseignement | Sacrements |
Sacramentaux | |
IV. De la charge de sanctification | Lieux et temps sacrés |
Sacrements et sacramentaux | Jours de fête |
Lieux et temps sacrés | Jours de pénitence |
Culte divin | Culte divin |
Magistère ecclésiastique | |
V. Des biens temporels de l’Église | Bénéfices |
Biens ecclésiastiques | |
VI. Des sanctions pénales | |
IV. Des procès | |
VII. Des procès | Des jugements |
Des causes de béatification et de canonisation | |
V. Des délits et des peines |
La valeur primordiale du droit propre
Un autre indice de cet esprit conciliaire est le renvoi aux instances inférieures, locales et, pour ce qui concerne la vie consacrée, le renvoi au droit propre. Il est impossible de commenter ici chaque cas particulier. En guise d’exemple, nous voudrions signaler quelques applications plus typiques.
Dans la vie de l’Église particulière, la compétence des conférences épiscopales est encore grande, même si, à la demande des évêques du monde entier, celle-ci fut fortement diminuée [41]. L’Église diocésaine est elle-même obligée de s’exprimer par ses statuts propres ; ceux-ci lui permettront de sauvegarder son identité et de vivre mieux de son esprit propre. Il semble bien qu’une prise de conscience plus nette du patrimoine spirituel, doctrinal, liturgique et canonique des Églises particulières – on songe nécessairement ici à la coutume – favorisera dans chacune d’elles un souci de ferveur et de générosité qui, dans le cadre du droit universel, se traduira par son droit propre.
C’est dans la partie concernant les Instituts de vie consacrée, et tout spécialement dans les canons qui se réfèrent aux Instituts religieux, que cette subsidiarité exprimée par le droit propre prend tout son relief. Elle s’étend d’ailleurs à toute la vie de l’Institut et à celle de ses membres. Ces normes, une fois appliquées, vont libérer les Instituts d’une emprise trop forte et uniformisante à l’excès des dicastères compétents. Un changement d’attitude est d’ailleurs déjà remarqué, tout spécialement à l’occasion de l’approbation des Constitutions. On ne peut pas dire qu’on soit déjà arrivé à vivre pleinement l’esprit que voulait susciter et favoriser le premier schéma du droit des instituts de vie consacrée. Les supérieurs généraux eux-mêmes furent d’ailleurs les premiers à ne pas comprendre la liberté qui leur était offerte [42].
Est à noter ici la distinction heureuse entre le premier Code ou Code principal et les Codes accessoires, ces derniers pouvant être, si c’est nécessaire, revus et adaptés par l’autorité compétente de l’Institut (NC 587). Autrefois l’ensemble de ces normes formait les Constitutions de l’Institut, ceci surtout dans les Congrégations à voeux simples, donc plus récentes.
Le Code, lui, distingue, peut-être moins heureusement, Constitutions et autres Codes. Il fallait de fait obliger les Instituts à spécifier les normes importantes en un texte soumis à l’approbation de l’Église, soit au niveau universel, soit au niveau diocésain. Dans ce but, elles doivent figurer dans les Constitutions. Toutefois, pour laisser une plus grande liberté aux Instituts, la législation nouvelle renvoie souvent au droit propre [43]. En ce cas, l’Institut reste libre de définir ces points particuliers, souvent importants pour la vie de l’Institut – n’a-t-on pas dit que la vie s’exprime dans le détail ? – soit dans les Constitutions, soit dans un Code accessoire. A chaque Institut de voir ce qui lui convient le mieux.
Remarquons que, dans le Code actuel, les renvois aux Constitutions sont nombreux, plus fréquents que dans le premier schéma [44]. Quant aux renvois au droit propre, ceux-ci restent nombreux aussi [45].
Il faut enfin noter que certaines expressions plus générales peuvent se référer tant au droit universel qu’au droit particulier d’un Institut, à son Code principal ou à un Code accessoire [46].
Révocation ou maintien des privilèges
Reste une question importante, celle des privilèges. Le mot sonne mal. Il dit ce qu’exprime aujourd’hui pour une part le droit particulier, le droit propre de chaque Institut. Mais le terme recouvre aussi les facultés spéciales que le Saint-Siège a concédées aux Ordres religieux pour rendre plus facile et plus fécond leur apostolat. Il favorisa ainsi leur action missionnaire : ceux qui partaient recevaient des facultés très étendues en matière sacramentelle et pastorale (ils étaient de vrais fondateurs d’Églises particulières). Ces facultés leur sont restées. Chaque Ordre a son bullaire et son « Compendium » de privilèges.
Ces facultés portèrent ombrage aux Évêques diocésains, qui souvent ne jouissaient pas de facultés aussi étendues. On comprend leur réaction au Concile de Trente. Vatican II leur accordera la parité de droit et même beaucoup plus. Il est vrai qu’en plus d’un apostolat missionnaire en terre non chrétienne les Ordres, surtout mendiants, ont dû répondre à la sollicitude des Souverains Pontifes, qui leur demandaient une prédication et une pastorale effectives au temps où les responsables des Églises diocésaines se montraient peu soucieux de la vie diocésaine. Ces facultés furent renforcées au temps de la Réforme. L’action des Instituts religieux exempts a maintenu bien des territoires dans la foi et l’unité de l’Église. Les temps ont changé. Les mentalités aussi. Si le Code n’a pas révoqué ces facultés, il les a rendues moins consistantes du fait que la juridiction épiscopale sur l’Église particulière est première. Le Saint-Siège maintient ses droits mais les exerce dans une subsidiarité bien comprise. D’autre part, la juridiction pour les confessions dans le nouveau Code est libérée des tracasseries juridiques, territoriales et autres. Il est à espérer qu’on observera ces canons nouveaux dans l’esprit qui les a conçus. Les peines ont été réduites à un minimum jamais atteint jusqu’ici. Les facultés données pour la rémission des peines réservées au Saint-Siège restent mais n’ont plus ou pas de points concrets d’application.
C’est dire que ce qui était exception est devenu norme de droit. Chaque Institut devra – et c’est là un devoir urgent – revoir son Code de facultés, surtout pastorales, en définir l’étendue et en prévoir l’application aujourd’hui. On ne peut oublier que ce travail sera utile aux Évêques qui, de droit, jouissent de facultés identiques à celles des religieux dans leur diocèse.
Il faut cependant observer qu’en un autre domaine le droit nouveau pour les Instituts religieux comporte un vrai retour aux sources. Retour aux sources voulu par le Concile, retour aux origines, seule voie de renouveau lorsqu’il s’agit de charisme de fondation. En effet, vu les renvois au droit propre de chaque Institut, il est aujourd’hui possible de reprendre des structures et des normes auxquelles certains Instituts ont dû renoncer à contrecœur. D’autres ont, pour la première fois, l’occasion d’harmoniser l’aspect spirituel et l’aspect socio-juridique, leur esprit et leurs structures, éléments essentiels et conjoints de tout charisme ecclésial.
Respect du droit des personnes
Reste un dernier point, délicat mais essentiel à la législation nouvelle : le respect de la personne, de ses droits fondamentaux et les recours que cela suppose pour assurer un droit réel, une sauvegarde efficace. La question des tribunaux administratifs, même diocésains, a été posée. Ils étaient prévus dans le Code tel qu’il fut présenté au Souverain Pontife. De toutes parts cependant, une réaction assez vive se fit sentir. On y voyait une menace pour l’autorité, surtout locale. Ces tribunaux furent supprimés. Il n’en reste pas moins qu’un recours est toujours possible aux dicastères de la Curie et, si ceux-ci ne respectaient pas les droits de l’intéressé, un recours au suprême tribunal de la Signature apostolique. La deuxième section de cette instance s’occupe du recours administratif. Son action a été efficace. On peut dire qu’elle a changé profondément les attitudes et sensibilisé au maximum les autorités mises en cause ; leurs décisions furent parfois annulées, vu qu’elles n’étaient pas conformes au droit et aux intérêts des personnes. La jurisprudence de ce tribunal mérite d’être mieux connue [47].
Le problème des recours est extrêmement délicat dans la vie religieuse. L’obéissance promise ne peut couvrir les injustices éventuelles de certains supérieurs. Il est vrai que, souvent, ces derniers ignorent tant le droit universel que le droit propre de leur Institut. Sur un point seulement nous voudrions attirer ici l’attention : le renvoi. La première commission le confiait à la compétence des supérieurs généraux, jugeant avec leur conseil, à la manière d’un tribunal collégial. Quatre conseillers étaient le minimum requis. Un conseil général moins nombreux n’est jamais suffisant. Peu à peu, on mit en cause la compétence de cette instance suprême de l’Institut. Le décret porté par le supérieur général doit, selon le nouveau Code, être confirmé par le Saint-Siège ou l’évêque compétent. Ainsi tombe, pour les Instituts de droit pontifical, la possibilité d’un premier recours. Il ne leur reste plus que l’appel au tribunal de la Signature apostolique. Cela se fait certes. D’autre part, le décret de renvoi est invalide s’il ne donne pas brièvement les motifs de la démission et ne signale pas à l’intéressé les recours possibles. Ceci est neuf. Il faut cependant espérer que les religieux n’en seront pas informés au dernier moment. Ces renseignements appartiennent à leur formation initiale.
Un nouveau Code, une vie nouvelle
Le nouveau droit est conciliaire. Le Concile lui a donné esprit et vie. Bien qu’il ait été rédigé par de nombreuses commissions, on admire son unité. Elle est due au Concile, aux principes directeurs de la codification, approuvés par le Synode des évêques de 1967. Elle profite de l’énorme travail que supposa le premier Code, celui de 1917 ; malgré un nombre restreint de canonistes, mais tous de valeur, celui-ci a pu mener à bien la première codification en douze ans. La codification nouvelle fut plus laborieuse. Elle révisait toutes les institutions existantes, elle donnait leur droit propre aux institutions nouvelles, elle ne compilait pas un droit en vigueur, elle était garante d’un esprit, l’esprit du Concile.
Cet esprit a suscité les lois et les lois l’expriment, le protègent et l’inculquent. Elles ne sont pas cet esprit. C’est dire qu’en dernière instance, sont responsables de cet esprit ceux qui les observent et, en les acceptant, les font vivre.
Piazza della Pilotta 4
I-00187 ROMA, Italie
[1] Constitution Sacrae disciplinae leges, Acta Apostolicae Sedis, 75 (1983), Vol. II, VII-XIV ; La Documentation Catholique, 80 (1983), 244-247.
[2] Le R.P. A. Stickler a fait cette judicieuse observation dans un article remarqué paru dans L’Osservatore Romano du 26 janvier 1983, 1-2.
[3] Cf. Lumen gentium (LG) 23 a, 3, 19 : Orientalium ecclesiarum (OE) 2 ; Unitatis redintegratio (UR) 2, 3a, 4c, 13, 19, 20.
[4] Cf. LG, 4, où est cité saint Cyprien : « L’Église, peuple qui tire son unité du Père et du Fils et de l’Esprit Saint ».
[5] Voir LG 8a et b, si important pour l’intelligence du mystère de l’Église et pour celle de toute réalité ecclésiale.
[6] Cf. LG, 32a. Nous renvoyons ici à l’étude de F. Retamal, La Igualdad fundamental de los fieles en la Iglesia según la Constitución dogmática « Lumen gentium ». Estudio de las fuentes. Anales de la Facultad de Teología, 30, Santiago de Chile, 1980.
[7] Voir Apostolicam actuositatem (AA) 19 d.
[8] Cf. LG, 10b.
[9] Cf. LG, 13c. On remarquera la place donnée dans le nouveau Code aux ermites et aux vierges consacrées (can. 603-604). L’Église est constituée par les ordres de personnes dont l’importance est, peu à peu, mieux mise en relief. Voir notre étude « Laïcat ou Peuple de Dieu ? », Atti del Congresso internationale di Diritto Canonico. La Chiesa dopo il Concilio, Milano, 1972, vol. II, 238-247.
[10] Cf. LG, 26a ; Christus Dominus (CD) 11-24 ; Ad gentes (AG) 19-22.
[11] Voir la définition de l’Église particulière dans CD, 11a et dans LG, 23a.
[12] UR, 3a, 4a, 14-18.
[13] Le nouveau Code se borne généralement à légiférer pour les seuls baptisés catholiques. Cf. le can. 11, et, par exemple, le can. 1059 sur la législation matrimoniale. Dans la suite de l’article nous renverrons au Code de 1917 par le sigle AC et à celui de 1983 par le sigle NC, suivis des numéros des canons.
[14] On trouvera les principes directeurs de la codification dans Communicationes 1 (1969), 77-85.
[15] LG, 12b. Cette doctrine aura une grande importance pour la vie consacrée ; cf. LG, 43.
[16] Voir le fondement en Jésus-Christ des divers charismes dans LG, 46a. Ce texte a été amélioré dans NC 577. Le terme « charisme » a été supprimé, lors de l’ultime révision, dans NC 577 ; 588 § 1 ; 631 ; 716 § 2 ; 717 § 3. Il y a été remplacé chaque fois par un ou plusieurs mots. Ces changements affectent surtout la partie consacrée aux Instituts séculiers.
[17] Voir à ce sujet le document Mutuae relationes, 11-12 et 51-52, où sont données de précieuses indications au sujet du charisme de fondation.
[18] La description du patrimoine propre de l’Église particulière est certainement le texte conciliaire le plus important à ce sujet. Voir UR, 14-18.
[19] C’était le désir exprimé par Benoît XV en promulguant le Code de 1917. Voir le Motu proprio Cum iuris canonici codicem, III. Ce document se trouve au début du Code de 1917.
[20] Voir les cinq volumes Loges Ecclesiae post Codicem iuris canonici editae, Rome, 1967-1980, où X. Ochoa, c.m.f., a réuni toute la législation promulguée après le Code de 1917.
[21] Pie XII, Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia (1947) et Motu proprio Primo feliciter (1948). Tous les documents concernant les Instituts séculiers ont été réunis en un volume, Les Instituts séculiers. Documents, Rome, CMIS, 1981.
[22] Cf. NC, Livre II, Troisième Partie, c. 573-606 et 710-730.
[23] Le retard mis à l’approbation de nouvelles formes de vie ecclésiale a souvent été nuisible à la vie et à l’apostolat. Le nouveau Code s’inspire indirectement de ce souci et veut attirer l’attention sur les nouveaux charismes (cf. NC 605).
[24] Voir notre étude « Istituti secolari e movimenti ecclesiali », Aggiornamenti sociali, 34 (1983), 181-200.
[25] La recherche entreprise par la Société de la Sainte Croix et de I’Opus Dei, fondée en 1928, est révélatrice à ce sujet. Pieuse union en 1941, Société de vie commune en 1943, Institut séculier depuis 1947, cette fondation est reconnue en 1982 comme Prélature personnelle.
[26] Lex Ecclesiae fundamentalis, dernière rédaction, c. 9-24. Le texte a été publié dans Il Regno, 21 (1978), 482-493.
[27] Retardée, cette promulgation semble ne pas devoir se faire. Un texte fondamental aurait été, pensons-nous, d’un grand avantage pour situer les principes fondamentaux du droit ecclésial. On a eu tort de vouloir en faire une Constitution ou Loi fondamentale.
[28] NC 232-264. Cette partie est proportionnellement très longue et très étudiée. On aurait pu l’introduire dans la partie qui traite de l’Église diocésaine.
[29] NC 283-289. Le Code précédent ne parlait pas de droits, mais seulement d’obligations.
[30] NC 294-297. Ces canons reprennent les dispositions du Motu proprio Ecclesiae sanctae de 1966 (Acta Apostolicae Sedis, 58 [1966], 760-761).
[31] Voir supra, note 24.
[32] On ne peut passer sous silence ici l’approbation tardive des Congrégations religieuses à vœux simples.
[33] Plusieurs institutions ont dû et doivent encore se contenter du statut de « pieuse union ». Le nouveau Code ne fait plus mention des diverses dénominations de ces associations.
[34] Il est remarquable de constater que LG 29, qui traite des diacres, ne leur applique pas ces références aux trois charges (munera) du Christ.
[35] Le Christ prophète, roi et grand-prêtre unit en lui toutes les fonctions de l’Ancien Testament.
[36] La Constitution Lumen gentium a mis en évidence cette doctrine : patristique. Cf. LG 10, 12a, 13b.
[37] Ces peines sont déterminées aux canons suivants : 1364 § 1 (apostasie, hérésie et schisme), 1367 (acte sacrilège contre l’Eucharistie), 1370 (injure grave envers le Souverain Pontife), 1378 § 1 (absolution du complice en matière de chasteté), 1378 § 2 (célébration de la Messe sans être ordonné), 1378 § 3 (confession ou absolution sans pouvoirs), 1390 (fausse accusation de complicité portée contre le confesseur en matière de chasteté), 1394 (mariage du clerc ou du religieux liés par l’obligation du célibat), 1398 (avortement). Sont réservées au Saint-Siège les peines stipulées aux c. 1367, 1370 § 1, 1378 § 1, 1382 et 1388 § 1.
[38] Voir NC 1713-1716, 1733 § 1 ; voir aussi 1341 et 1446.
[39] Cf. NC 694-702. Voir surtout NC 700.
[40] De là, l’importance des études de droit canonique. Les exigences posées à ce sujet restent minimales. Voir, par exemple, NC 378 § 1,5° ; 1421 § 3. Le manque de compétence canonique pose un grave problème de justice, même dans les Instituts de vie consacrée, surtout dans la vie religieuse.
[41] Malgré la doctrine conciliaire sur la collégialité, il est certain que les évêques diocésains se sont montrés opposés à un accroissement de la compétence et des pouvoirs des conférences épiscopales. Instructif à cet égard est l’article du Cardinal Gouyon, Archevêque de Rennes, « Les relations entre le diocèse et la conférence épiscopale », L’Année canonique, 22 (1978), 1-23.
[42] Voir à ce sujet notre étude « Le deuxième projet de droit pour la vie consacrée », Studia canonica, 15 (1981), 87-134, spécialement 121-128.
[43] Dans le texte promulgué, le terme « droit propre » signifie tout texte approuvé par l’autorité compétente. Les « Constitutions » ont un sens plus étroit : c’est un texte approuvé par le Saint-Siège ou l’évêque diocésain, selon les cas.
[44] Pour en faciliter l’étude, nous indiquons ici les canons concernés ; nous comptons 22 renvois, à savoir : NC 581 ; 587 § 1 ; 596 § 1 ; 598 § 1 ; 601 ; 609 ; 616 § 1, 2, 3, 4 ; 623 ; 624 § 1 ; 625 § 1 et 3 ; 627 § 1 ; 631 § 1-2 ; 634 § 1 ; 648 ; 662 ; 667 § 3 ; 668 § 1.
[45] Les renvois au droit propre ne signifient pas qu’il faille traiter du sujet dans des Codes accessoires. Il peut se faire qu’un Institut préfère assurer une plus grande stabilité à certaines questions et en traite dans ses Constitutions. Les renvois au droit propre sont au nombre de 45 ; pour faciliter l’étude de cet aspect du nouveau Code, nous les énumérons ci-dessous : NC 573 § 2 ; 587 § 4 ; 597 ; 598 § 2 ; 602 ; 616 ; 617 ; 622 ; 623 ; 624 § 2 et 3 ; 626 ; 627 § 2 et 3 ; 629 ; 630 § 1 ; 631 § 2 et 3 ; 632 ; 633 ; 636 § 1 et 2 ; 638 § 1 et 2 ; 641 ; 643 § 2 ; 645 § 3 ; 650 ; 652 § 2 ; 655 ; 657 § 2 ; 659 § 2 (deux fois) et 3 ; 667 § 1 ; 688 § 2, 3, 4 et 5 ; 669 § 1 ; 684 § 3 et 4 ; 685 § 1 ; 696 § 1 et 2.
[46] Ces renvois généraux sont au nombre de huit. Ils se trouvent aux canons suivants : NC 608 ; 615 ; 635 § 2 ; 654 ; 676 ; 677 ; 683 § 1 ; 703.
[47] Cf. Periodica 60 (1971), 119-189 ; 61 (1972), 670-695 ; 62 (1973), 563-607 ; 64 (1975), 205-334 ; 65 (1976), 183-185 ; 66 (1977), 297-325 ; 67 (1978), 59-96.