Vie religieuse féminine et spiritualité ignatienne
Françoise Soury-Lavergne, o.d.n.
N°1983-1 • Janvier 1983
| P. 36-44 |
Répondant à l’invitation de Vatican II à revenir à leurs sources, plusieurs Congrégations féminines d’inspiration ignatienne ont davantage apprécié et réexprimé la part de spiritualité ignatienne présente dans leur évolution. Il leur est venu l’idée de se le dire et une réflexion commune entre elles s’est amorcée depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, ce groupe a la conviction d’être assez consistant pour emprunter le même chemin quand il s’agit de proposer des perspectives d’avenir. C’est ce chemin que les pages qui suivent décrivent à grands traits : priorité de la mission apostolique qui donne sa note propre à la prière, à l’activité, à la vie de communauté ; itinéraire marqué par l’expérience des « Exercices spirituels » ; engagement dans la construction du Royaume ; souci de la place à donner à la femme dans l’Église et le monde d’aujourd’hui.
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Les Congrégations religieuses dont il va être question dans ces pages n’appartiennent pas à une nomenclature juridiquement désignée dans les textes de l’Église. Mais la vie les a rapprochées en leur faisant prendre conscience de ce qu’elles possèdent de commun. Bien qu’à divers titres, elles se réclament en effet d’un même courant spirituel, celui qui, au seizième siècle, s’est incarné en Ignace de Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus.
Elles se disent donc membres de la grande famille ignatienne à un niveau qu’il n’est pas toujours aisé de définir, mais qui touche leurs racines les plus profondes. La difficulté de l’analyse peut surgir précisément du fait qu’il s’agit du domaine mouvant où se croisent les influences reçues et les traits particuliers du sujet qui les accueille.
En dépit de la diversité qui est le fruit de dons multiples et de circonstances variées, les Instituts dont il sera question plus loin reconnaissent leurs différences comme une richesse tout en attachant un grand prix à ce qui les unit, à savoir une même spiritualité de base. C’est pourquoi, avant de parler en leur propre nom, les religieuses intéressées désirent exprimer le contenu commun de leur projet de vie. Ces pages ne prétendent que tracer à grands traits les lignes principales du patrimoine qu’elles s’efforcent de faire valoir à leur manière.
Le fait historique
S’il l’avait voulu, le fondateur de la Compagnie de Jésus aurait eu toutes les possibilités d’imiter certains de ses devanciers qui, en donnant à l’Église un Ordre masculin, avaient presque simultanément créé une branche féminine, connue comme Deuxième Ordre, avant d’en arriver parfois jusqu’au Tiers Ordre. Mais tout en se référant volontiers à François d’Assise ou à Dominique, l’illustre Frère Prêcheur, Ignace avait des vues bien différentes, à cause notamment de la souplesse et de la mobilité qu’il entendait donner au corps apostolique dont il était la tête.
Il s’est toujours refusé à entrer dans les projets de plusieurs de ses dirigées qui se sentaient attirées par la force de son élan à la fois mystique et d’une activité intrépide. Il n’y a donc jamais eu de Jésuitines au sens strict, même si la voix populaire a pu, en certaines circonstances, attribuer ce nom à quelques communautés naissantes.
Mais des liens fraternels se sont tissés quand même et par d’autres moyens. Suivant les cas, cela s’est fait dès l’origine des Instituts ou au cours d’une époque qui se révéla décisive pour des orientations à prendre. Un bon nombre de fondatrices ont eu le privilège de recevoir l’appui d’un Père Jésuite, quelquefois celui-ci a été considéré comme fondateur ou co-fondateur par celles qui ont bénéficié de son aide spirituelle. Des rencontres providentielles ont eu lieu au moment de retraites données selon la forme ignatienne que l’on appelle « Exercices Spirituels » et l’impact a été aussi fort que durable. Il en est résulté une communication inspirant la formule à adopter pour la Congrégation qui voyait le jour, allant jusqu’à l’emprunt de documents, voire même des Constitutions de la Compagnie de Jésus.
Dans d’autres cas, ce sont des collaborations apostoliques qui ont été l’occasion de découvrir les avantages d’un type de vie religieuse qui avait su se libérer au maximum des pratiques monastiques incompatibles avec la vocation reçue.
Peut-être y a-t-il aussi des événements fortuits qui ont déterminé le glissement d’une Congrégation au contact ou à l’exemple d’une autre Congrégation elle-même ignatienne. L’Esprit souffle où il veut, accomplissant son œuvre à travers les circonstances les plus surprenantes.
Mais le fait est là, nombreuses sont maintenant les Congrégations féminines qui ont quelque raison de se dire héritières d’Ignace. Elles en ont pris conscience ou en ont refait l’expérience dans les dernières décennies, en entrant dans le mouvement de rénovation qui avait été prôné par le Concile de Vatican II. Répondant à l’invitation de revenir à leurs sources, elles ont pu mesurer, apprécier et ré-exprimer la part de la spiritualité ignatienne dans leur évolution.
Connaissant mieux ce qui les a marquées au cours des siècles, il leur est venu l’idée de se le dire et les événements ont permis que s’amorce en 1972 une réflexion commune entre Supérieures Majeures. Ainsi s’est formé un groupe fraternel dont la force a été capable de mettre sur pied un inter-noviciat ignatien qui fonctionne au bénéfice des jeunes générations. Un partage d’expériences a favorisé d’autres initiatives de services mutuels et d’approfondissement.
Aujourd’hui ce groupe a la conviction d’être assez consistant pour emprunter le même chemin quand il s’agit de proposer des perspectives d’avenir. Devant la floraison des lieux de prière où se rassemblent des êtres assoiffés du silence que notre monde leur refuse, devant l’affirmation de certaines militances dont le seul but est de changer les situations causées par l’injustice des hommes, la question se pose de façon plus opportune de faire connaître une voie d’équilibre. Son caractère spécifique est sans doute d’ouvrir à Dieu et aux autres en garantissant à la fois les ressources nécessaires à un dynamisme interne et la manière de les dépenser dans un service valable. Il semble donc à propos d’en parler davantage.
Une spiritualité apostolique
La définition que l’on peut en donner comporte une première composante qui est essentielle, et c’est l’importance incomparable de la mission. Cette dernière est constamment mise en valeur comme le but vers lequel tout doit converger. On part pour elle, on revient à cause d’elle, on s’arrête pour l’évaluer, on est ensemble pour la préparer à nouveau. Elle a des incidences sur la vie de prière comme sur l’activité de chacune, si bien que l’attitude maîtresse est celle de contemplatives dans l’action.
Le temps de louange n’est pas seulement celui de l’oraison formelle qui nous enracine dans la perspective du Royaume, c’est aussi le maintien de la familiarité avec le Père dans la réalisation de sa volonté. Car il s’agit avant tout de vivre la manière de Jésus, envoyé du Père pour accomplir une mission de salut. L’agir du contemplatif dans l’action est régi avant tout par cette norme de l’œuvre du Fils : « Je ne puis rien faire de moi-même... Ce n’est pas ma volonté que je cherche mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 5,30).
Cette conscience d’être « instrument » entre les mains du Père se forge dans une relation personnelle avec Jésus-Christ. Ayant perçu l’envergure apostolique de l’invitation à être avec lui, mecum, comme dit le texte ignatien, ou encore en sa « compagnie », les travaux acceptés sont aussi facteurs de configuration en lui. L’objectif à poursuivre sans cesse est la réalisation du salut, par son extension dans l’espace et dans le temps, à la plus grande gloire de Dieu. Il s’ensuit une exigence inconditionnelle de « disponibilité » au service de nos frères, et c’est ce qui confère à l’obéissance toute sa vigueur de mystère de foi.
À l’heure de passer de la théorie à la pratique, et de découvrir le lieu de notre rencontre avec la volonté du Père, il est utile d’avoir développé comme un sens spécial afin de capter la manifestation concrète de la sagesse incréée, et c’est ce que prétend faciliter la fameuse attitude de « discernement ». On comprend en effet que l’apôtre digne de ce nom ne peut se lancer que dans des entreprises entrant dans le dessein miséricordieux de la Trinité. Pour s’engager réellement dans la voie où l’Esprit de Jésus conduit, à travers les siècles, les ouvriers de l’Évangile, il conviendra donc de se situer sous sa mouvance. Et c’est là que se trouve le moteur de l’action apostolique, comme un feu de Pentecôte, une « loi intérieure d’amour et de charité ».
Les décisions à tous les niveaux deviennent donc conformes au vouloir divin dans la mesure où sont libérées les énergies premières, celles du don déposé en chacun de nous par le Seigneur. Ainsi se peuvent-elles « ordonner » par rapport à la fin poursuivie qui est de servir Dieu « ici et maintenant », dans le terrain déterminé où s’insère l’envoyé.
Aspirer à de telles dispositions suppose un « désir » spirituel qui doit s’exprimer inlassablement, dans la confiance en celui qui sait ce dont nous avons besoin. Alors, au sein même du combat de la vie, cette spiritualité apostolique ramène au point de départ qui était familiarité avec le Père, contemplation évangélique et cheminement avec le Verbe fait homme.
Le réalisme des routes à parcourir s’harmonise ainsi avec la richesse intérieure qui pousse à s’y engager.
L’expérience fondamentale
Pour essayer de parvenir à ce que nous avons tenté de décrire, Ignace propose une éducation progressive dont la base est posée par l’expérience personnelle des « Exercices Spirituels », comme aux jours où lui-même est passé par là, dans la grotte de Manrèse.
L’itinéraire tracé comporte des étapes qui correspondent à la pédagogie de Dieu pour la formation de son peuple et de ses instruments de choix : conversion du cœur, oblation totale en réponse à l’appel de Jésus-Christ sauveur, contemplation des mystères de sa vie, de sa mort et de sa résurrection, et entrée dans l’expérience pascale afin de suivre le Fils qui fait tout remonter vers le Père.
Ces étapes successives sont désignées par le terme de « semaines », bien que leur durée soit très inégale, comme tout ce qui épouse le mouvement original de toute vie, fût-elle spirituelle. Mais il reste que chacune a sa structure propre, avec ses temps forts et son sommet, après lequel il est naturel de se reposer comme à la fin d’une semaine laborieuse. Et l’ensemble atteint en effet le total d’un mois dans les cas où s’appliquent exactement les conseils rédigés par Ignace, comme résultat de sa réflexion sur ce qu’il a vécu et qui est à l’origine de la Compagnie de Jésus.
Depuis quatre siècles, des retraites construites à partir de ces observations continuent à toucher des êtres en quête de nobles causes. Ils découvrent alors que ce n’est pas à quelque chose mais à quelqu’un que doit aller leur générosité, et que si ce quelqu’un s’est livré pour nous, nous devons à notre tour nous donner à nos frères.
Parmi les Congrégations de spiritualité ignatienne, toutes réservent une place aux « Exercices » de ce type. Certaines ont adopté la formule des trente jours dans leur formation initiale, parfois durant le noviciat, souvent comme ultime préparation à l’engagement définitif. Dans de nombreux cas c’est le même itinéraire, réduit à huit jours, qui ponctue le cheminement des religieuses, à l’occasion de leur retraite annuelle ou dans les grands moments de leur vie à la suite de Jésus-Christ. Chaque fois, qu’il s’agisse des Exercices donnés par un Jésuite ou par toute autre personne ayant intériorisé l’expérience, on s’y trouve à une école de prière et de discernement qui permet d’orienter sa vie selon Dieu. Cela explique le profit que peuvent en tirer ceux qui débutent ou cherchent à s’affirmer dans une vie religieuse consacrée au service de leurs frères.
Depuis la retraite d’élection, en réponse au premier appel, jusqu’au seuil de la fidélité, dans un âge avancé, jeunes et moins jeunes s’y reconnaissent dans la vérité de leur être et s’y renouvellent dans l’esprit missionnaire.
Les traces de cette expérience dans le quotidien de la vie apparaissent principalement à l’heure des choix, dont la fréquence est si grande sur le chemin de l’apôtre aux prises avec toutes les ambiguïtés et les complexités du réel.
Le retour répété aux moments décisifs des Exercices, c’est-à-dire aux points où le Seigneur a le plus fortement agi chez le retraitant, est également recommandé par Ignace, et c’est ce qui donne un sens tout particulier à « l’examen ». En tant qu’exercice caractéristique du contemplatif dans l’action, il replonge dans les exigences de l’appel personnel, une fois essayées les forces sur le terrain.
Enfin, c’est encore un fruit de l’expérience ignatienne d’avoir appris à s’ouvrir à la confrontation, face à ceux qui, suivant les circonstances, ont autorité pour objectiver les perspectives de lumière et d’ombre qui se présentent dans la vie spirituelle.
Pour toutes ces raisons, les Instituts apostoliques dont nous parlons considèrent comme un élément fondamental de leur formation d’accueillir, en l’adaptant à leur charisme, le contenu des Exercices qui leur font partager le patrimoine de la Compagnie de Jésus.
Engagement dans la construction du Royaume
La plus grande partie de la vie de l’envoyé se consume au contact des autres et dans l’accomplissement de tâches terrestres qui le font entrer comme acteur dans le mouvement de l’histoire. C’est là qu’il participe au pouvoir créateur de Dieu et qu’il devient pleinement solidaire des hommes au labeur.
Il fait siennes les joies et les angoisses de ses frères pour s’en charger à son tour, car il veut témoigner des sentiments même que Jésus-Christ a éprouvés devant les foules, les malades et les petits. Cette attirance vers les situations présentant une nécessité particulière a donc sa source dans la personne même du Sauveur, touché à la vue des « gens prostrés et las comme des brebis qui n’ont pas de pasteur ».
La manière d’accomplir la mission est profondément marquée par une présence au réel, dans une dynamique d’incarnation qui permet de se faire « juif avec les juifs », à l’exemple de Paul. Tout l’effort d’inculturation actuellement préconisé pour une action missionnaire est dans la logique de cette passion pour l’œuvre de salut, dans son contexte le plus précis.
La sensibilité aux valeurs humaines est donc un élément important des réactions de l’apôtre engagé dans l’évangélisation, même si « l’indifférence » ignatienne demande de considérer les choses créées en fonction de la fin à atteindre. Cette attitude qui met au premier rang l’objectif, « ce que je veux », comme dit Ignace, est bien loin de signifier froideur ou rejet. C’est tout simplement une manière de relativiser ce qui parfois devient accessoire par rapport à l’essentiel.
L’accueil de tout le positif va de soi, comme une aide précieuse, à prendre sur le chemin, sachant voir Dieu en toutes les créatures et toutes les créatures en lui. Le discernement entre les unes et les autres consistera à vouloir uniquement et à choisir de préférence ce qui répond « davantage » au but du Créateur.
En conséquence une authentique relation au monde sera celle qui découle d’une grande liberté intérieure, faisant user des choses selon le tantum quantum, cet art de tout apprécier dans la mesure où la fin est atteinte et sans jamais la confondre avec ce qui n’a valeur que de moyen parmi d’autres.
Dans le même ordre d’idées, les principaux critères apostoliques seront ceux qui portent sur la transformation profonde des cœurs avant de viser l’éclat des entreprises, ceux qui favorisent le bien général avant d’entrer dans les particularismes, et de même ceux qui tendent à faire fructifier au maximum les dons de Dieu en utilisant leur force d’expansion.
Et la vie de l’apôtre est un tout. Il ne participe pas à la mission de Jésus-Christ seulement lorsqu’il est au travail, ou seulement lorsqu’il ressent les flammes du zèle. S’il est donné, il prend ses occupations, non comme un passe-temps, mais comme l’expression du désir profond qui oriente sa vie. E faut évidemment que son cœur soit saisi par le courant vivifiant qui jaillit du cœur de Dieu, et c’est pourquoi il ne craint pas de revenir à son centre avec toute la charge de soucis et d’allégresses glanés au fil des rencontres. Cela aussi fait partie de son existence vouée au service de ses frères, pour un amour qui seul peut le combler.
Selon tous ces principes, l’engagement dans la construction du monde se vit au contact de celui qui, tout Dieu qu’il était, n’a pas dédaigné de revêtir notre condition humaine pour se faire l’un des nôtres.
Femmes à l’œuvre dans l’Église
S’inspirant de ce qui vient d’être décrit, un grand nombre de religieuses ont aujourd’hui leur part dans la proclamation de la Bonne Nouvelle. De même que le laïc apporte sa propre capacité d’engagement au sein du Peuple de Dieu, de même que le prêtre est conscient de son rôle de pasteur et de délégué auprès de la communauté chrétienne, ces femmes groupées autour d’un même projet se reconnaissent aussi comme investies d’un ministère sacré.
Chargées d’activités variées, suivant le visage spécifique de leur Congrégation, suivant les époques et suivant les contextes, elles représentent, sans aucun doute, un potentiel de forces vives dont l’influence est loin d’être négligeable. Apparemment bien sûr, rien ne les distingue de beaucoup d’autres qui, dans une profession ou dans une fonction sociale quelconque, sont au labeur durant de longues heures de la journée. Mais deux traits semblent avoir leur portée par rapport à l’avance de l’évangélisation.
Tout d’abord ce sont des femmes, pour lesquelles une certaine qualité d’action compte énormément. On peut dire dans bien des cas que, depuis plusieurs siècles, elles constituent le noyau de tout un mouvement tendant à faire prendre à la femme la place qu’elle peut occuper dans la conduite du monde. À mesure qu’a progressé le respect de la personne et de son autonomie, surtout depuis Vatican II, ces religieuses ont été tout particulièrement touchées par la confiance que pouvait leur faire l’Église, là où elle a conscience de devoir se démasculiniser. Elles ont parfois trouvé dans les exemples d’une fondatrice toujours audacieuse le germe d’une attitude rompant avec l’image incomplète de la femme toute soumission. Et si elles sont fidèles à leur vocation, elles savent aussi canaliser les manifestations trop intempestives de celles qui, à l’opposé, prétendent régenter l’univers, en oubliant leur Maître doux et humble et doué pour ainsi dire d’une fibre féminine, lorsqu’il se montre ami de la vie et soigneux de ne pas briser le roseau froissé. Leur juste fierté n’est donc pas exempte d’exigences.
En second lieu, puisque nous avons déjà esquissé les principales caractéristiques de la spiritualité ignatienne, il convient de souligner les fruits qui, pour des consacrées, en sont perceptibles dans leur forme de vie religieuse apostolique. Ainsi l’expérience des Exercices et la formation à la disponibilité pour le Royaume ont pour effet de structurer les personnes de telle sorte qu’ayant fait certaines ruptures, elles apprennent à ne pas se laisser vaincre par les premières embûches. De plus, on doit peut-être au discernement bien compris le correctif parfois nécessaire aux fantaisies de l’imagination et de l’affectivité. Mais il est également vrai que cet ensemble, premièrement assimilé par des hommes, reçoit à son tour un enrichissement grâce aux options souvent inédites de telle ou telle fondatrice qui l’a coloré de ses intuitions.
Et c’est pour cela que j’ai pris la parole, sur l’invitation du groupe ignatien mentionné au début de ces pages. Un spécialiste en spiritualité, théologien formé par la Compagnie de Jésus, aurait dit maintes choses plus adéquates et mieux pensées. Mais ce qui aurait pu manquer, c’est l’aspect de témoignage exprimé par quelqu’un de concerné jusque dans ses divergences par rapport aux fils d’Ignace.
Volontiers je déclarerai mon appartenance à un Institut qui se rattache à une famille spirituelle reconnue pour sa vigoureuse impulsion à prolonger la mission du Sauveur. Légitimement aussi je bénis le Ciel d’avoir soufflé au chevalier de Loyola de modérer ses conquêtes dans le seul domaine où d’autres pouvaient les assurer à leur manière. Cette absence de tutelle me permet d’être moi-même, comme elle le permet aux religieuses des autres Congrégations d’inspiration ignatienne. Avec elles toutes, femmes au regard déjà tourné vers l’aube du XXIe siècle, je me sens responsable de relever les défis de notre monde en y continuant obstinément l’œuvre du salut. Et la résonance particulière que trouve en chacune de nous l’oblation apostolique de l’expérience de Manrèse est la raison de l’existence si diversifiée d’instituts dont on peut découvrir l’irréductible physionomie.
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