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Vieillir dans un Institut Séculier : où et dans quelles conditions ?

Tribune libre

Germana Sommaruga

N°1983-1 Janvier 1983

| P. 31-35 |

L’auteur de ces lignes, bien connue de nos lecteurs, y pose avec grande franchise et beaucoup de lucidité la question à laquelle sont affrontés les membres vieillissants des Instituts Séculiers. La solution qu’elle suggère (et qui est vécue, notamment, dans son Institut) semble tout à fait dans la ligne de la sécularité qui caractérise cette vocation. Mais peut-on l’imposer à tout consacré séculier ? C’est ce que se demande l’auteur, en des pages qui font réfléchir.

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Au moment du choix, nous étions jeunes : vingt ans, trente ans peut-être. L’idéal était beau : être, dans le monde, des consacrées, présences vivantes de l’Église, témoins du Christ, au service de nos frères. Pour les jeunes que nous étions, le grand âge paraissait encore si lointain !

Parfois, une aspirante soulevait la question : « Mais, plus tard, quand nous serons vieilles, qui s’occupera de nous ? Pas de couvent, pas de maisons communes ! Si les membres de ma famille mouraient avant moi et ou que personne, parmi eux, ne veuille de moi à ce moment-là ? Alors, quoi ? »

La plupart des candidates ne posaient aucune question : c’était sous-entendu, on acceptait le même avenir que n’importe quelle autre célibataire vieillissante. Telle était aussi la réponse de nos responsables : « Vouloir rester dans le monde au service de Dieu et de nos frères signifie pour nous la volonté de rester des femmes comme tout le monde, inconnues, pleinement séculières, et donc de partager le sort commun. Notre consécration reste le secret du Roi ».

On était encore en pleine jeunesse. Les Instituts Séculiers venaient de naître, l’idéal était grand, on ne se posait pas de questions, on s’oubliait soi-même. Dans Primo feliciter, Pie XII avait si bien parlé de cet oubli de soi !

Certes quelques Instituts, comptant souvent de nombreux membres, avaient choisi une forme de vie consacrée dans le siècle que les Instituts les plus insérés dans le monde jugeaient moins séculière, voire quasi religieuse : on y avait la vie commune, des œuvres propres, une mise en commun des biens, des maisons. La vieillesse des membres était donc assurée, conformément aux prescriptions de la Lex peculiaris annexée à Provida Mater : celle-ci prévoyait une ou des maisons et la possibilité pour les membres âgés d’y être accueillis. Une maison : c’était requis par la Lex peculiaris. Mais la plupart des Instituts qui avaient opté pour une insertion tout à fait séculière dans le monde et les réalités temporelles ne voulaient pas de maisons. On était jeune et l’on croyait avoir saisi le sens profond d’une vie consacrée dans le siècle.

On le croyait. Je pense qu’en vérité ces Instituts avaient réellement compris la nature des Instituts Séculiers. Leur raison d’être, c’est l’insertion dans le monde, au milieu du « tout-venant », dans l’histoire commune, et cette raison d’être ne disparaît pas lorsque vient le grand âge. On a vécu toute sa vie avec les autres et pour eux ; pour mieux partager, on n’a pas mis grand-chose de côté en vue des vieux jours. Alors, pourquoi ne pas se préparer à terminer aussi sa vie au milieu des autres et à leur service ?

Aujourd’hui cependant, le problème est ressenti dans toute sa gravité. J’en donne quelques exemples (les noms sont fictifs).

  • Marie est toujours restée au sein de sa famille, seule à ne pas se marier ; elle le fit par idéal, sa vocation séculière, et par dévouement envers ses parents vieillissants. Aujourd’hui, ceux-ci sont morts ainsi qu’une de leurs filles. Son frère a une nombreuse famille, mais ses neveux ignorent cette vieille tante restée célibataire. Elle vit seule et s’en tire avec une petite retraite. Mais demain ? Ce sera l’hospice. Or, dans son pays, l’hospice le plus pauvre est encore assez coûteux. Elle devra donc faire appel à l’aide financière de son frère, alors qu’elle n’a jamais pu lui rendre de services matériels : elle gagnait à peine de quoi vivre, n’ayant pu prendre qu’un petit travail qui lui laisse le temps de s’occuper de ses parents.
  • Antoinette a quitté la maison familiale alors qu’elle était encore assez jeune ; elle s’est rendue dans une autre localité, pour un apostolat plus efficace dans une usine tout à fait déchristianisée. Aujourd’hui, elle est seule et son Institut n’a pas de maison. Cet Institut est pauvre ; n’ayant pas d’œuvres propres, il n’a jamais eu besoin de l’aide financière de ses membres. Toutes, même les responsables, sont au travail ; ce qui est parfaitement séculier. Nombreuses sont aujourd’hui celles qui sont âgées. On pourrait songer à un S.O.S., à un appel à l’aide auprès des autres. Mais celles qui pourraient y contribuer de façon régulière sont trop peu nombreuses, elles ont déjà d’autres engagements, l’activité apostolique dévore leur temps. De plus, fréquemment, celles qui sont âgées ne vivent pas dans la même ville ; il faudrait pouvoir les atteindre dans leur milieu. Et il faut aussi continuer la formation permanente, indispensable dans un Institut Séculier. Mais on doit aussi éviter à tout prix que ces membres de l’Institut soient abandonnés : pour eux aussi, la vieillesse est dure. Toutefois, les forces vives de l’Institut ont à être vouées au service de tous et ne peuvent être entièrement absorbées par le soin des membres âgés, qui ont cependant leurs droits.
  • Justine, au contraire, a été reçue chez une jeune nièce célibataire ; Yolande, elle, l’a été par ses neveux, jeunes mariés, auxquels elle rend de précieux services en assurant la garde de leurs enfants.

Mais la situation des membres âgés pose la plupart du temps un problème.

Il y a quelque temps, un jeune membre d’un Institut Séculier italien me disait sa joie et sa satisfaction : « Notre Institut est en train de bâtir une grande maison pour nos sœurs âgées. Chacune y aura son petit appartement et pourra garder son autonomie ; cependant nous aurons aussi une cuisine et une salle à manger communes. Ainsi nous pourrons finir nos jours dans la paix et la charité fraternelle ». Ma réaction spontanée fut : « Mais alors, après une vie toute donnée aux autres, en pleine sécularité, dans le partage le plus apostolique avec autrui, nous, les laïques consacrées, nous aurons une vieillesse protégée, toute différente de notre vie antérieure : nous terminerons nos jours dans le calme, servies par nos sœurs, tandis que les autres, les simples gens, ces vieilles mamans rejetées par leurs enfants, ces célibataires âgées et fatalement isolées mourront dans un hospice ! Sommes-nous logiques ? Avons-nous offert notre vie à nos frères dans le monde jusqu’à une certaine limite seulement, en refusant de partager jusqu’au bout leur sort ? »

Il y a quelques semaines, en dialoguant avec le Général et les Consulteurs d’un Ordre religieux, j’en vins à parler de ma volonté de finir ma vie en séculière, avec les autres, dans le même dénuement qu’elles. Ceci m’attira une réponse très dure : « Un Institut a-t-il le droit de manquer à ce point à la charité envers ses membres âgés ? Et avez-vous le droit d’occuper, dans une maison de repos, la place qui pourrait l’être par une autre personne âgée ? »

À la deuxième question, je répondis : « Mais je ne prive personne : moi aussi, je suis une femme quelconque, une vieille femme quelconque ! » La première question suscita chez moi cette réponse : « Je n’ai pas choisi un Institut qui m’offrirait son appui et sa protection matérielle jusqu’à ma mort ; ce que j’attends de lui jusqu’au bout, c’est son aide spirituelle pour que je sache être une consacrée séculière, au service de mes frères plus malheureux que moi. J’ai une « mission » qui ne se terminera pas à mes 70 ans ! Je ne pourrai jamais reprocher à mon Institut un manque de charité, car c’est moi qui ai choisi de répondre à l’appel de Dieu à une vie séculière jusqu’à ma mort ». Je sais que je n’ai convaincu personne, ni le Général ni ses conseillers.

D’autre part, en lisant récemment les Constitutions d’un nouvel Institut Séculier avant qu’il ne présente celles-ci à Rome, j’ai eu une réaction assez sévère. On y disait que les responsables pourraient faire appel à tout membre de l’Institut, le retirant de son activité et de sa maison, le jour où l’on aurait besoin de lui pour l’assistance aux membres âgés de l’Institut dans la maison bâtie spécialement dans ce but. Il me parut assez étonnant qu’une obéissance de type tout à fait séculier – puisqu’elle laissait le membre dans son milieu de vie et à ses activités apostoliques – puisse imposer à une consacrée l’abandon de ces activités pour un service qui entraîne un changement de milieu, d’orientation et même de « sécularité ».

Il est bien possible que je me trompe. En tout cas, ceci représente mon opinion personnelle. Peut-être suis-je portée à la mettre en avant à cause de ma vocation de Missionnaire des Malades Christ-Espérance : notre Institut se consacre à ceux qui souffrent pour leur offrir, dans le Christ, l’espérance. Or tous les documents sur les Instituts Séculiers font allusion à ceux qui souffrent. Alors, peut-il exister un Institut Séculier qui se sente dispensé de partager la vie de tout le monde dans la vieillesse et jusqu’à la mort ?

Je termine en présentant le cas d’une de nos Missionnaires, Marguerite, une française. Veuve à 69 ans, belle, riche, musicienne, elle donna tout aux pauvres pour pouvoir être acceptée dans un hospice de vieilles personnes. Ce fut alors aussi qu’elle nous demanda de l’accepter dans l’Institut : malgré ses 69 ans, nous ne pûmes évidemment refuser. L’hospice avait été soigneusement choisi : isolé, dans la montagne, sans prêtre ni religieuse, bref, un hospice laïc. Elle y vécut durant quinze ans, sereine, paisible, active ; elle parvint à obtenir du curé du village voisin qu’il vienne, une fois par mois, célébrer l’Eucharistie pour les vieilles femmes de l’hospice. Elle y fut l’humble témoin d’une espérance qui peut et doit être vécue et offerte jusqu’à la mort. Elle mourut à 88 ans et est ensevelie là-bas.

Si l’on peut souhaiter un pareil amour et une disponibilité semblable, je me demande si l’on est en droit de l’imposer à tout consacré séculier, afin qu’il partage réellement jusqu’à la fin de ses jours le sort de ses frères ? Ou le problème reste-t-il ouvert ?

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